lundi 14 juillet 2025

Jean Pierre Putters 1946 / 2025. Fondateur de la revue Mad Movies, 1972.


J’ai perdu un père aujourd’hui.
Et je crois bien que nous, fantasticophiles, sommes nombreux à l’avoir considéré comme tel.

Jean-Pierre a été ce père d’ombre et de feu qui m’a tenu la main à 12 ans à travers l’écran et les pages. 
Cet homme qui a nourri nos nuits de monstres et de merveilles,
ce passeur d’ombres lumineuses,
ce conteur fou qui nous a appris que le bizarre, le mystère, le sanglant, le viscéral
avaient une âme, un cœur, une intelligence.

Celui qui m’a appris qu’aimer le cinéma, ce n’était pas seulement aimer les chefs-d’œuvre,
mais aussi les créatures visqueuses, les cris muets, le sang factice qui disait parfois plus vrai que la réalité.

Je pleure aujourd’hui.
De tristesse, de tendresse… et de respect.

Ce n’est pas seulement un homme qui s’éteint,
c’est une flamme.
Celle qui brûlait dans les pages de Mad Movies,
dans les salles obscures du Grand-Guignol, ces églises du délire,
dans nos cœurs adolescents qui trouvaient enfin une tribu parmi les monstres.

Putters, c’était l’érudit déglingué d'une pudeur inouïe, d'une discrétion timorée,
le passionné réservé non blasé,
le grand frère gothique qui n’avait pas peur du mauvais goût,
parce qu’il savait que derrière le latex et les hurlements,
il y avait des vérités, de la beauté, de l’humanité, de la sensibilité.

Il nous a appris à aimer autrement.
À ne pas avoir honte de nos passions souvent ciblées comme "déviantes".
À faire du bizarre une maison. Du cinéma de genre, une langue maternelle.

Jean-Pierre Putters est mort.

Et nous, ses enfants de celluloïd,
on continue de rêver, de frissonner, de hurler…
parce qu’il nous l’a appris. Et que ça ne s’oublie pas.

Du fond du coeur je t'aime Jean-Pïerre ❤️‍🩹

Bruno








La Dernière Cavale / Truth or Consequences, N.M. de Kiefer Sutherland. 1997. 1h46.

                                  (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Derniers virages pour cœurs cabossés".
La Dernière Cavale, réalisé par Kiefer Sutherland (qui en endosse aussi l’un des rôles principaux), a des allures de série B influencée jusqu’à l’os par True Romance et ses cousins. Mais derrière ses clichés, ses situations éculées, ses méchants un brin caricaturaux - sauvés in extremis par des comédiens habités -, il y a une vraie tendresse, une sincérité brute qui finit par percer.

Sutherland soigne sa mise en scène. Il n’invente rien, mais il regarde ses personnages avec une attention sincère, presque inquiète. Cette bande de bras cassés, paumés magnifiques, cumule les bourdes avec la maladresse d’un humanisme déboussolé, une contrariété désespérée, une incapacité viscérale à s’extraire de la marginalité criminelle faute d’y avoir trop cru, trop vécu, trop sombré. Et l’on s’y attache. Vraiment. Franchement.

Il faut dire que les interprètes y mettent du cœur. Kim Dickens, sexy sans surjouer, impose une séduction tout en fragilité, une douceur blessée qu’elle déploie sans forcer. À ses côtés, Grace Phillips, d’une sensualité prude, presque éthérée, hypnotise avec ses splendides yeux bleus d’innocente troublée. Et puis il y a Vincent Gallo, instinctif, magnétique, bad boy fracassé au grand cœur, qu’on croit sorti d’un rêve déglingué de cinéma indépendant. Il crève l’écran sans en faire trop, à fleur de nerfs, animal et poignant.

Le récit reste trop classique, trop balisé. On devine souvent les trajectoires, les ruptures, les élans. Mais parfois, une idée jaillit - comme cette planque perchée au-dessus du camping-car, improbable et presque poétique - et vient troubler l'attendu. La musique, rock et nerveuse, entrecroisée de nappes plus lyriques, ne laisse pas indifférent. Elle imprime un souffle, un rythme, une tension presque romanesque.

Les scènes d’action sont impeccablement tenues : sèches, spectaculaires, nerveuses sans esbroufe. Et le final - inattendu dans sa douceur blessée - parvient à toucher juste. Réellement. Il émeut, simplement, sans faire les malins.

La Dernière Cavale n’est pas un grand film, loin s’en faut. Mais c’est un film attachant. Une série B honnête, souvent touchante, parfois maladroite, qui aurait pu frapper plus fort si son scénario avait osé s’aventurer hors des sentiers rebattus. Il n’en reste pas moins une œuvre humaine, sincère, portée par l’élan généreux d’un cinéaste débutant qui regarde ses marginaux comme on regarde des frères perdus.

— le cinéphile du cœur noir
3èx. Vost

Birth / Rebirth de Laura Moss. 2023. U.S.A. 1h39.

                                                                 (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Naître, renaître, et ne plus jamais revenir".
Film de science trouble, Birth/Rebirth dissèque sans anesthésie le mythe de Frankenstein au féminin, sans fard, sans pathos, sans peur. Laura Moss déploie une œuvre austère, charnelle, presque clinique, où l’amour maternel devient matière organique, terrain d’expérimentation, espace de déraillement.

Les interprétations étranges - presque froides, presque antipathiques - de Marin Ireland et Judy Reyes fascinent autant qu’elles dérangent. Anti-manichéennes au possible, leurs présences nous déstabilisent, flirtent avec l’inhumanité sans jamais y sombrer. Deux corps, deux volontés entêtées, guidées par un instinct irréductible, qui ne se regardent ni ne s'excusent. Juste s'obstinent, jusqu'à l'obsession.

