Mais ici, changement de registre. Abandonnant le ton ludique, les Philippou adoptent un parti pris radical. Ils nous arrachent violemment à notre zone de confort, avec un électrochoc aussi digne, révulsif et malaisant que les enseignes traumatiques Martyrs, Eden Lake, Wolf Creek, voire L’Exorciste, auquel il prête une certaine filiation, toutes proportions gardées. Dès le prologue, des images d’archives (in)dignes d’Ogrish nous agressent sauvagement les mirettes. Et les exactions insalubres qui suivent font preuve d'un tel réalisme documenté qu'on croirait avoir affaire à un snuff… je n’en dirai pas plus. Des séquences nauséeuses, extrêmes, imprimées dans la rétine bien au-delà du générique.
En abordant avec intelligence, audace et sensibilité un traumatisme maternel, en sondant les conséquences de la maltraitance et la violence intériorisée chez celui qui l’a subie, les Philippou nous projettent tête baissée dans une descente aux enfers sans issue. Dénué de fioritures, ancré dans un réalisme de plus en plus incommodant, Bring Her Back va jusqu’au bout du malaise, sans détour, sans filtre. D’autant plus dérangeant qu’il met en lumière de jeunes adolescents livrés à la plus implacable torture, mentale et corporelle. Avec une utilisation judicieuse de regards pathologiquement tuméfiés qui contraste avec l'aura rubigineuse qui s'instille en leur cocon familial. Je m'adresse surtout à l'actrice Sora Wong (âgée de 14 ans au moment du tournage) , malvoyante dans la vie, née avec des malformations congénitales qui altèrent sa vision. Aveugle de l’œil gauche, sa vision de l’œil droit est d'autant plus réduite.
Et parce qu’ils prennent leur temps - distillant un suspense latent, à la fois mystérieux, inquiétant, déjà déstabilisant - les Philippou maîtrisent l’art de l’étau. On suffoque dans cette épreuve de force insidieuse, où se noue un jeu de manipulation morale entre une thérapeute, un garçon muet, un frère, et sa sœur aveugle.
On est ici face à une horreur premier degré, frontale, électrisante. L’absence d’humour glace le sang. Certaines séquences de châtiment sont si atroces qu’on se surprend à détourner les yeux. Bring Her Back joue dans la cour des grands, renouant avec une horreur fétide, licencieuse, rapace, vénéneuse - attisant sans relâche notre curiosité quant à des enjeux humains à la lueur d’espoir quasi inexistante.
On sort de la salle le regard hagard, vidé, lessivé. L’intensité dramatique est telle qu’on pressentait dès les premières minutes que ce jeu de confrontations psychologiques, aussi sournois que déloyal, ne pouvait que s’achever dans la plus animale des violences.
Impeccablement interprété - notamment dans les rôles juvéniles, candides, rebelles et meurtris - et transcendé par le jeu perfide de l’électrisante Sally Hawkins en thérapeute de l’effroi le plus aliénant, Bring Her Back nous cloue au siège. Il nous tétanise de désarroi face à cette lente agonie, cette horreur démoniale, trop extrême pour qu’on puisse s’en distraire. Alors que l'émotion rédemptrice de dernier ressort, cette douleur en héritage, finit par nous provoquer une empathie bouleversée face à l’amour en cendres.
Il tache, il lacère, il hante : sitôt vu, il s’imprime dans la rétine et vous ne l’oublierez jamais.
A condition de s'accrocher et de le prioriser au public averti (il sera chez nous interdit aux - 16 ans, avec Avertissement).
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