Photo empruntée sur Google, appartenant au site Imdb.com
"Beast" de Michael Pearce. 2017. Angleterre. 1h47. Avec Jessie Buckley, Johnny Flynn, Geraldine James, Shannon Tarbet, Trystan Gravelle.
Sortie salles France: 18 Avril 2018. Angleterre: 27 Avril 2018
FILMOGRAPHIE: Michael Pearce est un réalisateur et scénariste anglais.
2017: Jersey Affair.
Superbe drame psychologique transplanté dans le cadre du thriller, Jersey Affair nous relate une romance vitriolée où la passion des sentiments s'oppose à l'appréhension du doute, de la colère et du désarroi. Issue d'une famille autoritaire, Moll profite de sa rencontre amoureuse avec le jeune marginal Pascal pour fuir le cocon. Alors que des meurtres en série ont lieu dans la région, les soupçons se reportent rapidement sur Pascal depuis son casier judiciaire à sinistre réputation. Pour une première mise en scène plutôt maîtrisée, Michael Pearce surprend beaucoup par sa faculté à instiller une atmosphère diaphane autour de deux amants communément épris de sentiments mais peu à peu gagnés par la crainte de l'échec suite à la potentielle culpabilité de celui-ci. Prenant beaucoup de soin à magnifier un superbe portrait de femme écorchée, faute de ses timides rapports avec sa famille condescendante et surtout de son passé perturbé (sa violente agression contre une de ses camarades de collège), Michael Pearce compte sur le jeu dépouillé de l'étonnante Jessie Buckley pour exacerber sa fébrilité ambivalente.
D'une beauté naturelle singulière auprès de sa rousseur et de son regard indicible, elle parvient à enrichir l'intrigue de par son indépendance pugnace à tenter de démêler le vrai du faux au moment d'y supporter les sermons de son entourage. Car outre l'expectative d'identifier le vrai coupable (et ce jusqu'aux toutes dernières minutes riches en rebondissements successifs), le réalisateur radiographie son portrait fragile sous couvert de l'intolérance d'une population réactionnaire adepte des préjugés. Superbement photographié autour des paysages ouatés d'une nature aphone, Jersey Affair distille une vénéneuse atmosphère d'inquiétude et d'amertume autour des échanges sentimentaux des amants en perdition. On peut également compter sur le jeu inévitablement équivoque de Johnny Flynn se fondant dans le corps d'un marginal braconnier à la fois discret, laconique et empathique, mais aussi instable, voir même violent. Tant auprès de l'entourage local lorsqu'il s'y montre un peu trop menaçant que de sa compagne éperdue se rattachant pour autant sur la valeur de la confiance afin de se préserver contre les esprits contradictoires.
Atmosphérique, envoûtant, cruel et désespérément noir, Jersey Affair nous évoque avec une intensité toujours plus dramatique la sombre romance de deux marginaux exclus de la société et du cocon familial. Un couple introverti qui plus est discrédité par toute une population, et donc communément contraint de se battre contre leur propre morale afin de ne pas céder au Mal. Ou plutôt afin de ne pas réveiller la bête qui est en soi ! Les démons du passé étant difficilement gérables et oubliables faute de pulsions fielleuses incontrôlées. Une oeuvre forte et douloureuse, remarquable de dimension psychologique scabreuse, car éludé de tout manichéisme!
* Bruno
La critique de Frederic Serbource.
Les derniers instants de "Jersey Affair" nous renvoient encore bien plus explicitement à son ouverture et à son monologue de départ sur la fascination pour les orques de son héroïne. En effet, ce premier film de Michael Pearce s'ouvre sur le jour de l'anniversaire de Moll sur l'île de Jersey. Juste avant de descendre rejoindre les convives, la jeune femme se scrute devant un miroir comme si elle recherchait un défaut susceptible de la trahir. Et il est bel et bien là, représenté par un poil qu'elle arrache, une dernière trace de son véritable "moi". Tout en rejoignant la fête en son honneur, Moll nous explique que les orques la passionnent depuis toute petite à cause de leurs sourires inscrits de façon permanente sur leurs visages mais aussi par leur volonté de l'effacer de la manière la plus brutale qu'il soit pour échapper à une captivité les conduisant à la folie.
Une fois parmis les invités et avec son entourage mis en relief, Moll nous apparaît effectivement comme ces orques qu'elle décrit : en captivité. Sous le joug d'une mère psychorigide et d'une soeur qui lui vole la vedette le propre jour de son anniversaire, prisonnière d'un père souffrant de démence et d'une nièce sur lequels on l'oblige à veiller en permanence, bridée par un job de guide qui la condamne à parler inlassablement d'un environnement qu'elle ne supporte plus et, enfin, subissant les avances d'un ami d'enfance policier pour qui elle n'a aucun sentiment, Moll est tout simplement au bord de la rupture. Elle décide alors d'effacer son sourire de façade et fuit soudainement de chez elle, de ce monde qui cherche à annihiler ses aspirations profondes...
