mardi 17 mai 2011

FRIGHTMARE (ONCE UPON A FRIGHTMARE)



de Pete Walker. 1974. Angleterre. 1h22. Avec Rupert Davies, Sheila Keith, Deborah Fairf, Kim Butcher et Paul Greenwood.

FILMOGRAPHIE: Pete Walker est un réalisateur, scénariste et producteur britannique, né en 1939 à Brighton. 1968: l'Ecole du sexe, For men only, 1970: Cool, c'est Carol, 1971: Man of violence, Die Screaming, Marianne, 1972: Quatre dimensions de Greta, le Théâtre de l'angoisse, 1973: Tiffany Jones, 1974: Flagellations, Frightmare, 1976: The Confessionnal, Schizo, 1978: Hallucinations, 1979: Home Before Midnight, 1983: House of the long shadows.

                                    

Réalisé la même année que Flagellations qui dénonçait les excès des conservateurs adeptes de la peine capitale et d'une justice individuelle, le petit maître anglais (ou le modeste artisan, c'est selon !) Pete Walker illustre ici une histoire aberrante de famille cannibale par le biais d'une matriarche sexagénaire friande de cerveau humain ! Londres, 1957. Un homme se rend chez une cartomancienne pour ne jamais en ressortir puisque celle-ci va sauvagement l'assassiner. La meurtrière et son époux complice sont jugés coupable de folie mentale et enfermés dans un asile psychiatrique durant 15 années. En 1974, Jackie s'occupe de sa jeune soeur Debbie, une fille marginale, insolente et prétentieuse. Un soir, la grande soeur rend visite à un couple dans une auberge bucolique pour leur livrer un colis.

                                        

Série B dénuée d'ambition si ce n'est de dénoncer un système judiciaire faillible, Frightmare cultive son intérêt par la folie de son scénario débridé dédié à un couple de personnages sans vergogne, autrefois compromis dans une sordide affaire de cannibalisme. C'est essentiellement la femme délurée, adepte de chair fraîche et en particulier de cerveaux humains, pour cause de traumatisme infantile, qui va pousser le mari à accepter ces terribles exactions commises sur d'innocentes victimes. Quinze ans plus tard, ils retrouvent enfin leur liberté, la justice étant convaincue de leur guérison mais la mégère frappée du ciboulot ne peut s'abstenir de son addiction meurtrière. De prime abord, Pete Walker dépeint l'existence futile de deux jeunes filles dont on apprendra furtivement qu'il s'agit en faite des progénitures des parents monstrueux. Jackie a beaucoup de mal à s'occuper de sa jeune soeur de 18 ans, Debbie, une fille insolente dans ses nombreuses provocations verbales et physiques octroyées à son entourage. Elle enchaîne facilement les conquêtes amoureuses jusqu'au jour ou son dernier amant s'interpose lors d'une altercation avec un barman provoqué par celle-ci. Quelques jours plus tard, l'homme agressé est retrouvé sauvagement assassiné. Debbie, découvrant le corps sans vie décide de le cacher à l'arrière du capot du véhicule du concubin, convaincue que son ami est le véritable responsable du meurtre.

                                         

Au travers d'un script sobrement structuré, Pete Walker nous décrit le portrait ambivalent de deux soeurs juvéniles vivant communément depuis plus de 15 ans dans l'indépendance. De façon insinueuse, nous allons nous apercevoir que Debbie est davantage influencée par des pulsions malsaines et morbides depuis qu'elle a décidé de cacher un cadavre dans le coffre d'un véhicule. Leur existence quotidienne est mise en parallèle avec les agissements macabres de leurs parents fraîchement libérés d'une lourde peine de détention psychiatrique. Au préalable, le réalisateur nous aura dépeint une épouse flegme et docile, dénuée de tout soupçon, en compagnie de la fidélité d'un mari aimant, même si perplexe de l'état moral de sa dulcinée. Mais l'aînée des deux soeurs ne va pas tarder à s'apercevoir que la nouvelle vie parentale faussement harmonieuse est vite rattrapée par les penchants meurtriers de sa mère. Tous ces personnages bien dessinés et interprétés avec conviction laissent une impression de fascination latente dans leur caractérisation à peine grotesque, voire pittoresque pour l'humour noir sous-jacent émanant des exactions criminelles d'une tueuse azimutée. Pete Walker soigne également ses décors et son atmosphère proche du conte fantastique, particulièrement auprès de la description antique de la demeure familiale dépeinte comme une paisible auberge à proximité d'un environnement forestier. Notamment envers le personnage de la sexagénaire, véritable harpie lorsqu'elle s'adonne vulgairement à ses pulsions crapuleuses. Sheila Keith, actrice fétiche du metteur en scène, incarne le rôle de cette mamie d'apparence affable et raisonnée mais odieusement cinglée. Il faut la voir perpétrer ses crimes à coup de perceuse ou de fourche à travers des mimiques cartoonesques de rictus à la fois démoniaque et mesquin.

                                      

Efficacement réalisé, Frightmare constitue donc une agréable série B pourvue de certains meurtres d'une complaisance parfois gratinée et d'une galerie de personnages effrontés. Son final aussi sardonique que cynique ne laisse pas non plus indifférent dans son degré d'immoralité.

17.05.11
Bruno Matéï.

dimanche 15 mai 2011

LA SOLITUDE DES NOMBRES PREMIERS (La Solitudine Dei Numeri Primi)

                                     

de Saverio Costanzo. 2010. Italie/Allemagne/France. 1h58. Avec Arianna Nastro, Alba Rohrwacher, Filippo Timi, Iabella Rossellini, Luca Marinelli, Maurizio Donadoni.

Sortie en salles en France le 04 Mai 2011.

FILMOGRAPHIE: Saverio Costanzo est un réalisateur italien né le 28 Septembre 1975 à Rome. Il est le fils du scénariste Maurizio Costanzo et le frère de la réalisatrice-scénariste Camilla Costanzo.
2004: Private. 2007: In memoria di me. 2010: La solitude des nombres premiers

                                     

Après Private (Léopard d'Or à Locarno) qui contait la vie d'une famille palestinienne, In Memoria di me et son illustration introspective d'un séminariste juvénile, Saverio Costanzo revient avec un drame psychologique baroque et flamboyant, atypique et lyrique, déchirant et bouleversant pour les amours insolubles de deux êtres hantés par un trauma infantile. La Solitude des nombres premiers est en outre adapté du Best-seller de Paolo Girodano (auréolé en 2008 du Prix Strega et celui du Campiello de la première oeuvre). Alice est une jeune fille introvertie et taciturne, la risée de ces camarades de lycée depuis sa chute de ski lui ayant valu un handicap de la jambe gauche au point de boiter. Mattia est un adolescent prodige davantage réservé et timoré, cachant un lourd secret compromettant sa petite soeur jumelle si bien qu'il était à son chevet pour sa pathologie autiste. Par le fruit du hasard, ils se rencontrent un jour dans les locaux de l'établissement scolaire. Alice éprouve une attirance irrésistible envers Mattia et se résigne à le prendre comme cavalier en boite de nuit en compagnie d'une de ses amies perfides. Narré sur quatre époques distinctes (1984, 1991, 1998, 2007) par l'entremise déstructurée de flashbacks incessants, La Solitude des Nombres premiers dépeint avec souci d'humanisme le portrait chétif d'un couple d'amis ayant comme point commun un passé galvaudé. Dans une succession de va et vient, entre passé, présent et vice-versa, le réalisateur nous entraîne dans un vertigineux drame lyrique proche du cinéma expérimental (les séquences obsédantes se déroulant dans la boite de nuit). La singularité de la mise en scène stylisée éclatant à chaque plan par sa matière viscérale, sensitive de nous imposer l'introspection douloureuse de deux êtres brimés par l'aigreur existentielle quand bien même l'un deux semble traumatisé par un trouble passé.


C'est au préalable Mattia qui est taillée de cicatrices sur l'un des bras scarifiés alors qu'Alice est également marquée d'une empreinte indélébile sur la jambe gauche à la suite d'un accident causé en l'absence parentale. Dans une photographie rutilante pour le travail conçu sur ses teintes polychromes d'un décorum baroque, Saverio Costanzo nous fait pénétrer dans un dédale d'émotions aussi troubles et charnelles qu'irrésistiblement attirantes et anxiogènes. Il s'approprie des éléments du cinéma fantastique, de l'horreur et des codes du giallo à l'instar de Dario Argento et de John Carpenter. Essentiellement pour l'atmosphère opaque sous-jacente qui en émane, scandée de temps à autre par une comptine musicale enfantine (hommage à Ennio Morricone pour son Oiseau au plumage de cristal), et contrebalancée en intermittence d'un thème caverneux de Mike Patton. Il y a aussi ces notes plus contemporaines d'une techno stridente sans oublier les hits pop des années 80 (comme cet inoubliable morceau "Bette Davis Eyes" interprété par Kim Carnes). La solitude... s'imprègne d'un climat d'inconfort, ombrageusement énigmatique par l'entremise de détails troublants, tel ce tableau immortalisant le portrait de la famille de Mattia, la 1ère apparition d'une stigmate sur la jambe d'Alice dans les toilettes du lycée (avec ce regard fasciné d'une antagoniste pernicieuse !), le parc champêtre aux abords du manège, ou encore l'embouchure du pont. Les personnages obscurs ont une posture inquiétante (le docteur, la mère dépressive d'Alice, l'accoutrement mortuaire de Mattia, le clown narrant une histoire de loup terrifiant aux enfants) et la caméra agile scrute et épure chaque recoin du cadre afin de transcender notre émotivité visuelle, sensorielle, à la merci du cheminement mélancolique des protagonistes. On retrouve dans la Solitude des nombres premiers cette identique pertinence qu'avait à l'époque Dario Argento pour Suspiria afin d'agencer l'image et le son, la symbiose des éclairages, les couleurs vives et sa musique aux accents lyriques faisant écho aux rythmiques des Goblins (le préambule en est un flagrant hommage), quand il ne s'agit pas de célèbres tubes de pop des eighties ayant su traverser les épreuves du temps. Un peu à la manière onirique, fantasmagorique et funeste de Suspiria, le spectateur est invité à côtoyer un univers équivoque, à l'instar d'une symphonie diaphane de la lamentation lorsque nos protagonistes arpentent, tel des fantômes errant, ce monde d'insolence ne cédant place à la tolérance, la fraternité et l'empathie.

                                     

Saverio Costanzo réinvente ici la matière du cinéma, remodèle une recherche esthétique hallucinante d'inventivité formelle, hypnotise chacun de nos sens en s'appropriant d'un script dédié à ses personnages galvaudés sous le mode du suspense horrifico-giallesque et nous converger au drame bouleversant. Une déchirante histoire d'amour aussi capiteuse qu'hypnotique auquel une fille esseulée éprise d'étreinte pour un binôme tentera désespérément de le conquérir. Alors que celui-ci, profondément meurtri d'un mutisme irréversible, semble traumatisé par un secret inavouable, voir impardonnable. La narration esquissée en forme de puzzle nous traduit de façon désordonnée leur fêlure morale, leur sensibilité vulnérable (Alice face à sa tv, totalement immergée d'émotion face à la mort d'un enfant dans une série animée), leur fragilité exacerbée par des parents démunis de leur fonction (la mère de Mattia suggérant à son mari être maudite de sa destinée) ou déchus par leur intolérance (le père d'Alice, castrateur, inflexible et méprisant). Ces blessures intérieures sont telles que leur corps blafard en pâti au point d'extérioriser une dégénérescence corporelle (la maigreur et l'anorexie pour Alice, la scarification et l'embonpoint pour Mattia). Solitaires, différents des autres, uniques tels des nombres premiers, leur cheminement semble se destiner à la morosité de la solitude, la nonchalance de l'amour éperdue avant l'espoir de survivre dans un monde égocentrique réfutant les souffres douleurs.

                                      

Etreinte en berne. 
Brillamment incarné par des comédiens transis de désagrément (Alba RohrwacherLuca Marinelli qu'on croirait sorti des Frissons de l'Angoisse mais aussi la jeune adolescente ténue Arianna Nastro, époustouflante de candeur !), La Solitude des Nombres Premiers constitue une oeuvre hybride sur l'incommunicabilité, l'enfance bafouée d'une autorité parentale et notre instinct éminemment cruel. Scandé d'une partition hétéroclite en harmonie avec sa mosaïque d'images désincarnées, La Solitude des Nombres Premiers transfigure l'un des plus beaux chants d'amour sur le désespoir de chérir son idylle jusqu'à en crever. La relation prude d'une attente de longue haleine, une fuite intemporelle de deux enfants condamnés à errer dans les cimes du néant. L'expérience viscérale, sensorielle, s'avère abstraite, déroutante, voire traumatisante (selon la sensibilité de chacun), et comme l'a si bien évoqué un de mes acolytes, le dernier film que j'aimerai vivre avant de mourir se traduit dans cette fidèle solitude.

Bruno Dussart
16.05.11

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L'avis d'Alexandra Louvet:

Voici venus les nouveaux Amants du cercle polaire mâtinés de Dario Argento ! Excellente surprise que ce film bourré d’angoisse à ras-bord, se télescopant sur quatre époques différente...s (de 1984 à aujourd’hui) autour du destin contrarié de deux êtres aux plaies à vif, tentant tant bien que mal de survivre au milieu des regards…tous ces regards qui les auscultent, les jugent, sans connaître le drame qu’ils ont connu durant leur enfance. Alice et Mattia se rencontrent au collège. Ils ne sont pas comme les autres. Adolescents mutiques aux visages renfermés, tour à tour effrayés par leurs camarades (forcément cruels - on oublie toujours à quel point on peut être con à cet âge-là -), fascinés par leurs premiers émois (qu’eux ne peuvent vivre, étant considérés comme des « freaks ») ou sadisés brutalement par les mêmes (les scènes de vestiaire sont d’une rare violence psychologique). Entre grands brulés du cœur, Alice et Mattia se reconnaissent, sans même avoir à se parler. Dans le roman à succès de Paolo Giordano, les deux scènes traumatiques originelles ont lieu dès les premières pages. Costanzo fait le choix de les situer en milieu de bobine. Et c’est là toute la force du film et son intelligence : en nous faisant vivre des scènes du quotidien des deux personnages sur différentes périodes (centrées sur leur famille, étouffante, névrotique et leurs « premiers pas » au dehors de ce microcosme pourri de l’intérieur), le réalisateur prend le parti de créer un suspense oppressant autour de l’origine de ce qui les a blessés et transformés à jamais. Quand le drame survient, on SAIT ce qui les a menés là, on est plein d’empathie pour eux. Les comédiens se sont tous surinvestis dans le projet. Alice, qui souffre dès l’adolescence d’anorexie, et Mattia, qui s’automutile et s’épaissit au fil des ans, sont totalement méconnaissables à la fin du film, devenus fantômes et animaux à la fois. Ils sont joués par six acteurs, tous plus puissants les uns que les autres (mention spéciale aux enfants qui n’ont vraiment pas hérité de rôles faciles à porter). Leur révolution passe par le corps, en silence, et aucun dialogue n’est nécessaire pour nous faire éprouver la force de ce qui les tenaille. L’amour est là, entre eux, mais comment s’émanciper, connaitre le bonheur quand on est « boiteux » physiquement et moralement et que trop de mémoire vous fait imploser ? Costanzo a une patte indéniable : il rend hommage aux films d’horreur des maîtres des années 80 (Argento, Carpenter, de Palma) en empruntant au fantastique, en jouant avec des filtres de couleur vives au gré des émotions qu’Alice et Mattia ressentent intérieurement, en stimulant nos nerfs avec une musique omniprésente et symboliquement chargée. Isabella Rossellini revient à ce qu’elle sait jouer le mieux : les mères sérieusement flippantes. Un long rêve glacial, sensitif et sensuel. Un film-puzzle sur le poids de la culpabilité, les cicatrices du temps et l’incommunicabilité. Une pure réussite."

