jeudi 27 décembre 2018

Mais ne nous délivrez pas du mal

                                              Photo empruntée sur Google, appartenant au site Imdb.com

de Joel Seria. 1971. France. 1h42. Avec Jeanne Goupil, Catherine Wagener, Bernard Dhéran, Michel Robin, Gérard Darrieu, Marc Dudicourt.

Sortie salles France: 5 Avril 1971 (Int - 18 ans). 26 Janvier 1972 selon d'autres sources.

FILMOGRAPHIEJoël Séria (Joël Pierre Emile Lichtlé) est un scénariste, réalisateur, acteur et romancier français, né le 13 avril 1936 à Angers (Maine-et-Loire). 1969 : Shadow (court métrage)
1970 : Mais ne nous délivrez pas du mal. 1973 : Charlie et ses deux nénettes. 1975 : Les Galettes de Pont-Aven. 1976 : Marie-poupée. 1977 : Comme la lune. 1981 : San-Antonio ne pense qu'à ça. 1987 : Les Deux Crocodiles. 2010 : Mumu.


Selon Sylvain Perret, « La frontière entre le vulgaire et l’intelligence est parfois ténue, mais ici, au-delà de son parfum provocant et sulfureux, nous tenons en fait un des plus grands films français des années 70, voire un grand film tout court, toujours aussi grandiose, intelligent et unique quatre décennies plus tard. »

Expérience hallucinée avec le Mal façonnée par un esprit gaulois volontiers provocateur, Mais ne nous délivrez pas du mal nous retourne l'encéphale avec une (délétère) alchimie perverse. C'est dire l'immense haro qu'il provoqua auprès du public (non averti) et du comité de censure à l'orée des années 70 ! Le pitch: deux jeunes adolescentes issues d'une doctrine religieuse s'empressent de se vouer au Mal en guise d'ennui, d'absence parentale et de pédagogie conservatrice. Seulement, au fil de leur dérive immorale et à force de provocation sexuelle, elles finissent par sombrer dans la criminalité. Ovni atypique dans le paysage français, même si aujourd'hui on prête inévitablement une analogie avec le chef-d'oeuvre de Peter Jackson, Créatures Célestes, si bien que les 2 cinéastes s'inspirent du même fait divers à travers l'affaire Parker-Hulme, Mais ne nous délivrez pas du mal constitue un uppercut émotionnel jusqu'au-boutiste. Notamment si je me réfère à sa glaçante conclusion, tétanisante de radicalité car provoquant autant l'effroi que la rédemption auprès de l'émancipation du duo maléfique délibéré d'y clôturer leur destin lors d'une représentation empathique anti-cléricale !


Traitant de tabous aussi bien sulfureux (le saphisme, la perversité sexuelle, la fascination morbide) que paraphiles (la pédophilie) sous l'impulsion de deux comédiennes juvéniles admirablement dirigées si bien qu'elles transpercent l'écran à chacune de leur candide apparition (Jeanne Goupil deviendra d'ailleurs l'épouse du réalisateur !), Mais ne nous délivrez pas du mal illustre avec une vérité couillue la déliquescence morale de ses dernières avides de liberté et d'interdit depuis leur entourage castrateur. Joel Seria brossant leur fragile portrait psychologique (elles pleurent de remord passées leurs expériences morbides) avec autant d'affection et de ténuité pour leur amitié indéfectible, que de perversité et de déviance immorale eu égard de leur fascination pour la mort et le sexe. Réfutant le divertissement aseptique traditionnellement conçu pour caresser dans le sens du poil le spectateur, cette oeuvre auteurisante cultive notamment un énorme pied de nez contre l'homélie moralisatrice et la pédagogie bourgeoise engluées dans une doctrine bien-pensante. Car on le sait bien, les leçons de morale sont souvent données par ceux qui n'en n'ont pas ! Ainsi donc, l'oeuvre terriblement malsaine a beau déranger sans modération jusqu'à imposer gêne et malaise moral, elle demeure malgré tout d'une beauté scabreuse à travers le portrait raffiné de ces ados indociles se confinant dans le batifolage marginal afin de s'extraire d'une acrimonie routinière. Et ce sans que l'auteur ne cède à une racoleuse vulgarité, aussi extrêmes soient les violentes étreintes sexuelles imposées sur les ados aguicheuses. On peut d'ailleurs souligner qu'évidemment les comédiennes étaient majeures lors du tournage contrairement à ce que le récit contredit sciemment.


"Les artistes restent seules, car le monde réel n'est pas le leur."
Dépourvu de rythme alerte car ne répondant à aucun code et filmé dans les décors naturels d'une France profonde auprès d'un microcosme métayer, Mais ne nous délivrez pas du mal nous interroge (avec une liberté de ton inouïe) sur la fonction du Mal et la raison pour laquelle certaines victimes innocentes s'y morfondent en lieu et place de sens existentiel et de rébellion identitaire. Onirico-érotique et morbide à la fois (on regrette d'ailleurs une éventuelle séquence de snuf animalier), il demeure un objet de scandale inclassable d'une puissance formelle et cérébrale diaphanes. D'où l'odeur de souffre et de miel qui en émanent avec une volonté innée de nous interroger sur notre propre rapport à la douleur, à la contradiction, à la perversité et à l'éventuel existence d'un Dieu sermonneur (ou charlatan, c'est selon).   
Pour Public averti

P.S: Pensée émue pour l'actrice Catherine Wagener (Lore dans le film) qui connut un tragique destin puisqu'elle décéda à l'âge de 58 ans en 2011 après avoir tourné dans des films érotico-porno mineurs jusqu'en 1976. Recluse dans une situation davantage précaire, son corps fut retrouvé 1 semaine après sa mort restée sans réponse.

* Bruno
2èx

Avis émis par la Commission de contrôle des films cinématographiques le 23 avril 1971 : « Le thème, extrêmement audacieux en soi, a été exploité à fond et donne lieu à une œuvre que la Commission considère comme l'une des plus malsaines qu'elle ait eu à examiner en raison de la perversité, du sadisme et des ferments de destruction morale et mentale qui y sont contenus. L'ensemble de ces motifs conduit la Commission à proposer l'application d'une mesure d'interdiction totale de représentation dudit film. »

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