mercredi 5 décembre 2012

La Nuit du Chasseur / The Night of the Hunter


                                          
                                               Photo empruntée sur Google, appartenant au site t411.me

de Charles Laughton. 1954. U.S.A. 1h33. Avec Robert Mitchum, Shelley Winters, Lillian Gish, Billy Chapin, Sally Jane Bruce, James Gleason.

Sortie salles France: 11 Mai 1956. U.S: 29 Septembre 1955

FILMOGRAPHIE: Charles Laughton est un réalisateur et acteur britannique, né le 1er Juillet 1899 à Scarborough (Yorkshire, Royaume-Uni), naturalisé américain en 1950. Il décède le 15 Décembre 1962 à Hollywood (Californie) des suites d'un cancer. 1954: La Nuit du Chasseur


Unique réalisation de l'acteur Charles Laughton, La Nuit du Chasseur fut dès sa sortie officielle une oeuvre maudite puisque dépréciée par la critique et boudée par un public non préparé à une telle excentricité. Reconnu au fil des ans comme l'un des plus grands films de l'histoire du cinéma, ce conte hypnotique sur l'innocence bafouée resplendit de mille feux à travers son noir et blanc scintillant, transcendé aujourd'hui du support blu-ray mais aussi et surtout de sa nouvelle restauration 4K à damner un saint ! 

Le PitchAprès avoir planqué un butin que leur père leur légua juste avant d'être condamné pour assassinat, deux enfants sont persécutés par son ancien compagnon de cellule. Un pasteur machiavélique obnubilé à l'idée de mettre la main sur le fameux magot. 

Poème livide sur l'enfance maltraitée durant la période de la grande dépression, suspense haletant d'une traque incessante entre un pasteur démoniaque et deux bambins candides, romance passionnelle sur la préservation de l'innocence infantile par l'entremise de la pédagogie et des valeurs du Bien, la Nuit du Chasseur est une oeuvre ineffable. Un diamant noir, à mi-chemin entre l'onirisme du conte de fée et l'icône horrifique de l'ogre surgi de la forêt. Car dans une photo expressionniste en clair-obscur, Charles Laughton nous compose avec une folie créatrice un florilège d'images saisissantes et baroques aux inspirations hybrides (western, film noir, fantastique, horreur se télescopent parmi l'esthétisme du cinéma muet).


Tant auprès de la fuite crépusculaire sur le lit de rivière que les deux gamins emprunte sur la barque, du meurtre mystique de Willa Harper dans sa chambre tamisée d'éclairages ciselés, que de la découverte macabre qui s'ensuit lorsque son cadavre se laisse voguer au fond de l'eau parmi les algues marins. Par ailleurs, à travers son ambiance opaque insaisissable, La Nuit du Chasseur nous propose notamment d'y parfaire l'un des plus glaçants portraits de serial-killer auprès de sa perversité insatiable. Si bien que sous l'allégeance du diabolique Harry Powell, Robert Mitchum livre sans nul doute l'interprétation de sa carrière tant il retranscrit avec une froideur absolument terrifiante (3 séquences cruelles convoquent peur et malaise) le profil véreux d'un révérend bafouant la cause de Dieu. Pleinement conscient des valeurs manichéennes du Bien et du Mal, Harry Powell régit sa vie sans vergogne dans le cynisme le plus insidieux (pour ne pas dire notamment le plus crapuleux). Car pour duper une veuve puritaine, quoi de plus cruel et couard que de molester l'innocence au profit d'un juteux butin que deux gamins préservent secrètement. Ainsi, à travers cette sombre traque où deux orphelins fuient leur bourreau à travers champs d'une nature étrangement sereine (en accord avec l'harmonie animalière), Charles Laughton nous dépeint l'influence sournoise que le Mal puisse exercer chez l'être humain avide d'amour et de reconnaissance (Willa Harper et l'adolescente timorée sont impuissamment assujetties à l'emprise charnelle de Powell). Il y dénonce notamment le fanatisme religieux chez les personnes superstitieuses et démunies car se rabattant auprès d'une divinité puritaine afin d'apaiser leur déveine et éventuelle culpabilité. Enfin, il met en valeurs les principes moraux de la bienséance à travers l'enseignement parental lorsque les enfants fragilisés sont destitués de leur propre famille.


Conte obscur nappé de cynisme horrifique et d'onirisme enchanteur, récit initiatique confronté à la perte de l'innocence, la Nuit du Chasseur ne cesse de surprendre, de choquer parfois, d'apeurer aussi, d'éblouir et d'émouvoir enfin (quel final rédempteur pétri de tendresse !) un spectateur impliqué dans une structure narrative déconcertante. La puissance formelle de ces images aussi limpides qu'insolites, l'originalité de sa mise en scène pragmatique, le jeu gouailleur de Robert Mitchum glaçant d'austérité et de sarcasme (le diable en personne j'vous dit !) ainsi que la prestance très attachante du jeune Billy Chapin, transperçant l'écran par sa détermination fragile, confinent au chef-d'oeuvre émotif à la modernité trouble.  

*Bruno 
05.12.12. 3èX
12.04.24. 4èx. Vo. 4K

L'avis de Mathias Chaput:
Ce qui frappe avant tout dans "la Nuit du Chasseur" c'est le charisme MONUMENTAL de Mitchum dans son rôle !
S'immisçant de façon hypnotique dans le paysage, dans l'environnement et même dans le subconscient de ceux et celles qu'il côtoie, il signe là son rôle le plus emblématique, loin des stéréotypes des acteurs américains des années 50, cantonnés soit dans des rôles de durs soit dans des rôles de justiciers !
Non ici c'est AUTRE CHOSE...
C'est difficile à décrire en fait ce que l'on ressent, en fait je crois que ça se VIT...
Il faut le voir pour le comprendre, c'est très dur à faire discerner ou à raconter...
Métaphysique, métaphorique (la fuite la nuit sur la barque avec la toile de l'araignée, symbole du pasteur prédateur qui tisse son piège, les grenouilles, les lapins, le hibou, presqu'un métrage naturaliste, en tout cas hors normes avec le cinéma d'alors...) et surtout proche du fantastique, grâce à des cadrages élaborés rares pour l'époque ! (le reflet des personnages marchant le long de la rivière, la femme protectrice maternelle qui garde les orphelins et qui n'hésite pas à sortir son fusil de chasse et à en faire usage !)...
Le côté lancinant et charmeur à la limite de la dépravation de Mitchum dont même une adolescente à peine sortie de la puberté dit être amoureuse !
POLITICALLY INCORRECT !
Tous ces aspects pour le moins discutables contribuent sans nul doute à faire émerger une approche malsaine du personnage qui peut être identifié comme le "DIABLE", souillant et troublant la candeur des bambins innocents et aux visages terrorisés rien qu'à la vision de Powell, ogre des temps modernes, avide d'argent et étant prêt à tout pour obtenir le butin caché, quitte à occire ceux qui se trouveront sur son passage, y compris les mômes qu'il ne prendra aucune difficulté à supprimer dans l'alternative où son but est atteint !
Osé, novateur, sidérant et pathologique dans son style, "la Nuit du Chasseur" est un masterpiece qu'il faut impérativement avoir visionné si l'on se dit cinéphile...
Note : 10/10

mardi 4 décembre 2012

MACADAM A DEUX VOIES (Two-Lane Blacktop)

                                           Photo empruntée sur Google, appartenant au site fan-de-cinema.com

de Monte Hellman. 1971. U.S.A. 1h42. Avec James Taylor, Warren Oates, Laurie Bird, Dennis Wilson.

Sortie salles U.S: 7 Juillet 1971

FILMOGRAPHIEMonte Hellman est un réalisateur et producteur américain, né le 12 Juillet 1932 à New-York.
1959: Beast from Haunted Cave. 1964: Flight to Fury. 1964: Back Door to Hell. 1965: l'Ouragan de la Vengeance. 1967: The Shooting. 1971: Macadam à deux voies. 1974: Cockfighter. 1978: China 9, liberty 37. 1988: Iguana. 1989: Douce nuit, sanglante nuit 3. 2010: Road to Nowhere.


Film culte tardivement reconnu et desservi par un échec commercial cinglant, Macadam à deux voies s'engage dans le road movie contestataire, à la manière de ces illustres acolytes, Easy Rider et Point Limite Zero. Réalisé sous une forme documentaire, Monte Hellman nous retrace l'équipée monocorde de deux comparses taciturnes et d'une jeune auto-stoppeuse infantile, engagés dans une course automobile par l'entremise d'un rival solitaire.


