vendredi 30 mars 2012

LES LYONNAIS


d'Olivier Marchal. 2011. France. 1h42. Avec Gérard Lanvin, Tchéky Karyo, Daniel Duval, Dimitri Storoge, Patrick Catalifo, François Levantal, Francis Renaud, Lionnel Astier, Valeria Cavalli.

Sortie salles France: 30 Novembre 2011

FILMOGRAPHIE: Olivier Marchal est un acteur et réalisateur français, né le 14 Novembre 1958 à Talence (Gironde). Il est en outre le créateur des séries télévisées: Flics et Braquo.
2002: Gangsters
2004: Quai des Orfevres
2008: MR 73
2011: Les Lyonnais
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D'après l'oeuvre d'Edmond Vidal, ex membre du gang des lyonnais, Olivier Marchal s'inspire de son illustre autobiographie pour nous livrer avec Les Lyonnais un polar âpre et désenchanté. Une sombre fresque illustrant le portrait renfrogné de deux gangsters déchus, rattrapés par la frénésie d'un passé tendancieux. Edmond Vidal, ancien gangster à la retraite va renouer avec son passé galvaudé pour épauler son meilleur ami, Serge, récemment appréhendé par la police. Après une sanglante évasion, Edmond va se retrouver mêlé au chantage d'une bande de tueurs inflexibles, déterminés à retrouver son acolyte. En même temps, la police est plus que jamais circonspecte aux faites et gestes des deux repris de justice bien connus des services durant les années 70.
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Mis en scène avec le brio d'une virtuosité technique factuelle, le quatrième long-métrage d'Olivier Marchal est un polar tendu et brutal, noyé dans l'amertume du profil galvaudé de deux gangsters notoires, victimes de leur exactions sanguinaires perpétrées à une époque dissidente.
Durant leur jeunesse, à cause d'un simple vol de cageot de cerise, Edmond et serge vont être amenés à écoper une peine inéquitable de 6 mois ferme dans un établissement pénitentiaire. Cette sévère injustice sera le vecteur moteur pour les deux jeunes délinquants à se laisser appréhender par le grand banditisme après avoir endigué leur initiateur dans la région lyonnaise des années 70. En l'occurrence, Edmond est un sexagénaire coulant des jours ternes parmi la morosité d'une épouse distante, communément tiraillés par le remord d'une période révolue. Quand à Serge, il reste un gangster toujours en activité car n'ayant jamais abdiqué ses instincts délétères pour défier l'antagoniste et l'autorité répréhensible de la justice.


Entre passé et présent de flash-backs incessants, Olivier Marchal nous illustre avec lyrisme leur dérive autonome compromise par l'avilissement du Mal. Traversé d'éclairs de violence d'une verdeur cinglante mais jamais putassière et jalonné de plages intimistes inscrites dans la fraternité de l'amitié et la cohésion familiale, Les Lyonnais transcende la caractérisation bafouée de ces deux malfrats contraints de payer un lourd tribut. En parrain acariâtre, Gérard Lanvin assume avec sobriété un rôle majeur de gangster rongé par l'aigreur d'un passé vénal. Mais un homme déchu profondément meurtri par la soudaine révélation d'une intolérable trahison parce qu'entièrement subordonné à la loyauté de l'amitié. Sa posture rigide exacerbée par un regard austère noyé de rancoeur illumine son cheminement funeste, en attendant l'exutoire potentiel d'une repentance indécise. Son acolyte de toujours est campé par l'excellent Tchéky Karyo, malfaiteur tout aussi réputé, flegmatique mais implacable dans ses élans meurtriers impondérables. Un complice distant par son esprit taciturne quand il est contraint d'avouer à son comparse pour quelle véritable motivation il s'est retrouvé à fréquenter les cellules de prison.


Hormis le caractère prévisible de l'achèvement de nos deux protagonistes, Les Lyonnais est un excellent polar entièrement dédié au caractère fébrile de mafieux contrariés par l'intégrité désavouée de l'amitié. Superbement mis en scène, vigoureux dans sa narration indécise traversée  de brusques accès de violence et endossé par une galerie de trognes burinées plus vraies que nature, l'odyssée noire de Marchal renoue avec la désillusion flamboyante des grandes sagas mafieuses. 