La mise en scène, sèche, resserrée, infuse un climat d’inconfort persistant. Images corporelles, sanitaires, sexuelles : tout suinte la matière malade, la chair disséquée, la vie trafiquée, exsangue et pourtant palpitante. Quelque chose de dérangeant naît de cette intimité forcée avec les fluides, les tissus, les gestes médicaux presque rituels - comme une danse entre le soin et la profanation.


La musique, évanescente, agit comme un poison doux. Nappes tranquilles, faussement rassurantes, qui rampent dans le silence, s’y logent comme un écho hanté. Elle nous enveloppe pour mieux nous aspirer, hypnotique, spectrale, jamais là pour soulager.

Le récit, inspiré librement du roman de Shelley, ne cherche pas la morale mais bien la faille. L’ambiguïté est reine. Ce n’est pas un conte d’épouvante, c’est une tentative désespérée de panser nos blessures maternelles, de combler un vide avec des gestes de sorcières, des actes sans retour. Le film ose aller au-delà du bien et du mal, et c’est là qu’il dérange. Et qu’il touche.

Je l’ai revu une seconde fois, et c’est là qu’il s’est imposé davantage. Sans être un grand film, c’est quand même bon - parfois même très bon. Ça laisse des marques. Ça ronge en silence.
On pourra certes être déçu par une conclusion précipitée, expédiée presque, mais je l’ai acceptée - car elle prolonge la logique interne du film : il n’y a pas de résolution, pas de paix, seulement des apprenties-sorcières, consumées par leurs excès, vouées à continuer. Sans répit. Sans fin.

— le cinéphile du cœur noir

samedi 12 juillet 2025

Rêves Sanglants / The Sender de Roger Christian. 1982. Angleterre. 1h32.


"Une transe douce et clinique, un cauchemar transmis par ondes mentales".
Il n’a pas de nom. On l’appelle John Doe #83. Un garçon éteint, échoué aux abords d’un monde qui n’est plus le sien. Il a tenté de disparaître dans un lac comme on cherche le néant dans un verre d’eau. Mais l’eau l’a recraché. Et nous avec.

Avec Rêves sanglants, Roger Christian glisse une lame fine sous la peau du fantastique. Pas de second degré, pas d’échappatoire, pas de clin d’œil au spectateur. Juste une horreur adulte, froide, troublée. Une douleur blanche, enveloppée dans la lumière blafarde d’un hôpital psychiatrique où l’on scrute la folie comme un phénomène biologique.

Ici, les terreurs ne sortent pas des murs ou des masques grotesques. Elles sortent d’un esprit. Elles s’infiltrent. Elles contaminent.
Car John n’est pas seulement un jeune homme perdu. Il est un émetteur : il projette ses cauchemars dans la tête des autres. Ce qu’il rêve, vous le vivez. Ce qu’il redoute, vous l’endurez. Et ce qu’il a vécu… vous le revivez, en boucle.


Et pourtant, Rêves sanglants n’est jamais vulgaire, jamais complaisant. Pas une goutte de sang inutile. Les visions sont terribles, mais jamais gratuites. Elles dérangent, elles vrillent, elles s’infiltrent comme une pensée intrusive qu’on n’arrive plus à expulser.
Une scène en particulier, d’un choc absurde et effrayant, vous laisse suspendu comme en apnée - l’horreur n’est plus une pulsion, c’est une maladie mentale, une contagion de l’invisible.

Le film se tient droit. Sérieux. Intègre. Froidement sincère.
Sa mise en scène, sobre et chirurgicale, refuse l’esbroufe. Chaque plan est cadré comme un soupçon. Chaque coupe, un fragment de conscience qui bascule. Ce monde est feutré, étouffant, comme si le cauchemar lui-même avait besoin de silence pour s’exprimer.

Et puis il y a Gail, la psychiatre. Incarnée par Kathryn Harrold, au regard doux et solide, elle traverse le film comme une lumière fragile. Ni héroïne, ni figure d’autorité. Juste une présence humaine, calme, rassurante - un point d’ancrage dans ce flux hallucinatoire. Elle tente de comprendre là où d’autres enferment. Elle écoute là où d’autres condamnent. Et c’est peut-être ça qui fait le plus peur : quand la normalité, la tendresse même, se voit contaminée par la psychose d’un autre.

Le film s’engloutit doucement dans un délire où le réel se plie sous la pression du rêve. L’hallucination devient notre nouvelle logique. Plus on approche du cœur du mystère, plus tout devient flou, fissuré, schizophrène. Est-ce que l’on rêve ? Est-ce que l’on est déjà mort ? Ou bien est-ce cela, vivre : subir les visions de ceux qu’on n’a pas su sauver ?


Rêves Sanglants est une œuvre unique, visionnaire, qui a le mérite immense de prendre son sujet au sérieux sans jamais en faire trop. Un pur film de genre à la gravité clinique, aux images inédites, aux frissons silencieux, aux scènes chocs atypiques. Un précurseur oublié, injustement noyé dans le flot des années 80 tapageuses. Il mérite d’être redécouvert. Et respecté.

Un cauchemar sans hurlement. Une onde mentale. Un rêve sanglant, mais sans éclaboussure.

Gratitude Rimini pour cet écrin précieux.

P.S: Fait notable, attesté par le livret de Marc Toullec : parmi tous les films d’horreur sortis en 1982, c’est celui-ci que Quentin Tarantino désigne comme son préféré.

— le cinéphile du cœur noir 🩸

18.05.17
12.07.25. Vost

"The Sender/Deadly Dreams" de Roger Christian. 1982. Angleterre. 1h22. Avec Kathryn Harrold, Željko Ivanek, Shirley Knight, Paul Freeman, Sean Hewitt.

Sortie salles U.S: 22 Octobre 1982.