Road Movie contemplatif illustrant la passion dévorante que peuvent entretenir les fous du volant, Macadam sur 2 voies est une fuite en avant vers une liberté sans illusion. La contre-culture de jeunes paumés sillonnant les routes des Etats-unis pour amasser leur gain à travers des courses illégales. Avec l'arrivée d'un quarantenaire tout aussi paumé et profondément frustré, nos trois conducteurs vont se lancer le défi de regagner Washington en un temps record ! Entre ces trois pèlerins avides d'élitisme par la gagne d'une course interminable, une jeune auto-stoppeuse versatile va semer le désordre vis à vis d'une idylle hésitante. Néanmoins, cette compétition de longue haleine va s'avérer finalement vaine et destructurée puisqu'en cours de route, nos deux acolytes vont notamment s'octroyer diverses courses aléatoires avec d'autres alliés tout aussi orgueilleux.
Cette intrigue futile bâtie sur la monotonie d'individus en quête libertaire nous illustre leur désir de fuite furtive sans pouvoir préfigurer l'avenir d'un lendemain incertain. C'est donc une errance routière que nous retrace Macadam à 2 voies, non exempt de loufoquerie (Warren Oates se révèle savoureux en quidam malchanceux contraint de prendre en auto-stop des individus peu communs), où flics et badauds restent des témoins apathiques. Sur le bitume des divers contrées consommées, nos héros vont néanmoins se porter en témoin d'une réalité morbide lors d'un accident meurtrier entre un camion et un véhicule. Alors que le quarantenaire, à deux doigts de s'isoler au bout du monde avec une gamine lunatique, va lui aussi se confronter au trépas lors des confidences d'une grand-mère accablée par le deuil familial de sa petite fille orpheline.


Course poursuite sans horizon de rebelles avides de notoriété et d'amour rédempteur mais incapables de se transcender dans leur ambition illusoire, Macadam à 2 voies est un road movie insolite véhiculant une nonchalance existentielle ainsi qu'une cocasserie excentrique (Warren Oates, en séducteur malhabile, est vêtu d'un pull de couleur distincte à chacune de ses apparitions !). Une virée urbaine de noctambules trop ancrés dans l'idéologie du temps présent où l'avenir n'a pas de raison d'être. Au risque de s'en brûler les ailes par déchéance amoureuse ou délivrance suicidaire. 

04.12.12
Bruno Matéï


lundi 3 décembre 2012

MALEVIL

                           Photo empruntée sur Google, appartenant au site lamaisondegaspard.blogspot.com

de Christian de Chalonge. 1980. France/Allemagne. 2h00. Avec Michel Serrault, Jacques Dutronc, Jean-Louis Trintignant, Jacques Villeret, Robert Dhéry, Hanns Zischler, Pénélope Palmer.

Sortie salles France: 13 Mai 1981 

FILMOGRAPHIE: Christian de Chalonge est un réalisateur français né le 21 Janvier 1937 à Douai.
1968: O Salto. 1971: l'Alliance. 1976: Le Désert des Tartares. 1978: l'Argent des Autres. 1980: Malevil. 1982: Les 40è Rugissants. 1990: Le Diable en Ville. 1990: Docteur Petiot. 1991: Le Voleur d'Enfants. 1996: Le Bel Eté 1914. 1997: Le Comédien. 1999: Maigret; un meurtre de première classe (télé-film). 2002: Maigret et le marchand de vin (télé-film). 2002: Maigret chez le Ministre (télé-film). 2007: l'Avare (télé-film). 2008: Le Malade Imaginaire (télé-film). 2009: Le Bourgeois Gentilhomme (télé-film).


Inspiré du roman homonyme de Robert Merle paru en 1972, Malevil est un récit de science-fiction post-apo décrivant sans esbroufe le quotidien d'une poignée de survivants après un cataclysme nucléaire. Co-produit entre la France et l'Allemagne, le film de Christian de Chalonge bénéficie en outre d'une distribution hétéroclite (Michel Serrault, Jacques Villeret, Jacques Dutronc et Robert Dhéry) afin de renforcer la crédibilité des évènements au cours duquel une famille de paysans va devoir s'unifier pour refonder un semblant de vie harmonieuse. Dans l'atmosphère feutrée d'une nature champêtre destituée de son environnement écologique, Malevil est d'abord une réussite esthétique modeste par son habileté à exploiter divers décors minimalistes pour retranscrire l'isolement d'un bout de campagne (bâtiments en ruines, rivière desséchée, champs et bosquet calcinés).


