vendredi 9 août 2013

Drugstore Cowboy

                                                   Photo empruntée sur Google, appartenant au site tvclassik.com

de Gus Van Sant. 1989. U.S.A. 1h40. Avec Matt Dillon, Kelly Lynch, James LeGros, Heather Graham, William S. Burroughs.

FILMOGRAPHIE: Gus Van Sant est un réalisateur, directeur de photo, scénariste et musicien américain, né le 24 Juillet 1952 à Louisville dans le Kentucky. 1985: Mala Noche. 1989: Drugstore Cowboy. 1991: My Own Private Idaho. 1993: Even Cowgirls get the blues. 1995: Prête à tout. 1997: Will Hunting. 1998: Psycho. 2000: A la rencontre de Forrester. 2002: Gerry. 2003: Elephant. 2005: Last Days. 2007: Paranoid Park. 2008: Harvey Milk. 2011: Restless. 2012: Promised Land.


Adapté du livre éponyme de James Fogle, Drugstore Cowboy retrace l'équipée échevelée de deux couples de junkies adeptes des cambriolages auprès de pharmacies et hôpitaux du coin afin de se ravitailler en drogue. Mais la mort par overdose d'une de leur camarade contraint leur leader de décrocher pour s'éloigner vers un centre de désintoxication. En réfutant les habituelles conventions du genre, Gus van Sant réalise ici un drame social peu commun à travers son traitement infligé à l'addiction des psychotropes, et ce en privilégiant un climat hermétique émaillé de plages de poésie (les délires éthérés de Bob sous l'emprise des pilules bleues) et d'une certaine dérision (la cohérence de ses superstitions et ses duperies amorcées contre les flics). En l'occurrence, pas de toxico famélique en état de manque ni de deal entre acheteurs et encore moins de sniff de cocaïne ou d'héroïne. Mais une équipe soudée de jeunes marginaux particulièrement véloces dans leur habileté à forcer les portes de pharmacies ou d'hôpitaux afin de se procurer médocs et pilules antalgiques. Ainsi, avec une rare intensité et un semblant de véracité fascinant, nous suivons dans un premier temps l'escapade délinquante de ce groupe de junkies mené par un leader imperturbable. Le réalisateur nous relatant leurs tribulations frénétiques avec souci de réalisme introspectif pour mettre en exergue leur angoisse paranoïaque émanant d'une routine insécuritaire. Dans la mesure où nous sommes véritablement immergés dans leur contrainte de s'adonner aux fraudes de stupéfiants et diverses magouilles pour déjouer les perquisitions policières. 


Porté à bout de bras par la prestance exceptionnelle de Matt Dillon, Drugstore Cowboy est érigé sous sa hiérarchie avec une stoïcité implacable afin de mieux régir son groupe d'associés. En junkie superstitieux (il craint la malédiction des chapeaux, des chiens et des miroirs !) redoublant de risques insensés, l'acteur est notamment habité d'une lassitude sous-jacente dans sa quête d'abdiquer son existence illusoire bâtie sur le mensonge et le vol. Spoil ! Enfin, la dernière partie, plus abstraite et moins accessible, nous illustre la repentance de Bob afin de fuir sa sombre destinée à la suite du décès par overdose de sa collègue nadine. De retour vers sa contrée, il renoue avec une vieille connaissance, un philosophe décrépit toujours avide de shoot à l'hydromorphone (dérivé semi-synthétique de la morphine établi sous l'enseigne de Dilaudid), et tente de retrouver une existence docile dénuée d'oppression. Avec une ambition personnelle, Gus Van Sant nous illustre son sevrage d'une manière hétérodoxe en évitant une fois encore le traitement académique. Délibéré à changer de vie, Bob renoue avec l'existence banale du prolétaire dans l'étroitesse de son appartement en espérant peut-être un jour revoir débarquer sa dulcinée. Fin du Spoil. Sur le papier, cela peut paraître aseptique mais Gus Van Sant l'arbore avec l'art de sa mise en scène.  Avec lucidité abstraite, il met en avant la délicate réinsertion du malade dans une société fluctuante (nous sommes en 1971 et la politique commence à exploiter le sujet de la drogue pour leur campagne électorale) et cette (fausse) liberté de renouer avec une existence morose. En résulte une ambiance diaphane difficilement discernable et un sentiment de nonchalance suggéré par l'ancien drogué pour ses années de galère dépendantes d'emprise de drogues. La quête d'un semblant d'épanouissement mais l'essentialité de pouvoir vivre libre avant que le passé des mauvaises fréquentations ne revienne faire surface...


