mardi 28 août 2012

L'ESPRIT DE LA RUCHE (El Espiritu de la colmena)


Photo empruntée sur Google, appartenant au site Cinemovies.fr

de Victor Erice. 1973. Espagne. 1h38. Avec Fernando Fernan Gomez, Teresa Gimpera, Ana Torrent, Isabel Telleria, Ketty de la Camara, Estanis Gonzalez, José Villasante, Juan Margallo, Laly Soldevila.

Sortie Salles France: 5 Janvier 1977. U.S: 23 Septembre 1976. Espagne: 8 Octobre 1973.

FILMOGRAPHIE: Victor Erice est un réalisateur et scénariste espagnol, né le 30 Juin 1940 à Karrantza, dans la province de Biscaye (Espagne).
1973: l'Esprit de la Ruche
1983: El Sur
1992: Le Songe de la Lumière


Espagne, 1940 ; peu après la fin de la guerre civile. Un cinéma itinérant projette Frankenstein dans un petit village perdu du plateau castillan. Les enfants sont fascinés par le monstre et, parmi eux, la petite Ana, 8 ans, se pose mille et une questions sur ce personnage terrifiant. Sa grande soeur, Isabel, a beau lui expliquer que ce n'est qu'un "truc" de cinéma, elle prétend pourtant avoir rencontré l'esprit de Frankenstein rôdant non loin du village.


Un film étonnant, proprement insolite dans sa manière d'extérioriser la candeur de l'enfance, récit initiatique sur l'éveil de la cruauté et l'opacité de la mort. L'esprit de la ruche est une introspection délicate sur les travers de l'ignorance avec le portrait sensible d'Anna. Fille cadette fascinée par le mythe de Frankenstein, juste après que son village eut l'opportunité de diffuser sur toile géante le chef-d'oeuvre de James Whales. Depuis la fin de la projection, Anna est tourmentée à l'idée de connaître la véritable motivation qui ait pu poussé le monstre à noyer une innocente gamine mais aussi pourquoi la population s'est ensuite acharnée à l'immoler ! En perte de repères, raillée par une soeur confrontée au désir macabre, désintéressée par un père taciturne et une mère fuyante, Ana semble daigner s'écarter du monde des vivants pour se réfugier dans son univers fantasmagorique. Là où plane l'ombre de la mort d'un déserteur fusillé ainsi que l'esprit spirituel de la créature engendrée par le Dr Frankenstein. 


Avec son ambiance feutrée et désincarnée valorisant des décors clairsemés de paysages mornes, son rythme lymphatique et sa mise en scène contemplative éludée de fioritures, l'Esprit de la Ruche risque de rebuter plus d'un spectateur non averti ! Pourtant, il s'agit d'une belle élégie sur la solitude de l'enfance quand les parents introvertis ont décidé de démissionner à la suite du régime franquiste. Illuminé par la présence d'Ana Torrent, avec ses yeux noirs remplis de stupeur et de désir d'apprentissage, le réalisateur Victor Erice nous décrit de manière toute personnelle un regard tendre et délicat sur l'enfance à son éclosion. La nouvelle destinée d'une môme attendrie en quête d'amour parentale, partagée entre doutes, peurs et questionnements existentiels. 

Dédicace à Atreyu de m'avoir privilégié cette précieuse découverte.
28.08.12
Bruno Matéï



lundi 27 août 2012

Sain-Ange

                                              Photo empruntée sur Google, appartenant au site Cinemovies.fr

de Pascal Laugier. 2004. France. 1h38. Avec Virginie Ledoyen, Lou Doillon, Catriona MacColl, Dorina Lazar, Virginie Darmon, Jérôme Soufflet, Marie Herry, Eric Prat, Marin Chouquet, Christophe Lemaire.

Sortie salles France: 23 Juin 2004

FILMOGRAPHIE: Pascal Laugier est un réalisateur Français né le 16 Octobre 1971.
Courts-Métrages: 1993: Tête de Citrouille. 2001: 4è sous-sol. Longs-métrages: 2004: Saint Ange. 2008: Martyrs. 2012 : The Secret (The Tall Man). 2018 : Ghostland. 


J'avais fort apprécié au 1er visionnage mais aujourd'hui je reste dubitatif sur l'intérêt de cette hantise infantile plutôt décousue, voir absconse. Reste une ambiance étrange parfois séduisante, une photo blafarde absolument magnifique valorisant ses décors gothiques et le charme de Virginie Ledoyen  (parfois dans son plus simple appareil). Au final, c'est plein de bonnes intentions mais maladroit dans la conduite du récit dégingandé, si bien que le suspense beaucoup trop latent captive rarement et que la psychologie torturée de l'héroïne (son refus de la maternité) reste en suspens. Sympathique avec clémence mais dispensable pour le genre. 

Le pitch: Anna, est chargée de nettoyer Saint Ange, un orphelinat désaffecté. Judith, la seule enfant encore présente, est enfermée dans ses souvenirs. Petit à petit, Anna entend des pas, des rires, des voix. Elle en est convaincue: quelque part dans la maison, il y a des enfants…



vendredi 17 août 2012

La Cabane dans les Bois / The Cabin in the Woods

                                                  Photo empruntée sur Google, appartenant au site flicksandbits.com

de Drew Goddard. 2012. U.S.A. 1h35. Avec Richard Jenkins, Bradley Whitford, Jesse Williams, Chris Hemsworth, Fran Kranz, Kristen Connolly, Anna Hutchison, Brian White, Amy Acker, Jodelle Ferland.

