mercredi 12 octobre 2011

FURIE


de Brian De Palma. 1978. U.S.A. 1h57. Avec Kirk Douglas, John Cassavetes, Carrie Snodgress, Charles Durning, Amy Irving, Fiona Lewis, Andrew Stevens, Carol Eve Rossen, Rutanya Alda, Joyce Easton.

Sortie en salles en France le 4 janvier 1979. U.S: 10 Mars 1978.

FILMOGRAPHIE: Brian De Palma, de son vrai nom Brian Russel DePalma, est un cinéaste américain d'origine italienne, né le 11 septembre 1940 à Newark, New-Jersey, Etats-Unis.
1968: Murder à la mod. Greetings. The Wedding Party. 1970: Dionysus in'69. Hi, Mom ! 1972: Attention au lapin. 1973: Soeurs de sang. 1974: Phantom of the paradise. 1976: Obsession. Carrie. 1978: Furie. 1980: Home Movies. Pulsions. 1981: Blow Out. 1983: Scarface. 1984: Body Double. 1986: Mafia Salad. 1987: Les Incorruptibles. 1989: Outrages. 1990: Le Bûcher des vanités. 1992: l'Esprit de Cain. 1993: l'Impasse. 1996: Mission Impossible. 1998: Snake Eyes. 2000: Mission to Mars. 2002: Femme Fatale. 2006: Le Dahlia Noir. 2007: Redacted.


Deux ans après Obsession et Carrie réalisés successivement la même année, Brian De Palma renoue avec le thème de la parapsychologie dans Furie. Un film fantastique diaboliquement ficelé, conjuguant avec bonheur espionnage, action, suspense et épouvante traditionnelle, saupoudré d'une pointe de cocasserie en début d'intrigue. Entouré d'acteurs de renom (Kirk Douglas, John Cassavetes, Charles Durning, Amy Irving), ce film sous-estimé est à réhabiliter à sa juste valeur tant il exploite avec beaucoup d'efficacité et de maîtrise technique une intrigue aussi haletante que surprenante.
Doué de pouvoirs paranormaux, un jeune garçon se fait kidnapper par l'agence du gouvernement de son père. Après avoir manqué de trépasser dans un odieux traquenard commandité par un ami de longue date, le paternel décide de partir à sa recherche. Au même moment, une jeune fille, Gillian, possédant également des dons exceptionnels, communique par télékinésie avec son fils.


En s'appropriant une nouvelle fois du thème de la télékinésie préalablement établi avec l'envoûtant Carrie, Brian De Palma s'inspire d'un roman de John Farris pour nous concocter un prodigieux spectacle dans ses genres disparates. On est d'ailleurs surpris du ton ironique des premières séquences lorsque Peter Sandza est contraint de trouver des vêtements en pénétrant par effraction chez un coupe de sexagénaires décontenancés par son apparence demi-nue ! Ou encore la présence risible de ces deux policiers pris en otage par notre héros affublé d'un costume de vieillard et craignant que leur nouvelle carrosserie de fonction ne soit sévèrement cabossée lors de courses poursuites engagées contre des espions. Paradoxalement, après que ne soit intervenu une séquence d'action trépidante particulièrement intense, on pouvait craindre que notre réalisateur se vautre dans le ridicule en y mêlant successivement ce genre de situations cocasses proprement hilarantes.


Néanmoins, l'humour omniprésent des vingts premières minutes va peu à peu s'occulter pour exacerber  l'action des enjeux avec l'intervention d'un nouveau personnage caractérisé par la ravissante Amy Irving (déjà remarquée dans Carrie). Cette jeune fille profondément accablée par son pouvoir surnaturel est incapable de contrôler ses émotions au moindre contact humain, provoquant chez le sujet une hémorragie impossible à maîtriser. C'est dans une clinique spécialisée que notre témoin va être contrainte de tenter de canaliser son pouvoir alors que des visions hallucinogènes et prémonition vont lui être administrées par l'influence télékinésique de Robin, le fils martyrisé par une confrérie gouvernementale sans vergogne. D'ailleurs, la narration menée avec maîtrise technique assidue (la séquence d'anthologie entièrement filmée en "slow motion" illustrant avec minutie la fuite de Gillian à travers rues contre les ravisseurs de l'odieux Ben Childress) doit beaucoup à la prestance de cette comédienne d'une justesse psychologique admirable. Elle peut même se targuer de voler carrément la vedette à nos héros principaux incarnés par les briscards Kirk Douglas et John Cassavettes ou encore le juvénile Andrew Stevens. C'est ce portrait empathique alloué à Gillian qui rend l'oeuvre si intense et captivante. Une victime chétive totalement dépassée par son don de prescience et de télékinésie, peu à peu asservie par l'arrivisme d'un agent politique. Un affabulateur convaincu de la substituer au fils de Peter davantage irascible, toxicomane et en perte de faculté surnaturelle. Là aussi, l'accent dramatique est privilégié dans la décrépitude du jeune garçon devenu incontrôlable car totalement destitué de sa personnalité. Dans la dernière partie réfutant le happy-end salvateur, nous retrouvons Peter, plus déterminé que jamais, accompagné de Gillian pour tenter de récupérer sain et sauf Robin, plus irascible et pernicieux que jamais. Ce point d'orgue particulièrement cinglant, car déployant des séquences chocs sanglantes magnifiquement supervisées par le maître des FX, Rick Baker, prémédite une mise à mort des plus explosives !


Si l'intrigue de Furie s'avère sans grande surprise et laisse interférer quelques gênantes invraisemblances (comme l'évasion de Peter réussissant à s'extraire de l'embarcation d'un rafiot après une gigantesque explosion), la maîtrise technique de De De Palma (amples mouvements de caméra vertigineux), l'interprétation de qualité (Amy Irving crève l'écran !), le score fastueux de John William et l'efficacité d'un récit fertile en péripéties renvoient au solide divertissement. 

Note: C'est le premier rôle au cinéma de Daryl Hannah qui interprète Pam, une écolière à la cafétaria assise à la droite de Gillian (l'avais même pas r'connu !).