J'étais toujours en vie. J'espère qu'ils m'empêcheront de mourir...
Superbement mis en scène par un auteur inspiré d'expérimentation onirique et de souci d'authenticité pour l'encadrement familier géré autour des quatre junkies en perdition, Drugstore cowboy confine au chef-d'oeuvre désabusé. Le plus singulier des drames existentiels abordant sans effet de fioriture le tabou de la drogue avec un pouvoir d'immersion prédominant. 

*Bruno
09.08.13. 3èx


jeudi 8 août 2013

L'ANGE DE LA VENGEANCE (MS. 45)

                               Photo empruntée sur Google, appartenant au site blackcatboneseditions.blogspot.com

d'Abel Ferrara. 1981. U.S.A. 1h20. Avec Zoë Lund, Albert Sinkys, Darlene Stuto, Helene McGara, Nike Zachmanoglou, Abel Ferrara.

Sortie salles France: 18 Août 1982. Sortie salles U.S: 24 Avril 1981

FILMOGRAPHIE: Abel Ferrara est un réalisateur et scénariste américain né le 19 Juillet 1951 dans le Bronx, New-York. Il est parfois crédité sous le pseudo Jimmy Boy L ou Jimmy Laine.
1976: Nine Lives of a Wet Pussy (Jimmy Boy L). 1979: Driller Killer. 1981: l'Ange de la Vengeance. 1984: New-York, 2h du matin. 1987: China Girl. 1989: Cat Chaser. 1990: The King of New-York. 1992: Bad Lieutenant. 1993: Body Snatchers. Snake Eyes. 1995: The Addiction. 1996: Nos Funérailles. 1997: The Blackout. 1998: New Rose Hotel. 2001: Christmas. 2005: Mary. 2007: Go go Tales. 2008: Chelsea on the Rocks. 2009: Napoli, Napoli, Napoli. 2010: Mulberry St. 2011: 4:44 - Last Day on Earth.


Inspiré par les célèbres Un Justicier dans la Ville et Crime à FroidAbel Ferrara nous propose en 1981 un rape and revenge singulier dans son alliage de violence crue (viol sordide exécuté au coin d'une décharge, citadins froidement canardés par balles !), d'horreur et de fantastique (son point d'orgue onirique au sein du bal costumé est entaché de la folie meurtrière d'une nonne vengeresse !). 
Autour de la présence de la néophyte Zoë Lund (née Zoë Tamerlis), l'Ange de la vengeance révèle une actrice d'une beauté charnelle voluptueuse auquel son magnétisme trouble est exacerbé d'un regard glacial inscrit dans le mutisme. Profondément traumatisée à la suite de son double viol, cette jeune couturière va sombrer dans une folie meurtrière irréversible après avoir découpé en morceau sa première victime. En ange exterminatrice, Thana décide de s'afficher en vamp lascive dans un New-York décrépit afin d'attirer les mâles lubriques issus des bas-quartiers. 