Sortie salles France: 2 Mai 2012. U.S: 13 Avril 2012

FILMOGRAPHIE: Drew Goddard est un réalisateur et scénariste américain, né le 26 Février 1975 à Los Alamos, Nouveau-mexique.
2012: La Cabane dans les Bois


Pour une première réalisation, Drew Goddard s'est entrepris de renouveler le concept du "ouh, fait moi peur !" en se jouant du spectateur avec une dérision sarcastique qui pourrait peut-être rebuter de prime abord. Pochette surprise brassant tous les clichés du genre avec pas mal d'astuces et de surprises plutôt réjouissantes, autant qu'hommage et déclaration d'amour au genre horrifique et au bestiaire iconique, La Cabane dans les Bois est une série B conçue pour surprendre, s'esbaudir, dérouter, dynamiter les codes du genre au sein d'un feu d'artifice sanglant. Variation habile de plusieurs thèmes éculés condensés en un scénario halluciné (euphémisme), la première partie ressasse donc sciemment moult stéréotypes sous forme de clins d'oeil amusés parmi cette bande de 5 vacanciers partis en week-end pour séjourner dans une cabane au fond des bois. Argument directement calqué sur le modèle du genre, Evil-Dead, La Cabane dans les Bois réussit pourtant à se réapproprier de ses situations conventionnelles de par la lucarne de la TV réalité avec soupçon de jeu-vidéo. La panoplie traditionnelle de protagonistes juvéniles, effrontés, insouciants ne manquant nullement à l'appel. La vierge, la pute, l'idiot de service, le jeune étudiant introverti et le sportif athlétique se confrontant malgré eux à une sanglante nuit digne d'un canular de Creepshow. Tandis qu'au même moment, dans un vaste bunker industriel, des agents et boursiers affublés de costard-cravate scrutent leurs faits et gestes à travers leurs écrans de contrôle d'ordinateur. Qui sont-t'ils ? Dans quel endroit sont-ils logés ? A quel jeu participe les occupants de la cabane et quel en est le véritable motif ?


Ainsi, avec une dose d'ironie et d'épisme spécialement terrifiants, le 1er acte nous refait le coup classique du survival horrifique auquel 5 vacanciers devront se défendre contre des forces démoniales au coeur d'une forêt de tous les dangers. Et si nous sommes bien évidemment en terrain connu, la vigueur de la mise en scène réussit adroitement à éviter l'ennui en nous procurant frissons, violence et cruauté inopiné (!) auprès de ces courses poursuites fertiles en déconvenues. L'ambiance bucolique crépusculaire ainsi que ses décors montagneux pârvenant notamment à nous immerger au sein d'une nuit de terreur cinglante dont certains éléments saugrenus vont subitement nous interpeller ! (par ex la muraille invisible). En prime, l'aspect fortuit que nos protagonistes sont préalablement pris au piège des exactions meurtrières provoquées par une sombre entreprise renforcent ce concept anti-conformiste, véritablement tranché pour sa rigueur morale sans pitié aucune. Si bien qu'il faut bien souligner que les protagonistes ne sont ici nullement réduit à des ados écervelés tant nous nous inquiétons de leur sort sans pouvoir anticiper s'ils réchapperont à la mort la plus brutale et sournoise. Et sur ce point émotionnel, l'implication du spectateur fonctionne à point nommé si bien que l'on espère à chaque fois que l'un d'eux en sortira vainqueur (hormis un faible espoir toujours plus factuel) de par leur héroïsme acharné de dernier ressort. Quant à la seconde partie impartie à une ultime demi-heure révélatrice, elle relance l'action tous azimuts en dénonçant de façon oh combien tonitruante et débridée l'envers du décor d'y laisser place à une révélation digne d'un épisode vrillé de la quatrième dimension. Qui plus est, jalonné de clins d'oeil aux classiques notoires du cinéma d'horreur et de fantastique (mais aussi du jeu vidéo) parmi lesquels Hellraiser, Ca, Silent Hill, Resident Evil, etc... La Cabane dans les Bois nous plonge à corps perdu dans un univers toujours plus déluré ou gore, humour, violence et folie sont en totale symbiose. Et ce jusqu'à l'ultime rebondissement faisant intervenir (en forme de clin d'oeil) une actrice notoire discourir alors que la dernière image génialement fascinante se résigne au refus du happy-end passée une concertation génialement caustique d'après leur commune désillusion. 


Vous pensez déjà connaître la fin ? 
Ludique, frissonnant, débridé, insolent, inventif, déjanté (en mode pagaille visuelle - davantage - intrépide), La Cabane dans les Bois mène la danse de la fantaisie horrifiante avec une efficacité et une originalité démesurée. Diablement rythmé, méchamment drôle et parfois même teinté de désespoir dans sa dramaturgie amplifié d'un score subtilement mélancolique faisant écho à The Descent, ce pastiche anti puritain, réfractaire à une horreur mainstream consumériste, demeure une récréation de tous les diables sous l'impulsion de jeunes acteurs franchement convaincants dans leur fonction humaniste à la fois torturée, affligée, pugnace, censée. Enfin, à travers ce divertissement retors pétri d'amour pour le genre on peut aussi y voir une méditation sur notre rapport charnel/masochiste/voyeuriste à l'horreur cinématographique perdurant depuis l'antiquité pour nous maintenir dans un confort moral apaisant en y exorcisant nos peurs et notre haine que tout un chacun refoule. Une très bonne surprise donc dont l'ultime demi-heure qualitative, substantielle, folingue, adopte une ampleur insoupçonnée.