30.03.12
Bruno Matéï

L'avis de mon ami Mathias Chaput

Réalisé avec un grand sens de la rigueur (aussi bien scénaristique que dans la restitution des décors ou des costumes), exempt d’anachronisme et violent comme un « film d’hommes », « Les Lyonnais » est un métrage exemplaire qui tient particulièrement bien la route !
Lanvin est impérial, il a un rôle taillé pour lui et sa personnalité de fonceur…
Karyo ne déroge pas à la règle dans son personnage d’enflure intégrale et même si vieillissant il s’en sort avec les honneurs !
La faune de la pègre lyonnaise comporte tous les stéréotypes surtout vers les années 70 (avec les filles soumises à leurs gangsters de maris, les caïds qui n’hésitent pas à frapper ou à flinguer fort, les casses et « braquo » -braquages- à pléthore, et la police le plus souvent dépassée –malgré une « rafle » dans un campement de gitans particulièrement millimétrée et efficace, et qui entrainera un procès fleuve !)…
Les gangsters ne reculent devant rien pour faire aboutir leurs desseins illégaux et font preuve d’une imagination hors normes et sans le moindre remords !
S’en prenant à des enfants ou des animaux, essayant par tous les moyens à faire régner leur diktat de corruption et de domination, et quiconque se mettra devant leur chemin, se verra froidement abattu !
Certains passages sont extrêmement violents et Marchal prend le parti pris pour une complaisance à minima, malgré un entêtement sidérant dans la tension et le stress (notamment lors des fuites de Momon et de sa femme, constamment harcelés !).

Film d’un grand professionnalisme et aux moyens ultra conséquents, « Les Lyonnais » s’entiche non seulement d’un scénar bien rôdé mais d’une restitution magistrale d’un domaine assez méconnu et peu exploité dans le cinéma hexagonal, pour au final projeter le spectateur sur un pan de la délinquance qui s’étale de 1970  à nos jours, le tout avec un talent indéniable !
Du très bon boulot pour un des meilleurs polars de ces dernières années, tous genres confondus !
Marchal frappe fort et l’impact de son œuvre trouve ici son aboutissement via peut être son chef d’œuvre !
A voir absolument pour la qualité du travail réalisé et pour son plaisir si on est adepte des polars français, un métrage qui fera date !

Note : 8.5/10


mercredi 28 mars 2012

U-TURN


d'Oliver Stone. 1997. U.S.A. 2h04. Avec Sean Penn, Nick Nolte, Jennifer Lopez, Powers Boothe, Claire Danes, Joaquim Phoenix, John Voight, Billy Bob Thornton, Abraham Benrubi, Richard Rutowski.

Sortie salles France: 14 Janvier 1998. U.S: 3 Octobre 1997

FILMOGRAPHIE: Oliver Stone (William Oliver Stone) est un réalisateur, scénariste et producteur américain né le 15 septembre 1946 à New-York.
1974: La Reine du Mal, 1981: La Main du Cauchemar, 1986: Salvador, Platoon, 1987: Wall Street, 1988: Talk Radio, 1989: Né un 4 Juillet, 1991: Les Doors, 1991: JFK, 1993: Entre ciel et Terre, 1994: Tueurs Nés, 1995: Nixon, 1997: U-turn, 1999: l'Enfer du Dimanche, 2003: Comandante (Doc), 2003: Persona non grata, 2004: Looking for Fidel (télé-film), 2004: Alexandre, 2006: World Trade Center, 2008: W.: l'Impossible Président, 2009: Soul of the Border, 2010: Wall Street: l'argent ne dort jamais. 2012. Savages.

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Deux ans après dépeint le portrait politique du président Richard Nixon, Oliver Stone emprunte le roman de John Ridley (Stray Dogs) pour nous livrer avec U-Turn un thriller décalé, caricature acide d'une Amérique profonde. Un looser solitaire se réfugie vers la contrée désertique de Superior pour fuir l'hostilité d'une bande de mafieux à qui il dû une forte somme d'argent. En attendant que sa voiture en panne croupisse chez un garagiste arrogant, il fait la connaissance de la sensuelle Grace, une femme indienne tributaire d'un mari violent et alcoolique. Cumulant la poisse au fil de ses rencontres impromptues et sans le moindre sou, Bobby sera confronté à un odieux marché financier lorsque Grace lui proposera de se débarrasser de son époux. Thriller aride mis en exergue sous un climat solaire écrasant, U Turn est un jubilatoire jeu de massacre savamment orchestré par un Oliver Stone plus gouailleur que jamais ! A l'instar d'After Hours de Martin ScorceseU-Turn nous décrit avec une verve caustique les vicissitudes d'un marginal besogneux confronté aux citadins les plus excentriques au sein du bled paumé de Superior, non loin de Las Vegas. Après avoir tenté d'échapper aux menaces d'un leader mafieux et à la suite d'une panne de voiture aléatoire, Bobby se retrouve embrigadé dans une bourgade clairsemée où la population inculte semble gagner par l'aberration. C'est d'abord son garagiste, arrogant et obtus qui le contraint de s'attarder plusieurs jours dans cette contrée désertique.
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Sur place, il fait ensuite les rencontres fortuites d'un vieil indien logicien atteint de cécité et d'un jeune couple ahuri dont l'amant irascible s'envenime à déclencher les rixes pour honorer sa potiche effrontée. En prime, après avoir côtoyé l'amabilité du shérif de la contrée, Bobby tombe sous le charme de Grace avant de s'apercevoir que la belle est asservie par un mari tyrannique, Jake. Séduit par la beauté sulfureuse de cette jeune indienne, Bobby va rapidement faire face au compromis d'une transaction machiavélique suggérée par les deux amants désunis. Avec un scénario habilement structuré multipliant les rebondissements perfides et les rencontres saugrenues de badauds susceptibles, Oliver Stone rivalise de mesquinerie à nous transfigurer une galerie de personnages tous plus désinvoltes et calamiteux les uns des autres. Hommage débridé au film noir enduit de vitriol, U-Turn demeure une odyssée tragico burlesque auprès d'un paumé incapable d'épingler l'amour, faute de sa déloyauté individualiste. En établissant également le portrait équivoque d'une femme molestée, avilie par la gente masculine, Oliver Stone nous dépeint sa vengeance méthodique et hautement sournoise. Sa haine inaltérable d'avoir été livrée à la débauche sexuelle d'un odieux personnage impliqué dans l'inceste, quand bien même ces multiples amants nappés de rancoeur, de jalousie et d'orgueil n'auront de cesse de se combattre afin d'obtenir un gain de cause lucratif.
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Dans la peau d'un looser invétéré, Sean Penn doit beaucoup au caractère ludique de cette hystérie collective de par sa prestance versatile tributaire d'infortune tant il accumule les calamités à un rythme frénétique. Dans celui du mari licencieux imbibé d'alcool, Nick Nolte impressionne à travers son cynisme d'époux torturé par ses agissements indécents. Dans le rôle de l'aguicheuse insidieuse, Jennifer Lopez s'en sort honorablement et réussit à s'imposer avec sobriété en veuve noire irréductible. L'unique victime martyrisée auquel on finit par éprouver une certaine empathie après avoir découvert son sombre passé infantile. Les autres seconds-rôles, quasi méconnaissables dans une posture excentrique (John Voight, Billy Bob Thornton, Claire Dance, Joaquim Phoenix, Powers Boothe), s'en donnent également à coeur joie dans la fourberie et l'arrogance pour laisser libre court à des inepties fébriles.
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Méchamment drôle de par son sarcasme récursif, violemment cruel et cauchemardesque, U-Turn est un jubilatoire jeu de massacre sur le machisme primaire et les effets pervers du dépit sentimental. Une farce corrosive déployant avec un humour semi parodique l'hypocrisie du rapport amoureux  naviguant entre allégeance et possessivité. Et à travers ces protagonistes stimulés par l'instinct du désir sexuel de nous livrer des numéros d'acteurs impayables !

*Bruno28.03.12.

vendredi 23 mars 2012

Les Tueurs fous / Le Sexe de la Violence / Lonely Killers / Quando il pensiero diventa crimine.


de Boris Szulzinger. 1972. France/Belgique. 1h14. Avec Dominique Rollin, Roland Maden, Georges Aminel, Christian Barbier, Patricia Cornelis, Georges Aubert, Marc Audier, Marc De Georgi, Jean Droze, Daniel Dury, Franz Gouvy.

FILMOGRAPHIE: Boris Szulzinger est un réalisateur et producteur belge.
1969: Nathalie après l'amour (pseudo: Michael B. Sanders). 1972: Les tueurs fous. 1975: Tarzoon, la Honte de la jungle (co-réalisé avec Picha). 1980: Mama Dracula

 
"Bruxelles pour cimetière".
Boris Szulzinger serait resté un cinéaste belge méconnu s’il n’avait co-réalisé le film d’animation égrillard Tarzoon, la Honte de la jungle, d’autant que sa carrière ne compte que quatre longs-métrages. Ainsi, en 1972, sort dans l’indifférence générale une œuvre choc, glaçante de réalisme, retraçant un fait divers sordide : l’équipée meurtrière de deux malfrats dans la grisaille bruxelloise. Les Tueurs Fous, aussi connu sous le titre Le Sexe de la Violence, s’impose comme une petite bande déviante, méconnue, mais à découvrir d’urgence tant elle ausculte la dérive d’un tandem marginal englué dans sa médiocrité.

Le pitch : deux jeunes délinquants prennent les armes et abattent quiconque croise leur route. Dans une quête libertaire amorale, Dominique et Roland fuient leur ennui en commettant leurs sales besognes entre deux rencontres hasardeuses avec des citadins résignés.

Dans la lignée de portraits abrupts de serial killers tristement notoires, et filmé à la manière d’un reportage sec, Les Tueurs Fous retrace froidement le parcours sanglant de deux marginaux profondément esseulés, incapables d’assumer leur homosexualité. Le film débute sur les chapeaux de roue : meurtre gratuit, rire nerveux, poursuite en mobylette, puis exécution à la carabine — une scène d’une brutalité désarmante, qui annonce la couleur blafarde de cette errance meurtrière à travers les nuits pluvieuses de Bruxelles.

Sans morale ni remords, ils décident soudainement de tuer, au hasard, des anonymes croisés au détour d’un trottoir. Entre deux crimes, ils errent dans des bars gays où défilent des travestis, rançonnent les honnêtes gens, cherchent le contact d’un soir avec des paumés, ou tentent d’éveiller une fragile amitié avec un homosexuel mutique. 

"Deux âmes mortes sous la pluie". 
Ces deux âmes mortes, sans parenté ni attaches, n’ont d’autre lien au monde que leur propre reflet. Leur seul élan d’empathie ? Un chat infirme, trouvé dans une voiture volée. Ce petit être fragile, silencieux, devient l’unique témoin d’une tendresse fugace. À ce moment-là, face caméra, leurs visages s’ouvrent — regard d’enfants perdus, dans un monde où l’amour leur a été refusé. En fuite, enragés de solitude, Dominique et Roland exorcisent leur sexualité refoulée et leur vide existentiel par le meurtre, faute d’avoir pu grandir sous un toit aimant. 

 
"L’ombre d’un chat infirme".
Dérangeant, malsain, immergé dans l’humidité grise d’un automne sans fin, renforcé par le jeu brut, presque documentaire, de comédiens à la posture puérile, Les Tueurs Fous dresse un constat terrifiant sur la marginalité des laissés-pour-compte. Sans voyeurisme, sans complaisance, le film tire sa force de son ancrage psychologique, de sa tristesse poisseuse, de cette sidérante impression que n’importe quel individu rejeté pourrait, un jour, sombrer dans la folie la plus lâche.

Oubliez son homonyme racoleur, Le Sexe de la Violence. Découvrez, sans réserve, cette pépite belge noyée dans la désillusion, qui risque bien de vous hanter longtemps après digestion.

Dédicace à Video Party Massacre
23.03.12
Bruno


lundi 19 mars 2012

Bellflower


de Evan Glodell. 2011. U.S.A. 1h46. Avec Evan Glodell, Jessie Wiseman, Tyler Dawson, Rebekah Brandes, Vincent Gradshaw, Zack Kraus, Keghan Hurst, Alexandra Boylan, Bradshaw Pruitt, Brian Thomas Evans.