INTERVIEW SAVERIO COSTANZO – BLEUS PROFONDS - PAR ALEXANDRA LOUVET
Immense succès en Italie, le roman La solitude des nombres premiers de Paolo Giordano (plus jeune auteur à avoir reçu le prix Strega – l’équivalent du Goncourt -) vient d’être adapté, déconstruit puis réinventé par le talentueux Saverio Costanzo, déjà réalisateur des exigeants Private et In memoria di me. Il signe un film à la poésie visuelle éblouissante, empruntant aux codes des meilleurs films d’horreur des années 80, pour nous plonger dans l’esprit névrotique de deux personnages qui se tiennent à l’écart du monde, marqués à jamais par un trauma d’enfance.
Le roman de Paolo Giordano était, selon vos propres termes, « tragique, fort et sans espoir » et vous n’avez pas eu un coup de cœur immédiat pour lui. Qu’est-ce qui vous a décidé à l’adapter ?
J’avais un peu peur car c’est l’un des romans les plus populaires en Italie, il a été énormément vendu. J’avais peur de me confronter à un public aussi nombreux. La construction et la forme que je voulais appliquer au roman étaient totalement différentes de celui-ci. J’ai toujours pensé que les deux images du début du livre (l’accident de ski et l’abandon de la petite sœur) étaient des images archétypales qui donnaient corps à la « douleur originelle » des personnages de façon très puissante. Ça constituait un point de départ parfait pour moi.
Vous parlez dans le dossier de presse de « destruction et de recréation » du roman. Comment avez-vous envisagé ce travail de réappropriation ?
La forme littéraire n’était pas adaptée à mon idée cinématographique du livre. Le livre avance de façon tout à fait linéaire. Il m’a semblé qu’il ne fallait pas suivre la même voie. Il fallait plutôt se demander « pourquoi » telle chose arrivait et non pas ce qui allait se passer ensuite. Par exemple, quand arrive l’accident de ski au milieu du film (Alice a sept ans, à ce moment-là), toi, tu SAIS qu’elle s’en est sortie vivante car tu l’as déjà vue grandir et ton attention va alors se porter sur les raisons de cet accident. Tu participes personnellement à son histoire et de façon bien plus profonde. Si j’avais mis cette scène au début du film, comme dans le livre, le spectateur se serait juste demandé si elle allait survivre. C’est comme dans Un condamné à mort s’est échappé de Bresson : on sait qu’il s’est échappé, donc on ne va pas se focaliser là-dessus mais sur le reste.
Mattia et Alice sont des enfants, des adolescents puis des adultes extrêmement seuls, qui se construisent petit à petit des barricades pour se protéger du monde environnant, jusqu’à s’enfermer dans un étau. Vous mettez en scène cet enfermement en empruntant au fantastique. Ça a tout de suite été une évidence de traduire l’état intérieur des personnages de cette manière-là ?
J’ai fait appel au fantastique pour traduire leur intériorité car le film peut se permettre cette imagination-là. A travers le prisme du regard des autres, Mattia et Alice ont l’air, en effet, très renfermés, peut-être même exclus. Mais à l’intérieur, ils sont extrêmement vivants ! Leur « vivacité », c’est leur fantaisie et je l’exprime à travers le fantastique.
Vous filmez au plus près des visages et le jeu des regards est très fort, comme si les vrais échanges ne pouvaient passer que par eux et par une forme de télépathie…
Alice et Mattia sont toujours entourés de beaucoup de monde et ils se reconnaissent entre eux, effectivement, par leur regard. Il y a toujours beaucoup de confusion autour d’eux et ils ne peuvent communiquer que comme ça, sans un mot. Ça me permet aussi de donner l’impression des autres.
Comme dans Private où la maison était le symbole de l’enfermement, vous filmez les appartements de Mattia et Alice comme des tombeaux. On y étouffe. Les couloirs, très angoissants, sont presque lynchiens. Quelles ont été vos influences majeures pour donner cette patte visuelle très esthétisante au film ? On pense beaucoup aussi à Dario Argento…
J’ai beaucoup pensé au bleu électrique des années 70, aux films de Carpenter, aux films d’horreur des années 80 et à une certaine esthétique des films d’Argento, en effet. Lynch est un dérivé aussi, mais plus inconscient. Les personnages du film sont de ma génération et j’ai pensé à la télévision des années 80, à ses images, à ma mémoire des dominantes de couleurs de cette époque.
Vous avez d’ailleurs utilisé la musique des films d’horreur de Carpenter et de Palma, ainsi que celle composée par Ennio Morricone pour L’oiseau au plumage de cristal de Dario Argento. C’est donc un véritable hommage que vous leur rendez …
Clairement ! C’est un hommage aux films qui m’ont marqué, enfant.
Mike Patton (ancien membre du groupe de metal Faith No More) a composé la musique du film. C’est vous qui êtes allé à sa rencontre ?
Patton a beaucoup travaillé sur les premières traces de fantastique dans la carrière musicale de Morricone. Je voulais une musique qui ressemble aux premières collaborations Argento/Morricone et j’ai demandé à rencontrer Patton pour cette raison. On a travaillé ensemble sur une esthétique musicale qui me convienne.
Votre caméra semble parfois voler sur du coton, ce qui donne une douceur étonnante au film et contraste violemment avec la menace que fait planer la musique…
En effet. Il y a toujours cette idée du « bruit autour d’eux » et je voulais créer ce contraste. Le monde extérieur leur est envahissant, il leur réclame des efforts qu’ils ne peuvent fournir et ils sont donc en perpétuelle guerre contre les autres. Il y a deux temps : celui où la caméra est avec eux et celui du monde autour qui va dans une autre direction. Ce sont deux directions qui ne se rencontrent jamais.
Mattia et Alice n’ont pas que des cicatrices intérieures. Leur corps se métamorphose à travers les époques et porte la trace de leur souffrance. Vous avez fait prendre quinze kilos à Luca Marinelli et perdre dix kilos à Alba Rohrwacher. Ils vous ont suivi facilement dans cette folle démarche ?
Ce qui s’est passé, c’est qu’ils ont d’abord tourné la fin. Lui avait énormément grossi et elle, beaucoup maigri. Ils m’ont dit que ça leur avait donné plus de facilité pour connaitre leur personnage. Ils y sont entrés directement par le corps. Et ça, c’est « concret », pas du tout théorique ou psychologique. C’est un sacrifice qu’ils peuvent faire avec plaisir.
Vous déclarez d’ailleurs : « Un acteur se doit de risquer sa vie. Ceux que j’admire et respecte le plus sont ceux qui vont mettre en danger leur équilibre physique et psychologique ». Ne craignez-vous pas de passer pour un tyran en disant cela ?
Je n’ai fait que trois films, mais à chaque fois, j’ai donné la possibilité aux acteurs de faire un parcours qui soit vraiment tangible. Dans Private, ce sont de vrais Palestiniens qui rencontrent de vrais Israéliens, dans In memoria di me, c’est un monastère où l’on voit de jeunes novices qui font un travail pour devenir prêtres, en l’occurrence un retrait de quinze jours dans le silence. Là aussi, c’est extrêmement « concret » pour les acteurs. Dans La solitude des nombres premiers, le corps devient le champ de bataille de l’existence des personnages. Je veux donner une expérience concrète, sans faire abstraction du film et pour moi, un grand acteur est quelqu’un qui n’a pas peur de se mesurer à l’inconnu. Les acteurs sont des intermédiaires, tout simplement. Quand je parle de « risquer sa vie », c’est très métaphorique. Mais, je pense, oui, que chez un grand acteur, il doit y avoir une « perte de soi », en tous cas de leurs certitudes.
Le film marque aussi le retour à l’écran d’Isabella Rossellini dans son pays natal, après dix ans d’absence. Vous lui donnez un rôle difficile, celui d’une mère aussi enveloppante qu’étouffante et qui est capable de dire à son époux : « Mes enfants ont gâché ma vie ». Cette figure noire m’a fait penser à la Statue du Commandeur. Elle est très impressionnante. Avez-vous pensé à elle tout de suite pour le rôle ?
Depuis 1976, elle n’avait pas tourné en Italie ! Je l’avais vue dans Two lovers de James Gray. Elle incarnait vraiment la mère que je cherchais. Elle a dans le regard quelque chose de très italien, de très matriarcal, de très enveloppant mais aussi de très inquiétant. Je ne sais pas si cela est dû à l’image qu’il me reste de ses grands rôles précédents, comme dans Blue velvet, mais elle alterne ce grand sens maternel et aussi le désespoir d’être une maman. C’était justement les caractéristiques du personnage à interpréter : une mère qui porte le poids, la faute des enfants avec générosité mais qui, en même temps, dans le regard exprime toute une contradiction. Lumière et ombre à la fois.
Filippo Timi, qui reste à jamais pour nous le Mussolini de Vincere, fait un caméo en clown diabolique. Il a aussi collaboré au scénario, je crois ?
J’ai fait mon second film avec lui et nous sommes très amis. C’est un expert des années 80 et il m’a aidé à débloquer, débrouiller certaines choses que, lui, connaissait.
Il y a des scènes à la lisière du fantastique, très oniriques. Je pense à cette végétation qui envahit l’appartement d’Alice, à cette scène où des couples dansent dans le brouillard et les bois. Que signifient-elles ? Que le monde intérieur d’Alice a pris le dessus sur la réalité ? Qu’elle est en train de basculer dans la folie ?
Toute la fantaisie, le fantasmatique, c’est ce qui est vu par le regard d’Alice. Sa fantaisie crée des images fantastiques. La végétation dont tu parles, on la voit au moment où elle rapetisse, où elle redevient presque enfant…
Oui, blottie dans un immense fauteuil, elle apparait même comme le petit Chaperon rouge…
Bien vu ! On la revoit telle qu’on l’avait vue au moment où elle va skier et là, elle ressemble à sa mère. Ce qu’elle désire, avec sa maigreur, c’est retrouver ce noyau, son centre féminin. Le couloir de son appartement devient un utérus dans lequel elle voit l’homme qui va lui manquer.
C’est l’affiche italienne du film, d’ailleurs, cette image du couloir empli de végétation, et elle est bien plus parlante que la française…
On est bien d’accord ! (rires) Elle venait de la couverture du livre en Italie, qui a eu beaucoup de succès, je crois, en partie pour cela.
Propos recueillis par Alexandra Louvet.