Après une nuit libératrice dans une boîte de nuit, cette Alice des temps modernes fait la rencontre de Pascal, son Lapin Blanc, un artisan ironiquement adepte de la chasse aux lapins, celui-ci va la guider dans le Pays des Merveilles d'une liberté tant désirée et de l'amour, le grand, le vrai dans lequel Moll va enfin pouvoir s'épanouir pleinement... dans un premier temps du moins. Car, en parallèle, une affaire de meurtres de fillettes secoue Jersey et, dans la paranoïa ambiante insulaire, les soupçons se portent peu à peu sur Pascal...
Bien plus encore que le clin d'oeil évident à l'oeuvre de Lewis Caroll et comme son titre original "Beast" l'indique (également une référence à la célèbre affaire de "la Bête de Jersey"), "Jersey Affair" est avant tout une relecture moderne du conte de fée "La Belle et la Bête". Mais une relecture qui en reprend certains fondamentaux pour s'amuser à les tordre et les explorer dans leurs méandres psychologiques les plus noirs et inattendus à l'aune d'un contexte contemporain. Le côté thriller de "Jersey Affair" ne sera finalement en aucun cas le sujet principal, il s'agira plutôt d'une toile de fond ayant une importance capitale pour créer les enjeux bouleversant la relation Moll/Pascal, le véritable coeur du film.
En premier lieu, il y a évidemment cette Belle (la révélation Jessie Buckley, fantastique) qui nous est d'abord présentée aussi innocente que la figure du conte. Son besoin d'émancipation apparaît on ne peut plus logique au vu de l'étouffement permanent exercé par ses proches sur elle, la rencontre avec Pascal (Johnny Flynn, charismatique au possible) est donc cette éclaircie qu'elle attendait depuis si longtemps dans son existence. Même si l'ombre des meurtres reste pesante, l'amour naissant entre Moll et Pascal illumine la première partie du film (magnifiée par la caméra de Michael Pearce et la photographie de Benjamin Kracun), la jeune fille revit enfin au contact de ce que son entourage considère comme la fameuse Bête car non-conforme à leurs idéaux sociaux. L'intrusion de Pascal dans le quotidien de Moll se teint même de légèreté lorsque l'homme remet de façon rustre les membres de sa famille choqués par ses manières.À ses côtés, Moll s'affirme de plus en plus mais ne s'épanouit par pour autant totalement car, toute Belle qu'elle est, elle n'en est pas moins elle-même habitée par une noirceur de Bête, venue de son passé et qui ressurgit le temps de quelques rêves...
Lorque les accusations contre Pascal prennent des proportions de plus en plus importantes dans un deuxième temps, l'émancipation de la jeune fille rime désormais avec la lutte du couple contre la vindicte populaire (les habitants de l'île prenant les traits des villageois du conte prêts à condamner tout ce qui leur apparaît différent). La tempête dans laquelle se trouve prise Moll la fait plonger dans une quête de ses blessures les plus profondes pour comprendre sa véritable nature, son isolement à la fois voulu et contraint en devient ainsi jusqu'au-boutiste face la colère globale (à l'image, elle en viendra à se fondre à la nature elle-même pour se retrouver). L'acceptation de son passé par la jeune femme et leurs conséquences en viendront incidemment à nous faire remettre en perspective le comportement de ses proches depuis les premiers instants : au fond, n'étaient-ils pas le couvercle qui empêchait la cocotte-minute Moll d'imploser face à une introspection qu'elle ne pourrait supporter ou, même pire, dans le cas contraire ?
Lorsque l'émotion de la masse de la population insulaire retombera quelque peu, le fameux poil évoqué au début aura repoussé comme un symbole et, dans une dernière partie certes plus faible dans son déroulement (les rebondissements annexes sont toujours prévisibles) mais passionnante au regard de l'ampleur qu'elle fait prendre à la relation du couple, Moll devra faire un choix crucial.
La question sera de savoir si, en dehors d'un dépassement mutuel, une ombre peut en accepter une autre bien plus grande ou si elle doit nécessairemment s'en détacher pour ne pas s'y perdre ? Jusqu'à sa conclusion, "Jersey affair" fera douter le spectateur, pris sous le poids anxiogène de la décision de Moll à venir...
Michael Pearce revisite donc de manière quasi-psychanalytique "La Belle et la Bête" à travers la relation d'un couple mis au ban de la société pour sa différence. En détournant les ressorts du matériau de base pour en faire un duel littéral de noirceurs dans un cadre contemporain policier un poil prévisible (seule petite ombre au tableau sans mauvais jeu de mots), il livre un premier film réussi et simplement passionnant à suivre au vu du chemin parcouru par la mèche allumée du bâton de dynamite issue de la rencontre de ce couple fascinant.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire