vendredi 28 décembre 2012

Dellamorte Dellamore / Cemetery Man. Prix Spécial du Jury à Gérardmer, 1994

                                        Photo empruntée sur Google, appartenant au site intemporel.com

de Michele Soavi. 1994. Italie. 1h44. Avec Rupert Everett, François Hadji-Lazaro, Anna Falchi, Mickey Knox.

Sortie salles France: 10 Mai 1995. U.S: 26 Avril 1996. Toronto: 9 Septembre 1994

FILMOGRAPHIE: Michele Soavi est un réalisateur italien né le 3 Juillet 1957 à Milan, (Italie).
1985: The Valley (vidéo). 1985: Le Monde de l'horreur (Documentaire). 1987: Bloody Bird. 1989: Le Sanctuaire. 1991: La Secte. 1994: Dellamorte Dellamore. 2006: Arrivederci amore, ciao. 2008: Il sangue dei vinti.


Nous sommes morts avant d'être vivants. 
En petit maître de l'horreur transalpine, Michele Soavi nous enthousiasma en 1987 avec une première oeuvre prometteuse, un giallo génialement théâtral justement récompensé à Avoriaz, Bloody Bird. Sa carrière se poursuit ensuite avec deux essais fantastiques maladroits mais intègres et ambitieux car d'une inventivité onirique, qui plus est rehaussés d'une atmosphère envoûtante, le Sanctuaire et surtout l'énigmatique La Secte. En 1994, il livre avec Dellamorte Dellamore son ultime chef-d'oeuvre cérébral, un diamant noir aux moult niveaux de lecture toujours plus équivoque et passionnant au fil des révisions. Une sorte de poème macabre mélancolique d'autant plus personnel à travers son lyrisme qu'il y suggére notamment une réflexion métaphysique sur la nonchalance de l'existence (ici la peur de vivre, et non de mourir). Le PitchFrancesco est le gardien d'un cimetière en compagnie de son assistant déficient. Ensemble, ils fuient l'ennui de l'existence en assassinant les morts récalcitrants au sein de leur nécropole. Un jour, il rencontre une jeune veuve profondément chagrinée par la perte de son mari. Eperdument amoureux, il tente de l'aborder pour entamer une idylle passionnelle. Mais la jeune femme éprise de tendance nécrophile se transforme en zombie sous la morsure de son défunt. Pendant ce temps, un inspecteur enquête sur la vague de meurtres perpétrés dans la région. 


Comédie d'horreur décalée au cheminement narratif incontrôlable et irracontable, Dellamorte Dellamore se réapproprie du thème du zombie avec une originalité incongrue. Si la première partie esthétiquement immaculée s'érige en poème nécrophile autour d'un amour éperdu, le second chapitre nous entraîne dans le dédale psychique d'un gardien dépressif, davantage dépité par la dérision de l'existence. Jalonné de situations excentriques aussi cocasses que débridées (la relation infantile de Gnaghi avec une tête putrescente, les multiples déconvenues de Francesco avec les sosies de son égérie nécrophile, l'opération chirurgicale de sa prétendue castration), Michele Soavi se focalise notamment sur les monologues existentiels de son héros déchu, devenu meurtrier malgré lui par indifférence des vivants. Attention au défilé de Spoils ! Par conséquent, afin que les morts n'y reviennent semer le trouble au sein de sa sépulture, il décide donc de supprimer les êtres vivants sous les recommandations d'un oracle spectral. Complètement isolé du monde qui l'entoure parmi ces cadavres renfrognés, il tente vainement d'apprivoiser l'amour à trois reprises parmi les rencontres aléatoires d'un sex-symbol et ces deux sosies antinomiques. Au fil de ses entretiens avec des quidams imbéciles ou étourdis, notre meurtrier s'évertue sans foi à les convaincre qu'il est le véritable auteur des crimes gratuits. Perdu au milieu de nulle part sur une voie départementale sans issue, Francesco et Gnaghi ne seraient finalement que de simples pantins rêvassant d'une existence significative dans leur petite boule de verre ! Fin des Spoils.


J'ai rêvé d'un autre monde.
Chacun peut interpréter à sa manière personnelle l'éthique véritable de cette fantaisie aussi grotesque que désincarnée si bien que de l'aveu même du réalisateur, il ne savait point quelle analyse il pouvait finalement en tirer ! Formellement épuré à damner un saint au gré d'une richesse cérébrale infinie,  Dellamorte Dellamore est un éloge au néant. Ou plutôt un éloge à un ailleurs, à un au-delà indéterminé du point de vue d'un solitaire profondément ennuyé par la morosité de son existence car incapable de s'adapter au monde adulte. Un poème nécrophile où l'inanité de la résurrection est une déveine et où l'amour n'y trouve plus de rédemption. Pour autant, il nous évoque paradoxalement qu'en dépit de l'absurdité existentielle et de l'indifférence des sentiments que les autres nous renvoient, notre destinée est instinctivement régie par l'ambition d'y cristalliser nos rêves les plus intimes sous l'impulsion de l'amour (à condition de savoir aimer et donc d'apprendre à aimer). Quand bien même il vaut mieux éviter de se forger un cocon oppressant, une prison virtuelle afin de se libérer de notre routine que nous avions malgré nous cristalliser par peur de s'ouvrir aux autres plus morts que vivants. Grand film métaphorique sur la tare de l'ennui au point d'y privilégier le trépas plutôt que de s'accrocher à la vie, Dellamorte Dellamore s'adresse autant à notre âme, notre coeur et notre raison à travers des trésors d'onirisme macabre où érotisme et mort ne font plus qu'un auprès d'un fulgurant sens du détail stylisé. 

*Bruno Matéï
06.05.22. 4èx
28.12.12. 3èx

DistinctionsPrix Spécial du Jury à Gérardmer
Silver Scream Award au Festival du film fantastique d'Amsterdam
Meilleur Acteur pour Rupert Everett au Festival de Fantasporto


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