28.03.24. 2èx. 4K vo
17.08.12



jeudi 16 août 2012

The Secret / The Tallman

                                    Photo empruntée sur Google, appartenant au site omnimysterynews.com

de Pascal Laugier. 2012. U.S.A/France. 1h45. Avec Jessica Biel, Jodelle Ferland, Stephen McHattie, Jakob Davies, William B. Davis, Samantha Ferris, Katherine Ramdeen, Kyle Harrison Breitkopf, Teach Grant.

Sortie salles France: 5 Septembre 2012

FILMOGRAPHIE: Pascal Laugier est un réalisateur Français né le 16 Octobre 1971.
Courts-Métrages: 1993: Tête de Citrouille. 2001: 4è sous-sol
Longs-métrages: 2004: Saint Ange. 2008: Martyrs. 2012: The Tall Man


Quatre ans après le traumatisant Martyrs, Pascal Laugier nous revient des Etats-Unis pour sa nouvelle production franco-canadienne avec The Tall Man, retitré chez nous The Secret !
A partir d'une histoire de rapt d'enfants kidnappés en interne d'une contrée bucolique, The Secret s'apparente de prime abord à un conte fantastique hérité d'une nouvelle de Stephen King. Par ces décors montagneux feutrés et sa légende urbaine invoquée par une population précaire, le récit nous oriente vers un cauchemar horrifique avec son ogre sorti des bois venu ravir les enfants d'un quartier malfamé. Julia, infirmière endeuillée par la mort de son mari, tente tant bien que mal de survivre dans cette ville déclinante ou alcool et chômage font partis du morne quotidien de citadins défaitistes. Après avoir sauver la vie d'un bébé à l'accouchement impromptu d'une marginale, Julia va se retrouver confrontée à son tour au mystérieux ravisseur d'enfants. Un soir, alors qu'une de ses amies est retrouvée ligotée dans sa maison, le petit David va disparaître sous l'oppression d'une silhouette noire. C'est à partir de cet enlèvement fortuit que le film peut démarrer pour nous entraîner au coeur d'une course poursuite effrénée à travers un itinéraire forestier. Là où l'imprévisible et la stupeur vont être habilement détournés d'une situation rebattue. Par son caractère haletant, son réalisme acerbe et son intensité cuisante, The Secret nous ébranle par ses péripéties non convenues. Passé cet incident affolant fertile en rebondissements, la narration va subitement prendre une tournure différente quand les rôles attribués vont soudainement s'inverser et suspecter chaque protagoniste interlope.


La force psychologique du film de Laugier est indubitablement impartie à la densité d'un scénario formidablement construit, l'humanité affligée de notre héroïne et son thème d'actualité confronté à la maltraitrance infantile. Si la narration hermétique ne cesse de nous torturer les méninges à savoir qui est ce mystérieux ravisseur et que sont devenus les enfants, la manière dont les questions nous sont interrogées distille avec anxiété un suspense en ascension. D'autant plus que notre infirmière sévèrement fustigée (incarnée par l'excellente Jessica Biel, toute en retenue et sobriété !) ne cesse de provoquer l'interpellation face à son comportement équivoque. Sans jouer la carte de la facilité et de la chute fortuite conçue pour épater le spectateur ahuri (oubliez donc l'accroche publicitaire faisant allusion au 6è sens !), la résolution de l'énigme est d'autant plus limpide et bouleversante qu'elle ne cherche jamais à surprendre dans l'unique but de nous ébranler. A contrario, son thème social subordonné à l'inégalité des classes provoque émoi et colère face à l'irresponsabilité politique de laisser croupir les enfants issues des souches miséreuses.


Les Enfants du Silence
Conte horrifique obscur doublé d'un drame psychologique bouleversant, The Secret renoue avec la substantialité d'un scénario singulier et de l'humanité dépréciée de ses personnages. Réflexion sur la responsabilité parentale, le viol de l'identité et le traitement infligé aux nouvelles générations sans repères, le film de Pascal Laugier est un cri d'alarme à l'innocence bafouée. Sa conclusion amère et hésitante nous suggérant que l'amour maternel reste une valeur inhérente pour entretenir l'espoir d'une postérité incertaine. 

*Bruno
16.08.12



mercredi 15 août 2012

Les Dents de la Mer (Jaws)

                                                Photo empruntée sur Google, appartenant au site Cinemovies.fr

de Steven Spielberg. 1977. U.S.A. 2h04. Avec Roy Scheider, Robert Shaw, Richard Dreyfuss, Lorraine Gary, Murray Hamilton, Carl Gottlieb, Jeffrey Kramer, Susan Backlinie, Jonathan Filley, Chris Rebello.

Sortie salles France: 1er Janvier 1976. U.S: 20 Juin 1975

FILMOGRAPHIE: Steven Allan Spielberg, Chevalier de l'Ordre national de la Légion d'honneur est un réalisateur, producteur, scénariste, producteur exécutif, producteur délégué et créateur américain, né le 18 décembre 1946 à Cincinnati (Ohio, États-Unis). 1971: Duel , 1974: Sugarland Express, 1975: Les Dents de la mer, 1977: Rencontres du troisième type, 1979: 1941, 1981: les Aventuriers de l'Arche Perdue, 1982: E.T. l'extra-terrestre , 1983: La Quatrième Dimension (2è épisode), 1984: Indiana Jones et le Temple maudit, 1985: La Couleur pourpre, 1987: Empire du soleil, 1989: Indiana Jones et la Dernière Croisade, Always, 1991: Hook, 1993: Jurassic Park, La Liste de Schindler, 1997: Le Monde Perdu, Amistad, 1998: Il faut sauver le soldat Ryan Saving Private Ryan, 2001: A.I., 2002: Minority Report, Arrête-moi si tu peux, 2004: Le Terminal , 2005: La Guerre des Mondes, 2006: Munich, 2008: Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal, 2011: Les Aventures de Tintin, Cheval de Guerre.


