dimanche 2 octobre 2011

DEAD MAN'S SHOES


de Shane Meadows. 2004. 1H30. Grande Bretagne. Avec Paddy Considine, Gary Strecth, Tony Kebbel, Jo Hartley, Seamus O'Neill.

FILMOGRAPHIE: Shane Meadows est un cinéaste anglais né à Uttoxeter, dans le Staffordshire, le 26 décembre 1972.
1996: Small Time, Where's the Money, Ronnie ?
1997: 24 heures sur 24
1999: A room for Romeo Brass
2002: Once Upon a Time in the Midlands
2004: Dead Man's Shoes. Northern Soul.
2005: The Stairwell
2006: This is England
2008: Somers Town


Sortie en salles en France le 8 Octobre 2004. Royaume Uni: 1er Octobre 2004. Canada: 14 Septembre 2004.

Notes: Pour les besoins du tournage de Dead Man's Shoes, Paddy Considine (scénariste) et Shane Meadows (réalisateur et scénariste) ont fait appel à un membre de leur famille respective : le premier a demandé à Matt Considine, et le second a fait appel à Arthur Meadows, leur conjoint.
Un message marque la fin du générique : « In memory of Martin Joseph Considine », que l'on peut traduire par « En mémoire de Martin Joseph Considine ». C'est le père de Paddy Considine. En effet, juste avant de mourir, ce dernier a déclaré vouloir que son fils collabore une nouvelle fois avec Shane Meadows.

Le sujet: Richard revient à Midlands, son village natal, à la fin de son service militaire. Il n'a plus qu'une chose à l'esprit : prendre une revanche sur un acte impardonnable.


Sixième réalisation du british  Shane Meadows, Dead Man's Shoes est un magnifique drame psychologique affilié au vigilante movie bucolique. L'originalité est privilégiée dans sa mise en scène inspirée et déroutante auquel le metteur en scène souhaite renouveler le thème vindicatif mainte fois adapté au cinéma.
C'est l'histoire implacable d'un châtiment de cécité d'un homme fustigé, annihilé par la douleur de la perte d'un être cher. Son frère Anthony, attardé mental et souffre douleur est à portée de main d'une bande de petites crapules lambda. Des dealers de came réfugiés dans une contrée reculée de l'Angleterre vers le village de Midlands. Dès le prologue, nous faisons connaissance avec le portrait véreux de ces malfrats de bas étage, assez criant de vérité dans leur trogne familière d'authentiques gueules de fripouilles à la petite semaine. D'entrée de jeu, Richard, le frère meurtri revenu de son service militaire, (magnifiquement campé par un ombrageux et dérangé Paddy Considine),  établira ses conditions drastiques à un des membres de la bande en lui témoignant de façon préméditée qu'il les tuera un à un sans une guise d'hésitation. Et il faut voir de quelle manière l'homme impassible s'extériorise en tant qu'être déshumanisé pour démontrer à ces monstres (terme qu'il emploiera vers le dénouement pour les juger) qu'il sera prêt à tout pour les exterminer. En prime, il va s'accoutrer maladroitement d'un masque à gaz plaqué sur son visage et d'une combinaison grise de travail en guise de camouflage. Une panoplie grotesque pour mieux iconiser son acuité interne de colère, cette montée envahissante de la haine décuplée. Une adrénaline alimentée par l'esprit vindicatif et d'une justice expéditive sans concession. Dès lors, son unique ambition est de faire subir aux tortionnaires la sanction punitive et méritoire.


S'ensuit une succession de scènes déconcertantes, entre humour noir rebutant, rire nerveux et violence consumée comme cette scène hallucinée ou la bande décervelée se retrouve malencontreusement droguée grâce au café que Richard, emmitouflé en fantôme masqué, aura réussi à frelater durant un simple moment d'inadvertance des soulards. Une scène psychédélique planante et désincarnée, fragile et dérangeante, d'une incroyable force émotionnelle dans sa folie sensitive. Un véritable cauchemar surréaliste auquel ces marionnettes transies par l'acide vont être en proie à un déchaînement de violence rigoureuse, surtout quand elles s'apercevront dans un état mental comateux qu'elles sont entrain de vivre leur ultime instant. Jusqu'à ce qu'une balle mortelle ne vienne se figer directement dans la tête de l'un des condamnés. Une scène cinglante qui laisse sans voix, mise en exergue sur l'âpreté d'un climat réaliste souscrit sans fioriture !

Durant la première heure, Dead Man's Shoes est rempli de séquences fortuites dans la forme, dans la banalité et le quotidien de ces dealers journaliers. Entre ces nombreux flashs-back remémorant au spectateur les exactions des supplices perpétrés sur Anthony et la mission vengeresse de Richard illustrée sous une forme baroque. Une nuance insolite privilégiée par une réalisation adroite constamment surprenante et originale, qui, mine de rien, finira par nous mener vers une issue irréversible ! Vers une cérémonie funèbre à l'impasse fatale tristement tragique !
Dans cette mise en scène peu commune il y a des situations volontairement grotesques comme si nous nous étions retrouvés à la lisière d'un film de Ken Loach pour son hyper réalisme social et ses personnages plus vrais que nature, et le cinéma de Joel et Ethan Cohen dans sa mise en scène détachée, assez décalée. Entre réalité saugrenue, inconvenance, humour incontrôlée, causticité et cynisme inopiné.
La dernière demi-heure optera un ton plus grave et opaque, véritable chemin de croix et de rédemption. Un lancinant chant mortuaire à tendance religieuse dans sa quête désespérée de la repentance, que ce soit du côté des victimes ou du bourreau. Car les monstres ne feront plus qu'un et la mort élégiaque sera le seul échappatoire à toute cette misérable besogne.


Interprété par des comédiens austères surprenant de naturel, émaillé de superbes morceaux musicaux nonchalants et réalisé sans outrance spectaculaire, Dead Man's Shoes est une oeuvre puissante qui laisse des séquelles irrémédiables. Un bouleversant réquisitoire contre la vengeance et la rancune. ATTENTION SPOILER !!!!!!!!! Un ovni atypique d'autant plus déroutant que le meurtre n'était ici qu'un simulacre pour dénoncer un exutoire suicidaire. FIN DU SPOILER.


Récompenses:
2004 : Golden Hitchcock au Festival du film britannique de Dinard
2005 : Prix de la meilleure réalisation au Directors Guild of Great Britain
2005 : Empire Award du meilleur acteur dans un film britannique
2005 : Evening Standard British Film Awards du meilleur acteur

27.03.10
Bruno Matéï

samedi 1 octobre 2011

L'Homme sans Ombre / Hollow Man. Director's cut


de Paul Verhoeven. 2000. U.S.A. 1h59. Avec Elisabeth Shue, Kevin Bacon, Josh Brolin, Kim Dickens, Greg Grunberg, Joey Slotnick, Mary Randle, William Devane, Rhona Mitra, Pablo Espinosa, Margot Rose.

