On n'y croyait tellement plus au fil des décennies écoulées, je craignais tant le produit sirupeux sombrant involontairement dans la semi-parodie que j'ai finalement opté pour une projo matinale en lieu et place de "Dernière Séance" nocturne. Or, à l'arrivée, et en dépit d'un 1er quart d'heure sur le fil du rasoir (il faut un temps d'adaptation et de familiarité), une déchirure interne causée auprès de son arc en ciel final imprégné de spiritualité, mode lyrisme élégiaque. Une séquence anthologique à marquer d'une pierre blanche pour ceux qui ont su ouvrir leur coeur face à cette odyssée humaine incongrue (fatalement) en perdition. Un immense moment d'émotion donc et de fragilité aigue comme rarement Luc Besson su nous le retranscrire dans son autonomie intime (si on excepte sans doute Le Grand Bleu et Léon) sous l'impulsion d'un acteur habité par ses écorchures morales dénuées de fioriture. Dogman s'appuyant beaucoup sur sa profondeur de jeu dépouillé n'implorant nullement la pitié, la sinistrose ou le pathos de comptoir. Caleb Landry Jones vivant son personnage apatride au gré d'une détresse morale tacite car impassible, introverti à exhiber ouvertement ses douleurs intimes tant il se refuse à émouvoir le spectateur (et son auditrice congénère !) pour la trivialité d'une émotion programmée. Sa présence aussi luminescente que profondément tragique suscitant chez nous un terrible attachement fébrile pour autant inscrit dans la dignité de par sa condition désoeuvrée/misanthrope impartie à l'inconsolable solitude que nous ressentions dans la réserve car en pudeur contenue. Or, quoi de plus fidèle et loyale que la rassurante présence du chien pour s'échapper de l'enfer qu'il se partage en masse au sein de son taudis douillet.
Et si l'intrigue s'avère simpliste autant que lunaire et surprenante, elle tire justement parti de son charme, de sa fantaisie (musicale), de son excentricité enjouée et de son innocence communicative en cette icone marginale épaulée de ses compagnons retors. Des seconds-rôles canins insensés car admirablement (ou plutôt "justement") dirigés, qui plus est par un Luc Besson infiniment inspiré, attentionné, amoureux, lucide, clairvoyant à donner chair à ceux-ci et à sa narration entre sensibilité épurée et poésie surréaliste que l'on adoube sans s'en rendre compte. Et c'est bien là la grande force de ce conte féérique meurtri que de vivre au sens large sa folle histoire, que de nous conter ses étreintes fraternelles, entre poésie, humour, éclairs de violence et plages de tendresse. Le chemin de croix d'un laissé-pour-compte abdiqué par l'homme mais se façonnant un semblant de vie autrement plus tolérable, respirable, supportable parmi la protection de ses chiens envoyés du ciel. Et donc ne puisant un sens à son existence qu'en leur fidèle présence soumise à sa noble autorité qu'ils acceptent pour tenir lieu de sacerdoce, Douglas Munroe nous relate (à nous et à son auditrice afro) sa trajectoire morale avec une nonchalance taiseuse criante de vérité effacée quitte à me répéter. Son expressivité à la fois si tangible, responsable et discrète invitant à l'humilité dans sa mansuétude que son auditrice consulte avec une étonnante attention humaine de par leur commune douleur familiale, sociétale qu'ils se partagent en contradiction d'éthique.
Voilà, Dogman est donc à mes yeux, grâce aussi à sa modeste simplicité si payante un (gros) coup de coeur, un cri du chant aussi (splendide hommage nostalgique à Edith Piaf !) autant qu'un cri du coeur issu de Besson, parce que peut-être son oeuvre la plus fragile, tourmentée et personnelle. Et pour ce retour en grâce dénué d'opportunisme et encore moins de cynisme, je ne peux que te remercier Luc de m'avoir triturer le coeur tous azimuts (bon Dieu quel déchirant final scintillant que je serai incapable d'omettre !) auprès de ta dramaturgie salvatrice émaillée d'émotions exaltées. Et bon sang je me rends compte à terme que tu m'a bien manqué depuis toutes ses décennies infructueuses (tant ciné que pour nos rapports humains en perdition que tu dénonces à ciel ouvert avec une sensibilité lestement / fructueusement infantile). Une oeuvre malade en somme car écorchée vive, magnifique tout simplement.
*Bruno
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