Premier blockbuster de l'histoire du cinéma et troisième long-métrage d'un jeune metteur en scène surdoué, les Dents de la mer créa dès sa sortie un véritable vent de panique auprès des baigneurs qui désertèrent en masse les plages du monde entier. C'est dire si l'impact émotionnel du film fut considérable de par sa diabolique habileté à susciter l'effroi face aux mâchoires acérés d'un requin surdimensionné. D'après le célèbre roman de Peter Benchley, les Dents de la Mer est notamment un immense succès commercial et critique à travers le globe. Même si à contrario, il influencera la machinerie hollywoodienne à confectionner des produits à grand spectacle misant sur l'esbroufe au grand dam des personnages et du scénario. Dès la séquence d'ouverture, terrifiante d'intensité à travers son réalisme à la fois cinglant et impitoyable, Steven Spielberg provoque sans répit l'horreur pure d'une situation dramatique auprès d'une nageuse furtivement agressée par un requin ! La jeune fille nageant en toute quiétude se retrouvant subitement ballottée de gauche à droite par une force invisible venue du fond de l'océan. Alors qu'elle tente de se débattre désespérément, ses hurlements d'effroi s'étranglent avec l'eau salée au moment où le squale décide de l'entraîner au fond de l'eau pour la dévorer ! 


Cette séquence d'anthologie terriblement brutale est d'autant plus efficiente que Spielberg mise sur le pouvoir de suggestion en ne dévoilant jamais l'apparence du monstre marin et encore moins une goutte de sang ! Ainsi, cette règle d'occulter la présence hostile de l'immense requin blanc sera respectée une bonne heure durant afin d'attiser l'expectative, latente et oppressante, transcendée d'une mise en scène assidue, pour ne pas dire millimétrée. Par conséquent, en prenant soin d'y caractériser la contrariété des protagonistes plongés dans le dépit de devoir autoriser ou interdire une station balnéaire, faute de découvertes macabres, Spielberg distille une inquiétude tangible face à la menace sous-jacente du requin aux aguets ! Sans céder à une quelconque outrance spectaculaire, les deux scènes de paniques perpétrées aux abords de la plage s'avèrent des moments d'affolement d'une perversité insidieuse. Car si de prime abord on redoute la crainte du squale pouvant à tous moments s'extraire de l'eau afin d'happer un nageur lambda, Spielberg utilise aussi le sarcasme lorsque deux marmots ont décidé de se railler des adultes en leur jouant un subterfuge.  


Après cette mise en condition de l'angoisse diffuse et de la terreur cinglante (Spielberg ose même tolérer la mort innocente d'un enfant ! ), la seconde partie beaucoup plus échevelée et haletante s'oriente vers l'odyssée maritime de trois pêcheurs de requins engagés dans une lutte sans merci contre l'animal. Entre une beuverie impromptue et quelques chamailleries caractérielles octroyées entre le scientifique et le chasseur expert, les trois hommes vont se confronter à leur pire cauchemar face à la menace toujours plus belliqueuse du requin increvable ! (c'est peu de le dire !). Les séquences homériques se succédant à un rythme davantage fertile jusqu'à ce que le monstre réussit à réduire en lambeaux la carcasse du bateau trop étroit. Là encore, l'intensité des séquences d'action savamment coordonnées dans la vigueur d'un montage géométrique implique émotionnellement le spectateur, complètement immergé dans les enjeux alarmistes de nos héros démunis se battant avec acharnement contre l'animal. Telle cette séquence aquatique suffocante où l'un des protagonistes se retrouve piégé en interne d'une cage d'acier pendant que le requin essaie à maintes reprises de l'appréhender en défonçant hargneusement les barreaux ! Avec une maîtrise technique imparable et des Fx bluffants de réalisme, Spielberg réalise une véritable prouesse technique à daigner authentifier la menace du monstre, toujours plus agressif et furtif lorsqu'il décide de s'élancer sans réserve vers ses victimes hébétées ! Pour mettre en exergue la bravoure anxiogène de ces combattants de la mer, Roy Scheider suscite le jeu contracté d'un commissaire intègre mais inhibé d'une terreur infantile (la peur de l'eau). Néanmoins c'est en héros vaillant qu'il sortira vainqueur lors de sa dernière bataille esseulée contre le requin blanc. En chasseur de squale intarissable, Robert Shaw s'alloue du rôle le plus viril dans sa conviction opiniâtre à provoquer sans répit l'animal, et ce avec orgueil et une arrogance un peu trop appuyée Spoil ! quant à sa destinée morbide Fin du Spoil. Enfin, Richard Dreyfuss incarne avec perspicacité un scientifique océanographique particulièrement lucide. Ses brimades échangées avec le capitaine pour un conflit de classes sociales donne lieu à de cocasses moments de réparties avant de retourner affronter le monstre sans répit. 