L'avis de Bruno Terrier :
Une réussite totale et inattendue, surêment le meilleur film de genre italien depuis le AAC de Soavi, du moins dans la forme, emprunté avec génie au meilleur d'argento (on y retrouve même une excellent utilisation du thème de L'oiseau au plumage de cristal de Morricone. Le thème de l'amour impossible, de l'autisme, du drame familial, de la souffrance de ces deux personnages, de l'enfance à l'âge adulte inadapté psychologiquement et physiquement à une société qui les détruit et les exclus, malgré la force du sujet, ne nous préparait en aucune manière à un tel traitement rappelant les grands moments du cinéma italien des années 70. Le traitement rappelle donc les plus grandes réussites du Giallo avec sa superbe photo, le format Scope et le suspense lié, sous forme de flashbacks, à la découverte des traumas originels. Un film multidimensionnel que je vous encourage à découvrir au plus vite (et surtout ne vous fiez pas à son affiche hideusement commune).

Luke Mars: Une expérience unique en son genre,comme la conclusion de mon amour du cinéma et une nouvelle naissance.Le film qui est l'accomplissement de cette quête,cette soif de sensation en salle.Une sorte de réponse à tout et pourtant d'une promesse d'un avenir nouveau.ça ne s'explique pas,il faut en faire l'expérience,faire ce voyage comme une mort lente mais jamais douloureuse. C'est aussi ce qu'on appelle un putain de chef d'œuvre où chaque plan transcende le précédent.Merci Bruno pour la découverte,je suis ailleurs dans cette anti-chambre où errent les 2 personnages de ce film magnifique.

Mathias Chaput. Ce que j’en pense :«  La Solitude des Nombres Premiers » est un métrage saisissant de par la beauté picturale qu’il dégage, de par son propos rarement exploré précédemment au septième art qu’il insuffle tout son long et de la magie (oui on peut parler de « magie ») inhérente à son déroulement, laissant hagard et pantois le spectateur…
Ce film a une influence dramatique et une portée presque Freudienne dans son approche et renvoie aux tragédies antiques tant son traitement cinématographique est dense, pesée au milligramme et dénuée de toute lourdeur…
Certains plans utilisent la symétrie, un peu comme à l’âge d’or du cinéma transalpin, et l’onirisme certain et revendiqué y amène tout son intérêt, transcendant alors le banal quotidien en séquences d’une puissance hors du commun…
On ne peut qu’être subjugué face à ce déferlement de trouvailles narratives et devant ce potentiel émotif décuplé via des situations extrêmes de la vie (la mort, la maladie, les craintes de l’enfance, l’amour incertain, la timidité maladive, l’influence parentale et le handicap).
Mattia et Alice sont « victimes » de leurs refoulements de personnalités qui sont dus à des traumas antérieurs (Une sœur jumelle autiste pour Mattia, une inhibition et un grave accident de ski pour Alice) et tous ces événements les ont boursouflés intérieurement, leur rendant presque impossible d’envisager une vie comme celles de leurs camarades de classe…
Ils deviennent alors la risée et le « souffre-douleur » des autres, mais arrivent à maintenir leur mental pour passer outre à tout ça, et ce malgré la pression exercée par leurs géniteurs (le père de Mattia soucieux pour l’avenir de son fils, celui d’Alice intraitable pour le moindre écart à son autorité).
En définitive et à force d’une persévérance accrocheuse et d’une détermination en béton armé, l’issue du film se révèlera salvateur et, tout compte fait, moins ambigu que son déroulement antérieur…
Une œuvre intemporelle, renouveau total du cinéma mondial et qui laissera sans nul doute des séquelles dans l’esprit de ceux qui l’auront visionnée…
Maîtrisé de bout en bout, un film hors normes, OVNI en passe de figurer au palmarès des dix meilleurs films des ces dix dernières années, tous genres et toutes nationalités confondus…
10/10
Merci à Bruno MATEI Dussart de m’avoir fait découvrir ce bijou et à qui je dédie cette chronique…

Marija Nielsen: Structure + histoire + persos + dialogues + mise en scène + musique = une Marija sans vois...
C'est une claque dans la figure, c'est juste un choc cinématographique ! comment ne pas aimer ?
Moi, je suis carrément amoureuse ! Et ça m'a donné encore plus envie d'écrire ! Ce film est vraiment incroyable à tous les niveaux. Une vraie leçon de structure d'un point de vue scénaristique.

Cyril Despontin: Pour moi un des plus beaux films de l'année.

Olivier Rossignot: En même temps ce qu'il y a de fabuleux avec ce film, c'est qu'il n'est pas bouffé par le référentiel, on sent les influences, c'est probablement l'un des meilleurs héritages du cinéma de genre des années 70, mais, c'est également une oeuvre d'une grande chaleur. Magnifique.

Sabine Garcia: Jusqu'ici c'est pour moi le plus grand film sorti en 2011.

Eric Senabre: j'en reviens...Et n'en reviens pas ! Même si je ne suis pas d'accord pour y voir un "film de genre" (ou alors, qu'est ce qui n'est pas un film de genre ?), j'ai trouvé ça très beau. Quant aux références, elles sont en effet bien digérées. Je ne trouve pas la toute fin à la hauteur du reste, mais je ne vais pas mégoter non plus. En plus, une des rares musiques de Morricone que j'aime bien !

Hélia Marzloff:: Excellent film subtil et dépouillé sur le rejet social causé par des handicaps.
Personnellement, c'est surtout le dépouillement et la pudeur du film qui m'a touchée: on ne voit presque rien, mais c'est suffisant. Par exemple, le synopsis dévoile carrément tous les détails, mais visuellement, c'est très subtil. Même si j'adore Requiem  for a dream et Carrie, ce sont des opposés fondamentaux. Par exemple, j'avais vu les bandes annonces des films sur l'adolescence, l'autisme... qui en deviennent des campagnes de sensibilisation, contrairement aux nombres premiers.

Daniel Aprin: Un véritable choc visuel, scénaristique et surtout émotionnel...que ces personnages tourmentés aux passés lourds sont beaux...un film dont on ne ressort pas indemne, comme un accident d'amour. 

Kevin Condon: Au départ, il y'a un roman que je compte bientôt lire et à l'arrivée il y'a un film qui n'est même pas un chef d'oeuvre ou encore un classique mais comme l'un des véritable monument du cinéma du 21éme siécle, Saverio Costanzo dont c'est le 1er film que je vois de lui s'en tire avec les honneurs, son film m'a marqué à vie: Alice et Matthia font parti de moi maintenant, comme si c'étaient des doubles de mon âme d'autant que le casting est parfait. Alba Rohrwacher est une Alice plus que parfaite, sa prestation risque de marquer les esprits des spectateurs qui ont vu le film, Luca Marinelli incarne avec un talent impressionnant un Mattia, un rôle pas facile à interpréter mais qu'il donne 200% de lui même et le résultat ça se voit, il est émouvant. Les seconds rôles sont trés bien(mention spécial à Isabella Rossellini, que j'ai pas reconnu au départ). Saverio Costanzo signe une mise en scéne magnifique, le film commence comme un Argento et finit Antonioni, un fantasme de cinéphile en gros mais Saverio Costanzo ne copient pas les maîtres(enfin le maître car Argento vu son dernier film c'est plus un maître), il s'affranchit pour donner à sa mise en scéne donc à son film: une identité qui lui est propre. Chaque plan est maîtrisé, c'est de la virtuosité assez impressionnante quand même, Saverio n'entraîne jamais son films vers le sordide, le glauque alors que ça aurait pu vu les sujets du film(que je ne révélerais pas pour vous laisser une surprise), non c'est trés dur(on ne ressort pas indemne de ce film) mais en même temps c'est tellement bien fait, qu'à la fin je me demandais si je pleurais de joie ou de tristesse voir des deux? La Solitude des nombres premiers posséde une photographie intense, une BO d'enfer et un montage habile qui est cohérent malgré tous ses flashbacks. Vous l'avez compris, La Solitude des nombres premiers est un film culte d'or et déjà mais que dans quelques années on l'acclamera comme l'un des meilleurs films jamais réalisés, je suis amoureux de ce film.

RUUFFET NELLY:
Un magnifique film, très métaphysique. Le réalisateur a su représenter avec brio, et ce à tous les niveaux, les méandres ambivalents de deux existences réunies mais dont ils ne peuvent pourtant pas assumer le lien fusionnel. Ainsi, le spectateur comprend rapidement le sens du titre, les nombres premiers brillant par leur rareté tout en étant indivisibles, exceptés par eux-mêmes: leur parcours insolite et traumatique leur interdit de pouvoir partager leur existence, même avec un alter ego complémentaire (nous reviendrons sur cet aspect en miroir de Mattia et d'Alice, strictes symétries cultivées tout au long du métrage). La seule solution qu'ils ont est de sombrer dans une solitude « double »: une partie d'eux-même – qu'ils n'arrivent pas à appréhender, les conduit à se détruire à petit feu tout en appelant désespérément l'autre.

Le film s'inscrit d'emblée dans une vision traumatique de l'enfance, au travers de cette petite fête masquée où se trouvent Mattia et sa petite soeur. Le spectateur sent cette dernière très perturbée par un événement, mais le réalisateur ne nous donne aucun élément pour l'appréhender. A partir de là, nous sommes entraînés dans un film à la chronologie éclatée, qui croise les parcours de Mattia et d'Alice, mêlant certaines étapes déterminantes de leur enfance, de leur adolescence, et de l'âge adulte. Mais ce n'est pas pour autant que le film en perd de sa cohérence et de son unité, bien au contraire, encore plus à partir du moment où leurs existences « s'affrontent » au lycée. La scène où Viola pousse Alice à tenter de séduire un garçon et où Alice arrête son regard sur Mattia est très représentative de ce croisement distancié, d'autant qu'elle se déroule dans un couloir - lieu de passage et de transition – et qu'elle nous montre à quel point Mattia et Alice sont fascinés par l'autre tout en étant mal-à-l'aise de se « voir », avec leurs failles. Malgré tout, on pourrait reprocher – surtout dans la première moitié du film – au réalisateur de trop déshumaniser le malaise des deux jeunes au profit des différents cadres dans lesquels leur mal-être s'inscrit, au point de donner momentanément l'impression au spectateur d'être complètement extérieur à leurs psychologies, d'autant que certains éléments sont volontairement occultés pendant un certain temps. Par exemple, nous ignorons pendant un petit moment les raisons pour lesquelles Alice tient absolument à ce que Mattia se rende au mariage d'une certaine Viola. Ce n'est que par la suite, lors de la scène où l'on voit Alice harcelée de façon perverse par Viola et sa bande dans les vestiaires, que nous comprenons pourquoi ce personnage est important dans la construction mentale de Mattia et d'Alice, Viola qui a permis à Mattia et Alice de se rapprocher davantage lors de la soirée à laquelle ils ont été conviés.

« La solitude des nombres premiers » est un des rares films à avoir su allier le thème difficile des névroses d'une vie entière, des malaises intérieurs, à une symbolique forte qui est le véritable liant du métrage sans tomber dans un pathos grossier. Les origines des traumatismes des deux principaux protagonistes sont dépeintes par petites touches, légèreté oppressante renforcée par les nombreux flashback et les bonds dans le temps. Les scarifications des deux personnages nous sont révélées au détour des points de vue des personnes alentour. Le moment où un camarade de classe de Mattia perçoit ces marques sur le corps de Mattia ne nous sont pas montrées, Mattia est saisi de dos alors que la caméra, alors postée de biais, se concentre sur l'expression perturbée du visage de l'autre jeune homme. De même, lorsque ce dernier insiste par la suite en pleine salle de classe pour connaître les origines de ces blessures, Mattia passe à l'acte en voulant lui montrer comment il a pu se mutiler ainsi mais, là encore, les scarifications ne nous sont pas montrées. Néanmoins, ces scarifications sont un des fils rouges du métrage, cela devient évident lorsqu'Alice demande – après avoir été humiliée par Viola en pleine soirée – à Mattia de lui enlever le tatouage qu'elle s'est fait faire se rapprocher de la jeune fille: nouvelle dégringolade mentale d'Alice que cet échec du tranchant dans sa propre chair comme liant social, la jeune fille ne peut que se renfermer encore davantage sur elle-même.

Le tressage des origines des traumatismes d'Alice et de Mattia permet au métrage de ne pas sombrer dans le drame pur et en devient par là même touchant tout en nous plongeant progressivement dans une atmosphère de plus en plus torturée. C'est le cas lorsque le spectateur est confronté parallèlement aux diktats oppressants du père d'Alice - qui, courant après la performance, souhaite à tout prix que sa fille devienne une championne de ski, au prix de sa santé et de son bien être- et à la scène traumatique au cours de laquelle Mattia ne parvient pas à retrouver sa soeur alors qu'il pleut à torrents et qu'il s'est octroyé un petit plaisir, assister à l'anniversaire d'un camarade d'école. Là encore, la symbolique est omniprésence au cours de cette scène de la fête d'anniversaire, avec le discours de l'inquiétant clown qui anime la fête et qui affirme qu'un aspect attrayant dissimule très souvent une grande menace, symbolique de cette enfance – censée être innocente – et des nombreuses blessures, cruelles, qu'elle dissimule. D'ailleurs, il faut noter que le personnage de la soeur de Mattia, pourtant en grande partie à l'origine du mal-être du jeune homme, est à peine évoqué et montré au cours du film, forme de pudeur touchante qui accentue la puissance du film. Cette pudeur est, là encore, habilement imprégnée d'une noirceur qui met parfois mal à l'aise, c'est le cas lors des petites scènes où le spectateur assiste, tel un voyeur, aux dialogues autocensurés entre les parents de Mattia, scènes qui sont toujours enveloppées d'un éclairage sombre et, parfois même, à contrejour. N'oublions bien évidemment pas la scène où, dans la voiture, Alice – alors adulte - fait une déclaration d'amour bien atypique à Mattia, faisant se croiser la symbolique, l'amour et la distance, à l'image de cette magnifique phrase « quand je te vois, je ferme les yeux ».