Sortie en salles en France le 20 Septembre 2000. U.S: 4 Août 2000

FILMOGRAPHIE: Paul Verhoeven est un réalisateur néerlandais né le 18 Juillet 1938 à Amsterdam (Hollande). 1971: Business is business, 1973: Turkish Délices, 1975: Keetje Tippel, 1977: Le Choix du Destin, 1980: Spetters, 1983: Le 4è Homme, 1985: La Chair et le Sang, 1987: Robocop, 1990: Total Recall, 1992: Basic Instinct, 1995: Showgirls, 1997: Starship Troopers, 2000: l'Homme sans Ombre, 2006: Black Book.


Trois ans après sa satire anti militariste avec le génialement belliqueux Starship Troopers, Paul Verhoeven aborde aujourd'hui le mythe de l'homme invisible en façonnant à sa manière politiquement incorrecte la thématique du mal inné en chaque être humain. Le PitchUn scientifique surdoué est sur le point de trouver la formule idoine pour rendre invisible toute forme humaine ou animale. Après avoir tenté l'expérience sur un gorille, il s'administre le sérum dans ses propres veines et se retrouve dénué d'enveloppe corporelle. Le problème est qu'il ne retrouve plus son apparence originelle après s'être réintroduit le produit. Peu à peu, il semble particulièrement fasciné par son immense pouvoir au point de sombrer dans une folie meurtrière. 


Mené à un rythme infernal et diaboliquement sardonique, notre pourfendeur hollandais Paul Verhoeven nous concocte ici une série B survitaminée privilégiant de prime abord un sens de l'efficacité imparable. Tant au niveau des effets spéciaux assez réussis (même si par moments perfectibles) et constamment inventifs que de la conduite du récit continuellement captivant car mené avec une vigueur roublarde pour nous clouer sur son siège. La première partie illustrant le déroulement du protocole mené par un groupe de scientifiques appâtés par la gloire, s'approprie déjà d'un caractère spectaculaire en utilisant ingénieusement un florilège d'effets spéciaux assez réaliste pour authentifier l'invisibilité du sujet expérimenté. La manière retorse dont Verhoeven utilise son artillerie de trucages novateurs n'est jamais gratuite pour à contrario servir sa trame davantage perfide et délétère comme le soulignera la seconde partie autrement horrifique. Si bien qu'en ce qui concerne l'argument plutôt ombrageux, le réalisateur dépeint le profil d'un ambitieux personnage dépassé par sa prodigieuse invention scientifique qu'il a lui même façonné mais qui va peu à peu la mener à sa perte pour le faire sombrer dans une haine bestiale. Car frustré et jaloux de ne pouvoir renouer avec sa précédente idylle partie batifoler dans les bras d'un autre scientifique, Sebastian utilisera son nouveau don de l'invisibilité pour se venger de ses comparses et de sa société prête à le congédier, faute de son échec professionnel. Or, c'est d'abord la frustration sexuelle qui intéresse ici Paul Verhoeven lorsque notre antagoniste, incapable de refréner ses pulsions et dépité de son échec sentimental s'entreprend à pénétrer par effraction chez une de ces voisines pour la mater tel un vulgaire voyeur pour finalement oser la violer sauvagement. D'avantage conscient de ses capacités illimitées à pouvoir envisager des exactions immorales de par l'invisibilité de son identité, Sebastian, toujours plus rancunier, opportuniste et avide d'orgueil se laisse attendrir par sa haine véreuse et sa révolte capricieuse pour se permettre le crime en série.


La seconde partie se focalise enfin vers une bondissante traque inlassable, une course poursuite aussi haletante que spectaculaire amorcée par notre groupe de scientifiques piégés à l'intérieur de leur labo par leur ancien leader déterminé à les exécuter un à un. Chaque péripétie remarquablement gérée d'une caméra virtuose utilise avec beaucoup d'efficacité l'environnement labyrinthique d'un bâtiment industriel. De surcroît, une multitudes d'idées ingénieuses sont habilement exploitées lorsque nos protagonistes vaillants vont se défendre contre la menace omniprésente de l'homme sans ombre apte à se camoufler dans n'importe quel recoin. Et pour pimenter la frénésie des rebondissements, les mises à morts sanglantes sont violemment brutales, cinglantes, pour ne pas dire sans concession ! 
Comme disait Hitchcock, plus le méchant est réussi, meilleur le film sera ! Et on peut dire ici que le leitmotiv est respecté à la lettre tant Kevin Bacon endosse avec machiavélisme inné le rôle mégalo d'un odieux tortionnaire misanthrope subitement éludé de toute moralité pour sa quête personnelle du pouvoir le plus immoral. En effet, que ferions nous en pareil cas si nous avions un jour la capacité de se retrouver invisible ? Comme le héros, notre âme pourrait-elle se laisser happer par l'influence de nos bas instincts pour nous mener vers une déviance perverse volontairement assumée ! La ravissante Elisabeth Shue apporte également une étonnante ferveur auprès de son courage hors normes à combattre son ennemi et sauver ses acolytes pour la quête de leur survie. Sa présence non dénuée de charme lascif exacerbe le rythme échevelé des incidents à travers son interminable point d'orgue explosif culminant son apothéose dans la cage abyssale d'un ascenseur erratique. Une séquence explosive très impressionnante sous l'impulsion d'un réalisme effréné remarquablement monté !


Hormis un épilogue bizarrement conventionnel virant dans la facilité redondante, Hollow Man puise son impact émotionnel et sa percutante vigueur dans l'utilisation finaude de ses incroyables effets spéciaux au service d'une narration redoutablement fétide. En effet, son attrait contestataire ne manque pas de mordant pour exploiter avec ironie insolente sa thématique du Mal auquel l'homme opportuniste et mégalo est apte à commettre le pire pour parvenir à ses fins. Rondement mené sans temps morts et  fougueusement interprété par des comédiens au jeu communément contrarié et pugnace, ce divertissement indocile demeure constamment haletant, inquiétant, terrifiant même, avec jubilation.

*Bruno
Dédicace à Nelly Ruuffet 
30.01.24. 3èx
02.11.11.

vendredi 30 septembre 2011

BAD TEACHER


de Jake Kasdan. 2011. U.S.A. 1h32. Avec Cameron Diaz, Lucy Punch, Jason Segel, Justin Timberlake, Phyllis Smith, John Michael Higgins, Dave Allen, Jillian Armenante, Matthew J. Evans, Kaitlyn Dever.