Avec réalisme glauque et souci documentaire pour mieux retranscrire l'urbanisation d'un New-York insalubre, Abel ferrara redouble de provocation en iconisant une féministe atteinte d'aphasie. Une justicière des temps modernes délibérée à reprendre sa revanche sur les machistes impénitents avec la violence d'un calibre 45. Auparavant objet de pureté dans sa virginité introvertie, Thana décide aujourd'hui de se substituer en nonne véreuse. L'aura de souffre qui émane de ses exactions mesquines, l'accoutrement aguicheur de sa posture sensuelle et la figure symbolique allouée à une religieuse maléfique marquent durablement les esprits dans un pouvoir de fascination diaphane. La puissance d'évocation de ces images blasphématoires (Thana embrassant d'un rouge à lèvre scintillant chaque balle de son revolver) est d'autant plus irréelle qu'Abel Ferrara utilise une dissonance musicale particulièrement dérangeante dans ces échos à répétition. Parfois, il s'emploie également à provoquer un malaise tangible quand un déséquilibré dépressif décide d'emprunter l'arme de son interlocutrice pour se suicider d'une balle dans la tête devant son témoignage médusé ! Sans concession, Ferrara perdure dans l'oppression avec un final anthologique au paroxysme de l'horreur. Au sein d'un bal costumé arborant la fête d'Halloween, il improvise la technique du slow motion afin de chorégraphier une tuerie sanglante perpétrée par notre nonne endiablée ! Spoiler !!! Et ce juste avant que cette dernière, mortellement blessée par un tiers, s'exclame de douleur pour lui proférer le mot "soeur" ! Fin du SPOILER


Sous l'impulsion archétypale de Zoë Tamerlis et autour du thème religieux violemment singé, Abel Ferrara transcende l'adaptation d'un rape and revenge féministe. Emaillé de fulgurances visuelles par le biais d'une maîtrise technique assez inventive, l'Ange de la vengeance symbolise le culte d'une chasteté sous l'égide d'une vengeance criminelle.

08.08.13. 4èx
B-M

mercredi 7 août 2013

LA BETE DE GUERRE (The Beast of War). Meilleur film du Festival international du film de Cleveland, 1988

                                          Photo empruntée sur Google, appartenant au site cinemapassion.com

de Kevin Reynolds. 1988. U.S.A. 1h51. Avec George Dzundza, Jason Patric, Steven Bauer, Stephen Baldwin, Don Harvey, Kabir Bedi, Erick Avari.

Sortie salles: 7 Septembre 1988

Récompense: Meilleur film du Festival international du film de Cleveland, 1988.

FILMOGRAPHIE: Kevin Reynolds est un réalisateur, scénariste et producteur américain né le 17 Janvier 1952 à San Antonion, Texas.
1985: Une Bringue d'enfer. Histoires Fantastiques (Epis, vous avez intérêt à me croire). 1988: La Bête de Guerre. 1991: Robin des Bois, prince des voleurs. 1993: Rapa Nui. 1995: Waterworld. 1998: 187 Code Meurtre. 2002: La Vengeance de Monte Cristo. 2006: Tristan et Yseult.


Quand, blessé et gisant dans la plaine Afghane, tu vois bondir la femme coupeuse d'entrailles. Saisis ton fusil, fais-toi sauter la cervelle. Et rends-toi à Dieu en soldat.
Rudyard Kipling

Bien avant sa réactualisation de Robin des Bois et le mésestimé Waterworld, Kevin Reynolds s'était tenté au film de guerre avec La Bête de Guerre. D'après une pièce de théâtre de William Mastrosimone, le pitch nous relate l'expédition meurtrière d'un groupe de soldats russes équipés d'un char d'assaut pour massacrer un village afghan durant la guerre en 1981. Egarés en plein désert aride, ils vont devoir faire face à la résistance des Moudjahiddins, délibérés à se venger avec une rancoeur inébranlable. Mais durant cette traque sans relâche, un conflit d'autorité éclate entre le soldat Koverchenko et son commandant tyrannique, Daskal. 


