Sortie salles France: 17 Août 1977. U.S: 11 Juin 1976. Italie: 7 Mars 1975
FILMOGRAPHIE: Dario Argento est un réalisateur et scénariste italien né le 7 septembre 1940, à Rome (Italie). 1969: l'Oiseau au plumage de Cristal, 1971: Le Chat à 9 queues, Quatre mouches de velours gris, 1973: 5 Jours à Milan, 1975: Les Frissons de l'Angoisse, 1977: Suspiria, 1980: Inferno, 1982: Ténèbres, 1985: Phenomena, 1987: Opera, 1990: 2 yeux Maléfiques, 1993: Trauma, 1996: Le Syndrome de Stendhal, 1998: Le Fantome de l'Opéra, 2001: Le Sang des Innocents,2004: Card Player, 2005: Aimez vous Hitchcock ?, 2005: Jennifer (épis Masters of Horror, sais 1), 2006: J'aurai leur peau (épis Masters of Horror, sais 2), 2006: Mother of Tears, 2009: Giallo, 2011: Dracula 3D.
Synopsis: Un pianiste est malencontreusement témoin du meurtre d'une médium trop curieuse pour démasquer un assassin. Intrigué par un détail énigmatique vis à vis d'un tableau dans la demeure de la victime, il décide de mener sa propre enquête. Le tueur susceptible continue sur sa lancée meurtrière en supprimant les témoins gênants.
Chef-d'oeuvre absolu de Dario Argento, panthéon du néo Giallo à revoir à l'infini tant il déploie insatiablement des trésors de richesse à chaque révision, les Frissons de l'Angoisse arrive quatre ans après sa trilogie animale achevée en 1971. C'est avec ce thriller baroque au goût prononcé pour la violence sanguine que le réalisateur peut déployer sa maestria beaucoup plus circonspecte. Soin du cadrage et travellings tarabiscotés auprès d'une caméra mobile, décors insolites d'une recherche esthétique stylisée et raffinement cruel dans l'élaboration de meurtres sanglants. Ajoutez à cela une angoisse sous jacente pour l'investigation criminelle, une ambiance gothique surnaturelle (dans la hantise d'une demeure pour dégoter un macchabée décharné) et un suspense lattent imparti à une narration finaude en trompe l'oeil ! Car ici, méfions nous des apparences et ce dès le générique musical ! Argento se résout en l'occurrence à jouer avec la perception visuelle du spectateur observant un bambin potentiellement coupable ou témoin d'un meurtre commis à l'arme blanche. Dans le salon conjugal d'une nuit de noël, une violente rixe est suggérée à travers le mur de deux ombres menaçantes. Un cri infantile est soudainement exclamé ! Un couteau de cuisine ensanglanté trébuche sur le sol tandis que la scène suivante nous illustre de façon prononcée deux jambes d'un enfant s'approchant près de l'objet tranchant ! Le montage parfaitement structuré est musicalement scandé d'une comptine entêtante. Une séquence d'anthologie roublarde évoquant l'homicide d'un trauma infantile et sa faculté suggestive à semer le doute auprès du spectateur pour tenter de déceler certains éventuels indices. La suite continue dans cette logique du "faux semblant" parmi l'investigation criminelle du héros et la représentation picturale d'un tableau où un détail éloquent lui fut préalablement omis.