Récompense: Saturn Awards 1979: Meilleurs maquillages pour William Tuttle et Rick Baker, remis par l'Académie des films de science-fiction, fantastique et horreur.

12.10.11.     4
Bruno Matéï

                                          

jeudi 6 octobre 2011

DEMAIN LES MOMES. Grand Prix au festival du Rex de Paris 1976.


de Jean Pourtalé. 1975. France. 1h30. Avec Niels Arestrup, Brigitte Rouan, Emmanuelle Béart, Michel Esposito.

Récompenses: Grand Prix au 3ème Festival de film fantastique et de science fiction de Paris, ainsi que celui du Prix Spécial du Jury au Festival International de "New Orléans".

Sortie en salles en France le 18 Août 1976

FILMOGRAPHIE: Jean Pourtalé est un réalisateur français né le10 Septembre 1938 à Paris, décédé le 17 Octobre 1997. 1964: Dernier soir (court-métrage). 1969: Sylvie à l'Olympia (Court-métrage du tour de chant). 1975: Demain les Momes1980: 5% de Risques


En 1976 sort sur les écrans un premier film d'un réalisateur méconnu dans une quasi indifférence générale alors que certaines critiques bien pensantes n'hésiteront pas à lui tourner le dos. Néanmoins, les organisateurs de deux festivals lui ouvrent la voie de la reconnaissance avec 2 prix décernés à Paris et à la Nouvelle Orléans. En l'occurrence, totalement occulté ou ignoré par le plus grand nombre d'entre nous, Demain les mômes est un ovni filmique rare et précieux, aussi réaliste et désespéré que son cousin ibérique, j'ai nommé le chef-d'oeuvre martyr Les Révoltés de l'an 2000Dans une époque future, suite à une potentielle guerre mondiale, le monde est devenu un lieu aride où quelques survivants errent sans but à la recherche d'un éventuel abri. Notre point de rencontre se situe dans le sud-ouest de la France alors que Philippe et Suzanne, réfugiés dans leur ferme champêtre, coulent des jours indolents grâce aux réserves de nourriture qu'ils ont approvisionné dans leur cave. Un jour, un groupe de quidams s'en prennent sauvagement à la jeune femme qui s'était retrouvée à l'extérieur de la maison. Philippe arrive précipitamment à sa rescousse et tire vainement avec son arme de chasse en direction des fuyards. Contraint de subsister solitairement pour cause de la disparition de sa femme, il tente de retrouver un quelconque survivant avec l'aide d'un récepteur radiophonique. C'est alors qu'une bande de gamins font irruption à proximité de sa maison !


Avec l'entremise d'un budget restreint et de décors minimalistes, Jean Pourtalé s'attelle à retranscrire lestement un univers en décrépitude suite à un cataclysme à échelle mondiale. Par le bruit d'un son perçant les tympans de chaque victime, la terre est devenu un cimetière décharné où le peu de survivants tentent maladroitement de subsister en se méfiant de la moindre présence humaine potentiellement hostile. En quelques plans chocs et explicites à nous dévoiler l'apparence horrifiée de quelques cadavres faméliques restés aux abords des trottoirs (maquillages plutôt adroits et morbides !), le réalisateur réussit à rendre crédible un univers glauque où erre le sentiment prégnant de désolation. Où seul l'aura du vent bourdonnant fait office de présence latente afin de renforcer le caractère morose de notre planète réduite en vestige. Après avoir dépeint l'existence quotidienne d'un couple d'amants réfugiés dans leur ferme du sud de la France, le danger aléatoire venu d'un trio de marginaux sans vergogne va inéquitablement soustraire la vie de Suzanne, la femme de ce dernier. Tandis que quelques jours plus tard, après avoir tenté de retrouver d'éventuels survivants par l'entremise d'une radio, Philippe va rentrer en contact avec un groupe d'enfants mutiques, accompagnés d'un cinquantenaire déficient.


Insinueusement et avec un souci d'authenticité proche du documentaire, Demain les Mômes nous dévoile le caractère monolithique et glacial d'une bande de marmots incapables d'éprouver un minimum de compassion face à leur nouveau protégé Philippe, homme de foi davantage désorienté et dérouté. Par petites touches, c'est la nouvelle ambition d'un homme solitaire tentant d'établir un contact amical avec cette bande organisée d'enfants sauvages qui nous ait détaillé scrupuleusement avec une sensibilité poétique, à l'instar de la superbe mélodie composée par Eric Demarsan. En intermittence, ce thème musical va subitement virer de ton pour devenir beaucoup plus ombrageux, de manière à mettre l'accent sur le côté mystérieux, étrangement aphone de la présence presque surnaturelle des enfants mutiques opposés au monde des adultes. La devise de Philippe sera de tenter de leur inculquer le savoir vivre, l'apprentissage des valeurs humaines, le respect d'autrui dans ce monde trop furtivement livré à l'agonie. Dépité et vexé de tant de rancoeur de la part de ces enfants introvertis et taciturnes, Philippe va se rendre à l'évidence que l'espoir de reconstruire un monde meilleur n'est qu'une irréversible désillusion. L'excellent et trop rare Niels Arestrup apporte l'aplomb nécessaire dans sa flegme maturité à daigner éduquer avec reconnaissance des gamins dénués d'amour et d'empathie (comme cette séquence qui voit l'un des leurs trébucher du haut de la toiture de la ferme). Et en ce qui concerne le portrait de ce groupe infantile communiquant exclusivement entre eux, ils retranscrivent avec un naturel trouble un étrange comportement imbitable face à l'encontre de l'adulte qui ne souhaitait qu'une cohésion amicale. Leur présence hostile et pernicieuse participe grandement au climat singulier que le film illustre avec un réalisme terrifiant. D'ailleurs, on ne manquera pas d'établir un rapprochement avec la physionomie interlope, faussement docile des enfants des Révoltés de l'An 2000, sorti la même année en Espagne.A titre subsidiaire, on notera aussi qu'Emmanuel Béart fait ses premiers pas devant la caméra du haut de ses 12 ans.


Les Enfants du Silence.
Baignant dans un climat d'insécurité sous-jacent davantage oppressant, Demain les Mômes constitue le constat d'échec de notre humanité si bien que les enfants du jour d'après adoptent ici une cruelle revanche contre l'autorité parentale responsable de leur perte d'innocence. Son final glaçant et nihiliste renforçant d'autant plus ce sentiment aigri de perdition, cette perte de l'illusion d'où ne présage que déshumanisation et intolérance. En résulte un récit post-apo tristement pessimiste, amer et désenchanté, où les images blafardes marquent les esprits sous le pilier d'un avenir dystopique. 

Dédicace à Atreyu sans qui je n'aurai jamais pû redécouvrir cette perle rare et introuvable.

06.10.11
Bruno Matéï

mercredi 5 octobre 2011

LA CLOCHE DE L'ENFER (La campana del infierno/The Bells)

                                                                               Photo empruntée sur Google, appartenant au site Notrecinema.com

de Claudio Guerin. 1973. Espagne. 1h32. Avec Renaud Verley, Viveca Lindfors, Alfredo Mayo, Maribel Martin, Nuria Giemno, Christine Betzner, Saturno Cerra, Nicole Vesperini, Erasmo Pascual, Antonio Puga.

Sortie en salles en France en Août 1974.

FILMOGRAPHIE: Claudio Guerin est un réalisateur espagnol (1939 - décédé le 24 Février 1973)
1965: Luciano (T.V). 1966: La Corrida (T.V). 1969: Los Desafios (T.V). 1972: La Casa de las palomas. 1973: La Cloche de l'Enfer


Second et dernier long-métrage de Claudio Guerin, La Cloche de l'Enfer fait office de chef-d'oeuvre maudit par son ironie macabre encadrant le secret du titre du film. En effet, le réalisateur mourut accidentellement l'ultime jour du tournage en trébuchant du clocher qu'il avait exploité (certaines mauvaises langues évoqueront d'ailleurs un éventuel suicide). C'est d'ailleurs Juan Antonio Bardem qui aurait achevé son mémorable point d'orgue fantasmagorique. A sa sortie d'un centre psychiatrique auquel il fut injustement interné, Juan rejoint la demeure de sa tante, responsable de son emprisonnement. Ces trois cousines sont également logées à la même enseigne gothique de la tutrice. Juan va alors préméditer une vengeance implacable contre sa propre famille condescendante. Cette perle rare et oubliée, exportée de l'Espagne franquiste, est une oeuvre hypnotique au pouvoir de fascination prégnant dans sa mise en scène quasi expérimentale débordante de trouvailles poético-macabres. Avec l'entremise d'un scénario impondérable, structuré de manière perfide, La Cloche de l'Enfer ne cesse de surprendre le spectateur embarqué dans un étrange conte gothique d'une beauté diaphane à couper le souffle ! Nombre de séquences faisant intervenir volatiles, insectes, vertébrés aquatiques ou mammifères évoluant autour d'une nature sauvage nous transportent dans un environnement blême impénétrable. Privilégié par une photographie ocre transcendant la beauté de ces images insolites, l'aventure vengeresse de Juan est une perpétuelle immersion vers l'inconnu.


Tout le génie émanant d'une réalisation iconoclaste bousculant les règles du genre dans une structure aussi anarchiste qu'insidieusement planifiée. La quête vindicative de notre héros interlope, usant de subterfuges pour se railler de ses invités familiers, intrigue le spectateur interloqué par ce jeu sarcastique avec la mort. Après que sa mère émancipée se soit suicidée, Juan va être injustement condamné de ce deuil maternel par la faite d'une tante perfide appâtée par un héritage. Dès lors, après avoir été enfermé et drogué dans un centre psychiatrique, le fils revanchard décide d'accomplir auprès des responsables de son internement un rituel savamment réfléchi dans un jeu de farces et attrapes risibles. Paradoxalement, c'est après avoir exercé quelques jours dans un abattoir auquel les animaux sont traditionnellement égorgés, désossés et dépecés (une séquence particulièrement pénible et dérangeante au vu de son authenticité) qu'il décide de passer à l'acte comme si sa profession l'avait aménagé à endurer la vue du sang et l'odeur morbide. Durant son cheminement hermétique, nous établissons la rencontre de personnages obscurs (le sdf réfugié dans une cabane), troubles et sournois (la tante renfrognée et les trois cousines au caractère bien distinct), ou pervers et erratiques (comme ces quatre quinquagénaires sur le point de violer une gamine esseulée aux abords de la forêt). Un mystérieux film de souvenir familial tourné en super 8 semble dévoiler les rapports masochistes de Juan avec ces 3 cousines complices, alors que l'une d'entre elles était éprise d'affection pour lui. De surcroît, une célèbre comptine (Frère Jacques, sonne les matines !) est régulièrement fredonnée par des voix enfantines annonçant implicitement le fameux chapitre final à tiroirs auquel un personnage clef va subitement intervenir. Chaque séquence inopinée dévoilant ingénieusement des situations insolubles à présager, une manière habile d'exacerber ce sentiment rare de vivre une expérience horrifique hors des sentiers battus. Là où chacun des protagonistes suspicieux, perplexes et aigris de leur existence nonchalante, semble errer dans un environnement blafard. On peut justement souligner en sous texte social le côté marginal et sexuellement émancipé du personnage principal (ses coucheries antécédentes avec des prostituées mais aussi avec l'une de ses cousines) mis en relief avec la bourgeoisie traditionnelle d'une tante rétrograde. Comme si le réalisateur semblait vouloir braver la dictature de son époque franquiste. Un gouvernement autoritaire et despotique régie de 1939 à 1975 par le chef de l'état et militaire  Francisco Paulino Hermenegildo Teódulo Franco y Bahamonde.