Avec la densité d'un scénario charpenté multipliant les revirements fortuits, la Bête de Guerre joue la carte du film d'action en privilégiant l'humanité conflictuelle entre ethnie distincte. Tant du côté des russes auquel un commandant opiniâtre va risquer d'entraîner son équipe vers une déroute que du côté des Moudjahiddins, afghans motivés par la vengeance mais dont leurs femmes rebelles sont encore plus engagées d'un fiel expéditif. Au prémices de son prologue ultra violent, une inévitable empathie se créé avec le spectateur, témoin malgré lui d'un carnage commis par les soviets sur des civils afghans. La faute en incombe principalement à l'autorité impitoyable du leader particulièrement égotiste et sanguinaire. Alors qu'une course poursuite est entamée à travers le désert entre afghans et russes pour regagner leur frontière, le soldat Koverchenko finit par discerner la hiérarchie dictatoriale de son commandant. Leur discorde va d'ailleurs éclater à la suite de la mort de l'un d'eux volontairement exécuté par ce dernier ! Abandonné des siens et prisonnier des rebelles, Koverchenko va devoir négocier sa survie auprès des Moudjahiddins et élaborer parmi leur soutien sa propre vendetta. Cet enchaînement de situations improvisées où un jeune soldat russe est contraint de se solidariser avec le camp ennemi donne lieu à une réflexion sur la vengeance et l'absurdité des conflits guerriers où la moralité n'a plus lieu d'être. Car comme l'évoquera Koverchenko, il n'y a pas de bons soldats dans une sale guerre ! Seulement des anti-héros combattant l'ennemi avec une haine contagieuse pour le prix du déshonneur ! Avec maîtrise technique et emploi leste de sa scénographie, Kevin Reynolds sait distiller le danger sous-jacent et dose habilement l'action avec une efficacité compromise aux motivations mesquines de nos militaires. Parfois atmosphérique, l'ambiance solaire et crépusculaire renforce l'aspect photogénique du désert au son feutré d'un score envoûté. Enfin, la présence dantesque, quasi indestructible du fameux tank auquel nos soldats russes ont l'aubaine de se protéger renforce le côté homérique d'une situation de crise où l'enjeu n'est qu'une question de survie. 


Spectaculaire, intense et épique, La bête de Guerre fait la part belle à l'aventure belliqueuse et l'humanité de ces résistants pugnaces confrontés entre le devoir de justice par leur rancoeur meurtrie mais aussi l'amnistie chez la repentance du rival. 

07.08.13
B-M

mardi 6 août 2013

Le Monstre du Train / Terror Train

                                            Photo empruntée sur Google, appartenant au site impawards.com

de Roger Spotiswoode. 1980. U.S.A/Canada. 1h37. Avec Jamie Lee Curtis, Ben Johnson, Hart Bochner, David Copperfield, Derek McKinnon, Sandee Currie.

Sortie salles France: 17 Juin 1981 (Int - 18 ans). U.S: 3 Octobre 1980

FILMOGRAPHIERoger Spottiswoode est un réalisateur, monteur, producteur et scénariste canadien, né le 5 Janvier 1945 à Ottawa (Canada). 1980: Le Monstre du Train. 1981: 200 000 Dollars en cavale. 1983: Under Fire. 1986: La Dernière Passe. 1988: Randonnée pour un Tueur. 1989: Turner et Hooch. 1990: Air America. 1992: Arrête ou ma mère va tirer ! 1994: Mesmer. 1997: Demain ne meurt jamais. 2000: A l'aube du 6è jour. 2003: Spinning Boris. 2005: Ripley Under Ground. 2007: J'ai serré la main du Diable. 2008: Les Orphelins de Huang Shui.


En plein essor du psycho-killer, le néophyte Roger Spottiswoode (futur réal d'Under Fire) profite du filon commercial lancé par Carpenter avec Halloween pour entreprendre ses premières armes derrière la caméra. Slasher académique au canevas éculé émaillé de situations décousues (à l'instar du procès intenté au magicien en guise de culpabilité), le Monstre du Train réussit néanmoins à sortir son épingle du jeu de par sa scénographie restreinte allouée au chemin de fer superbement exploité lors du réveillon de la nouvelle année. Qui plus est, afin d'y pimenter l'horreur ludique et sortir quelque peu des sentiers battus, le réalisateur nous caractérise habilement un tueur fou multiforme à travers l'accoutrement de ses déguisements afin de mieux duper ses prochaines victimes (et le spectateur). Enfin, c'est la scream queen des eighties, Jamie Lee Curtis, qui endosse à nouveau l'archétype de la victime pourchassée par le maniaque avec un sens de bravoure pugnace véritablement convaincant. Ainsi, en dépit d'une première demi-heure un peu languissante (se contenter d'observer les pitreries de jeunots en état d'ébriété la veille du nouvel-an pendant qu'un magicien - David Copperfield himself - compose ses tours de prestige), la modeste série B finit par prendre son envol au fil du troisième homicide.


C'est à dire au moment où le conducteur de train (le vétéran Ben Johnson se livre avec probité) s'aperçoit que deux crimes ont été sauvagement perpétrés et lorsque Alana (Jamie Lee Curtis) présage le danger en étroit rapport avec une réminiscence intrinsèque. Pour ce faire, le prologue nous eut averti qu'à la suite d'une macabre blague de potache initiée de son gré, un jeune puceau timoré se retrouva finalement interné en cellule psychiatrique pour raison traumatique. Trois ans plus tard, celui-ci refoulé décide ainsi d'accomplir sa vengeance auprès de ses anciens camarades, accoutrés pour l'occasion festive de masques de carnaval dans l'enceinte d'un train. Sur ce dernier point, Roger Spottiswoode exploite donc à bon escient le cadre restreint de ces compartiments si bien qu'un effet de claustration nous est habilement rendu. Les courses poursuites amorcées à travers les corridors et les altercations en interne des chambres provoquant d'autre part une certaine angoisse en dépit de quelques incohérences téléphonées (telle cette victime préalablement appréhendée par les pieds et n'apportant ensuite aucune résistance au meurtrier après avoir réussi à s'en dépêtrer). Toujours affublé d'un déguisement distinct, notre tueur insuffle notamment une petite tension paranoïde auprès des voyageurs toujours plus contrariés par sa présence insidieuse ! D'ailleurs, le final haletant entamé avec Alena nous accorde un rebondissement inopiné vis à vis de sa supercherie d'y duper à nouveau son entourage sous un habile camouflage !


Psycho killer mineur au sein de la décennie 80, Le Monstre du Train reste toutefois suffisamment efficace, sympathique, atmosphérique et donc quelque peu ombrageux pour contenter l'amateur en dépit d'une première partie un tantinet inféconde. La présence lascive de Jamie Lee Curtis, l'utilisation amusée de 2/3 jump scares, l'ambiance claustro régie au sein du wagon et la manière habile dont le tueur protéiforme est mis en évidence demeurant d'honorables ressources. 

*Bruno 
03.02.23. 4èx. vf
06.08.13. 

lundi 5 août 2013

MUD - Sur les rives du Mississipi

                                                Photo empruntée sur Google, appartenant au site collider.com

de Jeff Nichols. 2012. U.S.A. 2h15. Avec Matthew McConaughey, Tye Sheridan, Jacob Lofland, Reese Witherspoon, Sarah Paulson, Ray McKinnon, Sam Shepard, Michael Shannon.

Sortie salles France: 1er Mai 2013. U.S: 26 Avril 2013

FILMOGRAPHIE: Jeff Nichols est un réalisateur et scénariste américain, né le 7 décembre 1978 à Little Rock, Arkansas (Etats-Unis). 2007: Shotgun Stories. 2011: Take Shelter. 2012: Mud.


Un an après son coup de maître Take Shelter, Jeff Nichols nous revient avec un drame naturaliste sur fond de thriller intense où les thèmes de l'amour et de la paternité sont mis en exergue parmi le témoignage candide d'un adolescent en quête de repère. Le PitchDeux adolescents découvrent la présence d'un vagabond armé aux abords du fleuve du Mississippi. Afin de se justifier, il leur explique qu'il fut contraint d'occire un homme pour protéger sa dulcinée. Quelque peu dubitatifs, Ellis et Neckbone finissent par se laisser convaincre et décident de lui prêter main forte afin de pouvoir réparer un bateau pour sa prochaine escapade. A travers une photo immaculée transcendant la beauté naturelle du Mississippi (couchers de soleil crépusculaires à l'appui !), Mud nous retrace le destin d'un fugitif à bout de course et l'initiation d'un gamin sur le fondement de l'amour. Ainsi, de par ces deux personnages à la complicité amicale davantage tangible, Jeff Nichols développe leur état d'âme dans une logique de sentiments et de paternité. Si bien qu'ici, outre l'étude caractérielle de deux héros en proie à l'incertitude, on nous évoque la désillusion amoureuse du point de vue du père d'Ellis (il est sur le point de se séparer de son épouse), de la maîtresse de Mud (en pleine remise en question !) et d'un solitaire décati au passé conjugal revers (le faux père de Mud est devenu depuis un loup solitaire aigri). 


Le thème central du film est donc directement imparti à la valeur inhérente de l'Amour au sein du couple mais auquel le mensonge, l'incommunicabilité et la tromperie peuvent tout remettre en cause. Terriblement dépité de devenir le futur rejeton d'un divorce, et dans un désir d'identification paternelle, l'adolescent Ellis tentera alors de préserver les liens amoureux qui unissent Mud et Juniper. De son côté, notre fugitif libertaire s'efforce de ranimer son destin vers de nouveaux horizons pour longer l'immensité d'un fleuve reculé (la dernière image métaphorique est sur ce point d'une intensité émotionnelle bouleversante !). Sans jamais céder aux bons sentiments lacrymaux, Jeff Nichols aborde tous ces motifs dans la vérité humaine car ils mettent en exergue la densité fragile de protagonistes compromis d'incertitude et de doutes mais aussi d'espérance et de rédemption. Avec autant de vérité psychologique pour les rôles secondaires, le réalisateur nous évoque notamment le thème de la responsabilité parentale lorsqu'un père intégriste un peu trop drastique se refuse à tolérer un peu plus de compassion et d'équité envers la parole du rejeton. La démission parentale est aussi illustrée à travers le portrait du jeune Neckbone, orphelin élevé par son oncle, puis Mud, marginal préalablement désavantagé d'une enfance solitaire et livrée aux lois d'une nature hostile, car survivant miraculé d'une morsure de reptile. Au delà de sa grande force émotionnelle, Mud se confronte également à l'intensité expansive du thriller où le suspense est savamment dosé jusqu'à son apothéose. Principalement lors de son ultime demi-heure haletante où l'issue de nos personnages s'avèrent des plus aléatoires de par les échanges de tirs cinglants.


En directeur d'acteur inné, Jeff Nichols aiguille ces comédiens avec une pudeur confondante (mentions pour l'écorché Matthew McConaughey tout en constance et surtout le jeune Tye Sheridan, époustouflant dans un jeu prévenant et circonspect alors qu'il s'agit de son 2è rôle à l'écran !). C'est ce qui fait tout la puissance de Mud dont le lyrisme poétique renvoie au cinéma de Mallick afin d'y transcender ici une relation charnelle entre la nature environnante et la candeur éperdue de l'amour (qu'elle soit d'ordre conjugale ou parentale). Poignant et bouleversant, du cinéma émotif à son acmé !

05.08.13
Bruno Matéï


jeudi 1 août 2013

MAGIC MAGIC

                                          Photo empruntée sur Google, appartenant au site -films.ws

de Sebastian Silva. 2013. U.S.A. 1h37. Avec Juno Temple, Emily Browning, Michael Cera, Catalina Sandino Moreno, Agustin Silva.

Sortie salles France: 28 Août 2013 (23 Mai 2013 au Festival de Cannes). U.S: 22 Janvier 2013

FILMOGRAPHIE: Sebastian Silva est un réalisateur, scénariste et producteur chilien, né le 9 Avril 1979 à Santiago, Chilie. 2007: La vida me mata. 2009: La nana. 2010: Les vieux chats. 2013: Crystal Fairy. 2013: Magic magic.


Dans la lignée de Répulsions de Roman Polanski (pour l'ambiance schizo et le portrait imparti à la fille taciturne) et du Locataire (pour les visions patibulaires matérialisées par son esprit dérangé), Magic magic nous illustre le cas de conscience d'une jeune introvertie délogée en villégiature avec quelques compagnons au sein d'une archipel du Chili. Alors que son entourage profite de leur séjour avec engouement, Alicia éprouve de plus en plus de difficulté à se familiariser au groupe en attendant l'arrivée de sa cousine. Cette virée champêtre somme toute banale sera le début d'une lente descente aux enfers pour sa déchéance mentale inscrite dans une paranoïa schizophrène. Dans le cadre naturel d'une île clairsemée, le réalisateur Sebastian Silva nous plonge dans une ambiance feutrée particulièrement hermétique afin d'examiner l'introspection douloureuse d'une jeune fille timorée beaucoup trop fragile pour s'adapter à l'environnement convivial de proches inconnus. Particulièrement sensible à la faune environnante, celle-ci éprouve un malaise viscéral lorsque l'un de ses camarades abattra à coup de fusil un volatile pour le plaisir du braconnage.


Au préalable, Alicia fut déjà éprise de remord et de tristesse face à l'abandon d'un chiot en pleine route campagnarde. Ainsi, à travers sa psyché fragilisée d'anxiété, ses compagnons semblent exprimer railleries et condescendance à son égard alors qu'un chien de garde trop agité sera une menace de plus en plus ingérable. L'indéniable empathie que l'on éprouve pour cette fille persécutée et la manière sensitive dont le réalisateur y caractérise son état de conscience nous plongent dans un drame intime où le malaise et l'anxiété s'accaparent de nos émotions avec acuité. En crescendo et armi l'aura hermétique d'une atmosphère d'étrangeté sous-jacente, Sebastian Silva nous confronte à son ressenti paranoïaque vécu de l'intérieur. Dans son rôle de victime persécutée par ses affres démoniaques, Juno Temple (Killer Joe) insuffle une sensibilité à fleur de peau pour nous retransmettre ses états d'âme rongés par la peur de l'autre et du vertige du vide, faute d'une solitude indissoluble. La densité humaine qu'elle y apporte nous inspire inévitablement une grande compassion face à son désarroi d'impuissance auprès de sa maladie mentale. Cette intensité émotionnelle qui y émane s'avère subtilement retranscrite par un réalisateur renonçant l'ombre du pathos pour mettre en avant la vérité humaine, comme celle de ces camarades.


Au seuil du vide
Baignant dans un climat naturel à l'étrangeté ineffable et accentué de la discrétion d'un score ombrageux, Magic magic provoque une angoisse toujours plus expressive pour l'attention du spectateur toujours plus affecté à témoigner d'une déchéance mentale. Beaucoup d'entre vous trouveront d'ailleurs inéquitable la manière déroutante dont le cinéaste s'entreprend de boucler son dénouement. Car selon nos croyances (comme celui du rituel de la magie !), chacun pourra interpréter à sa manière l'issue cathartique ou sacrificielle allouée à la pathologie d'Alicia. Poignant et cauchemardesque, l'interprétation prégnante de Juno Temple se doit aussi d'être saluée pour l'expression intensive liée à sa pudeur paranoïaque ! 

01.08.13
Bruno Matéï


mercredi 31 juillet 2013

Un après-midi de chien (Dog Day Afternoon). Oscar du Meilleur Scénario, 1975.

                                       Photo empruntée sur Google, appartenant au site Moviecovers

de Sidney Lumet. 1975. U.S.A. 2h04. Avec Al Pacino, John Cazale, Penelope Allen, Charles Durning, Chris Sarandon, James Broderick.

Sortie salles France: 30 Janvier 1976. U.S: 21 Septembre 1975

Récompenses: Oscar du Meilleur Scénario Original, 1975
LAFCA du Meilleur film, 1975
National Film Preservation Board en 2009 (pour conservation à la Bibliothèque du Congrès des Etats-Unis).

FILMOGRAPHIE: Sidney Lumet est un réalisateur américain, né le 25 Juin 1924 à Philadelphie, décédé le 9 avril 2011 à New-York. 1957: 12 Hommes en colère. 1958: Les Feux du Théâtre. 1959: Une Espèce de Garce. 1959: l'Homme à la peau de serpent. 1961: Vu du pont. 1962: Long voyage vers la nuit. 1964: Le Prêteur sur gages. 1964: Point Limite. 1965: La Colline des Hommes perdus. 1966: Le Groupe. 1966: MI5 demande protection. 1968: Bye bye Braverman. 1968: La Mouette. 1969: Le Rendez-vous. 1970: Last of the mobile hot shots. 1970: King: A filmed record... Montgomery to Memphis. 1971: Le Dossier Anderson. 1972: The Offence. 1972: Les Yeux de Satan. 1973: Serpico. 1974: Lovin' Molly. 1974: Le Crime de l'Orient Express. 1975: Un Après-midi de chien. 1976: Network, main basse sur la TV. 1977: Equus. 1978: The Wiz. 1980: Just tell me what you want. 1981: Le Prince de New-York. 1982: Piège Mortel. 1982: Le Verdict. 1983: Daniel. 1984: A la recherche de Garbo. 1986: Les Coulisses du Pouvoir. 1986: Le Lendemain du Crime. 1988: A bout de course. 1989: Family Business. 1990: Contre Enquête. 1992: Une Etrangère parmi nous. 1993: l'Avocat du Diable. 1997: Dans l'ombre de Manhattan. 1997: Critical Care. 1999: Gloria. 2006: Jugez moi coupable. 2007: 7h58 ce samedi-là.