FILMOGRAPHIE: Roger Christian est un réalisateur et scénariste britannique, né en 1944 à Londres. 1982 : Rêves sanglants. 1985 : Starship. 1994 : Nostradamus. 1995 : The Final Cut. 1996 : Underworld. 1997 : Masterminds. 1999 : Star Wars, épisode I : La Menace fantôme de George Lucas (réalisateur 2e équipe). 2000 : Battlefield Earth - Terre champ de bataille. 2004 : American Daylight. 2004 : Bandido. 2013 : La Malédiction de la pyramide (TV). 2013 : Intuition maternelle (Dangerous Intuition) (TV) . 2013 : Invasion sur la Lune.

vendredi 11 juillet 2025

On ira de Enya Baroux. 2025. France. 1h37.

                                                          (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).
                                                             
                                                                                         Top 2025 en tête de peloton. 

"On ira : partir en douceur, vivre en éclats".
Abordant la polémique - du moins chez nous - de l’euthanasie à travers le portrait d’une mamie moribonde, atteinte d’un cancer de stade 4 incurable, On ira emprunte le chemin de la comédie dramatique pour nous épargner la sinistrose avec une grâce que rien ne laissait présager.

Impeccablement porté par des comédiens méconnus ou discrets dans notre paysage cinématographique - à l’exception de l’épatant Pierre Lottin (En Fanfare), en second rôle altruiste au jeu tranquille, littéralement dépouillé - On ira est ce genre de pépite indépendante surgie de nulle part (il s’agit d’ailleurs de la première réalisation d’Enya Baroux) qui, in fine, se révèle aussi précieuse que lumineuse. Chacun des interprètes se glisse dans son rôle sans la moindre afféterie, avec un naturel désarmant de vérité humaine.

Mention spéciale à la jeune Juliette Gasquet, prix d’interprétation mérité à la clé, dont le tempérament explosif irradie l’écran avec une intensité brute, troublante de sincérité, jusqu'aux larmes.

Truffé d’humour corrosif, de bons sentiments exaltants et d’une tendresse infinie pour ses personnages aussi ordinaires que profondément bienveillants, On ira irrigue ce road movie détendu d’ondes positives… puis négatives, à mesure que les proches familiaux, au fil du périple, découvrent cette vérité funeste, difficile à accepter de prime abord.
 

Hymne à la vie, à la communion fraternelle et familiale - et surtout à la liberté de choisir sa fin dans la dignité - On ira nous foudroie d’une flèche en plein cœur, là où on ne l’attend jamais. Tant la réalisatrice, profondément investie, veille avec délicatesse sur l’évolution morale de ses protagonistes, moteurs d’un récit alarmiste qu’elle maîtrise avec une acuité rare. Elle saisit, avec pudeur et clarté, la contradiction des sentiments - entre le cocasse et le furibond - dans un dépouillement de ton qui force le respect.

On ira milite évidemment avec lucidité pour le droit à l’euthanasie, tout en questionnant le sens de la mort, que les proches apprennent à approcher puis à accepter, à travers une initiation douce à une maturité plus lumineuse.

Inévitablement bouleversant, puis déchirant, On ira s’élève dans un final anthologique, apothéose émotionnelle en feu d’artifice cathartique, ciselé dans une pudeur taiseuse. Le film laisse une empreinte terrible au cœur : celle d’avoir côtoyé - en un temps trop furtif - une famille humble, unie, d’une chaleur humaine bouleversante, jamais complaisante ni outrancière, dans le respect constant d’une thématique houleuse, ici abordée avec un tact et une finesse d’âme que l’actrice Hélène Vincent transcende également de sa fragilité stoïque.

"Et si c'était ça, mourir ? !"
Un des plus beaux films français de 2025.
À moins qu’il ne s’agisse du plus grand, dans une simplicité autonome. 

— le cinéphile du cœur noir

Récompenses: Prix d'interprétation féminine pour Hélène Vincent et Juliette Gasquet au Festival international du film de comédie de l'Alpe d'Huez 2025.

jeudi 10 juillet 2025

The Quiet Girl de Colm Bairéad. 2022. Irlande. 1h34.

                                                              (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

The Quiet Girl – Le murmure de l’enfance
Comment ne pas ressentir un immense coup de cœur pour ce bijou d’émotions candides, où la pureté des sentiments s’incarne à travers l’innocence d’une fillette de neuf ans, en initiation parentale, le temps d’un été passé chez une cousine éloignée de sa mère.

Transfiguré par une poésie naturaliste, baigné dans une ruralité irlandaise aussi placide qu’épanouissante, The Quiet Girl nous prend doucement par la main, à la rencontre de ce couple sexagénaire qui accueille la petite Cáit avec une amabilité tranquille, profondément rassurante. Si le père, fermier taiseux, semble d’abord réticent, enfermé dans une réserve hésitante, son épouse, d’une prévenance lumineuse, l’enveloppe d’une tendresse innée, naturelle, presque silencieuse.

Dans l’intelligence d’une mise en scène tout en tact et en pudeur, adepte du non-dit, Colm Bairéad tisse une toile émotionnelle qui joue avec l’ambiguïté du mot secret. Peu à peu, The Quiet Girl dévide son fil narratif, révélant des trajectoires en quête de rédemption, de catharsis. Et lorsque ce secret, brutalement révélé par un tiers, surgit sans ménagement, tout s’éclaire. On reconsidère alors les silences de ces métayers discrets, leur manière d’aimer sans bruit, de cohabiter avec la petite invitée avec une tendresse désormais familière, presque filiale.


