jeudi 24 novembre 2022

Armageddon Time

                                                 Photo empruntée sur Google, appartenant au site Imdb.com

de James Gray. 2022. U.S.A. 1h55. Avec Michael Banks Repeta, Anne Hathaway, Jeremy Strong, Anthony Hopkins, Jaylin Webb, Ryan Sell

Sortie salles France: 9 Novembre 2022

FILMOGRAPHIE: James Gray est un réalisateur, scénariste et producteur américain né à New York en 1969. 1994 : Little Odessa. 2000 : The Yards. 2007 : La nuit nous appartient. 2008 : Two Lovers. 2013 : The Immigrant. 2016 : The Lost City of Z. 2019 : Ad Astra. 2022: Armageddon Time. 


"Contempler, tel des yeux d'enfant, les prodiges d'un cinéaste digne de ce nom, c'est comme tourner autour de son oeuvre tel un papillon de nuit attiré par la lumière des projos."
Immense réalisateur n'ayant plus rien à prouver auprès des cinéphiles et de la critique (son dernier chef-d'oeuvre remonte à 2016 avec The Lost City of Z, sorte de version adulte des Aventuriers de l'Arche Perdue si je peux me permettre ce raccourci), James Gray nous revient avec une magnifique autobiographie relatant sa propre jeunesse du point de vue de Paul Graff. Un ado dissipé (tant en classe qu'au cocon familial) passionné par l'art du dessin et vouant une admiration pour son grand-père prévenant (incarné par le dinosaure Anthony Hopkins du haut de ses 84 ans). Récit initiatique relatant l'évolution morale de ce jeune juif perturbé par les valeurs dichotomiques du Bien et du Mal que lui enseignent les adultes (il est constamment en éveil cérébral de par la curiosité de son regard candide), notamment en faisant face à l'antisémitisme et au racisme, comme le souligne son meilleur ami afro ricain Johnny davantage en proie à l'autodestruction à force de subir le discrédit de l'entourage de sa bourgade, Armageddon Time est un grand moment de cinéma aussi puissant, authentique et symptomatique de celui des Seventies. 


Alors que paradoxalement le récit s'esquisse à l'orée des années 80 au parti-pris d'une photo granuleuse à la fois immaculée et épurée, James Gray le transfigure avec son sens du cadrage géométrique où rien n'est laissé au hasard (parmi le refus de fioriture) et surtout avec l'extrême pudeur d'y radiographier ses personnages profondément humains, pour autant jamais démonstratifs. Tant et si bien que ce qui bouleverse ici n'émane pas d'une émotion programmée ou d'un quelconque pathos bon marché facilement décelable. Non, ce qui émeut autant et nous fait chavirer ou tant vibrer découle de sa capacité innée à sculpter ses personnages dans un cadre naturel si respirable. A les faire vivre face à nous entre noblesse et humilité des sentiments de par leur fragilité à observer le monde en subissant l'usure du temps au moment d'assumer un cher disparu. Mais encore relever la gageure de leur évolution personnelle à tenter de progresser au gré d'une mélancolie existentielle déteignant sur notre propre conscience. Le spectateur s'identifiant à cette famille juive et au jeune Paul en émettant un parallèle avec notre propre vécu (nos fameuses réminiscences restées enfouies dans l'inconscient) du point de vue de la précarité de notre adolescence et de l'amour porté pour nos parents en dépit de nos (graves) erreurs de céder parfois à la facilité de l'insolence, pour ne pas dire du mal au sein de notre condition rebelle en quête identitaire. 


Drame existentiel d'une digne beauté par sa rigueur dramatique si réservée, pudique, mesurée, Armageddon Time se décline en hymne à la vie, à l'amour et à l'amitié (quelle triste preuve s'ouvre à nos yeux vers sa dernière partie à la fois cruelle et exutoire !) à travers l'injustice de la vieillesse, du sens du sacrifice et de la persévérance. A condition toutefois d'ouvrir l'oeil le plus lucide, de s'élever aux valeurs les plus expressives et sincères, de mener notre chemin tortueux vers une forme de sagesse rédemptrice après avoir essuyé les expériences de la douleur menant à maturité. Tout bien considéré, Armageddon Time demeure donc à mes yeux probablement l'oeuvre la plus cinématographique de 2022, au sens large. Et c'est donc à ne rater sous aucun prétexte pour les amoureux de cinéma révolu. 

*Bruno

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