Enfin, une symbolique esthétique, alliant un verbe distancié avec humour et des éclairages colorés anxiogènes qui font penser à Argento – ce qui était d'ailleurs déjà le cas dans la scène inaugurale, avec ces éclairages nocturnes verts -, tout en faisant dévier cet héritage giallesque en les imprégnant d'une souffrance parfois amusée, dénotant une prise de conscience à la fois violente et tendre des personnages. C'est notamment le cas lorsque l'on assiste à la descente aux enfers d'Alice, qui sombre à vitesse vertigineuse dans l'anorexie. Costanzo nous plonge dans une atmosphère rouge vif en nous montrant une Alice prostrée et cadavérique, qui parvient à peine à sortir du lit. L'instant où Mattia retrouve Alice après avoir passé 7 ans en Allemagne pour sa thèse – 7, encore un nombre premier, rien n'est laissé au hasard ! - est ponctué par une micro scène marquante au cours de laquelle Mattia demande en souriant où sont les toilettes, ce qui nous ramène à une scène précédente où Alice avait agi de même: ce parallèle amusé est confirmé par la réponse d'Alice ( « au fond à droite »! ). Or, lorsqu'il se rend aux toilettes, l'éclairage bascule de nouveau dans une lumière rouge vif, de même que lorsque le spectateur a vu un peu avant Alice dans la même position, sur le cabinet, pensive et recroquevillée. Ces stricts parallèles accentuent le rapprochement métaphysique des deux protagonistes, qui a décrit une progression constante tout au long du métrage, chaque alliance de plans permettant de transcender les précédents. Juste après, la scène où Mattia et Alice se font de nouveau face représente bien cette distance amusée et souffrante, décalage parallèle et symétrique accentué par le fait que le constat – énoncé de façon pudique et très émouvante par Mattia – de l'anorexie d'Alice fait écho à la prise de poids significative de Mattia. La symbolique est maintenue jusqu'au bout pour arriver à son paroxysme lors de la scène finale où Mattia s'éloigne sans prévenir dans la demeure d'Alice pour méditer sur un banc: Alice, désorientée, le rejoint et l'enlace sans mot dire, en se penchant et en lui frôlant tendrement le visage, épilogue tout en retenue qui met les larmes aux yeux.

Un film qui sait à merveille nous faire ressentir des émotions contradictoires en nous poussant à subir violemment l'épreuve d'une séparation déchirante, aussi bien physique que mentale. Traumatismes enveloppés d'une esthétique de toute beauté rendant hommage à des maîtres de l'âge d'or du cinéma italien, notamment Argento ou Antonioni de par l'indécision finale, comme un appel vers un ailleurs où tout semble être possible. Une oeuvre atypique où le malaise se transcende en une symbolique de tous les instants pour nous laisser pantois, sur le fil de l'émotion.

CHRISTOPHE DE LA GORGONE:
viens de voir grace à l'ami Bruno Matéï une petite bombe qui va vite devenir un bon vieux classique du cinoche "La solitude des nombres premiers" de Savero Costanzo adaptation du best-seller de Paolo Girodano !!! Nous sommes en présence avec ce film d'un OVNI du cinéma italien. L'ombre de Bertolt Brecht plane sur le film avec sa fameuse distanciation en interrogeant et impliquant le spectateur dans l'histoire et ne le lachant plus pour le faire reflechir sur le passé des personnages, sur l'exclusion des handicapés dans la société, la difficultée dans un couple d'avoir un enfant avec une maladie génétique, l'apprentissage de la vie, l'innocence de l'enfance, la dépression, l'evolution de la culture et de la contre culture, la difficultée pour un enfant de prendre des decisions d'adulte, l'anorexie, le masque... Bref, que du lourd, avec une réalisation qui n'en rajoute jamais dans le mièvre et tire jus. Bien au contraire, elle se fait fluide et aérienne ainsi que le montage en appuyant la structure du scénario fragmenté naviguant dans les eaux troubles des differentes époques du récit à la maniére d'un Alain Resnais avec MON ONCLE D'AMERIQUE. Le premier quart d'heure met à contribution la mémoire du spectateur à l'aide des visages des personnages principaux et l'attribuant aux differentes epoques de leurs vies. A partir de là, le réalisateur se sert du montage comme d'un puzzle ou plutot comme d'un psychanaliste utilisant des techniques sensorielles...pour faire remonter dans les souvenirs des patients/des personnages le pire des evenements tragiques sources de leurs melancolies, tristesses, depressions, anorexies voir névroses constituant ce qu'ils sont maintenant. Il est a noté une splendide séquence qui résume métaphoriquement l'histoire sans être trop réducteur. Il s'agit de la séquence dans la passerelle reliant deux batiments du lycée ou se trouve les deux personnages principaux adolescents. Deux Blocs/deux personnages qui auront des echanges, rencontreront du monde seulement de passage dans leurs vies...mais il n'y aura jamais de rapprochement possible entre les deux les laissant comme deux ames uniques, errantes dans un monde qu'ils ne comprennent pas et qu'ils ne les comprennent pas en plus d'un passé trop lourd à porter. J'allais oublier une influence esthetique et une ambiance tres giallesque que la musique souligne avec brio. On retrouve Argento, Soavi...et la musique de Morricone avec un immense plaisir. J'emettrais juste un petit bémol sur la derniere partie moins prenante que le reste du film mais je ne vais pas bouder mon plaisir, nous sommes en présence d'un OVNI filmique qui vous kidnappe durant deux heures et nous fait vivre une experience unique pour jamais nous faire revenir sur terre.



Saverio Costanzo


QUESTIONS AU REALISATEUR:
Le dernier film qui vous a fait pleurer ? Le mien. J'ai beaucoup pleuré intérieurement.
Pour lequel de vos films avez-vous un faible ? Peut-être le dernier.
Par quoi vos films sont-ils obsédés ? La liberté.
Comment reconnaît-on un de vos films ? L'angoisse.
Comment définiriez vous La Solitude des nombres premiers ? Si je devais en fin de compte le définir, je dirais qu’il s’agit « d’un film d’horreur centré sur les sentiments, la famille et sur l’émancipation impossible du couple ».

 

vendredi 13 mai 2011

LA GRANDE MENACE (The Medusa Touch)

                                      Photo empruntée sur Google, appartenant au site scifi-movies.com

de Jack Gold. 1978. Angleterre/France. 1h44. Avec Richard Burton, Lee Remick, Lino Ventura, Harry Andrews, Marie Christine Barrault.

Sortie en France en Novembre 1978.

FILMOGRAPHIE: Jack Gold est un réalisateur et producteur britannique né le 28 Juin 1930 à Londres. 1967: Famine, 1968: The Bofors Gun, 1969: The Reckoning, 1973: Who ?, 1975: Man Friday, 1976: Le Tigre du ciel, 1978: The Sailor's Return, La Grande Menace, 1980: Le Petit Lord Fauntleroy, 1984: The Chain, 1987: Les Réscapés de Sobibor, 1993: Der Fall Lucona.

                                      

"Au lieu de vous inquiéter pour ce cercueil de 3 milliards de dollars qui file vers la lune, accordez au moins une pensée aux millions d'êtres qui auraient pu être nourris avec tout cet argent consacré à l'ambition Nationale. Ecoutez moi Docteur Zonfeld, j'ai trouvé le moyen de Faire le sale boulot de Dieu à sa place ..... , dans quelques minutes les astronautes approcheront de la sphère lunaire et majestueuse,  je vous donne ma PAROLE qu'ils ne reviendront Pas et Jamais "

Sorti la même année que Patrick et Fury, et trois avant Scanners, le britannique Jack Gold s'inspire du roman de Peter Van Greenaway pour traiter du thème de la télékinésie avec La Grande Menace. Pour rappel, cette faculté métapsychique consiste à mettre en mouvement la matière par la force mentale de l'esprit (du mot grec, télé: à distance, et kinésie: mouvement). Le romancier John Morlar est retrouvé sauvagement assassiné le crane fracassé dans son appartement londonien. Chargé d'une mission en Angleterre, l'inspecteur français Brunel mène enquête quand bien même la victime reprend subitement vie. Son investigation s'oriente vers le témoignage du psychiatre Zonfeld qui eut la tâche de suivre en consultation la victime Morlar. Un patient persuadé de provoquer des catastrophes par la simple force de son esprit. 

                                       

Production franco-anglaise à la distribution étonnamment hétéroclite, La Grande Menace fut mal accueilli à sa sortie par la presse alors qu'il engrange tout de même dans notre pays hexagonal 241 762 entrées uniquement sur Paris. Aux Etats-Unis, le film est même nominé un an plus tard pour le Saturn Award du Meilleur film d'horreur sans toutefois bénéficier du prix royal. Quand bien même au fil des décennies, il finit par se forger une réputation élogieuse de la part des fantasticophiles. Car dans un habile alliage d'enquête policière, de fantastique et même de catastrophe, La Grande Menace tire parti de sa densité de par l'originalité de son intrigue charpentée et du portrait cérébral imparti au potentiel coupable. Remarquablement incarné par Richard Burton littéralement magnétique en écrivain névrosé au regard saphir perçant, le film cultive une constante vigueur grâce à sa prestance névrosée à l'ambivalence identitaire. Avec classe et retenue, Lee Remick lui partage la vedette en psychiatre rationnelle délibérée à le ramener à la raison, faute de son incrédulité à cautionner l'existence du surnaturel. Enfin, le charismatique Lino Ventura se fond dans le corps de l'inspecteur Brunel dans une posture à la fois austère et studieuse afin de découvrir qui a tenté d'assassiner Morlard et pour quel mobile. Pour en revenir au cheminement narratif, et par le biais de nombreux flashbacks, Jack Gold nous brosse notamment avec détails surprenants le portrait de ce frondeur déjà brimé par son entourage depuis son enfance. Tant auprès de son professeur d'histoire tyrannique, de ses parents condescendants que de la désinvolture de sa femme infidèle épaulée d'un amant arrogant.

                                     

Persuadé qu'il est capable de nuire à autrui par la seule force de sa pensée, Morlar, névrosé et réduit à la solitude, contacte donc un psychiatre afin d'extérioriser ses tendances psychotiques émanant de sa susceptibilité et sa dépression, faute d'une insoluble quête identitaire. Au-delà de l'intensité de son suspense intelligemment captivant (notamment auprès de son incroyable épilogue catastrophique !) exacerbé d'une solide réalisation, les séquences-chocs qui émaillent le récit sont toutefois désamorcées par la suggestion plutôt que l'outrance lors des évènements dramatiques particulièrement meurtriers. Une façon finaude d'y manipuler le spectateur, dubitatif mais constamment fasciné par la persuasion de Morlar, car partagé dans le doute pour ses éventuels pouvoirs surnaturels jusqu'à sa conclusion aussi bien cinglante que terrifiante. Quand bien même durant toute l'intrigue, et depuis la tentative d'assassinat, Morlar est malgré tout réduit à la paralysie car confiné dans une chambre d'hôpital dans un état semi comateux. Or, peu à peu régénéré de ses facultés mentales, il  commence à inquiéter le corps médical et policier décontenancé de son cas pathologique inopinément robuste. Ainsi, sur le principe du genre catastrophe, le point d'orgue, en l'occurrence contrairement homérique, redouble d'intensité et de suspense exponentiel lorsque Brunel finit par se laisser convaincre de l'affront surnaturel du patient au point de tenter de sauver lors d'une ultime bravoure des centaines de dévots venus inaugurer l'immense cathédrale.

                                       

Angoissant, troublant et rondement mené sous le pilier d'une enquête surnaturelle laissant planer le doute quand au profil équivoque des potentiels coupables, La Grande Menace fascine en crescendo à travers la subtilité de sa mise en scène solide tentant d'élucider le portrait névralgique du meurtrier névrosé en proie à une impitoyable solitude. Et ce jusqu'au nihilisme de son épilogue improbable résolument escarpé, de manière également à immortaliser sur écran un profil démonial inextinguible ! 

*Bruno
28.01.19.
13.05.11

REVENGE (Haevnen/In a better World) OSCAR DU MEILLEUR FILM ETRANGER 2011



de Susanne Bier. 2010. Danemark/Suede. 1h53. Avec Mikael Persbrandt, Trine Dyrholm, Ulrich Thomsen, Markus Rygaard, William Jøhnk Nielsen, Bodil Jorgensen, Elsebeth Steentoft, Martin Buch, Anette Støvlebæk, Kim Bodnia…

Sortie en salles en France le 16 Mars 2011

FILMOGRAPHIE: Susanne Bier est une réalisatrice danoise née à Copenhague le 15 Avril 1960.
1989: Songlines, 1991: Freud quitte la maison, 1992: Lettre à Jonas, 1994: Affaires de famille, 1995: Like it never was before, 1997: Sekten, 1999: The One and Only, 2000: Once in a lifetime, 2002: Open Hearts, 2004: Brothers, 2006: After the Wedding, 2007: Nos souvenirs brûlés, 2010: Revenge. 

                     

Auréolé du prix commun du meilleur film Etranger pour la cérémonie des Oscars ainsi que celle des golden Globes 2011, Revenge est un drame intense et bouleversant venu du pays Danois sur les difficultés relationnelles parentales et le traitement de la violence extériorisée, innée en chaque être humain. 

Elias, un garçonnet dont les parents viennent de se séparer est le souffre douleur d'une bande de collégiens trubilions. Il se lit d'amitié avec un nouveau camarade, Christian, qui vient de perdre sa mère décédée d'un cancer. Ce dernier va lui porter secours en rouant de coups et menaçant l'un des oppresseurs d'Elias avec un couteau dans les toilettes du collège. Depuis, les deux enfants se lient d'une amitié complice mais un affrontement physique entre le père d'Elias hostile à toute forme de violence contre un inconnu castrateur vont leur permettre l'éventualité d'une vengeance incongrue. 

                       

Sur le thème on ne peut plus d'actualité de la banalisation de la violence dans les milieux scolaires et les relations parentales souvent conflictuelles à tenter de former l'éducation de leur progéniture,Revenge décrit avec sobre vérité humaine et acuité psychologique deux portraits de famille fragilisés par une fracture conjugale commune. 
La réalisatrice Susanne Bier nous fait partager avec une sensibilité prude les moments intimes de deux enfants fragilisés, introvertis sur eux-mêmes par la cause indirecte de parents déjà lourdement éprouvés par leur échec sentimental impliquant l'idylle amoureuse de leur vie. 
C'est d'abord Christian, pronfondément perturbé par la disparition de sa mère décédée rigoureusement d'un cancer qui interpelle le spectateur dans ses blessures morales infligées contre son gré et sa violence radicale extériorisée de manière brutale envers des rejetons insolents cédant mécaniquement à la provocation de la violence par complexe d'infériorité. 
Alors que le jeune Elias, fils d'un père docile, médecin renommé dénué d'agressivité car déjà lourdement accablé par les conflits guerriers d'un camp africain de réfugiés dont il a la tâche de devoir soigner chaque blessé, se retrouve inévitablement en rôle de victime malgré lui. Un enfant chétif au bord du marasme car n'ayant pas les outils en main pour avoir l'instinct de fierté et l'amour propre à pouvoir se défendre en cas d'agression verbale ou physique offusquée dans les brimades de son honneur bafouée. 
C'est à la suite d'une rixe entre le père d'Elias et un ouvrier irascible que les deux enfants rebutés vont décider de venger ce père pacifiste se refusant à tolérer le droit de se défendre par la riposte machinale de la violence inculte. Et cela, même si celui-ci va prouver une dernière fois aux enfants que répondre à la brutalité gratuite par la violence vindicative ne peut résoudre un conflit de prime abord accès sur l'imbécilité primaire.
Cette vengeance abrutissante à haut risque compromise par deux ados rebelles déstructurés est le fruit de leur blessure intérieure, leur malaise existentiel, leur quête indentitaire pour le passage délicat d'une adolescence cruelle, de surcroît entaillée par un désordre conjugale dont l'un est destitué de sa mère inéquitablement décédée. 