Sortie en salles en France le 27 Juillet 2011. U.S: 24 Juin 2011

FILMOGRAPHIE: Jake Kasdan est un réalisateur, scénariste, producteur et acteur américain né le 28 Octobre 1974.
1998: Zero Effect (télé-film)
2002: Orange County
2006: The TV Set
2007: Walk Hard: The dewey Cox story
2011: Bad Teacher


Dans la mouvance du cinéma provocateur de John Waters, le méconnu Jake Kasdan s'attelle à prendre la relève et bouscule les règles du genre à grand renfort de gags putassiers pour le plus grand bonheur du spectateur. A condition qu'il soit apte à ingérer un esprit cynique et un ton bordélique ne reculant devant aucune limite.

Une insouciante professeur de collège dirige ses cours de classe dans une totale exubérance et un refus des conventions traditionnellement acquises. Un jour, elle fait la rencontre d'un professeur juvénile particulièrement attrayant pour ses désirs lubriques de consommation de routine. Mais une collègue délurée et folichonne est également déterminée à conquérir le coeur du nouveau mâle pris à parti.

                            

L'une des comédies les plus trashs et effrontées de ces dernières années est ici ! Dans une irréfutable décontraction à concocter les gags les plus couillus et politiquement incorrects, Bad Teacher est une comédie décalée comme on en voit rarement dans le paysage balisé du genre.
Ici, la trame futile (deux donzelles se font la guerre pour un charmeur orthodoxe) n'est qu'un prétexte à accumuler les blagues douteuses, les tirades verbales dévergondées et des situations subversives particulièrement corsées pour le public puriste non averti. D'ailleurs, certains d'entre eux risqueront de faire grise mine devant la caractère outrancier, continuellement vulgaire des péripéties tolérées.


Ce qui rend aussi attractif et jouissif ce délire improbable est en grande partie dû au talent de comédienne de Cameron Diaz, littéralement déchaînée et spontanée dans un rôle idéal de blonde égocentrique, désinvolte, insidieuse, mécréante, dépravée et marginale. Une professeur amorale occupant son temps à railler et déprécier ses élèves en leur diffusant durant les cours des films ludiques sans intérêt (si ce n'est la projection du diablotin Scream !), quand il ne s'agit pas de draguer n'importe quel minet réfugié dans les bars sitôt la classe terminée, entre deux prises d'alcool et de Marijuana. La toute aussi allumée Lucy Punch (Dinotopia, Hot Fuzz) volerait presque la vedette à sa rivale mesquine tant elle endosse à merveille un rôle orgueilleux de potiche vindicative, constamment obsédée à vouloir s'approprier du coeur d'un chérubin faussement docile. C'est l'excellent Justin Timberlake (Southland tales, Black Snake Moan, The Social Network) , prouvant une fois de plus qu'il est particulièrement adroit et doué au jeu de comédien pour camper à contre emploi un jeune professeur intello à la posture maladroite (il se caricature aisément avec le port de lunettes risibles). Un ignorant peu érudit dont le fantasme atypique est de concrétiser un simulacre de relation sexuelle fégné jusqu'à l'orgasme, prouvant sa jouissance par la résultante d'une trace humide suintant de son pantalon !


Subversif en diable, provocateur sans retenue, vulgaire de bonne foi, sardonique et fièrement dévergondé, Bad Teacher est une forme d'ovni inespéré dans le genre souvent puritain et conservateur. Un véritable festival de mauvais goût assumé jusqu'au bout des ongles dans ses situations délurées toutes plus saugrenues les unes que les autres. L'abattage éhonté des comédiens s'en donnant à coeur joie, les dialogues irrésistibles de verve mesquine et le rythme frénétique des péripéties débridées concourent de nous soumettre à un délire lubrique rarement subtil mais rempli d'audace.
A contrario, autant mettre en garde que les âmes prudes ne risqueront jamais de s'en remettre !

30.09.11
Bruno Matéï

jeudi 29 septembre 2011

La Machine à explorer le Temps / Time Machine

Photo empruntée sur Google, appartenant au site Imdb.com

de Georges Pall. 1960. U.S.A. 1h43. Avec Rod Taylor, Alan Young, Yvette Mimieux, Sebastian Cabot, Tom Helmore, Whit Bissell, Doris Lloyd.

Sortie en salles en France le 7 Décembre 1960. U.S: 17 Aout 1960.

FILMOGRAPHIE: George Pal, né Györgi Pál Marczincsák, est un réalisateur, producteur, scénariste hongrois, né le 1er février 1908 à Cegled en Autriche-Hongrie (aujourd'hui en Hongrie), naturalisé américain en 1940 et mort le 2 mai 1980 d'une crise cardiaque à Beverly Hills. 1934 : Le Vaisseau de l'éther ; 1935 : L'Atlas magique ; 1936 : La Symphone de l'éther ;1937 : Philips Broadcast ;1937 : What Ho, She Bumps (UK); 1938 : La Belle au bois dormant ; 1939 : Philips Cavalcade ;1939 : Les Amants des mers du Sud ;1942 : Tulips Shall Grow ; 1942 : Jasper et les pastèques ;1942 : Jasper et la maison hantée ; 1958 : Les Aventures de Tom Pouce ;1960 : La Machine à explorer le temps ; 1962 : Les Amours enchantées ; 1964 : Le Cirque du docteur Lao.


C'est en 1960 que le cinéaste hongrois George Pal réalise l'une de ses plus belles réussites quatre ans avant son cultissime Le Cirque du Dr Lao. Gros succès commercial lors de sa sortie, La Machine à explorer le temps est tiré du fameux roman de Herbert George Welles, publié en 1895. Pour l'anecdote, c'est l'année clef où fut précisément inventé le cinématographe des frères ingénieurs, Louis et Auguste Lumière ! SynopsisLondres, au réveillon du 31 Décembre 1899, un groupe d'amis attend impatiemment l'inventeur George dans sa demeure depuis qu'il devait s'y rendre à 20h00. Après quelques heures de retard, celui-ci se présente et leur raconte l'improbable récit d'avoir opéré un bond dans le futur à l'aide d'une machine révolutionnaire. Quelques décennies avant Retour vers le Futur, Quelque part dans le Temps, Abattoir 5, C'était demain et Philadelphia Experiment, une production d'anticipation au budget conséquent (1 million de dollars) va remporter un gros succès auprès de la critique et du public, récompensée également d'un oscar pour ses effets-spéciaux. Des trucages prêtant aujourd'hui évidemment à sourire de par leur aspect kitch, pour ne pas dire parfois ringards au vu des maquettes et de l'apparence délurée de nos illustres Morlocks peinturlurés d'un bleu fluo ! En l'occurrence, cette merveille de fantaisie et d'anticipation post-apo n'a rien perdu de son charme et de sa magie à travers ses péripéties superbement imagées. Ainsi, la grande réussite de cette fresque haute en couleurs (technicolor oblige !) est de nous narrer avec conviction un univers fantastique proprement dépaysant car littéralement immersif au sein de cet immense jardin d'Eden. Un endroit bucolique auquel l'ethnie des Elois cohabite en autarcie parmi une nature environnante jalonnée de rivières et d'arbres fruitiers de taille démesurée en guise de nutrition.