Il faut indubitablement louer l'incroyable partition musicale des Goblin déployant à rythme cadencé un tempo terriblement entraînant pour mettre en exergue la fascination ombrageuse d'une intrigue criminelle jalonnée d'indices irrésolues. Et Argento d'y agencer un goût funeste pour le baroque, l'insolite (jeux de lumière, couleurs hybrides contrastées, architecture picturale de sculptures historiques), l'épouvante même (l'intérieur de la maison abdiquée et ce qui s'ensuit), mais aussi le surnaturel feutré (toute la fouille archéologique se déroulant dans cette même demeure gothique) afin de transcender le genre Giallesque dans une mouvance littéralement singulière. Bref, on n'a jamais vu cela à l'écran auprès de cette scénographie (déjà) opératique constamment magnétique. Ainsi, Les Frissons de l'Angoisse est notamment la prémices d'une transition pour le maître d'augurer ses délires sanglants d'un fantastique occulte entrepris 2 ans plus tard avec Suspiria. En effet, on sent déjà ici une nette influence putanesque à confectionner quelques meurtres sadiques d'un réalisme cru et stylisé (la mâchoire d'une des victimes fracassée contre le marbre d'une cheminée puis sur le bois d'une table ou encore la lapidation infortunée de Carlo n'en finissant plus d'agoniser). Le point d'orgue final fertile en déconvenues et péripéties instables instaurant avec acuité le mode opératoire du suspense préalablement distillé, juste avant de nous dévoiler l'identité du meurtrier entraperçu dès les cinq premières minutes du film ! Il fallait oser ! Or, cet synergie d'hermétisme indicible, d'anxiété diffuse et de suspense croissant nous confine au sein d'un environnement insécure jonché de détails troubles. Tel ce combat bestial entre chiens, le lézard perforé d'une aiguille, les tableaux au visages mortifères ou encore le piano bar et sa clientèle statique. Tandis que d'autres éléments macabres nous sont accolés parmi la symbolique d'une poupée pendue ou celle d'un pantin de porcelaine (au rictus diablotin) violemment projeté sur une victime.
Maîtrise technique d'un esthétisme stylisée, intrigue tortueuse émaillée d'éléments patibulaires, meurtres sadiques d'une verdeur audacieuse et science du suspense planifiée autour de protagonistes malhabiles, Les Frissons de l'Angoisse est conçu à l'instar d'un puzzle édifié sur le simulacre. Baignant dans une atmosphère hybride délicieusement funèbre et sublimé du score inimitable des Goblin, ce chef-d'oeuvre tout à la fois expérimental et novateur possède en outre une aura de fascination dépassant notre raison. Sans doute l'un des plus grands films de l'histoire du cinéma dépassant aisément le (sous) genre du Giallo avec une grâce technique/formelle/narrative/cérébrale infiniment alchimique.
*Bruno
03.05.24. 4èx. Vostfr. Version courte.
13.08.12.
Ci-joint Analyse du film issue du site Vodkaster (ciné-club sur les Gialli)
Une médium, joué par Macha Méril est assassinée. Marc, joué par David Hemmings, est témoin du meurtre, il entend les cris de la jeune femme et accourt à son aide, trop tard. Ayant pourtant assisté au meurtre, il n’a pas pu voir le visage de l’assassin dont il a juste vu la silhouette quitter l’immeuble, silhouette qu’il suppose être du tueur. Plus tard interrogé par la police, il évoque des doutes, dans le couloir rempli de tableaux de l’appartement de la médium, quelque chose semble manquer et avoir disparu, il ne peut cependant évoquer ce qui manque exactement, mais quelque chose semble lui échapper, quelque chose qu’il ne peut expliquer et décrire, une impression. Aidé par une journaliste, jouée par Daria Nicolodi, il va commencer mener l’enquête et va rapidement commencer à comprendre qu’il est lui-même aussi en danger. Cette enquête va l’amené à questionner son regard, les apparences, et ce qu’il croit voir et avoir vu.
C’est donc un retour à la plus pure tradition du giallo pour Argento. On y retrouve les thèmes récurrents, un étranger, dont la nationalité n’est ici jamais évoquée, qui est aussi un artiste, pianiste, est témoin d’un meurtre et se met alors à enquêter, son obsession va l’emmener à découvrir un lourd secret de famille et va surtout le faire se révéler à lui-même. Une des autres caractéristiques du giallo que l’on retrouve, le secret de famille, ici le tueur n’est pas un psychopathe, il tue pour protéger un secret familial traumatique. On pouvait d’ailleurs déjà retrouver cette trame dans « Le chat à neuf queues ». Un des aspects étonnants c’est qu’Argento met en place plusieurs éléments de comédies avec notamment le couple Nicolodi-Hemmings, lui étant plutôt machiste et burné, elle était plutôt sure d’elle et déterminée. Si dans les films précédents d’Argento, il y avait toujours un élément de comédie, que ce soit un personnage, comme celui de Jean-Pierre Marielle dans « Quatre mouches de velours gris », ou certaines scènes. Or ici, les situations sont un peu plus étoffées, peuvent parfois sortir de l’intrigue principal, mais Argento n’en fait pas trop, et place ces scènes dans sa première heure de film, pour donner de la substance à ses personnages, et montrer leur caractère avant l’intrigue, pour mieux nous montrer leur évolution. L’autre innovation majeure dans le cinéma d’Argento, c’est la présence, pour la première fois dans sa filmographie du paranormal, on y retrouve une médium qui lit dans les esprits des gens, une maison hantée, et une enfant démoniaque qu’Argento arrive à filmer d’une manière qui la rend terriblement angoissante et impressionnante. Voir cette petite fille tuant des animaux ne paye pas de mine, mais la manière dont Argento la filme, comme si elle était en prise avec une étrange forme du Mal, un Mal imperceptible, impalpable, mais omniprésent, même dans l’esprit d’une jeune enfant. Argento passe très vite à autre chose et c’est encore plus fort, voir la réaction du père lorsque la petite tue un lézard permet d’alimenter énormément notre imagination, et ne pas s’y attarder nous permet de donner un supplément d’âme à la scène suivante, le vrai grand tour de force du film, la visite de la maison hantée. Après l’introduction d’une étrange force maléfique semblant s’imprégner de la petite fille, Argento réalise une très longue scène d’exploration urbaine, quasiment jamais vu à l’époque. Il y aura deux scènes comme celles-là dans le film. Dans la première, après l’introduction de la petite fille, notre esprit est donc plus fertile pour anticiper l’arrivée de quelques esprits, mais Argento se joue du spectateur d’une façon absolument magistrale. En jouant sur l’utilisation de différents points de vue, Argento donne l’impression que Marc n’est pas seul, allonge sa scène, fait sonner la musique des Goblins, les mouvements de caméra sont flottants, comme épousant le point de vue des esprits hantant la maison. On est probablement ici devant la plus belle scène d’exploration de maisons hantée du cinéma, un grand moment d’angoisse, où rien et tout se passe à la fois, Marc devant être attentif à tous les détails s’il veut espérer résoudre l’enquête. Argento travaille déjà à merveille son ambiance, en rendant le Mal invisible comme surnaturel, il joue sur les cadres et les espaces pour nous faire ressentir l’étrange présence du lieu, les fantômes du passé d’une façon que l’on sache, avant même la révélation finale, que quelque chose d’important s’est passé dans cette maison, qui est toujours imprégné de ce qui s’est passé.
Mais « Les Frissons de l’Angoisse », c’est surtout une grande étude sur le réel, un réel trop difficile à comprendre, un réel qui nous échappe, nous spectateur, et qui surtout échappe au personnage principal.
Pour nous faire ressentir cette perte de repères, Argento use à fond des fausses pistes, le film regorge de personnages à double tranchants, et de situation où tous ce qui est montré est inutile, et où tous les détails dans les coins du cadre sont essentiels. Ce n’est jamais ce qui est montré en première plan qui est le plus important, c’est toujours ce qui se passe dans les cuts rapides, toujours ce qui se passe dans l’obscurité, au fond du cadre qui donne la clé du film. Un des autres coups de génie du film est également de montrer le visage de l’assassin dès le début du film, seulement le regard du spectateur n’est pas dirigé dans la bonne direction par Argento, qui, de par sa mise en scène nous indique de regarder dans une autre direction, le coup de force est total, Argento a assez de confiance dans la puissance de sa mise en scène pour montrer l’assassin dès le début, David Hemmings est dupé, nous sommes dupés.