Hymne à l’amour parental et aux fondements de l’éducation - respect, écoute, attention - The Quiet Girl porte haut des thématiques universelles et si actuelles, avec une sensibilité à fleur de peau. Jusqu’à ce final bouleversant, suspendu, où le film retarde la séparation inéluctable à coups de regards silencieux, pudiques, ravageurs. Il nous arrache le cœur, littéralement, face au destin de cette fillette introvertie, d’une pureté désarmante, façonnée par une solitude dont son entourage avait scellé les contours. Car c’est bien dans la manière dont on traite une personne que se dessine la vie qu’elle mènera.

Porté par des comédiens irlandais criants de vérité, tous inconnus sous nos latitudes, c’est la petite Catherine Clinch qui éblouit à chaque plan. Sa pudeur vertueuse, jamais forcée, subtilement captée par une caméra d’une modestie bouleversante, imprime la rétine et le cœur.

Une œuvre gracile, dont la tendresse infinie s’exprime à travers des gestes simples, des postures rassurantes, et dont on quitte l’ultime séquence avec une boule dans la gorge… inconsolable.

— le cinéphile du cœur noir.

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Sortie salles France: 12 Avril 2023

Récompenses: Ours de cristal du jury international Generation Kplus du meilleur film et mention spéciale du jury des enfants, Berlinale 2022.

mercredi 9 juillet 2025

Et... ta mère aussi! (Y tu mamá también) de Alfonso Cuarón. 2001. Mexique. 1h46.

                                            (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Et... ta mère aussi! — La gueule de bois du cœur".
S’il m’a fallu quarante minutes pour m’immerger dans cet univers mexicain d’un naturalisme criard, pour m’accoutumer à ce duo de jeunes queutards, trop vulgaires et désinvoltes pour susciter d’emblée la sympathie, Et... ta mère aussi! a peu à peu glissé ses crochets. Jusqu’à ne plus me lâcher. Leur périple autonome, foutraque, brûlé d’insouciance, s’achemine vers une conclusion foudroyante, d’une émotion sèche, presque sentencieuse. Et soudain, tout se rembobine dans l’esprit ébranlé : on reconsidère chaque geste, chaque silence, chaque rire, à la lumière d’un secret inavoué - miroir crissant de notre existence éphémère.

En retraçant le voyage initiatique de Julio et Tenoch, accompagnés de la cousine Luisa, fraîchement trahie par son mari, Alfonso Cuarón (les Fils de l'homme, Gravity, Roma) mise sur la crudité des situations lubriques que se dispute ce trio improvisé. Il en use avec un art consommé de la provocation, parfois franchement malaisante. Un parti pris frontal, monolithique, pour mieux nous happer dans leur introspection fissurée, sous les apparences d’une insouciance tapageuse.

Mais dans cette furie juvénile, dans cette soif d’amour et de sexe consommé sans modération, Et... ta mère aussi! s’attarde avec une minutie presque tendre sur leurs fêlures : êtres marginaux, immatures, erratiques, incapables de fidélité, noyant leur culpabilité dans l’alcool et la drogue, comme pour maquiller leur propre trahison.


Quand bien même les acteurs juvéniles Gael García Bernal et Diego Luna sont aussi inoubliables de spontanéité renversante que la comédienne Maribel Verdú - à la fois fragile, déterminée, et ne baissant jamais les bras pour s’extirper de la sinistrose -, c’est l’alchimie entre eux qui embrase le film. Luisa, accablée par sa trahison conjugale, devient l’élément perturbateur - féminin, tragique - qui les rappelle, malgré eux, à la gravité du réel. Dans leur arrogance adolescente, ses mots, ses gestes, leur tendent le miroir de leur chute.

À la fois dérangeant et troublant par son climat érotique où le sexe, omniprésent, convoque la gêne avec une sourde envie de rédemption, Et... ta mère aussi! déploie un humanisme d’une tendresse fébrile. Trio d’amants à la dérive, ils s’épanouissent dans une liberté brute, sans bornes, qui fait vaciller l’âme autant que le cœur. Une liberté factice, qui laisse place à un vide : celui d’une amitié corrompue, d’un amour avorté, d’un dernier regard. 
On quitte la séance avec une méchante gueule de bois - chargée de larmes irréconciliables.

P.S: Public averti.

Bruno — cinéphile du cœur noir.

Récompense: Prix du meilleur scénario lors du Festival de Venise 2002.



mardi 8 juillet 2025

Else de Thibault Emin. 2025. France. 1h43.

                           (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).
                                                                          
                                                                                          Top 2025.

"Else, la métamorphose comme dernière étreinte".

What the fuck ???!!!

Et dire que cet ovni, aussi discret que discrédité (pas un seul trophée à Gérardmer, alors que l’anecdotique A Violent Nature récolta le Grand Prix !), est de souche française…

Et pourtant, il s’agit d’un premier long inspiré d’un court-métrage que Thibault Emin a mis des années à faire éclore.

À l’arrivée : une expérience singulière, vue nulle part ailleurs, à travers son concept de "métamorphisme" - terme géologique désignant une transformation physique minérale - que le réalisateur transpose à l’écran avec une créativité sans limites. Et ce, malgré un budget étriqué et un décor réduit à un huis clos domestique, bientôt transfiguré en espace organique, mouvant, sans repère spatial.

Croyez-moi : le spectacle, fascinatoire, demeure aussi vertigineux que malaisant, en s’émerveillant de l’onirisme d’une scénographie charnelle à la beauté irréelle et insoupçonnée.

D’un point de vue technique, impossible de ne pas penser au duo surdoué Hélène Cattet / Bruno Forzani, notamment dans la première demi-heure, où les effets de caméra - cadrages alambiqués, jeux optiques, mouvements habités - captivent l’œil. Pendant ce temps, on s’attache lentement à ce couple d’amants : l’un, réservé, l’autre, excentrique, presque perchée. Bonjour l'ambiance indicible où l'on avance pas à pas parmi eux. 