Habité par la prestance équivoque de femmes sexuellement refoulées et surtout par l'interprétation nébuleuse, car faussement docile, du français Renaud Verley, La Cloche de l'Enfer symbolise la rareté atypique tant il s'avère impossible d'évacuer l'étrangeté de son climat désincarné. Transcendé par une réalisation audacieuse et d'un parti pris esthétique rivalisant d'inventivité formelle, ce chef-d'oeuvre insolent est apte à se classer parmi les plus beaux specimens du fantastique ibérique.

05.10.11.   3
Bruno Matéï
                                       

mardi 4 octobre 2011

LA CHASSE AUX SORCIERES (The Crucible)


de Nicholas Hytner. 1996. U.S.A. 2h04. Avec Daniel Day Lewis, Winona Ryder, Paul Scofield, Joan Allen, Bruce Davison, Rob Campbell, Jeffrey Jones, Peter Vaughan, Karron Graves, Charlayne Woodard.
Sortie en salles en France le 26 Février 1997. U.S: 27 Novembre 1996

FILMOGRAPHIE: Nicholas Hitner est un réalisateur et producteur britannique né le 7 Mai 1956 à Manchester. 1994: La Folie du roi George. 1996: La Chasse aux sorcières. 1998: l'Objet de mon affection. Twelfth Night, or What You Will (télé-film). 2000: Danse ta vie. 2006: The History Boys.


En 1996, le peu prolifique Nicholas Hitner adapte à l'écran le fameux procès des sorcières de Salem de l'histoire coloniale des Etats-Unis qui fustigea dans le Massachusetts de l'an 1692 la condamnation et l'exécution de paysannes accusées de sorcellerie. Le film est adapté de la pièce à succès, The Crucible de Arthur MillerA Salem, une hystérie collective menée par la jeune Abigail semble apeurer toute la population après que d'innocentes femmes se soient retrouvées accusées à tort de sorcellerie. Jalouse car éperdument amoureuse de John Protor avec qui elle avait eu préalablement une liaison d'adultère, elle décide par esprit vindicatif de faire accuser la femme de ce dernier.Succès critique à l'époque de sa sortie, cette production hollywoodienne de 25 millions de dollars réunissant une pléiade de stars notoires décrit avec parcimonie le déclin d'une population villageoise terrorisée par les superstitions satanistes et de l'inquisition instaurées au début du 13è siècle. Cette juridiction ecclésiastique réprimait sans concession les crimes d'hérésie jusqu'au XVIè siècle. Par l'entremise d'une catin perfide et pernicieuse parvenant facilement à endoctriner dans son hérésie un groupe de jeunes filles terrorisées par son influence, la population de salem va être en proie à une véritable hystérie collective. Une paranoïa de grande ampleur, une progression dans la folie si savamment alimentée que le sinistre Révérend Hale va être amené à se déplacer pour se rendre sur les lieux afin de constater la potentielle emprise du Diable. Dès lors, d'innocentes villageoises ou des paysans infirmes sont condamnés de pactiser avec le démon pour être finalement pendus devant une population enflammée. Mais un autre procès tout aussi dérisoire se profile autour du couple John et Sarah Protor, accusés à leur tour par Abigail, rongée par la haine et la jalousie d'avoir été dépréciée par cet époux valeureux avec qui elle eut précédemment une brève relation d'adultère.


La force du récit réalisé dans une reconstitution soignée de l'époque médiévale (bien que les décors soient minimalistes) est d'illustrer avec intensité émotionnelle le destin tragique de villageois lambda injustement condamnés à mort pour des suspicions contraires à l'ordre moral du catholicisme. Entre les vrais responsables de cette imbécile paranoïa incongrue et l'impassibilité des hauts représentants tributaires de la foi chrétienne censés résolver une justice équitable, Nicholas Hytner dénonce l'hypocrisie de ces juges incapables d'éprouver une once de lucidité et de discernement face aux accusations délirantes assénées aux victimes. C'est l'obsession du puritanisme inculqué depuis des siècles et l'intégrisme religieux qui nous sont sévèrement dénoncés à travers l'autorité d'une juridiction totalitaire. La peur d'être accusé de sorcellerie pour se retrouver la corde autour du cou va inciter nombre de villageois a avouer des expériences occultes qu'ils n'ont jamais commis. Ou à contrario, tenter de dissuader le tribunal consulaire de ces accusations grotesques mais se retrouver inévitablement suspecté pour un motif absurde contraire à la morale de Dieu. La victime présumée, totalement démunie, se retrouve alors esseulée pour sa plaidoirie établie sans avocat devant leur tribunal érigé par l’Église. Daniel Day Lewis endosse avec ferveur et autorité spontanée un personnage humble inscrit dans la dignité humaine, la raison et la véritable foi de ne pas se laisser vilipender par les mensonges d'une catin au pouvoir de persuasion diabolique. Un homme prêt à fabuler pour signer la fraude d'un acte de rédemption afin d'échapper à la pendaison ou à contrario sauver en dernier recours son âme en guise de repentance pour ces honnêtes convictions. Une loyauté déférente de ne pas se résoudre à un simulacre judiciaire compromis avant tout pour endormir une population davantage anarchiste. La gracile Winona Ryder lui partage la vedette avec la conviction d'une démesure hystérique, personnage odieux de mégère responsable d'une hécatombe humaine. En épouse aimante et candide, Joan Allen s'avère particulièrement sobre et poignante dans sa loyauté inflexible à accepter la ferme décision de son époux à se sacrifier en désespoir de cause..

                                     

Les Sorcières de Salem.
Particulièrement intense, poignant, voir bouleversant vers son point d'orgue tragique, la Chasse aux sorcières est l'un des plus puissants réquisitoires contre l'intolérance, le puritanisme sectaire et l'influence néfaste que l'inquisition aie pu engendrer sur des engeances sans vergogne. Superbement interprété par des comédiens criant de sobriété dans leur humanité désespérée, cet implacable drame historique s'érige en triste témoignage pour fustiger l'obscurantisme moyenâgeux et les superstitions qui en émanent. 