Ainsi, à travers le voyage prodigieux de George, inventeur de génie fasciné par la quatrième dimension afin de lui permettre de se déplacer à travers le temps à l'aide d'une machine novatrice, c'est un conte gentiment métaphysique (l'apprentissage de l'enseignement indispensable à l'évolution de l'espèce humaine) que nous transmet avec féerie George Pal. Par conséquent, ce périple saugrenu est entamé par un héros confiné dans un avenir morose où les êtres humains y sont réduits à l'état végétatif car incapable de se prendre en main afin d'édifier une nouvelle hiérarchie fondée sur la discipline, le travail, l'honneur, le sens du devoir, de bravoure et de courage, sans compter les valeurs de l'amour, de la tendresse et de l'amitié. C'est après que la 3è guerre mondiale eut éclatée que les êtres humains finirent par disparaître laissant à proximité des charniers quelques survivants réduits à l'état animal ou devenus esclaves auprès de l'antagoniste. C'est ainsi que naquit le peuple docile des Elois condamnés à se soumettre à l'autorité des Morlocks. Des hommes mutants vivants sous terre ayant parvenu à les dompter afin de leur proposer quotidiennement de la nourriture gracieusement récoltée. Mais il s'agit en fait d'un subterfuge sardonique pour mieux les ravir à l'âge adulte et leur servir de garde manger en guise de cannibalisme ! Au sein de cet univers faussement édénique car établi sans gouvernement ni démocratie, George, pourfendeur rigoureux, tentera de redonner un sens à la vie des Elois pour les inciter à se rebeller contre la tribu des morlocks réfugiés dans une caverne transformée en forteresse. Décors idylliques aux trucages agréablement désuets, reconstitution soignée d'une époque victorienne ou d'un futur impassible à travers déploiement d'idées délirantes, La Machine à explorer le temps demeure une aventure atypique au pouvoir de persuasion intact. D'autant plus que la prestigieuse machine temporelle façonnée avec souci formel s'avère à la fois scintillante, rutilante auprès de ces détails techniques et ornementaux ! Pour son premier rôle au cinéma, Rod Taylor insuffle charisme, force tranquille et spontanéité à travers sa volonté d'anarchiser des êtres humains subordonnés aux créatures perfides. Sa juvénile compagne endossée par Yvette Mimieux suscitant une candeur naïve dans sa chétive contribution à tenter peu à peu de se rebeller contre l'autorité des Morlocks. Ensemble, ils forment un duo attachant à travers leur bonhomie et leur espoir d'ériger un avenir meilleur basé sur l'enseignement de la culture et le respect d'autrui afin de renouer avec l'expansion de l'évolution humaine.


Un monde meilleur.
L'art de narrer au cinéma une histoire rocambolesque lorsqu'un cinéaste inspiré est apte à retranscrire le plus fidèlement possible son imaginaire prolifique ! Entre romance attendrie, aventures intrépides, amitié virile (les rapports dignes de Filby et George), action rocambolesque  (nous ne sommes pas prêts d'oublier l'apparence bisseuse des Morlocks confinés dans leur grotte !) et réflexion philosophique sur le sens existentiel, notamment sur l'institution des lois, la machine à explorer le temps se décline en délicieux spectacle familial rigoureusement dépaysant. Un classique vintage au pouvoir enchanteur subtilement indécrottable de par l'intelligence de sa passionnante intrigue humaniste que George Pal dépeint avec tendresse (quel magnifique épilogue élégiaque), constance, déférence et intégrité.   

*Bruno

Dédicace à Olivier Dussart

Récompense: Oscar des meilleurs effets spéciaux (Gene Warren et Tim Baar) en 1961

18.10.22
29.09.11

mercredi 28 septembre 2011

Faux Semblants / Dead Ringers. Grand Prix, Avoriaz 1989.

                                                      Photo empruntée sur Google, appartenant au site Imdb.com

de David Cronenberg. 1988. 1h55. U.S.A/Canada. Avec Jeremy Irons, Geneviève Bujold, Heidi von Palleske, Barbara Gordon, Shirler Douglas, Stephen Lack, Nick Nichols, Lynne Cormack, Damir Andrei, Miriam Newhouse.

Sortie en salles en France le 8 Février 1989. Canada: 23 Septembre 1988.

FILMOGRAPHIE: David Cronenberg est un réalisateur canadien, né le 15 mars 1943 à Toronto (Canada). 1969 : Stereo, 1970 : Crimes of the Future, 1975 : Frissons, 1977 : Rage,1979 : Fast Company, 1979 : Chromosome 3, 1981 : Scanners, 1982 : Videodrome, 1983 : Dead Zone, 1986 : La Mouche, 1988 : Faux-semblants,1991 : Le Festin nu, 1993 : M. Butterfly, 1996 : Crash, 1999 : eXistenZ, 2002 : Spider, 2005 : A History of Violence, 2007 : Les Promesses de l'ombre, 2011 : A Dangerous Method

Deux ans après son remake de La Mouche — bouleversante métaphore du SIDA, où les FX organiques portaient à incandescence la métamorphose du héros — David Cronenberg signe à mes yeux son plus grand film. Le plus abouti. Le plus trouble. Le plus douloureux aussi. Un drame humain vertigineux sur la gémellité, la dépendance affective, l’impossible séparation. Adapté du roman Twins de Bari Wood et Jack Geasland, Faux Semblants fut ovationné à Avoriaz, remportant le Grand Prix un an après sa sortie.

Le pitch : Beverly et Elliot Mantle sont deux frères jumeaux, inséparables, praticiens en gynécologie dans une clinique huppée. D’apparence identique, ils partagent tout : leur appartement luxueux, leurs succès professionnels, leurs conquêtes féminines, qu’ils se passent comme des habits. Jusqu’au jour où Beverly, l’introverti, tombe éperdument amoureux d’une actrice, Claire Niveau, atteinte d’une malformation utérine rarissime. Dès lors, l’équilibre se fissure : l’un s’attache, l’autre s’agace. Beverly plonge dans la dépendance, dévoré par l’amour et les amphétamines.