Elle fut la première...
En empruntant le schéma du film catastrophe agencé à l'horreur, l'aventure et le grand spectacle, les Dents de la mer constitue une véritable leçon de mise en scène transcendée du score tonitruant de John Williams. Une manière judicieuse, inégalable, d'avoir su combiner densité des personnages, scénario singulier (quelle idée de génie de nous confronter à la phobie du requin auprès d'une station balnéaire !), intensité dramatique et suggestion de l'effroi. Quand à la photogénie ombrageuse de l'animal quasi indestructible, il demeure l'un des monstres les plus pugnaces, pernicieux et impressionnants du cinéma de genre. 

Apport technique du Blu-ray 4K: 10/10. Totale redécouverte.

*Eric Binford
23.07.21. 6èx
15.08.12. 

mardi 14 août 2012

Sang pour Sang / Blood Simple. Grand Prix du Jury, Sundance 85.

                                                 Photo empruntée sur Google, appartenant au site Fan-de-cinema.com

de Joel et Ethan cohen. 1984. U.S.A. 1h37. Avec John Getz, Frances McDormand, Dan Hedaya, M. Emmet Walsh, Samm-Art Williams, Deborah Neumann, Raquel Gavia, Van Brooks, Senor Marco, William Creamer.

Sortie salles France: 3 Juillet 1985. U.S: 18 Janvier 1985. Director's cut: France: 19 Juillet 2000. U.S: 2 Juin 2000.

FILMOGRAPHIE: Joel Coen (né le 29 novembre 1954) et Ethan Coen (né le 21 Septembre 1957) sont deux frères réalisateurs, scénaristes, monteurs, acteurs et producteurs américains.
1984: Sang pour Sang, 1987: Arizona Junior, 1990: Miller's Crossing, 1991: Barton Fink, 1994: Le Grand Saut, 1996: Fargo, 1998: The Big Lebowski, 2000: O'Brother, 2001: The Barber, 2003: Intolérable Cruauté, 2004: Ladykillers, 2006: Paris, je t'aime (tuileries), 2007: No country for old men, Chacun son cinéma (sktech: world cinema), 2008: Burn After Reading, 2009: A Serious Man, 2010: True Grit.


                 Tuer quelqu'un est très dur, très douloureux, et très... très long (Alfred Hitchcock)

Cette illustre citation énoncée par le maître du suspense Alfred Hitchcock constitue le pivot de Sang pour Sang, première réalisation des frères Cohen multi récompensée dans divers festivals. Hommage au film noir sur le déclin au début des années 80, cette immense farce sardonique est un concentré de suspense au vitriol jalonné de déconvenues impromptues ! SynopsisMarty, tenancier, se résigne à payer un détective véreux pour se débarrasser de sa femme infidèle ainsi que son amant. Mais rien ne se déroulera comme prévu. 


Pour une première réalisation au budget minimaliste, les frères Cohen élaborent un véritable coup de maître pour leur dextérité à renouveler des codes du genre. Car à partir d'un canevas éculé exploité dans divers classiques du genre, nos deux complices se réapproprient du concept criminel agencé autour de l'adultère à travers un savant dosage d'humour noir et de réalisme acerbe. Un couple d'amants indécis se retrouve confronté au subterfuge meurtrier d'un détective véreux payé par le mari jaloux. Déterminé à faire liquider les amants infidèles, Marty est pris au piège du tueur à gage trop cupide pour duper un à un le trio corrompu. Superbement photographié au sein de la contrée bucolique d'un Texas crépusculaire et transcendé du score envoûtant de Carter Burwell, Sang pour Sang est un inépuisable jeu de massacre. Une farce macabre à la limite de la parodie (la rancune du mari imbécile n'en finit plus d'être brocardée jusqu'au point de non retour) où chaque adversaire antipathique exprime une austérité sournoise à contrecarrer son allié. Pour cause, les réalisateurs prennent malin plaisir à nous caractériser le profil peu recommandable de personnages autonomistes, couards et contrariés dans leur désir de se dépêtrer d'un cadavre encombrant. La preuve éloquente du briquet et la complicité indirecte de l'amant y seront les éléments déclencheurs de vicissitudes interminables entre le détective avide de retrouver son objet, et ce prétendant, persuadé que sa maîtresse s'avère l'unique responsable du meurtre de l'époux.


S'ensuit une multitude de déconvenues à hauts risques auprès du trio maudit par le biais d'inversion des rôles si bien que le premier responsable de cette machination criminelle en sera châtié pour trépasser de manière aussi apathique qu'insupportable (d'où la tagline de l'affiche empruntée à Hitchcock!). Ce retournement de situation abrupt permettant de relancer l'intrigue sur une série de situations génialement grotesques où chacun des antagonistes ne saura plus où donner de la tête à déceler qui tire les ficelles du traquenard criminel. Parmi cette rupture de ton alternant humour noir corrosif et réalisme macabre, les frères Cohen en cristallisent un bijou de film noir d'une diabolique inventivité. Comme en témoigne le simulacre d'un piège mortel intenté à l'un des antagonistes (sa main poignardée sur le rebord d'une fenêtre et sa tentative de s'y extraire par le biais de son arme à feu et de la force de sa poignée).


Fort du charisme irrésistible de trognes gouailleuses, contrariées et taiseuses, Sang pour Sang constitue une farce macabre à la dérision insolente au sein de l'atmosphère opaque d'une nature en clair obscur. Un véritable modèle de film noir, étonnamment brutal et sanglant, mais d'une cocasserie incongrue à travers sa suite de déboires amorcées par ces pieds nickelés empotés. On peut même sans rougir  y prôner le chef-d'oeuvre du genre tant ce 1er essai demeure aussi ensorcelant que jubilatoire. 

