Et pour les critiques snobinards qui théorisent, post-facto, une satire de la société de consommation – à l’origine, comme pour La Nuit des Morts-Vivants, Romero n’a jamais cherché à s’éclipser derrière un discours politique. Car Zombie, avant tout, c’est un monument d’actionneur bourrin, d’une efficacité maximaliste. Et même après cinquante visions, cinquante ans plus tard, il reste fun, rageur et jubilatoire, de la première à la dernière bobine. Deux heures aussi lessivantes que capiteuses. Il faut le vivre pour mesurer l’impact qu’il continue d’exercer sur notre émotivité, avec une énergie (auto)destructrice.
Romero, en maître d’orchestre instinctif, nous immerge dans un hypermarché devenu forteresse assiégée, aux côtés d’un quatuor de survivants (trois hommes, une femme) venus s’y confiner, tentant de préserver un présent déjà rongé par le chaos. À ce titre, les séquences intimistes et mélancoliques, où affleurent leurs états d’âme sentencieux, demeurent d’une éloquence contenue, empreinte d’une pudeur contrariée.
Les zombies, grimés de fards bleuâtres aux maquillages modestes, n’en restent pas moins fascinants, inquiétants, hypnotiques. Leur démarche, génialement lymphatique – véritable chorégraphie commune –, couplée à leurs regards hagards, dénués d’expression, produit un effet immédiat : on y croit à fond, sans poser de questions. Leur menace est crédible. D’autant plus que les survivants, stoïques mais fragiles, sont rongés de l’intérieur. Ils contemplent, en direct, la déliquescence morale du monde. Folie, jouissance sadique, pensées suicidaires : l’humain s’effondre, contaminé de l’intérieur.
Le centre commercial, filmé sous toutes les coutures, devient un terrain de jeu paranoïaque. Romero en explore chaque recoin avec une inventivité débridée, notamment lors de séquences de défense aux stratégies aussi absurdes que brillamment percutantes.
Et que dire de cette pléthore d’effets sanglants, à n’en plus finir – aussi émétiques que jubilatoires ? Romero et Tom Savini s’en donnent à cœur joie dans la chair éclatée, les membres arrachés, les corps démembrés, les têtes explosées ou décapitées, avec un réalisme d’une crudité implacable. Car si Zombie dérange autant, c’est aussi par sa vérité nue : le portrait sans fard d’un égoïsme primaire, d’un instinct de possession féroce chez ces survivants repliés sur leur gâteau bientôt convoité par une horde de Hell’s Angels.
D’une ultra-violence à la fois cartoonesque et viscéralement éprouvante, Zombie parvient à être fun tout en restant profondément dérangeant, inquiétant, malaisant. Il déprime. Il secoue. Il exorcise. Ses actions sont animées par la folie, le goût du sang, le plaisir de tout foutre en l’air. Jusqu’à un final terriblement nihiliste.
Un des plus grands films de l’histoire, porté par l’inoubliable partition électrisante des Goblin, qui scelle son impact émotif d’une manière dévastatrice. Un cinéma d’audace, de rage politique malgré lui, aujourd’hui tristement disparu.
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