Troisième film du cycle des appartements, Le Locataire marque l’ultime offrande du fantastique paranoïaque, dominée par la prestance transie du réalisateur lui-même, Roman Polanski. Adapté du roman Le Locataire chimérique de Roland Topor (1964), ce cauchemar kafkaïen d’un homme happé par la folie interroge sans relâche le spectateur, écartelé entre raison et surnaturel.
Synopsis : Alors que l’ancienne locataire s’est défenestrée du troisième étage, un jeune célibataire timoré loue son appartement malgré l’hostilité d’un voisinage prompt au commérage. Peu à peu, cet homme, sans cesse épié et réprimandé, sombre dans une paranoïa schizophrène.
Dans l’atmosphère feutrée d’un immeuble hermétique peuplé de vieillards acariâtres, Le Locataire nous entraîne dans la lente décomposition mentale d’un être introverti, persécuté à chaque souffle de manière aussi vénéneuse qu'insidieuse. Entre le suicide inexpliqué de Madame Choule et le harcèlement du voisinage, les signes s’accumulent : une dent encastrée dans le mur, une carte postale inquiétante, des hiéroglyphes gravés sur le muret des toilettes. Autant d’indices qui précipitent Trelkovsky dans l’abîme.
Polanski use d’abord de la dérision pour écraser peu à peu son héros : Trelkovsky, timide et dénué d’aplomb, devient la proie idéale de ces figures ridées, incapables de tolérer le moindre bruit. Contraint de subir l’impertinence de ses amis - jusqu’à une fête improvisée qui le condamne aux yeux du voisinage -, il tente en vain de préserver une tranquillité qu'on lui refuse. Grâce à une photographie désaturée et une mise en scène où rien n’échappe au hasard, Polanski entretient un climat d’étrangeté subtilement poisseuse : l’immeuble semble respirer l’oppression, et les silhouettes figées derrière les vitres paraissent guetter l’effondrement du locataire.
À mesure que l’angoisse enfle, Trelkovsky s’enferme dans la certitude d’un complot. Les voisins, le tenancier du café, les bruits, les regards : tout conspire à son anéantissement. Sous l’emprise d’une peur insidieuse, il se met à revivre les gestes de la défunte Madame Choule, buvant son chocolat, fumant ses Marlboro, jusqu’à s’y dissoudre. L’angoisse devient terreur, la terreur folie.
Saturé d’inquiétude et d’étrangeté palpable, le film également trouve sa force dans l’ambiguïté que Polanski cultive : sommes-nous témoins d’une malédiction, d’une contamination psychique, ou d’une simple dérive mentale ? L’appartement est-il hanté par l’esprit de la morte, ou par la tyrannie de ces voisins aux visages de pierre ? À travers des hallucinations cauchemardesques, Polanski déforme la réalité : reptiles démoniaques, théâtre morbide, visions absurdes - tout devient le miroir d’un esprit disloqué. Les quarante-cinq dernières minutes, d’une intensité dramatique suffocante, basculent dans un délire à la fois pathétique et terrifiant, jusqu'au malaise viscéral de deux séquences chocs inoubliables.
Effrayant par son réalisme obscur et fascinant par son climat d'envoutement saupoudré d'humour sardonique, Le Locataire frôle le documentaire psychiatrique : une plongée clinique dans la schizophrénie, où la peur suinte des murs. En acteur, Polanski se livre à nu comme jamais: sa fragilité, son effacement progressif, rendent Trelkovsky bouleversant d’humanité. L’immeuble, prison psychique et corps organique, renferme jusqu’au bout son mystère.
Un chef-d’œuvre d’angoisse feutrée, d’une profondeur aussi trouble et dérangeante que Répulsion et Rosemary’s Baby, venant clore avec brio inégalé la trilogie des appartements.
— le cinéphile du cœur noir





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