vendredi 2 décembre 2011

Les Chiens de Paille / Straw Dogs (2011)

                                                          Photo empruntée sur Google, appartenant au site Imdb.com

de Rod Lurie. 2011. U.S.A. 1h49. Avec James Marsden, Kate Bosworth, Alexander Skarsgard, James Woods, Rhys Coiro, Dominic Purcell, Willa Holland.

Sortie en salles en France: 9 Novembre 2011.  U.S: 16 Septembre 2011

FILMOGRAPHIE: Rod Lurie est un réalisateur, scénariste et producteur et acteur israélien né le 15 mai 1962 en Israel. 1998: 4 Second Delay. 1999: Situation critique. 2000: Manipulations. 2001: Le Dernier Château. 2002: The Nazi. 2007: Resurrecting The Champ. 2008: Le Prix du Silence. 2011: Les Chiens de Paille.


40 ans après le chef-d'oeuvre traumatique de Sam Peckinpah, un réalisateur modeste d'origine israélienne s'accorde la gageure de remaker un modèle d'ultra violence stigmatisant l'instinct meurtrier enfoui en tout un chacun. Or, au vu du traitement de la violence intelligemment exploité par Peckinpah, il était difficile de concevoir qu'une version contemporaine allait pouvoir à nouveau honorer une montée en puissance de la haine d'une intensité inégalée. 

SynopsisUn couple de jeunes mariés se retire dans une contrée bucolique au moment où la jeune épouse, Amy, vient d'hériter de la maison de ses parents. Sur place, David engage des ouvriers afin de réparer la toiture d'une grange. Mais l'un d'eux se révèle être l'ex petit ami de sa femme. Alors que le mari tente de rédiger un scénario pour le cinéma, Amy semble s'ennuyer de sa condition conjugale. En prime, l'ambiance faussement amicale entre les travailleurs et David est sournoisement tendue. Un matin, le scénariste se laisse convier par le groupe à une partie de chasse dans la forêt environnante. Mais Charlie profite de l'absence de celui-ci pour retrouver Amy restée seule dans sa demeure. 
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En étant le plus honnête possible pour ma lourde appréhension à me porter garant face à cette version remaniée d'un authentique chef-d'oeuvre resté dans toutes les mémoires; la gageure amorcée par le réalisateur Rod Lurie relevait d'une mission suicidaire (euphémisme) quand son ascendant eut atteint la perfection avec l'adaptation d'un roman aussi dense, burné et incisif. Et pourtant, par je ne sais quel miracle improbable ce remake s'en tire haut la main avec les honneurs. Avec en prime une certaine forme de respect pour son modèle. De prime abord, j'ai été spontanément convaincu par la prestance des comédiens, en particulier nos deux héros endossés par James Marsden et Kate Bosworth interprétant avec sobriété naturelle le rôle équivoque d'époux contrariés par leur confiance et d'une absence autoritaire maritale. Le couple accordant beaucoup de crédit psychologique, de dimension humaine à tenter de nous convaincre sans cabotinage aucun leur susceptible relation dépréciée par des machistes revanchards, véreux, alcoolos, décervelés. James Woods, presque méconnaissable en paternel tyrannique tuméfié par l'alcool étant absolument abjecte d'orgueil putassier. Il se révèle résolument impressionnant lors de ces brutaux accès de violence "irascible" lorsqu'un quidam simplet tente d'effleurer une allusion lubrique avec sa fille racoleuse. Alexander Skarsgard, très impressionnant par sa robustesse physique et le naturel de sa force tranquille, apportant également pas mal d'intensité et une certaine ambigüité dans sa moralité licencieuse entachée d'une conscience tourmentée lorsqu'il observe avec soupçon d'embarras le viol d'Amy perpétré par l'un de ses acolytes.


Quant à la mise en scène étonnamment appliquée, elle s'attache à nous décrire sans esbroufe ni élitisme la confrontation insidieuse entre ce groupe d'ouvriers obnubilé par le décolleté parfois sciemment racoleur d'Amy, et David, davantage irrité par leur désinvolture et provocation virile. Ainsi, avec une efficacité exponentielle, le cheminement tortueux de chacun de nos protagonistes nous est dépeint avec un réalisme malaisant, sans artifice ludique, avec cette volonté absolue d'y rationaliser cette fatale réaction en chaine de la montée en puissance de la violence. C'est cette dimension psychologique octroyée à chacun des personnages finement dessinés qui rend ce remake si captivant, tour à tour oppressant, insupportable de tension lorsque la violence se déchaine sans pouvoir la stopper. D'abord, le viol laconique et dérangeant réussit à provoquer un malaise diffus d'une manière somme toute viscérale alors que le réalisateur ne s'y attarde pas pour ne pas sombrer dans la complaisance. Ainsi, avec l'effet de suggestion, il permet d'exacerber son intensité auprès des clameurs bouleversées de la victime et surtout les regards quelque peu éhontés mis en exergue sur les trognes de nos bourreaux crapuleux. Quand au fameux point d'orgue aussi escompté que furieusement redouté, il déploie avec beaucoup d'intelligence un déchaînement de brutalité d'une acuité perturbante, insolente, traumatique, intolérable. C'est cette déchéance de l'animosité humaine, cet endoctrinement d'une haine infiniment contagieuse qui dérange tant à travers ce fracas d'images bestiales, insalubres, hideuses, insidieuses, préjudiciables. Les chiens de Paille, version contemporaine, souhaitant toujours dénoncer une réflexion sur notre instinct meurtrier inhérent, sur l'aliénation de cette violence transmissible à autrui par l'influence d'hommes galvaudés par leur égo, leur orgueil, leur perversité égrillarde. Cette spirale de la folie véritablement tangible nous emprisonnant à corps perdu dans une claustration confinant au vertige (jusqu'au malaise viscéral pour les plus sensibles d'entre nous).