D’une liberté de ton déroutante par ses ruptures émotionnelles, Else demeure un bad trip organique à la poésie sensuelle rare, traversé de visions cauchemardesques - claustros, troubles, charnelles, insécures.

Et si, au premier visionnage, on reste stupéfait, saisi, presque victime de ce choc visuel en perpétuelle mutation (même la couleur vire au noir et blanc, lors d’une régénération corporelle d’une puissance folle), on se dit très vite qu’il faudra y replonger. Urgemment. Car sous ce délire incongru affleure un conte métaphysique, où la thématique du deuil et de son acceptation devient le sésame d’un ailleurs - étrange, mais apaisé.

D’une puissance visuelle hallucinée, Else est une proposition fantastique radicale, auteurisante, qui ne plaira pas à tous - mais qui ravira les amateurs (éclairés) de spectacle viscéral autre, où l’émotion, trouble, charnelle, désespérée, nous happe irrémédiablement dans un vertige d’impuissance.

Et bon sang que c'est beau, langoureux et effrayant à la fois ! 
Else ou l'art d'étouffer en beauté.

Bruno — cinéphile du cœur noir.

vendredi 4 juillet 2025

Blood Feast de Herschell Gordon Lewis. 1963. U.S.A. 1h07.

                                (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site facebook. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Blood Feast : la messe des viscères".
Premier film gore de l'histoire du cinéma, inspiré du théâtre du Grand-Guignol parisien (actif de 1896 à 1963 - année même de réalisation du film qui nous intéresse), Blood Feast joue sans complexe la carte du cinéma d'exploitation à budget miséreux. À l'image de son casting amateur, où figure Connie Mason, vedette du Playboy de l'époque. Et force est de constater que, six décennies plus tard, les effets sanglants artisanaux qui gangrènent le récit conservent leur pouvoir de répulsion : véritable catalogue de démembrements, d’éviscérations, de langues arrachées, d’organes saisis à pleine main, le tout baigné dans un rouge vif, rutilant, éclaboussant. Ces trucages charnels font illusion à travers une certaine intensité émotionnelle aussi fascinante que répugnante. 
 
 
Du Joe D’Amato avant l’heure, en somme, tant ces séquences dégueulasses s’étalent avec une complaisance viscérale - pour notre bonheur de cinéphile gorasse. La splendide photo en eastmancolor sature à merveille ce rouge cerise éclatant, à travers des décors parfois exotiques, parfois baroques, mais jamais négligeables. Quant à l’intrigue, génialement incongrue, elle convoque la figure d’Ishtar : une ancienne déesse que tente de ressusciter un traiteur égyptien en perpétrant, pour elle, les crimes les plus sordides - rituel d’organes étripés, de membres dérobés, de cannibalisme sacré. Joli programme festoyant.

 
On s’amuse aussi du théâtre involontaire des comédiens, s’exprimant avec un sérieux outré dans des décors exigus filmés en plans fixes, tandis que la réalisation demeure aussi malhabile qu’approximative. Et pourtant, malgré tous ces défauts bonnards, cette péloche d’1h07 dégage un charme rétro inattendu, une audace visuelle inédite, jamais vue auparavant à l’écran.
 
Qui plus est - et j’insiste là-dessus car une fois n'est pas coutume - la version française s’avère encore plus ludique, grâce à son score musical récupéré de L’Au-delà de Fulci, signé Fabio Frizzi. À titre d’exemple factuel : la séquence d’arrachage de langue se gorge d’un climat véritablement malsain, alourdi par une sonorité viciée, littéralement brutale, opaque, agressive.
 
 
Authentique film culte, aussi surprenant que détonant dans son concentré d’horreur putassière et d’humour noir goguenard, Blood Feast reste une étrange curiosité, dont l’ambiance horrifique, bien plus bis qu’il n’y paraît, gagne une intemporalité éclatante en version française. Même s'il s'agit effectivement d'une contrefaçon, payante selon moi.
 
Bruno — cinéphile du cœur noir.
3èx. vf 

mercredi 2 juillet 2025

A bicyclette ! de Mathias Mlekuz. 2025. France. 1h29.

               (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

                                              Top 2025, avec un 💘 gros comme ça.

"Chaque tour de roue rapproche les absents".
Retraçant le road trip d’un père en compagnie de son chien et de son meilleur ami, de l’Atlantique jusqu’à la mer Noire, afin de rendre hommage au suicide de son fils Youri après un voyage à vélo, À bicyclette ! nous cueille par la main là où on ne l’attend pas.

Mais il faut préciser qu’il s’agit moins d’une fiction que d’un documentaire où la majorité des séquences sont improvisées - les figurants et seconds rôles, d’un naturel bouleversant, croisent nos héros avec une vérité désarmante tout au long du périple.

Mathias Mlekuz (né dans ma ville de Lens), également réalisateur, incarne son propre rôle de père endeuillé, tandis que Philippe Rebbot, ami de longue date dans la vraie vie, joue le sien. Leur complicité ne relève pas du jeu ni de la mise en scène : elle vibre d’une amitié ancienne, sincère, palpable. Cette authenticité brute donne au récit sa chair, son souffle, son émotion.
 

Véritable hymne à la vie porté par un road movie débordant d’énergie, de tendresse, d’humour et de liberté, À bicyclette ! est un bonheur à l’état pur, derrière lequel se cache une quête de rédemption intime, nous imposant à notre tour une remise en question - celle du sens de nos trajectoires, de la place qu’on laisse au doute, à la douleur, à l’amour. Réflexion autant spirituelle que métaphysique, le film fait preuve d’une pudeur rare : dès que l’émotion menace de déborder, la caméra se dérobe, passe à une autre scène, comme pour mieux préserver la sincérité, la beauté, la dignité du geste. Ce parti-pris de discrétion devient un acte de bienveillance.
 