La première partie nous illustre avec efficacité la survie d'un groupe de citadins sauvés par l'explosion de la bombe et des effets de radiations depuis qu'ils s'étaient protégés en interne d'une cave. De manière circonspecte, Christian de Chalonge prend soin de nous attacher à ces campagnards de terroir réfugiés dans leur unique ferme et ayant encore l'aubaine de pouvoir élever le dernier bétail (chevaux, cochons et boeufs). Au fil des mois, après avoir labouré la terre et planter les nouvelles denrées, leur nouvelle vie semble beaucoup moins contraignante pour laisser présager le nouvel espoir d'un futur envisageable. Jusqu'au jour où une bande de voleurs faméliques décide de s'approcher un peu trop des champs de cultivation. Mais l'arrivée d'un autre groupe de survivants subordonnés à la hiérarchie d'un gourou totalitaire va sévèrement remettre en péril la postérité de nos agriculteurs. Cette seconde partie plus vigoureuse dans les conflits belliqueux entamés à travers deux clans rivaux laisse place à la rencontre apparemment hostile de pèlerins réunis en interne de wagons de transport sous l'isolement d'un tunnel. Tyrannisés par un directeur perfide alloué à la parole du divin (Jean Louis Trintignant, étonnant de flegme impassible), ces sbires sont contraints de lui obéir sans daigner tenter de s'insurger. Mais l'avènement des nouveaux survivants de Malevil va peut-être leur permettre de s'affranchir d'une emprise sectaire. A travers ce conflit hostile entre le peuple d'un fondamentaliste véreux et celui d'un pacifiste intègre (Michel Serrault en fermier autoritaire surprend par son jeu précisément modeste), le réalisateur démontre avec une dérision implicite l'instinct guerrier de l'être humain, contraint de se mesurer à la menace de l'étranger par esprit de mégalomanie, de survie ou d'autonomie. Et cela quelques mois seulement après avoir enduré un cataclysme nucléaire mondial aux conséquences catastrophiques.


Réalisé sans artifice avec une jolie photo scope et éludant le plus souvent la carte du spectaculaire, Malevil est une excellente preuve que le cinéma hexagonal est parfois apte à oeuvrer dans l'anticipation avec intelligence et persuasion. Son pouvoir de fascination émanant de l'environnement de sa campagne désincarnée ainsi que le caractère attachant des personnages, rendent toujours aussi attrayants ce post-nuke provincial bien de chez nous. A revoir sans réserve, notamment du fait de sa rareté partiale.   

03.12.12
Bruno Matéï


vendredi 30 novembre 2012

BLOW OUT

                                               Photo empruntée sur Google, appartenant au site myscreens.fr

de Brian De Palma. 1981. U.S.A. 1h48. Avec John Travolta, Nancy Allen, John Lithgow, Dennis Franz, Peter Boyden, Curt May.

Sortie salles France: 17 Février 1982. U.S: 24 Juillet 1981

FILMOGRAPHIEBrian De Palma, de son vrai nom Brian Russel DePalma, est un cinéaste américain d'origine italienne, né le 11 septembre 1940 à Newark, New-Jersey, Etats-Unis. 1968: Murder à la mod. Greetings. The Wedding Party. 1970: Dionysus in'69. Hi, Mom ! 1972: Attention au lapin. 1973: Soeurs de sang. 1974: Phantom of the paradise. 1976: Obsession. Carrie. 1978: Furie. 1980: Home Movies. Pulsions. 1981: Blow Out. 1983: Scarface. 1984: Body Double. 1986: Mafia Salad. 1987: Les Incorruptibles. 1989: Outrages. 1990: Le Bûcher des vanités. 1992: l'Esprit de Cain. 1993: l'Impasse. 1996: Mission Impossible. 1998: Snake Eyes. 2000: Mission to Mars. 2002: Femme Fatale. 2006: Le Dahlia Noir. 2007: Redacted. 2012: Passion.


Un an après son chef-d'oeuvre sulfureux Pulsions, Brian De Palma enchaîne avec un second thriller,  une méticuleuse investigation afin de démanteler un attentat politique au coeur d'une Amérique paranoïaque ! Au moment de ces expérimentations dans un parc régional, un preneur de son se retrouve témoin d'un meurtre fardé en accident. Suite à l'éclatement du pneu d'une voiture, un gouverneur et sa passagère sont projetés au fond d'une rivière. Après avoir sauvé in extremis la jeune fille, Jack tente de dévoiler au grand jour le meurtre du gouverneur à l'aide de sa bande-son mais aussi le film qu'un photographe est parvenu à enregistrer le soir même de la tragédie. Afin d'étouffer l'affaire au plus vite, un dangereux maniaque complice de cette conjuration s'entreprend de récupérer la bobine et supprimer les témoins gênants. Hommage au 7è art dans ce rapport inhérent que l'image et le son entretiennent communément afin d'épurer la chimère cinématographique, Blow Out est un jeu de manipulation roublard où le simulacre dévoile peu à peu ses failles par l'entremise d'un technicien de cinéma. Avec la complicité attachante de John Travolta (étonnant de sobriété dans un rôle à contre-emploi !) et de l'aguicheuse Nancy Allen (irrésistible de naïveté candide dans sa fonction antinomique d'escort girl !), Brian De Palma nous élabore une enquête passionnante où la mise en scène virtuose tient une fois de plus du prodige (utilisation harmonieuse du split screen, du travelling circulaire et de la louma).


A travers la reconstitution d'une scène de crime entreprise par un preneur de son obnubilé à rétablir la vérité, Brian De Palma nous manifeste son amour pour le cinéma sous toutes ses variantes. Si bien qu'ici, même les navets horrifiques mâtinés d'érotisme ont droit à la reconnaissance face à l'expressivité d'un hurlement salvateur ! Une fois de plus, le réalisateur utilise avec masochisme la dextérité d'un scénario charpenté où les apparences trompeuses vont être dévoilées sous l'allégeance d'un cinéaste soucieux de conviction réaliste. Puisqu'en sous-intrigue, la quête du fameux cri escompté dès le prélude est finalement dégoté par le héros à travers l'agonie de sa compagne sacrifiée ! Et on peut dire qu'en terme de point d'orgue nihiliste, l'inoubliable dénouement de Blow-Out s'avère sacrément couillu pour laisser le spectateur dans un pessimisme élégiaque. Ce qui justifie d'ailleurs son relatif échec commercial lors de sa sortie en salles (13 747 234 dollars de recettes pour un budget de 18 millions) et la faillite qui s'ensuit pour sa société de production. Qu'importe la défaite, De Palma nous a transcendé avec une maestria infaillible une course contre la montre fertile en péripéties délétères que nos héros ont parcouru pour contrecarrer l'antagoniste, et ce afin de sauvegarder la preuve irréfutable d'un complot politique.


Un cri dans la nuit
Scandé de la partition raffinée de Pino Donaggio, Blow-out réexploite le mode opératoire du suspense et de l'enquête policière avec une roublardise jubilatoire. Dominé par un casting sans fard, cet hommage au cinéma "perfectible" transcende l'outil artistique au gré d'une énigme irrésolue. De par l'audace de sa conclusion bouleversante, Blow out prouve avec dérision cruelle (l'utilisation d'un vrai cri au profit d'une oeuvre de commande) qu'au cinéma rien n'est gagné d'avance, surtout lorsqu'un cinéaste s'efforce d'y cultiver sa patte personnelle. Quitte à l'arrivée d'essuyer un cuisant échec commercial... 

* Bruno
30.11.12. 4èx



jeudi 29 novembre 2012

LE JOUR D'APRES (The Day After)

                                            Photo empruntée sur Google, appartenant au site encyclocine.com

de Nicholas Meyer. 1983. U.S.A. 2h06. Avec Jason Robards, JoBeth Williams, Steve Guttenberg, John Cullum, John Lithgow, Bibi Besch, Lori Lethin, Amy Madigan.

Diffusion TV U.S: 20 Novembre 1983. Sortie salles France: 25 Janvier 1984

FILMOGRAPHIENicholas Meyer est un réalisateur, scénariste, producteur et acteur américain, né le 24 Décembre 1945 à New-York.
1979: C'était demain. 1982: Star Trek 2. 1983: Le Jour d'Après. 1985: Volunteers. 1988: Les Imposteurs. 1991: Company Business. Star Trek 6. 1999: Vendetta.


Phénomène télévisuel lors de sa diffusion américaine à tel point qu'il créa un vent de panique chez plusieurs spectateurs (un standard téléphonique était à disposition le jour même de sa projection !), Le Jour d'Après engendra un tel impact émotionnel que notre pays hexagonal s'est empressé de l'exploiter en salles. Oeuvre de fiction post-apo illustrant les conséquences catastrophistes d'une troisième guerre mondiale assujettie au péril nucléaire, le Jour d'Après décrit avec un réalisme abrupt la survie d'une centaine de survivants touchés par la radioactivité. Établi en trois parties, la narration s'attache de prime abord à nous décrire la quotidienneté de diverses familles peu à peu enclins à l'inquiétude lorsque les infos télévisées annoncent un conflit politique de grande envergure entre l'URSS, l'Allemagne de l'Est et les Etats-Unis. La caractérisation des personnages nous est illustrée de manière traditionnelle dans leurs principes de valeurs morales liés à l'harmonie familiale. Au fil des informations alarmistes retransmises à la télé et à la radio, l'anxiété et l'appréhension des citadins commencent à prendre une ampleur incontrôlée lorsque certains d'eux décident d'investir les centres commerciaux afin de remplir leur cadis. Alors que toute une famille se réfugie au fond d'une cave pour se prémunir d'une potentielle attaque, certains pèlerins situés à des kilomètres de leur foyer tentent de rejoindre leurs proches le plus furtivement qu'ils peuvent.