Drame psychologique d’une intensité à vif, Faux Semblants nous entraîne dans une lente et implacable descente aux enfers. Cronenberg y distille un malaise rampant, tapissé d’élégance clinique, pour ausculter le lien fusionnel — presque monstrueux — de deux frères incapables de se définir autrement qu’à travers l’autre. Leur déchéance s’ouvre comme une plaie, nourrie par une histoire d’amour avortée, par une toxicomanie vorace, par l’usure d’une dualité trop parfaite. Elliot, le mondain sûr de lui, propose à son frère plus fragile de partager Claire comme ils ont toujours tout partagé. Mais la jeune femme, stérile, triplement utérine, cristallise les angoisses de Beverly, qui sombre.


Dans ce huis clos de la psyché, Cronenberg manipule les organes comme des symboles — viscères de l’âme et cordons ombilicaux impossibles à sectionner. Le rêve halluciné de Beverly, où les deux frères sont siamois, scelle la métaphore. Les instruments chirurgicaux en or, à la fois fétiches et armes, deviennent objets de fascination morbide. Tout vacille. Leur chute est inévitable. Ils sont deux corps dans un seul cri. Deux identités emmêlées qui ne survivront pas à la dislocation.

Jeremy Irons est démentiel : il incarne cette dualité avec une précision glaçante, un éclat schizophrénique d’une rare subtilité. Autoritaire, érudit, cynique pour l’un ; écorché, dépendant, halluciné pour l’autre. Cronenberg déploie de subtils trucages pour les faire coexister dans le même cadre, accentuant leur trouble indifférenciation. Geneviève Bujold, quant à elle, irradie d’un charme blessé. Claire, femme solitaire multipliant les amants d’un soir, trouve en Beverly un fragment d’apaisement, malgré l’impossibilité biologique d’enfanter. Tous trois forment un trio détraqué, flottant aux confins de l’amour, de la souffrance et de l’aberration corporelle.


"Un seul coeur pour deux corps".
Profondément dérangeant, bouleversant, traumatisant, Faux Semblants est une tragédie moderne sur les liens équivoques de la gémellité. Deux âmes jumelles, incapables de se dissocier, incapables de se sauver. Porté par le jeu magistral de Jeremy Irons et la musique funèbre d’Howard Shore, Cronenberg signe un électrochoc émotionnel sur la déréliction affective, l’échec du sentiment amoureux, la malformation de l’identité et l’implosion du corps. Un chef-d’œuvre noir, vénéneux, inclassable.

*Bruno
Dédicace à Isabelle
28.09.11
19.01.24. 5èx. Vostfr

Récompenses:
Grand Prix lors du Festival international du film fantastique d'Avoriaz 1989.
Prix Génie du meilleur film 1989, décerné par l'Académie canadienne du cinéma et de la télévision.
Prix du meilleur acteur (Jeremy Irons) et nomination au prix du meilleur film, lors du festival Fantasporto 1989.

La critique de Ruuffet Nelly

Un des meilleurs Cronenberg. Ici, ce dernier excelle dans ce qu'il fait de mieux en nous proposant un métrage dont le caractère horrifique repose sur de l'expérimental et du clinique. Cronenberg nous pousse à nous interroger sur la chair et ses dimensions physico-spirituelles. Les deux frères jumeaux font de leur vie une expérience à un tel point qu'ils font se côtoyer la chair et le monstrueux. Jérémy Irons est magistral et nous propose un double jeu extraordinaire. Paradoxalement, au début du métrage, le spectateur peine à différencier les jumeaux tant leurs faciès et leurs attitudes sont similaires, puis la rencontre entre Beverly et Claire fait tout basculer. Même si Eliott (le + insensible et machiavélique des deux) fait tout pour qu'ils restent identiques, la descente aux Enfers de Beverly nous le montre vulnérable et de plus en plus fragile. Mais qui est le + fragile des 2? Peut-être pas celui que l'on pense.

Claire entraîne Beverly malgré elle dans l'univers des drogues dites « légales ». Ce dernier se shoote afin d'aider sa patiente à concevoir un enfant en poussant son corps dans ses derniers retranchements. Beverly, assoiffé de performances, est malheureusement rattrapé par les limites de son corps, qui reprend ses droits. Car même si le mental tente de transcender la chair, la chair reste de la chair et, si on la triture et essaie de la rendre artificielle, elle devient monstrueuse. Telle pourrait être la moralité du film qui, en ce sens, est la même que celle de La mouche. Beverly ne contrôle plus son corps et sombre alors qu'il interprète mal une entrevue entre Claire et un autre homme. Pensant qu'elle l'a trompé, il se réfugie encore plus dans les somnifères et les anxiolytiques.
Son frère jumeau, Eliott, que l'on perçoit tout d'abord comme un monstre insensible au regard glacial, semble plus humain lorsqu'il assiste, impuissant, à la déchéance de son frère jumeau. Là encore, son penchant pour l'expérimentation reprend ses droits mais cette fois-ci cette dernière est au service d'une noble cause. Par esprit de fraternité, Eliott imite son frère et prend le même traitement que Beverly, les mêmes dosages. Le clinique et le fraternel se cotoient et se confondent. Commence alors une descente vers la démence.
En parallèle de l'évolution du frère le plus froid, qui se calque cliniquement sur Beverly, se développe un imaginaire clinique. Eliott cherche à transcender la chair par le mécanique en créant artificiellement la gémellité chimique des deux frères et tente d'imiter le parcours des premiers frères siamois en recréant des instruments capables de les séparer. Entraîné dans la spirale de la folie, il mais pousse le mécanique jusqu'à l'inhumain en testant des instruments qui ne sont pas faits pour être testés sur des humains sur de vraies patientes. Les consultations deviennent des séances de torture et Beverly le lui fait bien remarquer.
Claire, le tiers jadis à l'origine de la descente aux Enfers des deux frères, devient alors la médiatrice entre ces derniers et intervient tout particulièrement auprès d'Eliott en tentant de lui expliquer par tous les moyens possibles que leur gémellité ne fait pas d'eux des personnes complètement identiques. Les jumeaux ne sont pas des siamois et les dépendances chimiques ne sont pas innées. Mais Elliott ne le comprend pas et continue de pousser ses expérimentations jusqu'à adopter au milligramme près les doses qu'ingère son frère. A force de vouloir pousser leur gémellité jusque dans ses derniers retranchements, la chimie les rattrape et ils sont incapables de faire machine arrière.
Leur fraternité devient monstrueuse, Eliott s'en rend compte mais il est déjà trop tard. La folie l'a gagné et il essaie de sauver son frère en se séparant chirurgicalement de lui. L'imaginaire a dépassé la réalité. Mais Eliott ne voit que cette alternative, aveuglé par sa soif d'expérimentations. Le goût pour la science, poussé à l'extrême, mène à la destruction. Au coeur de la scène finale git un frisson empreint de grâce. Cronenberg a réussi à faire se côtoyer la grâce, l'amour et le frisson horrifique dans ce chef-d'oeuvre, un chef-d'oeuvre comme on en fait rarement à l'heure actuelle. Horriblement magnifique.