*Bruno
21.01.24. 4èx. Vostfr
14.08.12. 

Récompenses: Grand Prix du Jury à Sundance, 1985.
Prix de la Critique à Cognac, 1985
Prix du Public à Fantasporto, 1986


lundi 13 août 2012

Les Frissons de l'Angoisse / Profondo Rosso / Deep Red

                                            Photo empruntée sur Google, appartenant au site Imdb.com

de Dario Argento. 1975. Italie. 1h45 / 2h06. Avec David Hemmings, Daria Nicolodi, Gabriele Lavia, Macha Meril, Eros Pagni, Giuliana Calandra, Piero Mazzinghi, Glauco Mauri, Clara Calamai, Aldo Bonamano.

Sortie salles France: 17 Août 1977. U.S: 11 Juin 1976. Italie: 7 Mars 1975

FILMOGRAPHIE: Dario Argento est un réalisateur et scénariste italien né le 7 septembre 1940, à Rome (Italie). 1969: l'Oiseau au plumage de Cristal, 1971: Le Chat à 9 queues, Quatre mouches de velours gris, 1973: 5 Jours à Milan, 1975: Les Frissons de l'Angoisse, 1977: Suspiria, 1980: Inferno, 1982: Ténèbres, 1985: Phenomena, 1987: Opera, 1990: 2 yeux Maléfiques, 1993: Trauma, 1996: Le Syndrome de Stendhal, 1998: Le Fantome de l'Opéra, 2001: Le Sang des Innocents,2004: Card Player, 2005: Aimez vous Hitchcock ?, 2005: Jennifer (épis Masters of Horror, sais 1), 2006: J'aurai leur peau (épis Masters of Horror, sais 2), 2006: Mother of Tears, 2009: Giallo, 2011: Dracula 3D.


Synopsis: Un pianiste est malencontreusement témoin du meurtre d'une médium trop curieuse pour démasquer un assassin. Intrigué par un détail énigmatique vis à vis d'un tableau dans la demeure de la victime, il décide de mener sa propre enquête. Le tueur susceptible continue sur sa lancée meurtrière en supprimant les témoins gênants.


Chef-d'oeuvre absolu de Dario Argento, panthéon du néo Giallo à revoir à l'infini tant il déploie insatiablement des trésors de richesse à chaque révision, les Frissons de l'Angoisse arrive quatre ans après sa trilogie animale achevée en 1971. C'est avec ce thriller baroque au goût prononcé pour la violence sanguine que le réalisateur peut déployer sa maestria beaucoup plus circonspecte. Soin du cadrage et travellings tarabiscotés auprès d'une caméra mobile, décors insolites d'une recherche esthétique stylisée et raffinement cruel dans l'élaboration de meurtres sanglants. Ajoutez à cela une angoisse sous jacente pour l'investigation criminelle, une ambiance gothique surnaturelle (dans la hantise d'une demeure pour dégoter un macchabée décharné) et un suspense lattent imparti à une narration finaude en trompe l'oeil ! Car ici, méfions nous des apparences et ce dès le générique musical ! Argento se résout en l'occurrence à jouer avec la perception visuelle du spectateur observant un bambin potentiellement coupable ou témoin d'un meurtre commis à l'arme blanche. Dans le salon conjugal d'une nuit de noël, une violente rixe est suggérée à travers le mur de deux ombres menaçantes. Un cri infantile est soudainement exclamé ! Un couteau de cuisine ensanglanté trébuche sur le sol tandis que la scène suivante nous illustre de façon prononcée deux jambes d'un enfant s'approchant près de l'objet tranchant ! Le montage parfaitement structuré est musicalement scandé d'une comptine entêtante. Une séquence d'anthologie roublarde évoquant l'homicide d'un trauma infantile et sa faculté suggestive à semer le doute auprès du spectateur pour tenter de déceler certains éventuels indices. La suite continue dans cette logique du "faux semblant" parmi l'investigation criminelle du héros et la représentation picturale d'un tableau où un détail éloquent lui fut préalablement omis.


Il faut indubitablement louer l'incroyable partition musicale des Goblin déployant à rythme cadencé un tempo terriblement entraînant pour mettre en exergue la fascination ombrageuse d'une intrigue criminelle jalonnée d'indices irrésolues. Et Argento d'y agencer un goût funeste pour le baroque, l'insolite (jeux de lumière, couleurs hybrides contrastées, architecture picturale de sculptures historiques), l'épouvante même (l'intérieur de la maison abdiquée et ce qui s'ensuit), mais aussi le surnaturel feutré (toute la fouille archéologique se déroulant dans cette même demeure gothique) afin de transcender le genre Giallesque dans une mouvance littéralement singulière. Bref, on n'a jamais vu cela à l'écran auprès de cette scénographie (déjà) opératique constamment magnétique. Ainsi, Les Frissons de l'Angoisse est notamment la prémices d'une transition pour le maître d'augurer ses délires sanglants d'un fantastique occulte entrepris 2 ans plus tard avec Suspiria. En effet, on sent déjà ici une nette influence putanesque à confectionner quelques meurtres sadiques d'un réalisme cru et stylisé (la mâchoire d'une des victimes fracassée contre le marbre d'une cheminée puis sur le bois d'une table ou encore la lapidation infortunée de Carlo n'en finissant plus d'agoniser). Le point d'orgue final fertile en déconvenues et péripéties instables instaurant avec acuité le mode opératoire du suspense préalablement distillé, juste avant de nous dévoiler l'identité du meurtrier entraperçu dès les cinq premières minutes du film ! Il fallait oser ! Or, cet synergie d'hermétisme indicible, d'anxiété diffuse et de suspense croissant nous confine au sein d'un environnement insécure jonché de détails troubles. Tel ce combat bestial entre chiens, le lézard perforé d'une aiguille, les tableaux au visages mortifères ou encore le piano bar et sa clientèle statique. Tandis que d'autres éléments macabres nous sont accolés parmi la symbolique d'une poupée pendue ou celle d'un pantin de porcelaine (au rictus diablotin) violemment projeté sur une victime.