Récompenses:
1998 : Sony Ericsson Empire Award de la meilleure actrice pour Joan Allen.
1997 : BAFTA du meilleur acteur pour Paul Scofield.
1997 : Critics Choice Award de la meilleure actrice pour Joan Allen.

04/10.11
Bruno Matéï


 

lundi 3 octobre 2011

MARTYRS. Méliès d'Argent du Meilleur Film Européen à Sitges 2008.



de Pascal Laugier. 2008. Canada/France. 1h37. Avec Morjana Alaoui, Mylène Jampanoï, Catherine Bégin, Robert Toupin, Patricia Tulasne, Juliette Gosselin, Xavier Dolan-Tadros, Isabelle Chasse, Emilie Miskdjian.

Récompenses: Mélies d'Argent du Meilleur Film Européen et Prix du Meilleur Maquillage au Festival de Sitges en 2008.

Sortie en salles en France le 3 Septembre 2008. U.S: 25 Septembre 2008

FILMOGRAPHIE: Pascal Laugier est un réalisateur Français né le 16 Octobre 1971.
Courts-Métrages:1993: Tête de Citrouille. 2001: 4è sous-sol. Longs-métrages: 2004: Saint Ange
2008: Martyrs. 2012: The Tall Man.


MARTYR: Un martyr (du grec ancien ,-υρος martus, « témoin ») est celui qui consent à aller jusqu’à se laisser tuer pour témoigner de sa foi, plutôt que d’abjurer.

Après son (injustement) décrié Saint-Ange, film fantastique tout en ambiance diffuse, Pascal Laugier revient quatre ans plus tard avec un film monstre, une expérience viscérale rarement vécue en interne de notre psyché malmené. Filmé à la manière d'un documentaire abrupt, Martyrs est un témoignage cru sur les sacrifices humains intentés par une bourgeoisie avide d'espoir spirituel. Dans les années 70, une jeune fille séquestrée et torturée pendant des mois par de mystérieux tyrans réussit à s'échapper de son cachot. 15 ans plus tard, après avoir été soignée dans un hôpital spécialisé, Lucie réussit à retrouver la trace de ses anciens bourreaux. Elle décide de leur rendre visite pour se venger du terrible traumatisme préalablement subi. Sa proche amie Anna va bientôt la rejoindre et constater l'horrible massacre perpétré.


Avertissement, et avant la conclusion de l'article, il est préférable d'avoir vu le film avant de lire ce qui va suivre !

Dès le prologue, âpre et haletant, nous sommes frappés par l'intensité émotionnelle qui en émane. Une jeune fille à moitié nue, lardée de cicatrices et de contusions sur le corps, s'enfuit d'un hangar à pieds nus, l'air hagard et terrorisée ! Ce préambule profondément dérangeant par son réalisme clinique, accentué d'une photographie désaturée, nous averti brutalement de l'austérité monolithique du metteur en scène irascible. Dans une structure narrative consciencieuse, Martyrs nous décrit sans concession le calvaire imposée à deux jeunes filles candides vouées à un destin martyr. C'est d'abord Lucie qui nous est caractérisée après son échappatoire de l'enfer, dans son refuge blême d'un centre hospitalier. Durant ces longues années d'internement, elle établit la rencontre d'Anna, une jeune fille empathique avec qui elle va entamer une profonde amitié. Sans cesse harcelée par ses visions horrifiques se matérialisant par l'épouvantable apparence d'une femme décharnée, Lucie reste profondément traumatisée par sa séquestration alors que les responsables n'auront jamais été retrouvés ni condamnés. Spoil ! Un jour, grâce à une photo d'article parue dans un journal, elle retrouve la trace de ses tortionnaires et décide de leur faire payer son impitoyable fardeau. Après que le massacre eut été commis, elle joint au téléphone sa fidèle amie pour l'avertir de son sanglant exutoire. Alors qu'Anna essaie de calmer Lucie, toujours persécutée par ses hallucinations morbides lui causant diverses scarifications qu'elle s'inflige sur son corps, elle se débarrasse péniblement des corps ensanglantés d'une famille au complet. Dans cette demeure bourgeoise d'apparence docile et vertueuse, on peut parfois entendre du sous-sol les agonies suppliciées de jeunes femmes prises en otage pour le compte d'une obscure confrérie. Fin du Spoil. Cet évènement inopiné va permettre de façon surprenante de relancer l'intrigue dans une épreuve atypique de survie contre la mort au prix de la piété religieuse !


Dans notre paysage hexagonal, jamais un film d'horreur d'une envergure aussi viscérale n'aura autant éprouvé et martyrisé son spectateur. A travers le calvaire jusqu'au-boutiste de deux jeunes filles livrées à elles-mêmes, Pascal Laugier nous emmène au coeur de l'enfer terrestre, dans une abominable expérience incongrue au seuil de l'au-delà. D'une portée mystique universelle que certains auront trouvé absurde (ou ridicule), Martyrs est un poème d'amour (noir) sur la solitude et l'endurance meurtrie de deux acolytes condamnés à souffrir leur désespoir. En prenant le contre-pied du divertissement sardonique gentiment compromis entre le spectateur et le réalisateur (Saw, Hostel et consorts), le réalisateur nous livre sans anesthésie ni complaisance rébarbative des séquences hardcores de violence acerbe infligées sur la victime. D'un réalisme estomaquant parfois insupportable pour les plus sensibles, ces séquences se déroulant durant le second acte nous met dans une situation encore plus gênante qu'au préalable car elle nous impose presque en temps réel le calvaire imbitable entrepris avec une nouvelle victime substituée à Lucie. Si l'on ressort de l'expérience Martyrs si ébranlé et péniblement affecté par la décrépitude autant morale que corporelle de Lucie et Anna, c'est parce que Pascal Laugier prime avant tout sur la psychologie névralgique de ses personnages fragiles et de cette violence putanesque justifiée par la cause d'une bourgeoisie mystique.