                                     

lundi 26 septembre 2011

Les Rats Attaquent / Deadly Eyes / Night Eyes / The Rats


de Robert Clouse. 1982. Canada. 1h27. Avec Sam Groom, Sara Botsford, Scatman Crothers, Cec Linder, Lisa Langlois

Sortie en salles au Canada le 23 Octobre 1982

FILMOGRAPHIE: Robert Clouse est un réalisateur, scénariste et producteur américain, né le 6 mars 1928, décédé le 4 février 1997 à Ashland (Oregon). 1962: The Cadillac. 1964: The Legend of Jimmy Blue Eyes. 1970: La Loi du Talion, Dreams of Glass. 1973: Opération Dragon. 1974: La Ceinture Noire, les 7 Aiguilles d'Or. 1975: New-York ne répond plus. 1977: The Pack. The Amsterdam Kill. 1978: Le Jeu de la Mort. 1979: The London Connection. 1980: Le Chinois. 1981: Force 5. 1982: Les Rats Attaquent. 1985: Gymkata, le parcours de la mort. 1990: China O'Brien. 1991: China O'Brien 2. 1992: Iron Heart.


Robert Clouse est un modeste artisan de la série B avant tout réputé pour deux films de Kung-fu iconisés par Bruce Lee (Opération Dragon, le Jeu de la Mort) et pour une formidable dystopie post-apo New-York ne répond plus (précurseur de Mad-Max 2) restée dans la mémoire de la génération 80. Mais en 1982, il cède au genre horrifique avec une série B réjouissante influencée par les écrits du britannique James Herbert, 1er tome d'une trilogie des rats. Le pitchA Toronto, des grains de maïs contaminés provoquent une mutation chez des rats déterminés à décimer la démographie New-yorkaise. Un  professeur de sport est une experte médicale se concertent pour déjouer la menace ayant envahi la métropole avant de se réfugier dans un métro en inauguration.


Complètement occulté de nos jours, cette série B efficacement gérée et réalisée créa son p'tit effet de frousse dans les rayons des vidéo-clubs des années 80 grâce à ces agressions animales du plus bel effet horrifiant. En l'occurrence, Les Rats Attaquent parvient toujours autant à divertir de par la présence délétère de ces fameux rats de taille génialement saugrenue. Mais ici, point d'effets numériques factices  ici mais des trucages ingénieux empruntés à la morphologie de mammifères canins car costumés d'une fourrure de poils et d'une fausse queue (quand il ne s'agit pas de marionnettes mécaniques filmées en plan serré) auquel nous n'y voyons que du feu (et j'ai revu le film ce soir sur un écran de 2M15). Le scénario dérisoire est certes le point répréhensible puisque Robert Clouse s'attarde sur une charmante idylle entre un professeur, le Dr Kate Dravis et sa jeune enseignante tête à claque car follement amoureuse de lui. Pourtant, aussi niais soit ce trio sentimental, la manière professionnelle dont le réalisateur structure le récit et surtout le caractère franchement attachant des personnages réussissent miraculeusement à retenir l'attention sans une seconde d'ennui. Quant aux scènes cinglantes d'attaques animales, elles sont disposées à intervalle assez métronome quand bien même la violence qui en résulte accorde parfois une certaine sauvagerie avec moult gerbes de sang sur les plaies déchiquetées pour notre plus grand plaisir sadien.


Mais c'est surtout lors de son dernier acte que Les Rats Attaquent adopte une tournure autrement folingue et jubilatoire à travers l'implication dantesque de deux scènes anthologiques imparties au mode "catastrophe". En effet, nos rats redoutablement voraces et hostiles vont investir la salle d'un cinéma de quartier (alors qu'est diffusé face écran le Jeu de la Mort !) et décimer tous les spectateurs en panique ! C'est ensuite vers la rame d'un métro qu'ils se dirigeront afin de dévorer les hôtes d'une inauguration. D'ailleurs, on pense inévitablement au même schéma alarmiste initié par les Dents de la mer lorsque ces personnages hautains et véreux réfutent à croire que l'improbable menace est sur le point de saborder leur projet industriel. Mais le caractère sympathique de nos acteurs de seconde zone (la géniale "garce" Sara Botsford, inoubliable catin de Class 84, Sam Groom - Jeux Mortels - et une pléthore d'illustres séries TV des années 70 et 80) parviennent à rendre immersives leurs mésaventures cauchemardesques que l'on savoure constamment avec un art consommé de la fascination morbide.


Agréablement troussé donc avec ces FX adroits et modestement campé par des comédiens avenants (je craque à nouveau pour le regard à la fois badin et lubrique de la sémillante Sara Botsford), les Rats Attaquent doit sa petite notoriété à la physionomie monstrueuse de ces rats particulièrement voraces, teigneux et incontrôlables (au passage, un bébé y trépasse lors d'un horrifiant prologue plutôt halluciné, même si suggéré !). L'intrusion finale et spectaculaire de deux séquences chocs de grande envergure achèvent de nous combler auprès de ce savoureux produit d'exploitation dénué de prétention.  Vivement recommandé aux nostalgiques des années 80 si bien qu'à mes yeux il reste l'un des meilleurs spécimens en terme de rats tueurs après d'Origine InconnueSoudain, les Monstres et La Nuit de la Métamorphose

*Bruno
01.06.22. 5èx
26.09.11.    

jeudi 22 septembre 2011

SERIE NOIRE


d'Alain Corneau. 1979. France. 1h55. Avec Patrick Dewaere, Myriam Boyer, Marie Trintignant, Bernard Blier, Jeanne Herviale, Andreas Katsulas, Charlie Farnel, Samuel Mek, Jack Jourdan, Fernand Coquet.

Sortie en salles en France le 25 Avril 1979. U.S. 25 Juin 1982.

FILMOGRAPHIE: Alain Corneau est un réalisateur français né le 7 aout 1943 à Meung sur Loire (Loiret), décédé dans la nuit du Dimanche 29 au Lundi 30 Aout 2010 à Paris.
1974: France société anonyme, 1976: Police Python 357, 1977: La Menace, 1979: Série Noire, 1981: Le Choix des Armes, 1984: Fort Saganne, 1986: Le Môme, 1989: Nocturne Indien, 1991: Tous les Matins du Monde, 1995: Le Nouveau Monde, 1997: Le Cousin, 2000: Le Prince du Pacifique, 2002: Stupeur et tremblements, 2005: Les Mots Bleus, 2007: Le Deuxième Souffle, 2010: Crime d'Amour.