C'est au moment où les missiles américains sont envoyés vers l'URSS qu'une riposte fatale va plonger les Etats-unis dans un holocauste nucléaire d'une envergure apocalyptique. Les effets spéciaux perfectibles alternant le cheap et le réalisme (épaulé de stock-shots issus des films Un Tueur dans la foule et Meteor) réussissent néanmoins à provoquer une terreur insondable. C'est d'abord l'explosion de missiles atomiques esquissant l'icône du fameux champignon qui nous est asséné de plein fouet face au témoignage d'une population horrifiée. Brasiers industriels, destructions massives de cités urbaines décharnées nous sont ensuite représentées avec une vigueur visuelle proprement cauchemardesque. Pour une production télévisuelle, Nicholas Meyer frappe fort dans sa détermination à secouer le public sans esbroufe mais avec un effort de persuasion dont l'impact se révèle inévitablement éprouvant. Cette seconde partie, aussi concise qu'elle soit, réussit avec efficience implacable à provoquer une stupeur et une terreur proprement viscérales !


La dernière partie, la plus sobre, poignante et jusqu'au boutiste nous illustre les conséquences du désastre atomique à travers le destin d'une poignée de survivants et de quelques familles désunies que le réalisateur pris soin de nous familiariser un peu plus tôt. Avec des moyens considérables et l'entremise de centaines de figurants, le réalisateur décrit "l'après apocalypse" par le truchement d'images saisissante de désolation. Amas de cendres sur les champs calcinés, forêt clairsemée dénuée de végétation, arbres dépouillés de frondaison, cadavres d'animaux, charniers de cadavres en décomposition ou momifiées. L'odeur du choléras et de la mort distillant dans l'air une atmosphère feutrée tandis que des pillards et terroristes sans abri tentent d'imposer la loi du plus fort. Cette dernière partie très impressionnante dans sa vision dantesque de fin d'un monde nous immerge au sein d'une Amérique agonisante où chaque survivant erre sans lueur d'espoir à la manière de zombies condamnés.


Cri d'alarme contre la menace du péril atomique si une troisième guerre mondiale devait un jour aboutir, le Jour d'Après demeure une impitoyable charge contre la politique de nos gouvernements en divergence insoluble. La verdeur de ces images morbides compromises à l'impact foudroyant du cataclysme nucléaire laissant en mémoire l'achèvement d'un génocide en décrépitude. Terrifiant jusqu'au malaise nauséeux, en espérant ne jamais connaître pareille génocide !

Note subsidiaire: On estime à plus de 100 millions le nombre d'Américains à avoir regardé ce téléfilm depuis sa première diffusion.

29.11.12. 4èx
Bruno Matéï


mercredi 28 novembre 2012

L' Autre / The Other. Prix du Meilleur Réalisateur à Catalogne, 1972

                                                            Photo empruntée sur Google, appartenant au site cinepesadelo.blogspot.com

de Robert Mulligan. 1972. U.S.A. 1h40. Avec Uta Hagen, Diana Muldaur, Chris Udvanoky, Martin Udvanoky, Norma Connolly, Victor French, Loretta Leversee, Lou Frizzell.

Sortie salles U.S: 23 Mai 1972. France: 20 Décembre 1972

FILMOGRAPHIE: Robert Mulligan est un réalisateur américain, né le 23 Août 1925 à New-York, décédé le 20 Décembre 2008 à Lyme, Connecticut. 1957: Prisonnier de la peur. 1960: Les pièges de Broadway. 1961: Le Rendez-vous de Septembre. 1961: Le Roi des Imposteurs. 1962: l'Homme de Bornéo. 1962: Du Silence et des Ombres. 1963: Une Certaine Rencontre. 1964: Le Sillage de la Violence. 1965: Daisy Clover. 1967: Escalier Interdit. 1969: l'Homme Sauvage. 1971: Un Eté 42. 1971: The Pursuit of Happiness. 1972: l'Autre. 1974: Nickel Ride. 1978: Les Chaines du sang. 1978: Même heure l'année prochaine. 1982: Kiss me Goodbye. 1988: Le Secret de Clara. 1991: Un Eté en Louisiane.

Avertissement ! IL EST PREFERABLE D'AVOIR VU LE FILM AVANT DE LIRE CE QUI VA SUIVRE !


Pierre angulaire du fantastique éthéré autant qu'oeuvre maudite du fait de sa rareté éhontée, l'Autre est une descente aux enfers vertigineuse dans la psyché d'une innocence schizophrène. D'après le roman de Tom Tryon, l'argument fantastique alloué à la fragilité infantile fait intervenir de manière sensitive et psychologique les thèmes du dédoublement de personnalité, de la hantise et de la possession à l'aide d'une intensité dramatique terriblement éprouvante.