Militant pour les valeurs de la paternité et de l’amitié la plus loyale, À bicyclette ! aborde avec délicatesse et courage la thématique du suicide, interrogeant en creux le sens de la vie lorsqu’un être cher s’éteint sans prévenir.

Formellement splendide, baigné de paysages naturalistes qui nous émeuvent autant qu’ils nous élèvent, le film est un petit miracle de cinéma sous ses atours de visite touristique. À la croisée de l’improvisation, du vécu, d’une fiction à peine esquissée, il nous emporte dans un vertige aussi bouleversant que cathartique. Et l’on comprend, en refermant ce chapitre de route, que chaque mort - brutale ou silencieuse - peut nous apprendre à grandir, à marcher autrement, à aimer mieux, à honorer, à chérir, à transmettre.


"A Bicyclette, vers l'invisible".
Une œuvre magnifique, candide, gratifiante. Un antidépresseur précieux pour s’extraire de notre routine le temps d’1h29 de cinéma humble, sensible, plein de bon sens, et de valeurs.
Et pour finir, qu’on me permette de souffler, les yeux embués et le cœur gonflé : vive le cinéma français.

Bruno — cinéphile du cœur noir.

« Ce documentaire, c’est aussi une histoire d’amitié, puisque j’ai réalisé le voyage en compagnie de mon très bon ami, le comédien Philippe Rebbot. Il faut un lien fort pour partir sur un tel projet. C’est enfin un hommage à mon fils. J’ai voulu suivre ses traces, voir les paysages qu’il avait vu et rencontrer cette jeune femme, Marzi, que je ne connaissais pas. Il est beaucoup question d’errance dans le film. Nous allons d’un endroit à un autre, sans savoir ce qu’il va se passer, qui nous allons rencontrer. Il faut se laisser porter… C’est très beau comme sensation. Je n’ai pas encore fait le deuil de sa disparition, je ne suis pas encore prêt à le laisser partir. En réalisant ce documentaire, j’ai ainsi la sensation de continuer à faire vivre mon fils, de le voir exister. »

Mathias Mlekuz


Récompenses:
Festival du film francophone d'Angoulême 2024, en compétition officielle :
Valois de la mise en scène pour Mathias Mlekuz
Valois du public pour Mathias Mlekuz
Valois de la musique de film pour Pascal Lengagne
Festival 2 Cinéma 2 Valenciennes 2024 : section « Compétition fictions »:
Prix du public
Prix d'interprétation masculine pour Philippe Rebbot

Sortie salles France: 26 Février 2025

mardi 1 juillet 2025

Substitution – Bring Her Back de Danny et Michael Philippou. 2025. Australie. 1h44.

                       (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site IMDB. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

Distribution: Billy Barratt, Sora Wong, Jonah Wren Phillips, Sally Hawkins.
 
Sortie salles France: 30 Juillet 2025 
 
Budget: 15 Millions.  

Une déflagration dans le paysage horrifique australien : coup de tonnerre implacable du top 2025.


"L’Enfer en Héritage".
Si vous avez frémi de bonheur horrifique devant The DescentHérédité, Midsommar, Sinister, When Evil Lurks - pour ne citer que les références les plus récentes - un nouveau pavé vient heurter la surface du marécage : Bring Her Back des frères jumeaux Danny et Michael Philippou, déjà responsables du terrifiant La Main (Talk to Me), l’une des plus saisissantes surprises de 2023.

Mais ici, changement de registre. Abandonnant le ton ludique, les Philippou adoptent un parti pris radical. Ils nous arrachent violemment à notre zone de confort, avec un électrochoc aussi digne, révulsif et malaisant que les enseignes traumatiques Martyrs, Eden Lake, Wolf Creek, voire L’Exorciste, auquel il prête une certaine filiation, toutes proportions  gardées. Dès le prologue, des images d’archives (in)dignes d’Ogrish nous agressent sauvagement les mirettes. Et les exactions insalubres qui suivent font preuve d'un tel réalisme documenté qu'on croirait avoir affaire à un snuff… je n’en dirai pas plus. Des séquences nauséeuses, extrêmes, imprimées dans la rétine bien au-delà du générique.

En abordant avec intelligence, audace et sensibilité un traumatisme maternel, en sondant les conséquences de la maltraitance et la violence intériorisée chez celui qui l’a subie, les Philippou nous projettent tête baissée dans une descente aux enfers sans issue. Dénué de fioritures, ancré dans un réalisme de plus en plus incommodant, Bring Her Back va jusqu’au bout du malaise, sans détour, sans filtre. D’autant plus dérangeant qu’il met en lumière de jeunes adolescents livrés à la plus implacable torture, mentale et corporelle. Avec une utilisation judicieuse de regards pathologiquement tuméfiés qui contraste avec l'aura rubigineuse qui s'instille en leur cocon familial. Je m'adresse surtout à l'actrice Sora Wong (âgée de 14 ans au moment du tournage) , malvoyante dans la vie, née avec des malformations congénitales qui altèrent sa vision. Aveugle de l’œil gauche, sa vision de l’œil droit est d'autant plus réduite.

Et parce qu’ils prennent leur temps - distillant un suspense latent, à la fois mystérieux, inquiétant, déjà déstabilisant - les Philippou maîtrisent l’art de l’étau. On suffoque dans cette épreuve de force insidieuse, où se noue un jeu de manipulation morale entre une thérapeute, un garçon muet, un frère, et sa sœur aveugle.

On est ici face à une horreur premier degré, frontale, électrisante. L’absence d’humour glace le sang. Certaines séquences de châtiment sont si atroces qu’on se surprend à détourner les yeux. Bring Her Back joue dans la cour des grands, renouant avec une horreur fétide, licencieuse, rapace, vénéneuse - attisant sans relâche notre curiosité quant à des enjeux humains à la lueur d’espoir quasi inexistante.