Peine d'amour au nom du Martyr.
Fragilisé par le talent ténu de deux actrices dévouées corps et âmes, Martyrs est une forme de chef-d'oeuvre maudit où l'horreur préconçue dépasse sa fonction de divertissement orthodoxe pour en extraire un drame humain profondément bouleversant et inoubliable (autant pour la compassion émise pour nos deux héroïnes que de l'horreur graphique qui en culmine). Nos frêles sentiments mis à nus s'avérant ici écorchés à vif pour mieux nous rappeler à l'ordre que la vie est une inépuisable défiance contre l'affliction. Là où des engeances aristocrates vendent leur âme afin de fuir leur médiocrité vers un ailleurs hypothétique et imprécis... La quête spirituelle de la paix éternelle nous laissant indubitablement dans le questionnement, nous n'avions plus qu'à attendre de rejoindre les suppliciées Lucie et Anna...

A Benoît...

Dédicace à Mathias Chaput 

03.10.11
Bruno Matéï

POLEMIQUE: Le 29 Mai 2008, à 13 voix contre 12, la commission de classification des oeuvres cinématographiques avait décidé d'interdire Martyrs aux moins de 18 ans. Suite à cette décision, de nombreuses voix se sont élevées, et une manifestation contre la censure et pour soutenir le cinéma de genre en France, s'était déroulée le 13 Juin 2008 devant le ministère de la culture à Paris. Y étaient présent, le metteur en scène Fernando De Azevedo, l'actrice Morjana Alaoui, ainsi que les membres de l'association du Club du Vendredi 13. Début juin, après que le réalisateur est venu défendre la question artistique de son film, la ministre de la Culture, Christine Albanel, a demandé à la commission une révision du classement, ce qu'elle fit le 1er juillet, en proposant une mesure d'interdiction du film aux moins de 16 ans avec avertissement.

Le point de vue de Olivier Strecker (réalisateur et passionné de cinéma de genre):
"Martyrs" c un film inclassable... au même titre que "baise moi" et "irreversible".... les FX de Benoit lestang sont et resterons mémorables puisque jamais en France personne n'avait créé un "costume" (à l'instar de prods US "hellraiser" ou italienne "La Chiesa" où benoit est d'ailleurs sous "la bête")..... Quant à la superbe musique de Seppuku Paradigm elle reste une des plus glaciale, triste et mémorable dans la tête des fans du genre..... tout ceci fait de "martyrs" une oeuvre à part ! un chef d'oeuvre ? (c quoi d'abord un "chef d'oeuvre "?) en tous cas "martyrs" est et restera une oeuvre majeure dans le cinéma français... on nous a habitué à un cinéma frileux et gracement subventionné pour faire des nazeries... avec plus de 25 ans de ciné en tant qu'exploitant en salles de ciné "martyrs" EST le film de la controverse !!!!! et ça c'est bon..."
Et si je peux me permettre en sus, "martyrs" est une perle rare dans le cinéma français....j'avais les larmes aux yeux sur la scène finale... des larmes pour la violence du film... des larmes pour Benoit...


Mathias Chaput:
Véritable film « coup de poing », « Martyrs » réconcilie avec le cinéma de genre tricolore, jusqu’ici bien moribond…
Laugier parvient à capter la viscéralité de ses personnages de façon si dense et habile que l’on ne peut qu’éprouver une immense empathie pour ces derniers.
Des plans-séquences d’une fluidité hors du commun confèrent à instaurer une grâce rarement atteinte jusqu’alors…
Un vrai électrochoc, mais parfaitement mesuré et exempt du moindre voyeurisme, ici on fonctionne sans parti pris ni scènes outrancières mais bien dans la beauté du décharnement, dans l’accomplissement de deux destinées que tout oppose et sépare, jusqu’à une conciliation du fait des événements, tenants et aboutissants d’une vengeance ancrée à postériori…
Lucie et Anna (jouées magistralement par Mylène Jampanoi et Morjana Alaoui) sont des filles perdues à jamais, confrontées dans une spirale dédalesque où l’issue ne peut qu’être funeste et la souffrance omniprésente…
Mesurant cet aspect de ses personnages, Laugier a pris le choix de jouer la carte de l’émotionnel et le tout fonctionne de façon sidérante !
Il faut y voir un immense professionnalisme de sa part et une originalité s’articulant avec une histoire super casse gueule si on l’appréhende sans talent…
Mais Laugier a su insuffler la grâce par le biais de sa direction d’acteurs, précise et méticuleuse, et par une approche mystique justifiant le dénouement du métrage, bluffant le spectateur par son culot et l’aspect novateur qu’elle procure au genre…
Il n’y a pratiquement rien à redire devant cette maestria cinéphilique, humaine, juste et d’un aspect certes perturbant pour certains, mais qui restera une pierre angulaire du cinéma contemporain, dont on sort « collapsé » et bizarrement, rassuré et vidé…
Une vision expérimentale du septième art en quelque sorte mais en tous points maitrisé via une réalisation épurée et des passage très marquants qui vous hanteront à jamais…
Morjana si un jour tu lis ces lignes, « Je t’aime »…

10/10

dimanche 2 octobre 2011

DEAD MAN'S SHOES


de Shane Meadows. 2004. 1H30. Grande Bretagne. Avec Paddy Considine, Gary Strecth, Tony Kebbel, Jo Hartley, Seamus O'Neill.

FILMOGRAPHIE: Shane Meadows est un cinéaste anglais né à Uttoxeter, dans le Staffordshire, le 26 décembre 1972.
1996: Small Time, Where's the Money, Ronnie ?
1997: 24 heures sur 24
1999: A room for Romeo Brass
2002: Once Upon a Time in the Midlands
2004: Dead Man's Shoes. Northern Soul.
2005: The Stairwell
2006: This is England
2008: Somers Town


Sortie en salles en France le 8 Octobre 2004. Royaume Uni: 1er Octobre 2004. Canada: 14 Septembre 2004.

