Photo empruntée sur Google, appartenant au site pariscine.com
de Harmony Korine. 2012. 1h34. US.A. Avec James Franco, Vanessa Hudgens, Selena Gomez, Ashley Benson, Rachel Korine, Heather Morris.
Sortie salles France: 6 Mars 2013. U.S: 22 Mars 2013
FILMOGRAPHIE: Harmony Korine est un réalisateur et scénariste américain, né le 4 Janvier 1973 à Bolinas, Californie. 1997: Gummo. 1999: Julien Donkey-Boy. 2007: Mister Lonely. 2009: Trash Humpers. 2013: Spring Breakers.
Le "Breakfast Club" des années 2000. Jean Baptiste-Thoret.
Déjà responsable d’un authentique film culte indépendant (Gummo), Harmony Korine nous projette, avec Spring Breakers, dans l’univers factice d’un congé printanier où une jeunesse insouciante s’abandonne sans réserve à la décadence. Cette parenthèse, née en Amérique du Nord, offre à des milliers d’étudiants l’ivresse de fêtes sans limites avant l’angoisse des examens. Le phénomène, baptisé Spring Break, s’est répandu au-delà des frontières (jusqu’en France), symbole estival où sexe, drogue et alcool débordent, malgré les tragédies : overdoses, comas éthyliques, viols sur corps trop vulnérables. Avec son affiche racoleuse et son trailer explosif, Spring Breakers pouvait inquiéter le cinéphile averti, flairant un Projet X déguisé en provocation putassière. Que nenni ! L’expérience se révèle un gouffre bipolaire : impossible de savoir où se raccrocher pour échapper au malaise.
Le pitch : quatre godiches braquent un fast-food pour financer des vacances féeriques en Floride. Sur place, elles croisent un rappeur crapuleux qui les guidera vers une délivrance suicidaire.
Voici, en quelques lignes, une trame classique, taillée pour ados. Mais sous l’avalanche des clichés attendus (sea, sexe, sun, alcool and coke !), la réalisation expérimentale de Korine — au montage frénétique, digne parfois de Tueurs Nés — dynamite tout. Les conventions s’effritent : place à un bad trip onirique, frôlant la métaphysique. Peu importe la minceur du scénario : seule compte l’expérience sensorielle, l’aura insolite, la respiration spirituelle, l’atmosphère de torpeur qui irrigue l’âme de ces filles égarées. Avec une force émotionnelle piquante car hybride et contradictoire, Spring Breakers raconte leur dérive, leur soif d’un ultime paradis pailleté face à la grisaille d’une vie sans saveur. Leur faim de bonheur, leur appétit d’épanouissement, leur rêve d’un avenir insouciant les poussent vers le vice, sous la coupe d’un « penseur » névrosé (James Franco, hypnotique dans sa cool attitude triviale). Transgresser la morale, consumer chaque seconde, brûler la vie à coups de poudre, de sexe et d’adrénaline : bâtir son paradis artificiel. Cette atmosphère de poésie crue et de désillusion imprègne la pellicule, jusqu’à nous immerger dans une transe hypnotique où le néant crépusculaire culmine à la déroute. No future pour une innocence sans boussole, papillonnant vers un no man’s land.
"Fleurs vénéneuses sous le soleil de Floride".
On ne sort pas indemne de la contemplation de Spring Breakers : une léthargie diffuse nous endeuille tout du long. Constat amer d’une jeunesse muette, éblouie par les paillettes et l’extase éphémère, le film est un voyage métaphysique au bout d’une nuit sans aube. Sa flamboyance formelle, sa mise en scène virtuose et la bande-son — à la fois cotonneuse et tonitruante — infusent malaise, aigreur, et une mélancolie poignante. Beaucoup, déboussolés, n’y verront qu’un écran vide ; d’autres, le cœur entrouvert, auront du mal à se relever du cri de révolte de cette jeunesse sans morale ni repentance.
10/10
*Bruno
03.07.13. 25.22.20
L'avis de Mathias Chaput:
"Spring breakers" est avant tout un film choc, bien plus malin et intelligent qu'il pourrait paraître...
Un piège se referme sur les jeunes filles, aussi bien que sur le spectateur, appâtées par le gain et le sexe, pensant se "trouver" alors qu'au final elles se "perdent"...
Le folklore du gangster à la Tony Montana est de nouveau perpétré dans le film avec un côté moins viscéral que fun, doublé par l'inconscience de personnes désoeuvrées et paumées dans l'âme, ne pouvant qu'observer une issue funeste d'une noirceur absolue...
Il y a un côté pathétique et touchant en même temps dans "Spring breakers" au carrefour du polar moderne et de l'étude de moeurs ciselée, où s'articulent des thématiques comme la consommation de produits addictifs (la drogue, l'alcool mais aussi la vénalité et la perversion sexuelle) et la désespérance d'une jeunesse prise entre le marteau de l'intégration et l'enclume de la tentation d'une vie festive...
D'une réalisation fluide et rapide mais parfaitement lisible, "Spring breakers" est un métrage hybride, à mi chemin entre film expérimental et traditionnel, doté de comédiens en roue libre qui semblent "vivre" leurs rôles comme dans le réel...
Cauchemar crédibilisé par l'émotion des trois héroïnes qui perdent pied rapidement et se "réfugient" dans la violence comme d'autres trouveraient un exutoire afin de pallier à leurs angoisses, Korine trouve la force nécessaire pour insuffler de l'innocence à ces créatures qui en sont dépourvues, sorties de l'adolescence et en mutation transitoire entre l'âge adulte affirmé et les repères éclatés, se cherchant et pensant se trouver dans cette vie anarchique et superficielle, que leur propose Alien...
A la fois axé sur la tentation et le délabrement, il manquerait juste un côté initiatique au film, il est exempt de la moindre rédemption vis à vis des héroïnes, ce qui accentue et amplifie de fait le malaise provoqué chez le spectateur et fait ressortir ce dernier collapsé à la fin du visionnage...
"Spring breakers" est assurément un grand film qui laisse une empreinte, qui s'ancre bien dans son époque et qui ose toutes les transgressions pour appuyer son propos de manière très rigoureuse...
Une belle réussite !
«Spring Breakers», poétique de l’idiotie
Par Jean-Baptiste THORET, Historien et critique de cinéma — 2 avril 2013 à 19:06
Des images d’étudiantes en bikini, trémoussant leur booty au ralenti sur des plages bondées, et tout autour, des grappes de jeunes mâles bronzés comme des homards, tous pectoraux sortis, versant sur elles de la bière comme s’ils urinaient en hurlant des «Yeah !». Ainsi s’ouvre le film Spring Breakers, sorti le mois dernier : par un gigantesque rêve (ou cauchemar) éthylique et partouzard, un précipité génial des images industrielles qui composent ce qu’on appelle, faute de mieux, la pop culture mondiale. Spring Break ! Moins le refoulé d’une société occidentale d’autant plus puritaine qu’elle s’est intégralement sexualisée - ici, plus besoin d’un psy pour vous expliquer que le gun, c’est le phallus, «Look at My Shit !» glapit le dealer gangsta-midinette du film qui pianote du Britney Spears (Disney et Snoopy Dog, même combat) - qu’une forme de convivialité fantôme et autistique : le rêve de l’identité s’achève ici dans l’indifférence. «Yeah !» version originale de notre «Yes !» national, interjection performative qui évoque le «Eureka !» crié par le héros de la nouvelle éponyme d’Edgar Poe : «J’ai trouvé !» Mais quoi ?
Spring Breakers se branche à merveille sur l’humeur et la folie absurde de notre époque, fascinée par le fun et le rien, la performance (corporelle, sexuelle, éthylique) et l’agitation, la surface et l’idiotie, au sens où Clément Rosset l’entend : «La rencontre d’un but absolument déterminé et d’une motivation absolument manquante.» Comme le zombie, autre icône de notre époque, passée en quarante ans des marges du genre et de la critique politique, les créatures de la Nuit des morts-vivants, encore dépositaires d’une utopie alternative, au centre d’une société de consommation qui les décline, les dévitalise ad nauseam en séries, clips, films, publicités et happenings familiaux. Soit ces fameuses zombie walks au cours desquelles papa, maman et le fiston déambulent dans les rues, déguisés en morts-vivants friendly. Les morts-vivants, canal historique, voulaient dévorer l’ancienne société parce qu’ils portaient (à leurs corps défendant) un désir de changement. Quatre décennies plus tard, le processus s’est inversé : c’est nous qui imitons les zombies, manière de pastiche qui masque surtout une formidable dénégation de ce que nous sommes devenus. Le Spring Break ou comment se délester du poids de ce qu’on est pour embrasser l’identité nulle d’un collectif de zombies fêtards. En 1988, un slogan publicitaire vantant les mérites d’une célèbre marque de sport - «Just Do It» - avait pointé l’essence de ce consumérisme idiot. «Do It For What ?». Faire la preuve de sa propre vie, sans autre finalité que de montrer qu’on est capable d’y arriver, tel un canard (un zombie ?) sans tête qui continue d’avancer (de bouffer ?), mais pour rien, au-dessus du vide, jusqu’à l’épuisement physique.
L’hédonisme insignifiant que célèbre en accéléré le Spring Break, la forme souvent grotesque que prennent les plaisirs recherchés (fumer un joint par l’anus d’un nourrisson en plastique) découle de cette jouissance contrainte imposée par la logique capitaliste et sa hantise de ne pas consommer comme et avec les autres. Spring Breakers est, à n’en pas douter, un film en avance sur son temps, autrement dit à l’heure, pour reprendre la belle expression de Serge Daney à propos du Bon, la Brute et le Truand de Sergio Leone. A l’heure des années 2000 comme Easy Rider le fut à celle des années 60, Scarface des années 80 et Tueurs nés dix ans plus tard. Regarder Spring Breakers, c’est se retrouver au bord d’un gouffre, essoufflé, à se demander comment on en est arrivé là (Woodstock 2.0 ?) mais c’est surtout se demander pourquoi la contemplation du vide et du mauvais goût, du niveau zéro de la culture de masse, produit malgré tout une forme d’envoûtement, de poésie, voire de fascination. S’agit-il de cette extase que Baudrillard, dans les Stratégies fatales, décrivait comme «cette qualité propre à tout corps qui tournoie sur lui-même jusqu’à la perte des sens et qui resplendit alors dans sa forme pure et vide» ?
Si Harmony Korine a su trouver la bonne distance par rapport à son sujet, à la fois empathique et excentré, c’est qu’il a compris une chose, essentielle : pas de meilleur commentaire sur les images et le monde contemporain que le remake de ces mêmes images. Au fond, le tract, le pastiche, l’indignation, la satire, la dénonciation sont des armes critiques d’un autre temps. La querelle byzantine n’est plus : l’iconodule est aujourd’hui le meilleur des iconoclastes. L’intelligence critique du réalisateur de Gummo consiste à avoir embrassé exactement la forme de son objet. Le baiser est là, mais envoûtant et froid comme celui du tueur. Parties de rien et arrivées nulle part, les quatre adolescentes du film rêvent de pouvoir mettre sur pause ce présent perpétuel, de s’y installer pour toujours («Forever»), à l’abri de l’Histoire et du monde. Mais grâce au montage (effets de retard et de bégaiement du récit qui semble ne jamais décoller), Korine introduit au sein de cette irréalité amniotique et immersive, le sentiment du temps qui passe : l’accumulation des signes du bonheur ne fait pas le bonheur et la satisfaction virtuelle («Just Do It») bute bientôt sur un principe de réalité.
Au fond, les images industrielles se consomment sans rétribution, même symbolique : finir par tuer un dealer qu’on connaissait à peine, reprendre la route, et après ? Et alors ? C’était donc ça ? Au terme de toutes ces images, un objet perdu nous aveugle. Et la plus violente des critiques prend la forme de la mélancolie qui étreint celui, ou celle, qui réalise qu’il n’y a pas de secret. Heureux sont les zombies ?
Jean-Baptiste THORET Historien et critique de cinéma
L'avis de Mathias Chaput:
"Spring breakers" est avant tout un film choc, bien plus malin et intelligent qu'il pourrait paraître...
Un piège se referme sur les jeunes filles, aussi bien que sur le spectateur, appâtées par le gain et le sexe, pensant se "trouver" alors qu'au final elles se "perdent"...
Le folklore du gangster à la Tony Montana est de nouveau perpétré dans le film avec un côté moins viscéral que fun, doublé par l'inconscience de personnes désoeuvrées et paumées dans l'âme, ne pouvant qu'observer une issue funeste d'une noirceur absolue...
Il y a un côté pathétique et touchant en même temps dans "Spring breakers" au carrefour du polar moderne et de l'étude de moeurs ciselée, où s'articulent des thématiques comme la consommation de produits addictifs (la drogue, l'alcool mais aussi la vénalité et la perversion sexuelle) et la désespérance d'une jeunesse prise entre le marteau de l'intégration et l'enclume de la tentation d'une vie festive...
D'une réalisation fluide et rapide mais parfaitement lisible, "Spring breakers" est un métrage hybride, à mi chemin entre film expérimental et traditionnel, doté de comédiens en roue libre qui semblent "vivre" leurs rôles comme dans le réel...
Cauchemar crédibilisé par l'émotion des trois héroïnes qui perdent pied rapidement et se "réfugient" dans la violence comme d'autres trouveraient un exutoire afin de pallier à leurs angoisses, Korine trouve la force nécessaire pour insuffler de l'innocence à ces créatures qui en sont dépourvues, sorties de l'adolescence et en mutation transitoire entre l'âge adulte affirmé et les repères éclatés, se cherchant et pensant se trouver dans cette vie anarchique et superficielle, que leur propose Alien...
A la fois axé sur la tentation et le délabrement, il manquerait juste un côté initiatique au film, il est exempt de la moindre rédemption vis à vis des héroïnes, ce qui accentue et amplifie de fait le malaise provoqué chez le spectateur et fait ressortir ce dernier collapsé à la fin du visionnage...
"Spring breakers" est assurément un grand film qui laisse une empreinte, qui s'ancre bien dans son époque et qui ose toutes les transgressions pour appuyer son propos de manière très rigoureuse...
Une belle réussite !
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