On sort de la salle le regard hagard, vidé, lessivé. L’intensité dramatique est telle qu’on pressentait dès les premières minutes que ce jeu de confrontations psychologiques, aussi sournois que déloyal, ne pouvait que s’achever dans la plus animale des violences.

Impeccablement interprété - notamment dans les rôles juvéniles, candides, rebelles et meurtris - et transcendé par le jeu perfide de l’électrisante Sally Hawkins en thérapeute de l’effroi le plus aliénant, Bring Her Back nous cloue au siège. Il nous tétanise de désarroi face à cette lente agonie, cette horreur démoniale, trop extrême pour qu’on puisse s’en distraire. Alors que l'émotion rédemptrice de dernier ressort, cette douleur en héritage, finit par nous provoquer une empathie bouleversée face à l’amour en cendres.

"Orphelins de l’Espoir".
Brutal, poisseux, hargneux, suffocant et surtout viscéral, Bring Her Back s’impose comme un futur classique de l’horreur extrême : il vous malmène, vous marque, vous suit. À vie. 

Il tache, il lacère, il hante : sitôt vu, il s’imprime dans la rétine et vous ne l’oublierez jamais. 

A condition de s'accrocher et de le prioriser au public averti (il sera chez nous interdit aux - 16 ans, avec Avertissement).

*Bruno
 
P.S: Le film est dédié à Harley Wallace, un ami des frères Philippou décédés avant le début de la production.


Laissez bronzer les Cadavres de Hélène Cattet et Bruno Forzani. 2017. France/Belgique. 1h32.

                  (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Orgie solaire et plomb brûlant".
Un soleil de plomb qui crame les rétines. Les corps luisent, les flingues tonnent, les heures défilent au rythme d’un carnage chorégraphié comme une danse macabre. Laissez bronzer les cadavres, c’est une messe solaire célébrée dans les cendres du polar italien et du western transalpin, où Django croise Antonioni sous acide.

La mise en scène ? Un trip sensoriel, ultra stylisé, chaque plan suinte la perfection maniériste. Cattet et Forzani taillent l’espace, le son, le temps, comme on cisèle une idole païenne. Gros plans fétichistes, zooms assassins, éclats de métal et de chair, ralentis suspendus dans le néant. Le montage éclaté, halluciné, fait tournoyer les points de vue : on revit les mêmes scènes à travers d’autres regards, d'autres pulsions, toujours rythmées par l’heure affichée à l’écran, comme une montre piégée à la nitro.

Le huis clos est à ciel ouvert, surchauffé, un décor minéral qui écrase les âmes. En plein juillet, la roche devient théâtre de la trahison, du désir, du sang. Un butin volé, deux flics qui débarquent, et tous les masques qui tombent dans une gerbe de plomb et de soleil.
 

Les acteurs ? Des gueules, des vraies, burinées, rugueuses, qu’on ne croise plus à l’écran. Ils n’interprètent pas, ils transpirent, ils brûlent. La violence, elle, n’est jamais gratuite, elle est rituelle, organique, sensorielle, féérique presque. Les corps s’aiment, se haïssent, se soumettent. Une femme qui urine sur la tête d’un homme, le viol par des balles de calibre, une autre fouettée, gorge ouverte, sous une pluie de champagne : jamais pornographique, jamais vulgaire. Onirique, dérangeant, d’une beauté toxique exotique.

Et puis viennent les fusillades, comme des ballets de feu et de mort. Du jamais-vu. Les chorégraphies explosent, entre Goldfinger et Fulci, entre Morricone et le rugissement du silence. Chaque tir est une note, chaque cri une pulsation. Le film devient opéra de mitraille sous des partitions transalpines que l'on s'entête par coeur.
 
C’est un cauchemar érotique en plein jour. Un rêve lucide baigné de sang, de poussière, de cendre (les corps se consument sous les flammes) et de soleil. Un pur orgasme cinématographique de souche française, une fois n'est pas coutume.

Gratitudine per i nostri amorevoli alchimisti Hélène Cattet / Bruno Forzani 💓


Récompenses:
Magritte 2019:
Magritte de la meilleure image pour Manu Dacosse.
Magritte du meilleur son pour Yves Bemelmans, Dan Bruylandt, Olivier Thys et Benoît Biral.
Magritte des meilleurs décors pour Alina Santos.

Sortie salles France: 18 Octobre 2017

lundi 30 juin 2025

Dune: 2è partie / Dune: Part Two de Dennis Villeneuve. 2024. U.S.A/Canada. 2h46 (2h38).

                      (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Dune : Villeneuve Dépasse les Étoiles".
Plus sombre, plus intense, plus fiévreuse. Cette suite déploie son souffle avec une audace encore plus grande. Villeneuve embrasse le chaos d’un monde en perdition, où les croyances deviennent poison, où le fanatisme pousse ses racines dans les sables. Le fondamentalisme religieux, la superstition aveugle, les prophéties cannibales : tout se referme sur Paul Atréides, messie malgré lui, pris dans l’engrenage d’une guerre qui le dépasse.

Les corps s’enlacent et se déchirent. L’amour de Paul et Chani n’a rien d’un apaisement : il est brasier, fracture, lutte entre idéal et fatalité. Chani est le cœur vibrant du désert, Paul, son ombre grandissante. Leur passion est belle, mais hérissée de doutes, blessée par l’éclat des visions, par le poids du pouvoir et des promesses qu’on n’a pas faites.

Villeneuve filme l’action comme nul autre. Jamais de trop. Chaque affrontement est sec, tranchant, sans emphase, mais d’une puissance viscérale. L’essentiel, toujours. Il n’y a pas de spectacle pour le spectacle. L’action sert l’âme, l’élan, la tragédie. Les corps à corps sont des éclairs en plein soleil, brefs et implacables.