Notes: Pour les besoins du tournage de Dead Man's Shoes, Paddy Considine (scénariste) et Shane Meadows (réalisateur et scénariste) ont fait appel à un membre de leur famille respective : le premier a demandé à Matt Considine, et le second a fait appel à Arthur Meadows, leur conjoint.
Un message marque la fin du générique : « In memory of Martin Joseph Considine », que l'on peut traduire par « En mémoire de Martin Joseph Considine ». C'est le père de Paddy Considine. En effet, juste avant de mourir, ce dernier a déclaré vouloir que son fils collabore une nouvelle fois avec Shane Meadows.

Le sujet: Richard revient à Midlands, son village natal, à la fin de son service militaire. Il n'a plus qu'une chose à l'esprit : prendre une revanche sur un acte impardonnable.


Sixième réalisation du british  Shane Meadows, Dead Man's Shoes est un magnifique drame psychologique affilié au vigilante movie bucolique. L'originalité est privilégiée dans sa mise en scène inspirée et déroutante auquel le metteur en scène souhaite renouveler le thème vindicatif mainte fois adapté au cinéma.
C'est l'histoire implacable d'un châtiment de cécité d'un homme fustigé, annihilé par la douleur de la perte d'un être cher. Son frère Anthony, attardé mental et souffre douleur est à portée de main d'une bande de petites crapules lambda. Des dealers de came réfugiés dans une contrée reculée de l'Angleterre vers le village de Midlands. Dès le prologue, nous faisons connaissance avec le portrait véreux de ces malfrats de bas étage, assez criant de vérité dans leur trogne familière d'authentiques gueules de fripouilles à la petite semaine. D'entrée de jeu, Richard, le frère meurtri revenu de son service militaire, (magnifiquement campé par un ombrageux et dérangé Paddy Considine),  établira ses conditions drastiques à un des membres de la bande en lui témoignant de façon préméditée qu'il les tuera un à un sans une guise d'hésitation. Et il faut voir de quelle manière l'homme impassible s'extériorise en tant qu'être déshumanisé pour démontrer à ces monstres (terme qu'il emploiera vers le dénouement pour les juger) qu'il sera prêt à tout pour les exterminer. En prime, il va s'accoutrer maladroitement d'un masque à gaz plaqué sur son visage et d'une combinaison grise de travail en guise de camouflage. Une panoplie grotesque pour mieux iconiser son acuité interne de colère, cette montée envahissante de la haine décuplée. Une adrénaline alimentée par l'esprit vindicatif et d'une justice expéditive sans concession. Dès lors, son unique ambition est de faire subir aux tortionnaires la sanction punitive et méritoire.


S'ensuit une succession de scènes déconcertantes, entre humour noir rebutant, rire nerveux et violence consumée comme cette scène hallucinée ou la bande décervelée se retrouve malencontreusement droguée grâce au café que Richard, emmitouflé en fantôme masqué, aura réussi à frelater durant un simple moment d'inadvertance des soulards. Une scène psychédélique planante et désincarnée, fragile et dérangeante, d'une incroyable force émotionnelle dans sa folie sensitive. Un véritable cauchemar surréaliste auquel ces marionnettes transies par l'acide vont être en proie à un déchaînement de violence rigoureuse, surtout quand elles s'apercevront dans un état mental comateux qu'elles sont entrain de vivre leur ultime instant. Jusqu'à ce qu'une balle mortelle ne vienne se figer directement dans la tête de l'un des condamnés. Une scène cinglante qui laisse sans voix, mise en exergue sur l'âpreté d'un climat réaliste souscrit sans fioriture !

Durant la première heure, Dead Man's Shoes est rempli de séquences fortuites dans la forme, dans la banalité et le quotidien de ces dealers journaliers. Entre ces nombreux flashs-back remémorant au spectateur les exactions des supplices perpétrés sur Anthony et la mission vengeresse de Richard illustrée sous une forme baroque. Une nuance insolite privilégiée par une réalisation adroite constamment surprenante et originale, qui, mine de rien, finira par nous mener vers une issue irréversible ! Vers une cérémonie funèbre à l'impasse fatale tristement tragique !
Dans cette mise en scène peu commune il y a des situations volontairement grotesques comme si nous nous étions retrouvés à la lisière d'un film de Ken Loach pour son hyper réalisme social et ses personnages plus vrais que nature, et le cinéma de Joel et Ethan Cohen dans sa mise en scène détachée, assez décalée. Entre réalité saugrenue, inconvenance, humour incontrôlée, causticité et cynisme inopiné.
La dernière demi-heure optera un ton plus grave et opaque, véritable chemin de croix et de rédemption. Un lancinant chant mortuaire à tendance religieuse dans sa quête désespérée de la repentance, que ce soit du côté des victimes ou du bourreau. Car les monstres ne feront plus qu'un et la mort élégiaque sera le seul échappatoire à toute cette misérable besogne.


Interprété par des comédiens austères surprenant de naturel, émaillé de superbes morceaux musicaux nonchalants et réalisé sans outrance spectaculaire, Dead Man's Shoes est une oeuvre puissante qui laisse des séquelles irrémédiables. Un bouleversant réquisitoire contre la vengeance et la rancune. ATTENTION SPOILER !!!!!!!!! Un ovni atypique d'autant plus déroutant que le meurtre n'était ici qu'un simulacre pour dénoncer un exutoire suicidaire. FIN DU SPOILER.


Récompenses:
2004 : Golden Hitchcock au Festival du film britannique de Dinard
2005 : Prix de la meilleure réalisation au Directors Guild of Great Britain
2005 : Empire Award du meilleur acteur dans un film britannique
2005 : Evening Standard British Film Awards du meilleur acteur

27.03.10
Bruno Matéï

samedi 1 octobre 2011

L'Homme sans Ombre / Hollow Man. Director's cut


de Paul Verhoeven. 2000. U.S.A. 1h59. Avec Elisabeth Shue, Kevin Bacon, Josh Brolin, Kim Dickens, Greg Grunberg, Joey Slotnick, Mary Randle, William Devane, Rhona Mitra, Pablo Espinosa, Margot Rose.

Sortie en salles en France le 20 Septembre 2000. U.S: 4 Août 2000

FILMOGRAPHIE: Paul Verhoeven est un réalisateur néerlandais né le 18 Juillet 1938 à Amsterdam (Hollande). 1971: Business is business, 1973: Turkish Délices, 1975: Keetje Tippel, 1977: Le Choix du Destin, 1980: Spetters, 1983: Le 4è Homme, 1985: La Chair et le Sang, 1987: Robocop, 1990: Total Recall, 1992: Basic Instinct, 1995: Showgirls, 1997: Starship Troopers, 2000: l'Homme sans Ombre, 2006: Black Book.


Trois ans après sa satire anti militariste avec le génialement belliqueux Starship Troopers, Paul Verhoeven aborde aujourd'hui le mythe de l'homme invisible en façonnant à sa manière politiquement incorrecte la thématique du mal inné en chaque être humain. Le PitchUn scientifique surdoué est sur le point de trouver la formule idoine pour rendre invisible toute forme humaine ou animale. Après avoir tenté l'expérience sur un gorille, il s'administre le sérum dans ses propres veines et se retrouve dénué d'enveloppe corporelle. Le problème est qu'il ne retrouve plus son apparence originelle après s'être réintroduit le produit. Peu à peu, il semble particulièrement fasciné par son immense pouvoir au point de sombrer dans une folie meurtrière. 


Mené à un rythme infernal et diaboliquement sardonique, notre pourfendeur hollandais Paul Verhoeven nous concocte ici une série B survitaminée privilégiant de prime abord un sens de l'efficacité imparable. Tant au niveau des effets spéciaux assez réussis (même si par moments perfectibles) et constamment inventifs que de la conduite du récit continuellement captivant car mené avec une vigueur roublarde pour nous clouer sur son siège. La première partie illustrant le déroulement du protocole mené par un groupe de scientifiques appâtés par la gloire, s'approprie déjà d'un caractère spectaculaire en utilisant ingénieusement un florilège d'effets spéciaux assez réaliste pour authentifier l'invisibilité du sujet expérimenté. La manière retorse dont Verhoeven utilise son artillerie de trucages novateurs n'est jamais gratuite pour à contrario servir sa trame davantage perfide et délétère comme le soulignera la seconde partie autrement horrifique. Si bien qu'en ce qui concerne l'argument plutôt ombrageux, le réalisateur dépeint le profil d'un ambitieux personnage dépassé par sa prodigieuse invention scientifique qu'il a lui même façonné mais qui va peu à peu la mener à sa perte pour le faire sombrer dans une haine bestiale. Car frustré et jaloux de ne pouvoir renouer avec sa précédente idylle partie batifoler dans les bras d'un autre scientifique, Sebastian utilisera son nouveau don de l'invisibilité pour se venger de ses comparses et de sa société prête à le congédier, faute de son échec professionnel. Or, c'est d'abord la frustration sexuelle qui intéresse ici Paul Verhoeven lorsque notre antagoniste, incapable de refréner ses pulsions et dépité de son échec sentimental s'entreprend à pénétrer par effraction chez une de ces voisines pour la mater tel un vulgaire voyeur pour finalement oser la violer sauvagement. D'avantage conscient de ses capacités illimitées à pouvoir envisager des exactions immorales de par l'invisibilité de son identité, Sebastian, toujours plus rancunier, opportuniste et avide d'orgueil se laisse attendrir par sa haine véreuse et sa révolte capricieuse pour se permettre le crime en série.


La seconde partie se focalise enfin vers une bondissante traque inlassable, une course poursuite aussi haletante que spectaculaire amorcée par notre groupe de scientifiques piégés à l'intérieur de leur labo par leur ancien leader déterminé à les exécuter un à un. Chaque péripétie remarquablement gérée d'une caméra virtuose utilise avec beaucoup d'efficacité l'environnement labyrinthique d'un bâtiment industriel. De surcroît, une multitudes d'idées ingénieuses sont habilement exploitées lorsque nos protagonistes vaillants vont se défendre contre la menace omniprésente de l'homme sans ombre apte à se camoufler dans n'importe quel recoin. Et pour pimenter la frénésie des rebondissements, les mises à morts sanglantes sont violemment brutales, cinglantes, pour ne pas dire sans concession ! 
Comme disait Hitchcock, plus le méchant est réussi, meilleur le film sera ! Et on peut dire ici que le leitmotiv est respecté à la lettre tant Kevin Bacon endosse avec machiavélisme inné le rôle mégalo d'un odieux tortionnaire misanthrope subitement éludé de toute moralité pour sa quête personnelle du pouvoir le plus immoral. En effet, que ferions nous en pareil cas si nous avions un jour la capacité de se retrouver invisible ? Comme le héros, notre âme pourrait-elle se laisser happer par l'influence de nos bas instincts pour nous mener vers une déviance perverse volontairement assumée ! La ravissante Elisabeth Shue apporte également une étonnante ferveur auprès de son courage hors normes à combattre son ennemi et sauver ses acolytes pour la quête de leur survie. Sa présence non dénuée de charme lascif exacerbe le rythme échevelé des incidents à travers son interminable point d'orgue explosif culminant son apothéose dans la cage abyssale d'un ascenseur erratique. Une séquence explosive très impressionnante sous l'impulsion d'un réalisme effréné remarquablement monté !


Hormis un épilogue bizarrement conventionnel virant dans la facilité redondante, Hollow Man puise son impact émotionnel et sa percutante vigueur dans l'utilisation finaude de ses incroyables effets spéciaux au service d'une narration redoutablement fétide. En effet, son attrait contestataire ne manque pas de mordant pour exploiter avec ironie insolente sa thématique du Mal auquel l'homme opportuniste et mégalo est apte à commettre le pire pour parvenir à ses fins. Rondement mené sans temps morts et  fougueusement interprété par des comédiens au jeu communément contrarié et pugnace, ce divertissement indocile demeure constamment haletant, inquiétant, terrifiant même, avec jubilation.

*Bruno
Dédicace à Nelly Ruuffet 
30.01.24. 3èx
02.11.11.