                      

Susanne Bier nous démontre sans pathos ni discours grandiloquant ou moralisateur les relations abstraites et exigeantes que les parents issus ici d'un réseau social confortable doivent faire face avec difficulté et assumer pour leur postérité en devenir. Le portrait établi envers Christian et Elias, pronfondément meurtris dans leur chair illustrent à quel point la période la plus fragile de l'existence humaine se trouve dans le difficile cap de l'adolescence. 

Par l'impartialité naturelle de comédiens magnifiquement modestes (les parents érudits sont aussi criant d'humanité que les deux enfants poignants de fébrilité innocente) et structuré d'un scénario d'une rare densité, Revenge nous entraine contre vents et marées dans une magnifique initiation à la tolérance et l'inculcation infantile. 
Mis en scène avec réalisme brut mais tempéré, cette oeuvre bouleversante est autant une réflexion immuable sur le désir de vengeance, sur les effets néfastes de la violence banalisée, sur sa répercusion morale intuitive et notre comportement épidermique face à l'intolérance néfaste. A moins d'imposer une certaine forme de lacheté loyale octroyée contre toute forme de véhémence tendancieuse. Une oeuvre fébrile à deux doigts de sombrer dans la tragédie la plus répréhensible mais sauvée par l'humanité rédemptrice de nos héros désemparés.

                     
12.05.11
Brnuo Matéï.

                                                     

dimanche 8 mai 2011

Justice Sauvage / Walking Tall


de Phil Karlson. 1973. U.S.A. 1h40. Avec Joe Don Baker, Elisabeth Hartman, Leif Garrett, Daw Lyn, Noah Beery Jr, Lurene Tuttle, Ed Call, Dominick Mazzie, Lynn Borden.

Sortie salles U.S.A: 22 Février 1973

FILMOGRAPHIE SELECTIVE: Phil Karlson est un réalisateur, scénariste et producteur américain né le 2 Juillet 1908 à Chicago, décédé le 12 décembre 1985 à Los Angeles. 1948: Rocky, 1949: Le Chat sauvage, 1952: Le 4è Homme, 1959: Les Incorruptibles défient Al Capone, 1961: Le Dernier passage (The Secret Ways), Les Blouses Blanches (The Young Doctors) , 1962: Un direct au coeur (Kid Galahad) , 1963: Massacre pour un fauve (Rampage) , 1966 : Matt Helm, agent très spécial (The Silencers) , 1967 : La poursuite des tuniques bleues (A Time for Killing) , 1968: Alexander the great (TV) , 1969: Matt Helm règle ses comptes (The Wrecking Crew), 1970 : l'Assaut des jeunes loups (Hornets' Nest) , 1972: Ben, 1973: Justice Sauvage (Walking Tall) , 1975: La trahison se paie cash  (Framed)

                                   

Tourné la même année qu'Un Justicier dans la Ville mais sorti un an et demi plus tard (le 24 Juillet 1974 aux USA), Justice Sauvage entame le courant du film d'auto-défense alors que le 23 Décembre 1971 explosait sur les écrans l'Inspecteur Harry de Don Siegel, créant ainsi son personnage iconique de flic charognard aux méthodes expéditives aussi brutales qu'illégales. Le film entrepris par Phil Karson aura lui aussi connu un tel succès public que trois autres suites seront rapidement mises en chantier durant toute la décennie seventie. PitchDans une contrée bucolique, un ancien catcheur à la retraite revenu dans sa région natale est élu par sa communauté du Tennessee pour devenir leur shérif. Un homme de loi drastique et équitable par qui la corruption et la criminalité seront définitivement bannis de sa ville empoisonnée par une mafia régnant en maître dans un bordel. Une guerre sans merci est alors livrée entre les deux camps.

                                      

Voici l'une des oeuvres fondatrices du film d'auto-défense, une série B célébrée par une horde de fans adeptes de la violence réac qui frappe brutalement dans un défouloir de scènes d'action explosives habilement concoctées. Si bien que ce pur western involontairement pittoresque (on jurerait qu'il fut réalisé durant les années 50) est aujourd'hui devenu un sommet de loufoquerie dompté par la présence robuste de Joe Don Baker auquel les scènes de violences très brutales surprennent encore par son âpreté et sa verdeur infligée. La narration est d'un classicisme on ne peut plus balisé dans cette incessante guerre de rixe entre un shérif redresseur de tort condamné à rétorquer de manière sauvage auprès d'une bande de crapules immorales, propriétaires d'un bordel champêtre. S'ensuit donc à rythme métronome une succession d'incidents majeurs commis en défaveur de notre shérif continuellement pris à parti mais armé d'un imposant gourdin pour y nettoyer les truands opiniâtres des quartiers de son patelin en ébullition. Il faut le voir dans sa posture de catcheur entrer dans l'enceinte d'un tribunal, saisi de sa matraque pour présenter au juge les derniers larrons qu'il vient d'appréhender ! Des situations aussi improbables et grossières, Justice Sauvage en regorge à foison et tous les personnages sont si caricaturés à l'extrême qu'il transcendent la consternation pour créer la sympathie. Que ce soit la femme chérissante de Budford, chétive, craintive et aimante, les enfants dociles fascinés par leur paternel  héroïque, les grands parents puritains et protecteurs, l'acolyte de couleur noir à la trogne bonnard fidèlement associé au shérif inflexible ou les malfrats lâches et orduriers davantage rancuniers dans leurs trafalgars obtempérés.

                                    

Ainsi, au sein de ce vrai western (faussement) contemporain reprenant tous les poncifs du genre, l'ambiance est si surréaliste dans son époque contée, exacerbée de personnages saugrenus, convaincus de leur prestance cordiale que Justice Sauvage entraîne de bonne foi le spectateur dans une guérilla puérile lardée de scènes de violences sauvages ! Les coups de poing et de burin pleuvants tous azimuts et les décharges de chevrotine explosant les corps ensanglantés par de furieux impacts de balle. A ce titre, la scène la plus foudroyante dans son intensité explicite est ce moment dramatique arrivant de manière fortuite, pour un personnage clef décimé par une balle explosant l'arrière de sa boite crânienne durant une poursuite automobile. De surcroît, la spontanéité rigoureuse et l'impressionnant charisme viril du personnage principal campé par Joe Don Baker apporte une dimension humaine équivoque de par l'illégalité et la tolérance de ses exploits héroïques suicidaires, alors qu'il manquera à trois reprises de mourir in extremis sous les balles perfides de l'ennemi rival. Le manque d'enjeu dramatique s'y fait malgré tout cruellement sentir durant le fil narratif et devient plus contraignant à force que le métrage évolue dans ces incessantes attaques vindicatives répertoriées dans les deux camps opposés. Jusqu'à ce que l'ultime quart d'heure reprenne une certaine ampleur lors de sa tragédie familiale, ultime point d'orgue d'une vengeance meurtrie aveuglée par la haine et la rancoeur.

                                    

Ainsi donc, Justice Sauvage se décline en petit classique d'exploitation faisant aujourd'hui office d'attachant divertissement rétro assez atypique. Le savant dosage de violence rrugueuse, les situations toutes plus saugrenues les unes que les autres, ces personnages stéréotypés à l'extrême et l'imposante présence de Joe Don Baker achèvent de rendre ce succédané sémillant, à défaut d'être passionnant, que les inconditionnels du genre ne manqueront pas d'affectionner.

08.05.11.
*Bruno