D'après un fait divers risible survenu le 22 Août 1972 à Brooklyn, Un après-midi de chien nous relate les bévues de deux braqueurs de banque ayant pris en otage 9 fonctionnaires durant 12 heures puis rapidement encerclés par les forces de l'ordre faute de leur incompétence. Aussitôt, médias, journalistes et badauds s'en mêlent pour se réunir autour de l'établissement afin d'assister à la mascarade la plus saugrenue de l'histoire de la criminalité ! Si bien que la prise d'otage vire ici à une véritable farce lorsque la population déchaînée s'autorise à aduler la renommée du leader épris d'un élan contestataire envers la société.Avec un réalisateur aussi confirmé que Sidney Lumet et la présence indéfectible deux acteurs au sommet de leur talent (Al Pacino et John Cazale forment un duo atypique de par leur complicité pataude et contrariée), Un Après-midi de chien dresse un tableau peu reluisant d'une société répressive dont la mutinerie d'Attica résonne tel un écho. Pour mémoire, au sein de cette célèbre prison, un soulèvement de prisonniers de nationalité majoritairement noire causèrent la mort de 29 d'entre eux contre 10 gardiens. C'est ce que clame à la foule excitée Al Pacino, alias Sonny Wortzik, père de famille de deux enfants en pleine crise conjugale du fait de son idylle homosexuelle avec un homme. La raison invoquée de son braquage ? Pouvoir s'approprier une somme conséquente afin de permettre une opération chirurgicale (un changement de sexe) à son amant !


Ainsi, avec un souci de vérité documenté, Sidney Lumet soulève donc ici une question d'éthique lorsque les services d'ordre (ici le FBI) envisagent de supprimer sans sommation un malfrat potentiellement parano et imprévisible afin de sauvegarder la survie des otages. Sur ce point, le point d'orgue dramatique s'avère d'une cruauté particulièrement amère quant à la méthode expéditive empruntée au FBI afin de neutraliser le malfrat le plus instable. A la misère sociale scrupuleusement analysée (nous saurons tout de l'existence miséricorde que mène Sonny avec sa femme intarissable, son amant dépressif et sa mère obtus si bien que les forces de l'ordre les feront intervenir devant l'établissement ou en interview médiatique), le réalisateur y introduit une bonne dose de dérision corrosive pour y caricaturer ce microcosme sociétal et mettre en exergue la situation alerte de marginaux au bout du rouleau. Cette dimension humaine impartie à l'utopie de ces deux paumés écervelés et ce degré d'authenticité alloué au cinéma vérité nous immergeant de plein fouet à travers leur prise de conscience dépressive (prioritairement l'intimité névralgique de Sonny). Ou comment deux chômeurs sans repères en étaient venus à accomplir un acte aussi suicidaire que burné !


De par sa mise en scène virtuose d'une belle rigueur et le jeu criant de vérité des pieds nickelés à l'humanisme torturé, Un après midi de chien nous confronte à un grand moment de cinéma pour relater la dérision d'un fait-divers impayable. En guise d'anecdote historique, après avoir purgé une peine de 20 ans de réclusion, le leader du braquage (de son vrai nom, John Wojtowicz), reçu 7 500 dollars et 1 % des bénéfices du film afin d'accorder des droits de son histoire. 

*Bruno
31.07.13. 3èx