Maîtrise technique d'un esthétisme stylisée, intrigue tortueuse émaillée d'éléments patibulaires, meurtres sadiques d'une verdeur audacieuse et science du suspense planifiée autour de protagonistes malhabiles, Les Frissons de l'Angoisse est conçu à l'instar d'un puzzle édifié sur le simulacre. Baignant dans une atmosphère hybride délicieusement funèbre et sublimé du score inimitable des Goblin, ce chef-d'oeuvre tout à la fois expérimental et novateur possède en outre une aura de fascination dépassant notre raison. Sans doute l'un des plus grands films de l'histoire du cinéma dépassant aisément le (sous) genre du Giallo avec une grâce technique/formelle/narrative/cérébrale infiniment alchimique. 

*Bruno
03.05.24. 4èx. Vostfr. Version courte.
13.08.12. 


Ci-joint Analyse du film issue du site Vodkaster (ciné-club sur les Gialli)

Une médium, joué par Macha Méril est assassinée. Marc, joué par David Hemmings, est témoin du meurtre, il entend les cris de la jeune femme et accourt à son aide, trop tard. Ayant pourtant assisté au meurtre, il n’a pas pu voir le visage de l’assassin dont il a juste vu la silhouette quitter l’immeuble, silhouette qu’il suppose être du tueur. Plus tard interrogé par la police, il évoque des doutes, dans le couloir rempli de tableaux de l’appartement de la médium, quelque chose semble manquer et avoir disparu, il ne peut cependant évoquer ce qui manque exactement, mais quelque chose semble lui échapper, quelque chose qu’il ne peut expliquer et décrire, une impression. Aidé par une journaliste, jouée par Daria Nicolodi, il va commencer mener l’enquête et va rapidement commencer à comprendre qu’il est lui-même aussi en danger. Cette enquête va l’amené à questionner son regard, les apparences, et ce qu’il croit voir et avoir vu.
C’est donc un retour à la plus pure tradition du giallo pour Argento. On y retrouve les thèmes récurrents, un étranger, dont la nationalité n’est ici jamais évoquée, qui est aussi un artiste, pianiste, est témoin d’un meurtre et se met alors à enquêter, son obsession va l’emmener à découvrir un lourd secret de famille et va surtout le faire se révéler à lui-même. Une des autres caractéristiques du giallo que l’on retrouve, le secret de famille, ici le tueur n’est pas un psychopathe, il tue pour protéger un secret familial traumatique. On pouvait d’ailleurs déjà retrouver cette trame dans « Le chat à neuf queues ». Un des aspects étonnants c’est qu’Argento met en place plusieurs éléments de comédies avec notamment le couple Nicolodi-Hemmings, lui étant plutôt machiste et burné, elle était plutôt sure d’elle et déterminée. Si dans les films précédents d’Argento, il y avait toujours un élément de comédie, que ce soit un personnage, comme celui de Jean-Pierre Marielle dans « Quatre mouches de velours gris », ou certaines scènes. Or ici, les situations sont un peu plus étoffées, peuvent parfois sortir de l’intrigue principal, mais Argento n’en fait pas trop, et place ces scènes dans sa première heure de film, pour donner de la substance à ses personnages, et montrer leur caractère avant l’intrigue, pour mieux nous montrer leur évolution. L’autre innovation majeure dans le cinéma d’Argento, c’est la présence, pour la première fois dans sa filmographie du paranormal, on y retrouve une médium qui lit dans les esprits des gens, une maison hantée, et une enfant démoniaque qu’Argento arrive à filmer d’une manière qui la rend terriblement angoissante et impressionnante. Voir cette petite fille tuant des animaux ne paye pas de mine, mais la manière dont Argento la filme, comme si elle était en prise avec une étrange forme du Mal, un Mal imperceptible, impalpable, mais omniprésent, même dans l’esprit d’une jeune enfant. Argento passe très vite à autre chose et c’est encore plus fort, voir la réaction du père lorsque la petite tue un lézard permet d’alimenter énormément notre imagination, et ne pas s’y attarder nous permet de donner un supplément d’âme à la scène suivante, le vrai grand tour de force du film, la visite de la maison hantée. Après l’introduction d’une étrange force maléfique semblant s’imprégner de la petite fille, Argento réalise une très longue scène d’exploration urbaine, quasiment jamais vu à l’époque. Il y aura deux scènes comme celles-là dans le film. Dans la première, après l’introduction de la petite fille, notre esprit est donc plus fertile pour anticiper l’arrivée de quelques esprits, mais Argento se joue du spectateur d’une façon absolument magistrale. En jouant sur l’utilisation de différents points de vue, Argento donne l’impression que Marc n’est pas seul, allonge sa scène, fait sonner la musique des Goblins, les mouvements de caméra sont flottants, comme épousant le point de vue des esprits hantant la maison. On est probablement ici devant la plus belle scène d’exploration de maisons hantée du cinéma, un grand moment d’angoisse, où rien et tout se passe à la fois, Marc devant être attentif à tous les détails s’il veut espérer résoudre l’enquête. Argento travaille déjà à merveille son ambiance, en rendant le Mal invisible comme surnaturel, il joue sur les cadres et les espaces pour nous faire ressentir l’étrange présence du lieu, les fantômes du passé d’une façon que l’on sache, avant même la révélation finale, que quelque chose d’important s’est passé dans cette maison, qui est toujours imprégné de ce qui s’est passé.