 
Les séquences de poursuites à dos de vers frôlent le sacré. On vole au-dessus du vide, happé par le vent et le sable dans une fluide frénésie. Quand les héros les agrippent au galop, il n’y a plus de limites, plus de frontières entre la légende et le réel. Le cinéma touche ici quelque chose de primal, d’inouï, d'inédit.
Et cette lumière… Parlons en. La photographie ocre, somptueuse, magnifie les dunes comme un mirage funèbre rutilant. Le désert devient un vaste personnage, majestueux, indicible et cruel. Hans Zimmer, lui, sculpte une musique élégiaque, tellurique, presque sacrée. Chaque note est une incantation, un écho venu du fond des âges.

La galerie de personnages explose à nouveau l’écran. Les trois antagonistes chauves – bêtes barbares au charisme empoisonné – déploient une cruauté sans concession. Et Walken, monarque blafard, impassible, comme un spectre assis sur le néant. Chaque regard, chaque mot est une menace feutrée.
Ce deuxième volet est plus qu’une suite. C’est une montée vers l’abîme. Plus dynamique, plus tendue, plus humaine aussi. Les enjeux sont vertigineux, et pourtant tout reste à hauteur d’homme, de chair, de larmes et de sang.

Et ce final… Mythique, foudroyant. Villeneuve convoque l’épopée sans jamais trahir l’intime. L’ultime souffle du film est une promesse d’apocalypse. Un avenir rongé par la cendre. Une légende en train de se briser. Une romance en train de s'éteindre... 

Dune : L’Ascension d’un Chef-d’Œuvre.

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Budget : 190 millions de $

Distribution: Timothée Chalamet, Zendaya, Rebecca Ferguson, Josh Brolin, Austin Butler, Florence Pugh, Christopher Walken.

Sortie salles France: 28 Février 2024.

The Love Witch de Anna Biller. 2016. U.S.A. 2h00.

                            (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"La sorcière qui aimait trop".
The Love Witch est une incantation de celluloïd, un sortilège vintage ourlé de désir, d'angoisse et de vernis rouge sang.
Anna Biller ressuscite le cinéma fantastique des années 60 avec une précision fétichiste - tout y est : les couleurs criardes, les décors satinés, les faux raccords délicieux, les regards caméras lascifs comme des appels muets à l'abîme.

Samantha Robinson, silhouette longiligne, beauté sombre, vénéneuse, presque irréelle, incarne cette sorcière moderne à la fois toute-puissante et tragiquement seule. Elle envoûte, elle manipule, elle aime - mais l’amour la fuit, la ronge, l’obsède. Sous ses airs de déesse du désir, elle est une femme blessée, condamnée à répéter le même rituel : faire fondre les hommes... jusqu’à ce qu’ils se consument. Sa sensualité est raffinée, presque sacrée, et sa détresse, abyssale. Elle crève l'écran.


L’univers est d’une beauté picturale à couper le souffle : chaque plan semble peint à la main, saturé de couleurs luxuriantes, d’accessoires kitsch et de lumières iridescentes. L’onirisme y affleure sans cesse, jusqu’à l’enchantement - comme dans cette fête médiévale improvisée, suspendue dans le temps, entre théâtre, rêve et érotisme bucolique.

Tout est solaire, pittoresque, insouciant en surface… mais c’est un éclat de vitrail qui cache la fêlure. Une satire douce-amère du machisme et du libertinage, où l’émancipation sexuelle féminine se heurte au fantasme masculin superficiel, à la peur d’être seule, même toute-puissante.

The Love Witch est un objet magique, hanté par le besoin d’aimer, par la mort tapie dans le plaisir, par cette sorcellerie mélancolique qu’est le cœur humain. À l’image de son final, étrange et amer, qui tranche avec l’éclat d’une fresque picturale aux accents symboliques.

Another Earth de Mike Cahill. 2011. U.S.A. 1h32.

                        (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Une autre Terre pour pardonner".
Another Earth est une caresse mélancolique. Un souffle. Une errance.
Dans cette science-fiction naturaliste, tout est feutré, nonchalant, alangui dans une brume de silences. Pas d'effets tonitruants, pas de cosmos en fusion : juste une planète jumelle suspendue au ciel comme un espoir impossible, un rêve lent, fragile, palpable.

Mike Cahill filme l'intime, le tremblé du réel. Caméra à l'épaule, quasi documentaire, grain DV comme une peau nue, poreuse à la lumière, à la douleur. Il délaisse le spectaculaire pour se lover dans les plis d’une romance pleine de pudeur, entre deux âmes abîmées.

Elle, c’est Brit Marling - beauté candide, comme lavée du monde -, dont le jeu est une vibration. Elle incarne la contradiction : peur, regret, culpabilité, mais aussi soif de rédemption, d’espérance, d’un souffle nouveau.
Lui, c’est William Mapother, charisme brisé, présence silencieuse, vacillante, comme un homme qui ne sait plus s’il peut encore sentir. Le lien qui les unit se tisse dans les silences, dans les regards, dans les absences.


Ce film n’avance pas, il dérive. Il contemple. Il respire. Il hypnotise.
L'onirisme qui l’imprègne est épuré, aérien, comme un rêve éveillé sans drame, sans éclats, tout en calme.

Another Earth ne cherche pas à convaincre. Il cherche à apaiser. Il parle à voix basse, avec douceur, de ce que c’est que vivre avec un poids sur la poitrine, un remords au fond de la gorge, un pardon qu’on ne sait pas formuler.

C’est un murmure cosmique, un pardon suspendu entre deux mondes.

Une oeuvre libre, modeste, pudique et lyrique, qui offre son cœur sans fard, avec une audace tremblante, presque déchirée.