Après deux mémorables polars, Alain Corneau porte à l'écran en 1979 le roman de l'américain Jim Thompson paru dans la collection "série noire", sous le titre Des Cliques et des Claques. S'il n'a rencontré qu'un demi-succès d'estime (890 578 entrées au compteur), ce chef-d'oeuvre porté par le talent halluciné de Patrick Dewaere va entraîner au fil des années une réputation de classique impérissable. Franck Poupart est un représentant de commerce incapable de boucler ses fins de mois, faute d'un patron sans scrupule. Vivant dans un foyer précaire en compagnie d'une femme délaissée, il rencontre au hasard de sa clientèle une sexagénaire cohabitant avec sa nièce de 16 ans, Mona. Cette jeune fille est une prostituée aigrie contraint de racoler contre l'autorité de sa tante. Ils tombent communément amoureux. Un jour, elle lui dévoile que la mégère camoufle sous son toit les économies d'une grosse somme d'argent. Ensemble, ils décident de comploter un traquenard pour la dérober.


Alain Corneau, plus inspiré que jamais, nous entraîne ici dans une sordide descente aux enfers sur fond de misère sociale. Ce profil d'un quidam paumé et désoeuvré nous éprouve durant près de 2 heures lors d'une implacable série noire à l'atmosphère dépressive difficilement respirable. Car on nous dresse ici le portrait pathétique d'un homme au bord de la crise de nerf, un sociopathe au confins de la folie humaine car rongé par l'amertume, la morosité de son environnement insalubre, le désespoir de perdurer une existence toujours plus nécrosée. Conscient de sa défaite sociale défavorisée par un patron intransigeant, et lucide de son incapacité à redresser sa situation conjugale, Franck est sur le point d'exploser les barrières de sa moralité pour se laisser dériver vers le meurtre crapuleux. Fantasmant une vie plus autonome et harmonieuse en compagnie d'une mineur mutique de 16 ans, ils vont préméditer un double homicide afin de soutirer une grosse somme d'argent à une rombière. Avec la fausse complicité d'un acolyte d'origine étrangère, Franck décide de se servir de son ami inculte pour mieux feindre sa pitoyable combine et ainsi se déculpabiliser de l'achèvement des odieux crimes.


Baignant dans une ambiance glauque et poisseuse, Serie Noire nous imprègne viscéralement de son environnement en décrépitude à proximité d'une banlieue parisienne engluée par la montée du chômage et de la délinquance. Avec ce portrait jusqu'au-boutiste d'un badaud misérable davantage insidieux et lâche, ce polar rugueux parfois caustique (l'humour tacite provoque parfois l'hilarité) transcende l'illustration d'un fait divers crapuleux de par la déshumanisation d'un acteur de génie, Patrick Dewaere. Un monstre sacré proprement habité par son personnage de marginal erratique à la limite de la démence. Toute la narration s'orientant sur sa dimension psychologique tributaire d'une déchéance sociale miséreuse. L'acteur transi de sentiment misanthrope nous dévoilant ouvertement un festival de gestuelle et mimiques engagées sur l'insolence et l'impertinence d'une crise identitaire. Secondé par Marie Trintignant, l'actrice se fond dans la peau d'une potiche à la mine aussi renfrognée que timorée mais peu à peu éprise d'amour. Myriam Boyer se révèle touchante à endosser le rôle d'une épouse mal aimée incapable d'assumer son statut conjugal de bonne à tout faire ! Enfin, en patron véreux exécrable, Bernard Blier exacerbe à merveille son caractère cynique d'exploiter sans modération un ouvrier en perdition.

                                     

Traversé de célèbres tubes pop des années 70, mis en scène avec souci d'authenticité et transcendé par la prestance écorchée vive de Patrick Dewaere, Série Noire s'achemine au chef-d'oeuvre pour nous noyer dans une misère humaine en décrépitude. Le tableau sinistrosé d'un marginal annihilé par le système. L'un des portraits (humains) les plus durs et cruels que nous ait enfanté le cinéma français. 

A Patrick...

22.09.11
Bruno Matéï


mardi 20 septembre 2011

The Thing


de John Carpenter. 1982. U.S.A. 1h49. Avec Kurt Russel, Wilford Brimley, David Clennon, Keith David, T.K Carter, Richard A. Dysart.

Sortie en salles en France le 3 Novembre 1982. U.S: 25 Juin 1982

FILMOGRAPHIE: John Howard Carpenter est un réalisateur, acteur, scénariste, monteur, compositeur et producteur de film américain né le 16 janvier 1948 à Carthage (État de New York, États-Unis). 1974 : Dark Star 1976 : Assaut 1978 : Halloween, la nuit des masques 1980 : Fog 1981 : New York 1997 1982 : The Thing 1983 : Christine 1984 : Starman 1986 : Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin 1987 : Prince des ténèbres 1988 : Invasion Los Angeles 1992 : Les Aventures d'un homme invisible 1995 : L'Antre de la folie 1995 : Le Village des damnés 1996 : Los Angeles 2013 1998 : Vampires 2001 : Ghosts of Mars 2010 : The Ward

                                       

Un an après le crépusculaire New York 1997, John Carpenter enrôle à nouveau son acteur fétiche, Kurt Russell, pour orchestrer un remake de La Chose d’un autre monde. Le terme "remake" paraît presque galvaudé tant cette version réactualisée s’avère être la plus fidèle au court récit originel de John W. Campbell (Who Goes There ?). Échec public lors de sa sortie discrète en 1982, The Thing s’est taillé, au fil des décennies, une réputation de chef-d’œuvre du fantastique moderne, à l’égal des Alien, Shining ou Carrie. Œuvre avant-gardiste (son bide commercial en dit long !), elle amorce la trilogie de l’Apocalypse, dont Prince des Ténèbres et L’Antre de la Folie seront les futurs héritiers.

Le Pitch: Antarctique, 1982. Dans une station de recherche habitée par des scientifiques américains, un chien de traîneau surgit, traqué par des Norvégiens hystériques. Après une confrontation mortelle entre les deux équipes, deux membres du camp US explorent la base ennemie abandonnée. Ils y découvrent un cadavre gelé, qu’ils ramènent pour autopsie. Pendant ce temps, le chien, enfermé parmi d’autres bêtes, laisse bientôt échapper une créature informe, qui prend possession des autres corps vivants.

                                  

Sommet de terreur aussi palpable que souterraine, The Thing est un huis clos implacable où un groupe de scientifiques épuisés s’échine à découvrir lequel d’entre eux est désormais l’hôte d’une entité extraterrestre. Dès le préambule — ces vastes étendues enneigées transpercées par des coups de feu venus du néant —, l’inquiétude s’infiltre, rampante, presque organique. Carpenter distille à la goutte un malaise lancinant, nourri de visions de cadavres gelés, tordus par la peur ou la mutation. Le thème d'Ennio Morricone, grave et minimal, accompagne cette montée de tension d’une noirceur suffocante.