Car véritable drame familial auquel une dynastie est confrontée à une série de morts tragiques sous une nature solaire étrangement sereine, l'Autre illustre l'introspection délicate d'un garçon candide, perturbé par la mort de son père et de son frère jumeau. Terrifié à l'idée de mourir et apeuré par sa solitude, Niles s'imagine dans son esprit torturé que son binôme Holand est toujours en vie afin de se rassurer. Mais l'esprit machiavélique de son frère, mort dans une circonstance accidentelle, réussit à provoquer chez lui un dédoublement de personnalité afin de le contraindre à perpétrer des incidents meurtriers. Ainsi, ce scénario sombre et tortueux rehausse l'intrigue diaphane parmi le rapport étroit entretenu entre l'enfant et sa grand-mère. En effet, afin de rendre moins douloureuse l'épreuve du deuil, l'aïeule lui aura inculqué un jeu d'identification et de concentration auquel Niles doit tenter de s'infiltrer de manière sensorielle à travers l'esprit d'un être humain ou d'un animal. C'est donc par l'illusion de ce jeu de simulacre que Niles perd peu à peu pied avec la réalité en matérialisant l'apparence corporelle d'Holand.


Par conséquent, la dimension psychologique impartie à l'inconscience du gamin perturbé est d'autant plus douloureuse à supporter qu'elle touche à sa propre candeur. Cette étude de caractère d'un enfant traumatisé par le deuil et angoissé par la mort étant illustrée de manière aussi prude que profondément macabre. Le climat lourd et dépressif des contrariétés de la grand-mère et des tourments de Niles soulignant une atmosphère davantage feutrée au fil d'une série d'incidents meurtriers que l'enfant provoquera sous l'allégeance de son double. En prime, le climat anxiogène qui émaille toute l'intrigue est notamment accentué par l'attitude esseulée d'une veuve maternelle emplie de mélancolie. Incapable de supporter le deuil de deux êtres chers, cette maman introvertie mais débordante d'amour pour sa dernière progéniture se replie dans un mutisme incurable après avoir découvert avec désarroi la pathologie schizophrène de Niles. Quand bien même son point d'orgue traumatique culmine vers une découverte macabre proprement innommable auquel personne n'en sortira indemne, si bien que la dernière image glaçante nous achève par son nihilisme diabolique. On essaie alors en désespoir de cause d'élucider de notre mémoire deux questions restées en suspens ! Niles était-il réellement possédé/hanté par l'esprit indocile de son frère, ou n'était-ce que le fruit de son imagination perturbée du "jeu" spirituel d'Ada et de l'injustice de la mort ?


Clef de voûte du fantastique moderne vouée à nous éprouver sans anesthésie, de par son scénario délétère et son intensité dramatique malsaine en crescendo, L'Autre est littéralement rehaussé des interprétations magnétiques de Chris et Martin Udvarnoky. Car possédés par leur prestance bicéphale, les deux comédiens parviennent autant à provoquer l'effroi tangible qu'une empathie désespérée à travers leur jeu naturel d'une prestance aussi angélique que démoniale. Traumatisant et inoxydable.

*Bruno
28.11.12

Récompense: Prix du Meilleur Réalisateur au Festival de Catalogne en 1972

L'avis de Mathias Chaput: http://horrordetox.blogspot.fr/2012/11/the-other-de-robert-mulligan-1972.html
Très peu prolixe dans le cinéma d'outre Atlantique, Robert Mulligan signe avec "The Other" un véritable chef d'oeuvre du cinéma fantastique contemporain...
Un scénario d'une originalité totale, sans redondances ni esbroufes...
Aucun effet gore n'est à déplorer dans le métrage !
Un climat malsain s'intègre parfaitement prenant le contre-pied de l'environnement et de l'innocence des protagonistes qui y végètent, en l'occurrence de simples et frêles pré adolescents qui ne demandent qu'à vivre et aimer la vie !
L'astuce de Mulligan consiste à faire virer crescendo son intrigue avec une révélation imparable et glaçante au bout d'une heure de projection !
Puis il fait tout partir en live pendant la dernière demie heure !
Dans la lignée de "Psychose" réalisé douze ans avant, voire même un petit côté "Carnival of souls" mais se démarquant par une mise en scène affûtée aux limites de l'onirisme, matinée de la plus grande schizophrénie pour le personnage principal !
"The other" est un film culotté et carrément révolutionnaire qui fera date dans le genre !
Avec des séquences sorties de nulle part, notamment cette virée dans une fête foraine avec les "monstres", ou ce plan aérien où Nels s'imagine être un corbeau survolant le village !
Mulligan ne recule devant aucun stratagème pour augmenter la terreur chez le spectateur, jusqu'à un final apocalyptique à la fois immoral et sans "happy end" !
Très bien joué et excellemment mis en scène, "The other" est à marquer d'une pierre blanche, film rare et précieux, il se doit d'être vu par tout cinéphile fantasticophile !
Note : 10/10 (pour l'originalité du scénario et l'intelligence du traitement de ce dernier)

                                        

mardi 27 novembre 2012

LES REVOLTES DE L'ILE DU DIABLE (Kongen av Bastøy). Amanda 2011 du Meilleur Film Norvégien

                                     Photo empruntée sur Google, appartenant au site filmosphere.com

de Marius Holst. 2010. Norvège/Pologne/Suède/France. 1h55. Avec Benjamin Hesltad, Trond Nilssen, Stellan Skarsgard, Kristoffer Joner, Trond Nilssen.

Récompense: Amanda 2011 du Meilleur Film Norvégien

Sortie salles France: 23 Novembre 2011. Norvège: 17 Décembre 2010

FILMOGRAPHIE: Marius Holst est un réalisateur, producteur et scénariste norvégien, né en 1965 à Oslo.
1990: Besokstid. 1994: Croix de bois, croix de fer. 1996: Lukten av mann. 1997: 1996: Pust pa meg !
2001: Oyenstikker. 2003: Tito ar dod. 2006: Kjoter (télé-film). 2007: Blodsband. 2010: Les Révoltés de l'île du diable.


Inspiré d'une histoire vraie, Les Révoltés de l'île du Diable retrace les conditions de vie drastiques d'une poignée de délinquants au sein d'un centre de redressement norvégien. Les évènements se déroulent sous un hiver réfrigérant de 1915. Le centre situé à Bastoy est implanté sur une île sous le commandement d'un directeur insidieux et d'un surveillant sadique. Mais l'arrivée d'une forte tête va peu à peu perturber leur hiérarchie et finalement déclencher une insurrection de grande ampleur.
Photo limpide contrastant avec son climat hivernal rigoureux, Les Révoltés de l'île du Diable est un puissant témoignage sur l'endurance de survie autant qu'un réquisitoire contre le despotisme d'une hiérarchie disciplinaire. Le sentiment d'isolement éprouvé au sein de cette île maudite laisse planer une solitude blafarde parmi le séminaire de jeunes désoeuvrés livrés aux pires corvées. Soumis à l'esclavage d'une discipline de fer et desservis par une alimentation précaire, les adolescents les plus arrogants sont notamment livrés à divers sévices corporels et humiliations par l'impassibilité d'un surveillant licencieux. Pour les plus opiniâtres d'entres eux avides d'évasion, l'isolement du cachot ou les travaux forcés pratiqués à proximité d'une forêt pluvieuse sont les punitions exemplaires afin de les dissuader d'une prochaine tentative.


Auscultant les conditions de vie tyranniques que vont subir ces jeunes délinquants durant plusieurs années d'emprisonnement, Marius Holst nous décrit avec un réalisme blafard cette descente aux enfers particulièrement abrupte. Majoritairement interprété par des comédiens débutants criants de vérité, la densité humaine qui émane de ses souffres douleurs nous émeut d'une manière terriblement empathique, d'autant plus qu'un ultime baroud d'honneur va laisser place à une rébellion belliqueuse. C'est en priorité vers la caractérisation de deux adolescents de prime abord contradictoires dans leur personnalité distinct qu'il s'attache à nous décrire leur calvaire mais aussi leur sens de camaraderie avec une affliction rude. En outre, à travers le discours moralisateur du directeur de prison (superbement incarné par un Stellan Skarsgârd castrateur), le réalisateur évoque sa lâcheté et son hypocrisie à oser tolérer un abus sexuel sur mineur sous couvert de bonne conscience. Vibrant témoignage de bravoure, de vaillance et d'honneur, ce portrait d'une adolescence souillée se révèle d'autant plus implacable par son impact effrayant qu'il est réellement inspiré d'évènements réels (comme le témoigne son générique de fin faisant défiler quelques photos d'archives où de vrais prisonniers juvéniles exerçaient des travaux de plantation !).


Elégie d'une fraternité inconsolable entre deux héros déchus, pamphlet contre le totalitarisme et témoignage édifiant sur la cruauté tolérée à de jeunes délinquants, Les Révoltés de l'île du Diable est une épreuve de survie d'une acuité émotionnelle cafardeuse. Son inévitable point d'orgue dramatique alloué au surpassement de soi et à la dignité humaine laisse en mémoire une conclusion amère sur l'intransigeance d'une société impitoyable.

Note subsidiaire: Le centre de détention de Bastøy, créé en 1900, est resté dans une discipline très stricte jusqu'en 1953, puis il est transformé en prison en 1970. Cette prison est maintenant un lieu d'expérimentation pour devenir la « première prison écologique au monde ».

27.11.12
Bruno Matéï