Mais « Les Frissons de l’Angoisse », c’est surtout une grande étude sur le réel, un réel trop difficile à comprendre, un réel qui nous échappe, nous spectateur, et qui surtout échappe au personnage principal.
Pour nous faire ressentir cette perte de repères, Argento use à fond des fausses pistes, le film regorge de personnages à double tranchants, et de situation où tous ce qui est montré est inutile, et où tous les détails dans les coins du cadre sont essentiels. Ce n’est jamais ce qui est montré en première plan qui est le plus important, c’est toujours ce qui se passe dans les cuts rapides, toujours ce qui se passe dans l’obscurité, au fond du cadre qui donne la clé du film. Un des autres coups de génie du film est également de montrer le visage de l’assassin dès le début du film, seulement le regard du spectateur n’est pas dirigé dans la bonne direction par Argento, qui, de par sa mise en scène nous indique de regarder dans une autre direction, le coup de force est total, Argento a assez de confiance dans la puissance de sa mise en scène pour montrer l’assassin dès le début, David Hemmings est dupé, nous sommes dupés.
« Profondo Rosso » est également un grand film sur la persistance rétinienne, le personnage principal ayant vu le visage de l’assassin dès le début, mais il n’a pas bien regardé et analyser ce qu’il voyait, il a beau avoir l’image dans sa tête, il ne peut comprendre ce qu’il manque dans l’appartement puisqu’il n’a pas une image assez précise de ce qu’il a vu exactement. Il doit décoder ce qu’il voit, à l’image de cette pièce emmurée dans la maison hantée, il ne voit qu’une partie d’un dessin qui est la clé de l’intrigue. En cassant le mur, il rentre comme dans un écran, comme si Argento brisait notre écran, au moment où commencent les révélations, nous faisant entrer nous-mêmes, spectateurs, à l’intérieur du film, pour nous expliquer ce que nous avons manqué depuis le début du film, chaque détail auxquels nous n’avions pas donné d’importances, chaque scène dans lesquelles nous n’avons pas assez prêté attention. Argento ne donne que peu d’indices aux spectateurs et au personnage principal, mais toujours des indices visuels, qui devraient être vus, mais notre regard est pointé vers une autre direction. Il nous rappelle que toute image est trompeuse, car cette image n’est créé que d’un seul point de vue, il suffit parfois de regarder les choses un peu plus attentivement ou d’un autre point de vue pour enfin comprendre.
Le final, comme dans la plupart des films d’Argento, n’est pas un happy-end, bien au contraire, bien que l’intrigue soit terminée, et se termine bien , la dernière image que l’on voit, c’est le visage de Marc, à l’envers et en rouge. Comme si après toute cette enquête, le personnage principal se retrouve face à lui-même, rien n’est résolu, le Mal subsistera, ce Mal incontrôlable et incompréhensible qui a provoqué toute cette folie. Si cette vision du Mal est caractéristique du cinéma d’Argento, le plan final sur le reflet d’Hemmings a une portée bien plus métaphysique. Marc, depuis le début est à la recherche d’une image, une image perdue dans sa mémoire, image qu’il recherche pendant tout le film, cette image, c’est son reflet. Ainsi, il acquière une conscience à la fin du film, la conscience d’abord qu’il ne comprend pas le monde, qu’il ne peut voir où il faut, qu’il est dépassé dans un monde où le Mal n’est pas seulement caractérisé par l’assassin mais qui déborde de partout, souvenez-vous de la petite fille, mais aussi et surtout il prend conscience qu’il ne se comprend pas lui-même, et qu’il courrait après son reflet et qu’au final il a fait une boucle, il cherche son reflet, et se cache le visage, car rien n’est plus angoissant que de voir son reflet. Bien plus que la compréhension du monde, c’est la compréhension de soi-même qui est fondamentale.
« Les Frissons de l’Angoisse » est selon moi le beau, le plus complexe et le plus intéressant des gialli, Argento convoque « Blow Up », reprend quasiment le même personnage que dans le film d’Antonioni, pour un résultat en tout point fascinant, au scénario sans bout de gras, ultra tenu, aux interprétations multiples, sur la signification du plan final notamment. Un immense film sur les illusions, Argento se joue du spectateur avec une virtuosité hallucinante. Objectivement, les seuls défauts que l’on peut reprocher sont les scènes comiques, qui pour moi sont justifiées mais qui peuvent ralentir un récit déjà volontairement lent dans sa première heure. La musique des Goblins pourra peut-être en irriter plus d’un, bien qu’elle soit mythique, elle a à de rares moments un petit côté kitsch qui fait aussi le charme des films de cette époque. Pour ma part je considère « Les Frissons de l’Angoisse » comme le giallo ultime, indépassable, et des plus grands films du cinéma Italien et un des plus grands films des 70’s.