jeudi 6 décembre 2012

Du sang pour Dracula / Blood for Dracula / Andy Warhol's Dracula

                                                                              Photo offerte par Ciné-Bis-Art

de Paul Morrissey (avec la collaboration d'Antonio Margheriti). 1974. U.S.A/France/Italie.1h43. Avec Joe Dallesandro, Udo Kier, Arno Juerging, Maxime McKendry, Milena Vukotic, Dominique Darel, Stefania Casini.

Sortie salles France: 22 Janvier 1975

FILMOGRAPHIE: Paul Morrissey est un réalisateur, scénariste, directeur de photographie, producteur, monteur et acteur américain, né le 23 Février 1938 à New-York (Etats-Unis).1966: Chelsea Girls. 1967: I, a Man. 1968: San Diego Surf. 1968: The Loves of Ondine. 1968: Flesh. 1969: Lonesome Cowboys. 1970: Trash. 1971: I miss Sonia Henie. 1971: Women in Revolt. 1972: Heat. 1973: l'Amour. 1973: Chair pour Frankenstein. 1974: Du sang pour Dracula. 1978: Le Chien des Baskerville. 1981: Madame Wang's. 1982: Forty Deuce. 1985: The Armchair Hacker. 1985: Cocaïne. 1985: Le Neveu de Beethoven. 1988: Spike of Bensonhurst.


"Dracula, dernier soupir d’un désir malade".
Un an après son chef-d’œuvre aussi mal élevé que décadent, Chair pour Frankenstein, Paul Morrissey s’empare cette fois du mythe de Dracula pour livrer une semi-parodie bien plus orientée vers la sensualité érotique que vers l’horreur sanguine. Sorti en VHS au début des années 80 sous la bannière René Chateau dans la collection des films que vous ne verrez jamais à la télévision (mention : strictement interdit aux moins de 18 ans, s’il vous plaît !), Du sang pour Dracula tente de renouer avec la subversion débridée de son binôme évoqué plus haut. Avec la même équipe technique (Carlo Rambaldi, Antonio Margheriti, Enrico Job, Claudio Gizzi, Luigi Kuveiller, Andy Warhol, Jean-Pierre Rassam, Jean Yanne !) et son trio d’acteurs iconiques (Udo Kier, Joe Dallesandro, Arno Juerging), cette relecture pittoresque du baron vampire se distingue par son portrait moribond, où la maladie l’emporte toujours un peu plus sur le désir de sang vierge. En clin d’œil, on reconnaîtra d’ailleurs Roman Polanski dans un passage aussi furtif que loufoque, incarnant un client de bar.
 

Le pitch : profondément malade et famélique, Dracula part en Italie, accompagné de son valet, à la recherche d’une vierge dont le sang pur pourrait le régénérer. Sur place, ils rencontrent une famille d’aristocrates en déclin, dont les jeunes filles effrontées vivent sous la domination d’un jardinier machiste. 

Avec son rythme languissant et sa narration un tantinet redondante, Du sang pour Dracula peut désarçonner le spectateur non averti face à cette déclinaison saugrenue de l’archétype vampirique. Car illustrant le profil agonisant d’un baron en quête de virginité, Morrissey déroge à toutes les conventions : son Dracula est un être faible, faillible, aigri, pathétique, désabusé. Se déplaçant en chaise roulante, poussé par son serviteur, il cache ses cheveux blancs sous une teinture noire, comme pour masquer sa décrépitude. Vieillard anachronique dans une société en pleine libération sexuelle, il se réduit à un spectre du passé. Udo Kier, visage glacé et regard éteint, parvient à désacraliser l’icône vampirique avec une gravité maladive, nous inspirant pitié plus que crainte.


Dans cette fresque à la fois pittoresque, sensuelle et décalée, Morrissey compose un tableau dérisoire de la mythologie du vampire, où les scènes érotiques s’imposent pour mieux souligner la lutte des classes. Le communisme y prend les traits du jardinier, brute prolétaire dominant les jeunes nobles libérées, nymphettes d’apparence sage mais avides de masochisme sexuel. Et tandis que le vampire décline, impuissant, il assiste à la disparition de toute virginité dans ce théâtre des corps : même en tentant d’y goûter, il en régurgite le sang impur, à s’en vider. Comme pour clore le folklore du vampire, la fin — gore, excessive, libératoire — consacre l’éloge d’une sexualité sans entrave, tout en abordant en filigrane les thématiques troubles de l’inceste et de la pédophilie. L’ironie, noire à l’excès, veut que le jardinier — aussi détestable, stupide, violent et paraphile soit-il — se voie érigé en ultime rempart, héros grotesque protégeant, malgré lui, les jeunes filles qu’il a lui-même dépucelées. Un parti-pris brûlant, provocateur, politiquement incorrect jusqu’à l’absurde, dans lequel Morrissey ose faire de cet érotomane détestable un sauveur dérisoire.


"Tragédie pour un buveur d’innocence".
Porté par l’inoubliable partition élégiaque de Claudio Gizzi et par la présence spectrale de l’ange déchu Udo Kier, Du sang pour Dracula demeure une œuvre atypique à l’esthétisme gothique et à l’érotisme suave. Les actrices, superbes de sensualité à travers robes de soie et chemises de nuit, évoluent dans une nature solaire, éclairée avec délicatesse. Son climat semi-parodique, infusé d’une provocation libertine, transcende avec sarcasme — mais non sans tendresse — le portrait d’un vampire souffreteux, exsangue et mélancolique. Grand classique détourné à l’audace incongrue, Du sang pour Dracula fascine, choque, amuse, déconcerte, provoque — et finit par séduire. A l'infini.
 
*Bruno
14.07.22. 5èx. vf
06.12.12. 

La Chronique de son binôme, Chair pour Frankenstein: http://brunomatei.blogspot.fr/…/chair-pour-frankenstein.html


1 commentaire: