mardi 5 avril 2011

Lisa et le Diable / Lisa e il diavolo


de Mario Bava. 1972. 1h35. Italie/Allemagne/Espagne. Avec Elke Sommer, Telly Savalas, Sylva Koscina, Alida Valli, Alessio Orano, Espartaco Santoni, Eduardo Fajardo, Gabriele Tinti.

FILMOGRAPHIE: Mario Bava est un réalisateur, directeur de la photographie et scénariste italien, né le 31 juillet 1914 à Sanremo, et décédé d'un infarctus du myocarde le 27 avril 1980 à Rome (Italie). Il est considéré comme le maître du cinéma fantastique italien et le créateur du genre dit giallo. 1946 : L'orecchio, 1947 : Santa notte, 1947 : Legenda sinfonica, 1947 : Anfiteatro Flavio, 1949 : Variazioni sinfoniche, 1954 : Ulysse (non crédité),1956 : Les Vampires (non crédité),1959 : Caltiki, le monstre immortel (non crédité),1959 : La Bataille de Marathon (non crédité),1960 : Le Masque du démon,1961 : Le Dernier des Vikings (non crédité),1961 : Les Mille et Une Nuits,1961 : Hercule contre les vampires,1961 : La Ruée des Vikings, 1963 : La Fille qui en savait trop,1963 : Les Trois Visages de la peur, 1963 : Le Corps et le Fouet, 1964 : Six femmes pour l'assassin, 1964 : La strada per Fort Alamo, 1965 : La Planète des vampires, 1966 : Les Dollars du Nebraska (non cédité), 1966 : Duel au couteau,1966 : Opération peur 1966 : L'Espion qui venait du surgelé, 1968 : Danger : Diabolik ! , 1970 : L'Île de l'épouvante ,1970 : Une hache pour la lune de miel ,1970 : Roy Colt e Winchester Jack, 1971 : La Baie sanglante, 1972 : Baron vampire , 1972 : Quante volte... quella notte, 1972: Lisa et le Diable. 1973 : La Maison de l'exorcisme, 1974 : Les Chiens enragés,1977 : Les Démons de la nuit (Schock),1979 : La Venere di Ille (TV).


                                    

"L’ombre de Lisa dans la maison des morts".
Après le succès de Baron Blood, le producteur Alfredo Leone propose à Mario Bava un nouveau projet, lui offrant carte blanche sur le contenu scénaristique et sa facture visuelle. Le réalisateur s’empare alors d’un ancien script écrit par son père défunt, comme un hommage personnel et intime. Mais un problème survient lors de sa première projection au Marché de Cannes : Lisa et le Diable déconcerte les distributeurs, qui jugent l’œuvre trop confuse, trop complexe, trop personnelle. Leone décide alors, avec l’accord de Bava, de remonter le film en y insérant des séquences d’exorcisme, pour surfer sur le triomphe de L’Exorciste de Friedkin. Profondément catholique, Bava s’offusque de ces ajouts qu’il juge vulgaires et blasphématoires. Le film ressort en 1975 sous le titre La Maison de l’Exorcisme, rencontrant cette fois un succès commercial — un filon mercantile pour le producteur, quand bien même Bava, non crédité à la réalisation, y perdra leur amitié à jamais. Cette version remaniée, grossière, dénuée de sens, n’est qu’une pâle figure comparée à Lisa..., que je considère comme le plus beau film du maestro. Car ce diamant noir, maudit, fut longtemps mis à l’écart, honteusement oublié, inédit en salles dans nos contrées.

                                   

Le pitch : Lisa profite de vacances à Tolède, en Espagne. Lors d’une promenade, elle est frappée par une peinture représentant le diable. Quelques instants plus tard, elle se réfugie dans une boutique d’antiquités tenue par un homme ressemblant étrangement au personnage de la fresque, tenant dans ses bras un mannequin que Lisa croit reconnaître. Elle reprend sa route vers la place principale, et croise un individu identique au mannequin. Paniquée, elle le pousse sur la chaussée : l’homme semble mortellement blessé. À la tombée de la nuit, égarée, elle demande à un couple circulant en voiture de la reconduire. Mais la voiture tombe en panne devant une vieille demeure gothique, dont l’antiquaire semble être le maître des lieux...

                                    

Œuvre hermétique au pouvoir de fascination incommensurable, Lisa et le Diable est une fuite en avant vers des songes morbides. La frontière entre chimère et réalité s’y brouille, pour mieux égarer protagonistes et spectateur dans un engrenage où l’illusion semble dicter notre perception du réel. La narration, impénétrable, nous invite à déchiffrer les moindres indices disséminés dans chaque détail du récit. Dans des décors gothiques somptueux, enrichis d’un esthétisme baroque à couper le souffle, Mario Bava orchestre un cauchemar romantique, indéchiffrable, foisonnant d’ombres, de symboles, de gestes suspendus. L’histoire, profondément romantique, est portée par la sublime partition élégiaque d’Aranjuez, qui nous enivre d’une amertume nostalgique, confrontée à une mouvance nécrophile. Et puis il y a Lisa — Elke Sommer, troublante, habitée par une étrangeté douce et indécise. Comme elle, nous errons, perdus dans cette demeure au secret familial infecté d’adultère, hantée de fantômes névrosés cherchant à renouer avec un amour ancien.

                                   

Raconter avec précision cette fantasmagorie relève presque de l’impossible. On peut toutefois suggérer qu’il s’agit d’une famille hantée par le spectre d’Eléna, beauté ténébreuse infidèle, aimée de deux hommes, dont Lisa semble être la réincarnation. Tout au long du récit, elle est harcelée par le mari aveugle de la défunte, tandis que le fils, jadis marié à Eléna, succombe au charme trouble de cette nouvelle apparition. Les morts et les vivants s’entrelacent, se confondent, tandis que le Diable — incarné par un serviteur chauve et sarcastique (un Telly Savalas étonnant !) — manipule ses invités pour mieux les figer en mannequins de cire. Le final, désarticulé et cauchemardesque, montre Lisa, prisonnière à bord d’un avion — dernier trajet pour l’enfer d’une femme condamnée d’avoir corrompu l’amour. Le Diable, maître de cérémonie, serait l’architecte de cette damnation. À moins que tout cela ne soit qu’un rêve névrotique d’une jeune femme troublée par une fresque médiévale, dont la force d’évocation aurait déclenché un cauchemar brisant les frontières du réel...

                                    
 
"Sous le masque du diable, le visage d’Eléna".
Porté par des comédiens transis d’émoi, Lisa et le Diable s’érige en poème funèbre d’un romantisme inassouvi. Un rêve illusoire peuplé de statues, de mannequins figés dans le silence d’un passé révolu, tandis qu’une jeune femme hantée par ses offenses revient sur les lieux d’une tragédie sentimentale, soumise à l’influence du Diable. Traversé d’images oniriques d’une beauté macabre et charnelle, ce chef-d’œuvre inaltérable est une ode à la fantasmagorie la plus obsédante. Une fois le générique tombé, il devient difficile de retrouver une parcelle de lucidité dans le retour à notre banal quotidien.
Une idée insatiable me traverse alors, comme une fièvre :
Revoir Lisa et le Diable... et ne plus jamais en sortir.

*Bruno
23.08.23.
05.04.11     
30.12.23. Vistfr. 4èx

3 commentaires:

  1. Bon ben bravo je vais devoir le revoir ce soir!!! Très belle critique et je ne peux qu'être d'accord encore une fois décidément.J'aime bien quand tu dis que c'est une œuvre hermétique,j'ai toujours beaucoup de mal à expliquer à d'autre l'intérêt du film,c'est tellement particulier!Et puis Telly Savallas complétement en décalage et hallucinant ;) Bon,allez,je le programme pour ce soir pour la 54646468 de fois!

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  2. Tout à fait pour Telly, moi je le trouve PARFAIT contrairement à certaines critiques qui le trouvent ridicule !

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  3. Je viens de l'acheter aujourd'hui chez NOZ à 0.95 Euros.

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