Frissons – L’éveil des corps, l’effondrement de l’esprit
L'homme est un animal qui pense trop. Un animal qui a perdu le contact avec son corps et ses instincts. L'être humain est au fond un animal qui s'englue dans ses pensées, une créature vraiment trop rationnelle perdue dans son intellect au détriment de son corps et de son instinct. L'homme est trop cérébral et pas assez viscéral. Pour y remédier, créons un parasite. C'est à dire un combiné entre un dérivé d'aphrodisiaque et une maladie vénérienne qui pourrait transformer le monde en une magnifique et démentielle orgie. Une belle et insouciante orgie !« La maladie, c’est l’amour partagé de deux corps étrangers. »— David Cronenberg
(Extraits de Frissons)
Premier succès commercial de Cronenberg, Frissons marque sa première œuvre professionnelle, sa troisième réalisation, et déjà un cauchemar lubrique d’une radicalité inédite. Dans un immeuble résidentiel, les occupants se retrouvent infectés par un parasite étrange, qui les pousse à des comportements nymphomanes. Un médecin assiste, impuissant, à cette épidémie de désir.
Attention, film choc : Frissons est un électro-choc orgasmique dont on ne sort pas indemne.
À partir d’un postulat insensé — un professeur invente un parasite mi-aphrodisiaque, mi-maladie sexuelle pour substituer un organe défectueux et créer une humanité nouvelle — Cronenberg orchestre une descente aux enfers suffocante dans un huis clos exigu, où la folie s’infiltre par chaque recoin, chaque corps.
Les exactions infectieuses dans les chambres, sous-sols, corridors nous plongent dans une claustration aussi irrespirable que lascive. Avec des moyens dérisoires et des acteurs peu connus (hormis la présence discrète de Barbara Steele), Cronenberg ébranle, provoque, bouscule, en accumulant des visions cauchemardesques à la puissance graphique inouïe.
La photo sépia amplifie le réalisme poisseux, accentué par les effets gores signés Joe Blasco, tandis que le décor en formica typiquement seventies distille une ambiance aussi étrange qu’indicible, où sexe et putréfaction cohabitent sous un score mélancolique.
Le thème majeur ? Notre rapport au sexe, intime, instinctif, trouble. Entre pulsion de vie et contamination. Sous une autre caméra, plus grimaçante, le film aurait sombré dans la parodie ou le pastiche. Mais ici, sous la direction clinique du maître de l’horreur organique, le cauchemar prend forme, tangible, viscéral, effrayant.
Certes, la structure paraît parfois répétitive, l’interprétation inégale. Mais la mise en scène, modeste mais précise, expérimentale, offre de véritables éclats d’agression sensorielle. Dans un sentiment d’urgence croissante, on suit ce médecin dépassé, témoin de la propagation de cette maladie phallique, cette chose visqueuse qui s’insinue — ou s’extrait — par voie buccale, provoquant chez ses hôtes des pulsions sexuelles incontrôlables, jusqu’au meurtre, jusqu’à la ruine de soi.
L’impuissance du médecin face à la contamination renforce le vertige, jusqu’à cette séquence finale dans la piscine, magnifique et glaçante, où le piège se referme dans une orgie liquide.
La stimulation des zones érogènes devient une mécanique impérieuse, presque animale. Cronenberg nous suggère que la perversité est innée, tapie dans les replis de notre chair — et qu’elle nous gouverne bien plus que nous ne l’admettons.
À réserver à un public averti : cette œuvre scabreuse, d’une audace folle, conserve intacte sa puissance de fascination, en alliant sexe et gore avec une froideur clinique et un malaise tenace.
*Bruno
11.02.18. 7èx
09.08.12. (571 v)
(28.07.02)
La critique de Rage: http://brunomatei.blogspot.fr/2014/02/rage-rabid.html
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