La première agression, surgie du corps du chien, sidère. Et ce qui foudroie littéralement le spectateur, c’est l’excellence absolue des effets spéciaux signés Rob Bottin. Pas d’esbroufe ni de carnaval sanglant : ces scènes de métamorphoses, d’une intensité quasi insoutenable, sont tournées en temps réel, avec des trucages mécaniques d’un réalisme stupéfiant. Du jamais vu à l’époque.


D’autres événements achèvent de plonger le groupe dans une descente aux enfers psychotique, où paranoïa, délire de persécution et peur de disparaître rongent les esprits confinés dans ce sanctuaire glacé. La question taraude, viscérale : qui est encore humain ? Qui va être contaminé ? Un test sanguin est mis en place pour trancher. Ce moment fatidique, sous l’œil clinique de Carpenter, devient un sommet de tension à la limite du supportable. Les effets spéciaux, une fois encore, rivalisent d’ingéniosité, mais ne cèdent jamais au grotesque : la créature, changeante et protéiforme, demeure insaisissable, terrifiante dans sa logique organique implacable.

Tous les comédiens, d’une sobriété glaçante, distillent un doute constant. Kurt Russell mène la danse, non comme un héros viril mais comme un survivant hanté, rongé par la culpabilité d’avoir causé la mort d’un des siens. Barbe hirsute, parka givrée, il avance, porté par une angoisse sèche, un flegme de justesse paranoïde, jusqu’à l’ultime confrontation.


Ne faites confiance à personne !
Jeu de massacre viscéral, épreuve de survie insolente infligée à une poignée d’êtres perdus, The Thing érige la paranoïa en art majeur. Ce sommet d’angoisse glaciaire ausculte l’homme, confronté à son pire ennemi : lui-même. Pour parachever cette œuvre de cauchemar, les FX visionnaires de Rob Bottin entrent à jamais dans la légende : visions cauchemardesques, tangibles, hallucinées — le cinéma n’a plus jamais été tout à fait le même après ça.

* Bruno

P.S: Toute personne avide de redécouvrir ce monument se doit de posséder la magnifique édition Blu-ray sortie il y a quelques années chez Universal ! L'image immaculée s'avérant proprement fastueuse ! Une expérience viscérale qui laisse pantois et qui permet de savourer le film comme au premier visionnage !

20.09.11.    4

                                    

lundi 19 septembre 2011

LE GAMIN AU VELO. Grand Prix au Festival de Cannes 2011.


de Jean-Pierre Dardenne et Luc Dardenne. 2011. France. 1h27. Avec Cécile de France, Thomas Doret, Jérémie Renier, Olivier Gourmet, Fabrizio Rongione, Egon Di Mateo.
Sortie en salles en France 18 Mai 2011

FILMOGRAPHIE: Jean-Pierre et Luc Dardenne sont des frères réalisateurs belges. Jean-Pierre est né le 21 Avril 1951 à Engis et Luc est né le 10 mars 1954 aux Awirs.
1987: Falsch, 1992: Je pense à vous, 1996: La Promesse, 1999: Rosetta, 2002: Le Fils, 2005: l'Enfant, 2008: Le Silence de Lorna, 2011: Le Gamin au Vélo.


12 ans après la Palme d'Or de Rosetta, drame social ayant révélé au grand public la débutante Emilie Dequenne (Prix d'interprétation à Cannes), les frères Dardenne renouent avec la jeunesse galvaudée sur fond de précarité sociale avec le douloureux portrait d'un enfant abdiqué par son père, Le Gamin à Vélo


Dans la lignée du cinéma de Truffaut et des 400 coups, le Gamin au vélo décrit avec un souci d'authenticité le portrait chétif d'un jeune garçon de 12 ans, incapable d'assumer sa nouvelle vie improvisée dans un foyer d'abandon, en l'attente d'une éventuelle famille d'accueil. C'est suite à une démission parentale engagée par son père que l'adolescent en quête de reconnaissance affective s'engage inlassablement à retrouver les traces de celui-ci incapable d'endosser ses responsabilités civiles. Dès lors, l'errance de ce jeune gamin multipliant les évasions et les crises de violence va voir son destin chamboulé lorsqu'il va faire la rencontre impromptue d'une femme prête à l'accepter pour l'héberger chaque week-end. C'est après avoir retrouvé les traces de son père, foncièrement délibéré à ne plus envisager de l'élever, que Cyril va s'apercevoir du lien familial rompu. Avec son vélo, il déambule quotidiennement dans les quartiers de sa nouvelle cité, à proximité de la demeure de Samantha, jusqu'au jour où suite à une altercation avec un jeune lascard, Cyril va faire la connaissance désobligée d'un dealer réputé par son influence perfide.

                                    

Réalisé sans fioriture et entièrement voué à ses personnages tourmentés débordant d'humanité, les frères Dardenne nous retranscrivent ici sans pathos le douloureux profil d'un enfant désuni, lâchement abandonné par sa propre famille. Le cheminement incertain de cet enfant sauvage, à deux doigts de sombrer dans le drame le plus pénal va démontrer comment un gosse livré à lui même peut facilement sombrer dans la délinquance quand l'amour, l'engagement familial et l'éducation parentale ont été exemptés de son équilibre psychologique et affectif. Ou quand la colère, la révolte et la haine alimentés par le sentiment d'injustice nous entraînent instinctivement vers la fréquentation marginale des laissés pour compte. Le jeune Thomas Doret réussit avec un naturel vigoureux à provoquer l'empathie dans son refus de se plier aux règles des autorités après avoir été banni du coeur de son père. Cette quête désespérée de fuir aveuglément les sentiers de la perdition d'une enfance démunie le mènera vers le danger le plus répréhensible. A moins qu'un adulte responsable ne réussisse in extremis à le rappeler à la raison. Lumineuse et pétillante, Cécile de France aura la difficile tâche d'apporter le soutien nécessaire et l'amour salvateur pour prouver à Cyril que sa vie peut néanmoins être un nouveau départ pour sa postérité.

Réalisé avec autorité, vérité prude et refus de mièvrerie, Le Gamin au Vélo est un drame poignant sur l'enfance fustigée d'une démission parentale. Un portrait en demi-teinte d'un jeune ado humilié, implacablement condamné à renouer avec de nouveaux liens pour pouvoir reconstruire un semblant de famille et cristalliser un avenir fructueux. L'interprétation pleine de justesse de nos deux comédiens impliqués dans une relation conflictuelle contribuant pour beaucoup à la puissance dramatique de cette oeuvre aussi fragile que candide.

19.09.11
Bruno Matéï