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History of violence
Evidemment, si tout cela fut préalablement traité avec plus de pertinence, de brio et de virtuosité auprès d'un cinéaste notoire au sommet de son art, épaulé qui plus est de comédiens transis aux gueules burinées, ce remake respectueux s'avère à mon goût digne de son modèle en s'écartant à tous prix des  produits opportunistes et formatés conçus pour épater le spectateur voyeur avide de violence ludique. Les chiens de Paille, version 2011, n'étant aucunement le vulgaire remake débauché et prétentieux d'y  exploiter un spectacle gentiment barbare. Si bien que l'endurance de l'épreuve à la fois morale et physique ressentie ici demeure si percutante, acérée, vénéneuse, furibonde, nauséeuse qu'il est rigoureusement impossible d'en sortir indemne. Un second traumatisme donc que cette pellicule de l'infortune nécrosée par la rigidité de cette intensité psychologique intolérable. 

Pour public averti.

11 commentaires:

  1. Superbe critique Bruno ! Tu retranscris parfaitement le ton du film ainsi que sa puissance évocatrice. Merci beaucoup pour la dédicace, ça me fait vraiment plaisir :)

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  2. Tu me fais grandement plaisir ! non seulement parce que comme moi tu as adoré ce remake "surprise" mais aussi parce que tu approuves la rédaction de ma critique subjective. J'étais si stressé à la faire hier soir, j'ai eu quand même une certaine pression psychologique, je ne voulais pas "en faire trop" et rester mesuré dans mes propos. Je suis donc vraiment soulagé de ce que tu m'énonces. Un big merci Gilles ! ^^

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  3. 1) "White Dog"
    Quand j'ai découvert que quelqu'un s'était risqué à faire un remake de "Straw Dogs", un des meilleurs Peckinpah et une grande cuvée des 70s, j'ai eu du mal à le gober. N'étant pas un idolâtre, cela ne me posait aucun problème a priori. Simplement, je me suis demandé ce que l'on pouvait faire de plus ou proposer de différent comme vision intéressante. Et puis, j'ai lu la critique de Bruno et, comme souvent, cela m'a donné envie de regarder le film. J'aurais aimé me joindre aux louanges mais mon sentiment à propos de ce remake est très opposé.

    Très vite en regardant "Straw Dogs 2011", j'ai regretté de ne pas ressentir cette sensation d'étouffement que provoque le film original dès les premières images. Le Peckinpah entretient une pression épouvantable. C'est un des films les plus difficiles à regarder, je pense. Un sujet qui crée le malaise autant qu'il nous dérouille la bonne conscience. Tom Pouce l'érudit chez les méchants dudes aux doigts épais comme des saucisses. Sa poupée a perdu ses jambons du terroir mais s'est-elle totalement affranchie pour autant des lois brutales et primaires de son ancienne tribu ? Le "Straw Dogs" original est un film cruel où l'histoire empile les peurs jusqu'au point de rupture. On ne peut pas imaginer scénario plus malsain et terrifiant planté dans la réalité. Chaque échange entre le dégraissé et les primates est un supplice qu'on peine à suivre tandis que son explosion finale de violence salutaire nous procure un soulagement aussi intense que pathétique. "Delivrance" de Boorman, qui sortira l'année suivante, joue un peu sur le même clavier.

    Dans son remake, Rod Lurie reste fidèle à l'original, au point de reprendre scène après scène, situation après situation, le film de Peckinpah. En apparence, rien ne semble manquer. Ni les derniers coups de tisonnier portés avec fatigue par David sur un des horribles, ni même la petite grimace de Susan George sur les lèvres de Kate Bosworth quand son compagnon revient de la partie de chasse. Si, hormis un changement de folklore, l'adaptateur-réalisateur n'apporte rien de neuf, la décalco n'est pourtant pas maniaque. Elle transforme assez nettement les motifs qui donnent tant de cachet à l'original. Lurie opte pour des couleurs chaudes - le choix du décor, le Sud des USA au lieu de l'Angleterre, y est bien sûr pour quelque chose -, et des comédiens corrects mais terriblement lisses. Ainsi, et en complément de Ken et Barbie qui incarnent le couple, on trouve un paquet d'acteurs dont on peine à retenir la singularité; la mise en scène de Lurie n'aide pas. En chef de meute, James Woods semble parfois jouer pour tout le monde, pour palier au peu d'allonge de ses camarades. Surtout, la production écorne l'élément le plus salissant du film de Peckinpah; la personnalité d'Amy, la fille parmi les loups.

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  4. 2) "Cani Arrabbiati"
    Malgré le sujet scabreux, "Straw Dogs 2011" ne déroge pas à cette règle du shampoing hollywoodien où la fesse est honteuse mais la violence licite. Le plus malheureux aménagement de l'entreprise concerne donc le personnage d'Amy et la crainte - le refus, en fait - des auteurs de regarder Eve toute nue; c'est à dire avec ses faiblesses. En édulcorant ce point crucial du récit, c'est tout le sujet du film qu'on sabre, au risque de transformer le portrait psychologique en simple survival et David en Popeye. Le personnage d'Amy proposé dans la première version est une gentille fille, capricieuse et naturelle - "c'est à dire abominable" comme disait le fleuriste malin. Toute l'histoire tourne autour d'elle. Replacée dans son habitat d'origine, Amy ne tarde pas à
    sentir les racines repousser et à redevenir la jeune plouc malicieuse qui aime tant qu'on la regarde quand elle traverse la place du village. Interprétée à la perfection par Susan George, le personnage perd pied jusque dans ses sentiments et attirances. Des reproches adressés à David à propos de sa veulerie au plaisir qu'elle prend
    entre les bras de son ex petit ami qui la viole, Peckinpah déshabille son héroïne, révélant fragilité, inconstance, contradictions et une solide dose de médiocrité. Le grand Sam pointait une réalité insoutenable et le carnage final du film gagnait sa valeur dans la mise à nu des personnages placés dans une situation extrême, une fois le masque définitivement arraché. Eve à poil, finissait par inspirer à son compagnon le plus profond dégoût sans volte face possible. Pour Peckinpah, avec sa vision machiste et âpre, le vrai Goliath de David ne chausse par du 48. Dans sa dernière séquence aussi amère qu'ironique, l'érudit prenait place à côté de l'idiot du village dans la voiture. Quand le géant retardé lui lançait "je ne connais pas le chemin de ma maison", David lui répondait en souriant "moi non plus".

    Dans cette nouvelle version, la Lilith est sagement corrigée. Le gommage aseptise le film mais le rend du coup plus présentable. La séquence du viol est réalisée et jouée de telle
    manière que le sentiment qui domine est celui de l'agression. Pas celui du plaisir. Retenue, Bosworth campe une Amy qui perd toute son ambiguïté et va jusqu'à prêter une main secourable à David pour tuer son rival ! Aux
    antipodes du constat malsain et désenchanté de Peckinpah, le remake se fait rassurant, remuant et insipide. Une fois les méchants en déconfiture, la "pécheresse" reprend le droit chemin et revient aux meilleures intentions du
    monde rêvé par les justes. Si le dernier plan ne montre pas un couple réuni, Lurie repeint la fin de telle manière qu'une nouvelle chance pour David et Amy d'assister à la messe jusqu'à la fin du sermon semble acquise.

    Déjà vu expurgé partiellement de ses toxines, "Straw Dogs 2011" représente pour moi la pire illustration du remake; un spectacle qui récite son modèle de travers tout en avouant plan après plan l'absurdité de sa raison d'être.

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  5. Nanti du charisme fou des textes-commentaires malines au sommet de leur corrosivité, notre ami Bruno, a l'étoffe d'une vraie vedette (mérite votre confiance), mais brouille ce talent inné par des éclairs écrits de délire qui en font un mélange inédit de blogueur-critique absolu déjanté dont le grotesque total des films commentés n'abolit pas le réel talent de ses textes! Le chien de la Papaye verte.

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  6. lol anonyme. En tous cas je considère sincèrement ces Chiens de Paille comme l'un des meilleurs remakes de ces dernières années. Je n'y attendais rien, j'ai été miraculeusement comblé !

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  7. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  8. J'ai trouvé ce remake bien efficace moi-aussi, carré, brutal lors du final, bien mené et globalement bien joué et réalisé. Comme j'ai vu l'original (2 fois) il y a bien longtemps je n'ai pas été tenté de comparer mais il me semble à la fois fidèle, respectueux et subtilement remis au goût du jour. Je le classe parmi les remakes réussis avec Dawn of the Dead, Texas Chainsaw Massacre, The Hill Have Eyes ou Last House on the Left. ;-)

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  9. Tres bien et d'accord avec tes arguments,Bruno.

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  10. Ben ça me fait particulièrement plaisir Jean François, merci ! ^^

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