« Profondo Rosso » est également un grand film sur la persistance rétinienne, le personnage principal ayant vu le visage de l’assassin dès le début, mais il n’a pas bien regardé et analyser ce qu’il voyait, il a beau avoir l’image dans sa tête, il ne peut comprendre ce qu’il manque dans l’appartement puisqu’il n’a pas une image assez précise de ce qu’il a vu exactement. Il doit décoder ce qu’il voit, à l’image de cette pièce emmurée dans la maison hantée, il ne voit qu’une partie d’un dessin qui est la clé de l’intrigue. En cassant le mur, il rentre comme dans un écran, comme si Argento brisait notre écran, au moment où commencent les révélations, nous faisant entrer nous-mêmes, spectateurs, à l’intérieur du film, pour nous expliquer ce que nous avons manqué depuis le début du film, chaque détail auxquels nous n’avions pas donné d’importances, chaque scène dans lesquelles nous n’avons pas assez prêté attention. Argento ne donne que peu d’indices aux spectateurs et au personnage principal, mais toujours des indices visuels, qui devraient être vus, mais notre regard est pointé vers une autre direction. Il nous rappelle que toute image est trompeuse, car cette image n’est créé que d’un seul point de vue, il suffit parfois de regarder les choses un peu plus attentivement ou d’un autre point de vue pour enfin comprendre.
Le final, comme dans la plupart des films d’Argento, n’est pas un happy-end, bien au contraire, bien que l’intrigue soit terminée, et se termine bien , la dernière image que l’on voit, c’est le visage de Marc, à l’envers et en rouge. Comme si après toute cette enquête, le personnage principal se retrouve face à lui-même, rien n’est résolu, le Mal subsistera, ce Mal incontrôlable et incompréhensible qui a provoqué toute cette folie. Si cette vision du Mal est caractéristique du cinéma d’Argento, le plan final sur le reflet d’Hemmings a une portée bien plus métaphysique. Marc, depuis le début est à la recherche d’une image, une image perdue dans sa mémoire, image qu’il recherche pendant tout le film, cette image, c’est son reflet. Ainsi, il acquière une conscience à la fin du film, la conscience d’abord qu’il ne comprend pas le monde, qu’il ne peut voir où il faut, qu’il est dépassé dans un monde où le Mal n’est pas seulement caractérisé par l’assassin mais qui déborde de partout, souvenez-vous de la petite fille, mais aussi et surtout il prend conscience qu’il ne se comprend pas lui-même, et qu’il courrait après son reflet et qu’au final il a fait une boucle, il cherche son reflet, et se cache le visage, car rien n’est plus angoissant que de voir son reflet. Bien plus que la compréhension du monde, c’est la compréhension de soi-même qui est fondamentale.
« Les Frissons de l’Angoisse » est selon moi le beau, le plus complexe et le plus intéressant des gialli, Argento convoque « Blow Up », reprend quasiment le même personnage que dans le film d’Antonioni, pour un résultat en tout point fascinant, au scénario sans bout de gras, ultra tenu, aux interprétations multiples, sur la signification du plan final notamment. Un immense film sur les illusions, Argento se joue du spectateur avec une virtuosité hallucinante. Objectivement, les seuls défauts que l’on peut reprocher sont les scènes comiques, qui pour moi sont justifiées mais qui peuvent ralentir un récit déjà volontairement lent dans sa première heure. La musique des Goblins pourra peut-être en irriter plus d’un, bien qu’elle soit mythique, elle a à de rares moments un petit côté kitsch qui fait aussi le charme des films de cette époque. Pour ma part je considère « Les Frissons de l’Angoisse » comme le giallo ultime, indépassable, et des plus grands films du cinéma Italien et un des plus grands films des 70’s.
Pas grand-chose à dire à part... CHEF-D'OEUVRE comme tu le dis si justement. Un vrai bonheur que ce film, récemment trouvé en plus en version uncut. Je vais donc me le revoir bientôt. Pattes de Velours.
RépondreSupprimerJe ne saurais dire qu'elle est la meilleure version !
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