Sortie salles France: 21 Mars 2012. U.S: 5 Août 2011

FILMOGRAPHIE: Evan Glodell est un réalisateur, acteur, monteur, producteur, directeur de la photographie, scénariste américain. 2005: La Forme à l'amour (Court-métrage. Co-directeur). 2011: Bellflower
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Avec un budget de 17 000 dollars, le néophyte Evan Glodell entreprend pour son premier long l'argument autobiographique d'une love story traitée de manière peu commune dans sa mise en scène hybride afin de mieux bousculer les attentes du spectateur. Le PitchDeux acolytes entreprennent de façonner un lance-flamme et un véhicule motorisé en guise d'ennui. Mais l'arrivée aléatoire d'une blonde aguicheuse compromet leurs ambitions pour faire sombrer l'un d'eux dans une déchéance suicidaire. Autant avertir de suite les amateurs d'esbroufe avides de pyrotechnie et donc séduits par son affiche prometteuse, Bellflower constitue l'antinomie du spectacle explosif conçu pour rassasier son public lambda. Si bien que cette production indépendante réalisée avec peu de moyens fait figure d'ovni intimiste dans sa douloureuse introspection d'un quidam noyé d'amertume suite à déboire amoureux. Traité de manière insolite auprès d'une réalisation anti conformiste oscillant les ruptures de ton, et formellement criard (saturation de teintes ocres et jaunes fluos), Evan Glodell nous oriente vers une fragile odyssée humaine sur fond d'éloignement existentiel. De prime abord, on se croit embarquer dans une comédie tendre et futile avec les flâneries récurrentes de deux amants communément épris d'amour. A l'instar d'un documentaire pris sur le vif, le réalisateur s'attachant à nous décrire avec humanité le destin aigri de ces deux comparses juvéniles en quête de reconnaissance.


Or, Woodrow et Aiden, chômeurs passionnés par la saga post-nuke de Mad-Max, en particulier du personnage asocial Humungus, fuient l'ennui de l'existence avec la construction d'un lance-flamme et d'une voiture vrombissante. En soirée festive, après une rencontre impromptue dans un bar, l'amour frappe à la porte de Woodrow. Depuis, l'homme ne jure que par la probité de son idylle naissante jusqu'au jour où toutes les meilleures choses ont une fin. Ainsi, durant une majeure partie du récit, on se demande alors où le réalisateur souhaite en venir avec cette idylle romanesque finalement mise en exergue sur le fiasco. Puis, de manière latente et avec l'originalité d'une mise en scène expérimentale, c'est le profil désemparé d'un quidam déchu trahi par l'adultère qui nous ait illustré dans une ambiance délétère davantage en chute libre. Et plus la déchéance déshumanisée de Woodrow se chemine vers la régression, plus le film s'aventure vers les sentiers ombrageux d'une errance nocturne vindicative. Il en ressort au final une oeuvre chétive, le sentiment peu commun d'avoir assister à une tragédie sentimentale profondément touchante à travers cette fuite désespérée. La quête existentielle de deux camarades fuyant la monotonie de leur réalité par l'utopie parce que songeurs d'horizons clairsemées.

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L'achèvement d'Humungus
A travers cette errance urbaine chancelante, le réalisateur Evan Glodell se réapproprie des conventions du genre pour transcender la love story éculée dans une mise en scène hétérodoxe. Avec une humanité vulnérable, Bellflower traite donc du deuil délicat, difficilement surmontable d'une rupture amoureuse, mais également des valeurs de l'amitié entre la fraternité de deux héros dépités et de leur quête autoritaire à retrouver une certaine virilité (d'où leur affection partagée avec le personnage redouté d'Humungus). L'intelligence et l'originalité de sa structure narrative, la bonhomie naturelle des personnages et l'esprit libertaire qui y émane en font une oeuvre forte où la rancoeur intrinsèque s'extériorise finalement parmi l'essence candide d'une rédemption. 

*Bruno
19.03.12

vendredi 16 mars 2012

LE MANNEQUIN DEFIGURE (Crescendo)


                                      

d'Alan Gibson. 1970. Angleterre. 1h30. Avec Stéfanie Powers, James Olson, Margaretta Scott, Jane Lapotaire, Joss Ackland, Kirsten Lindholm.

Sortie en salles le 24 Mars 1971

FILMOGRAPHIE: Alan Gibson est un réalisateur canadien, né le 28 avril 1938 à London, en Ontario (Canada), décédé le 5 juillet 1987 à Londres (Royaume-Uni).
1965: 199 Park Lane (série TV). 1966: A Separate Peace (télé-film). Eh, Joe ? (télé-film). 1968: Journey to Midnight. 1969: The English Boy (télé-film). 1970: Le Mannequin Défiguré. Goodbye Gemini. 1971: The Silver Collection (télé-film). 1972: Dracula 73. 1974: The Playboy of the Western World (télé-film). Dracula vit toujours à Londres. 1976: Dangerous Knowledge (télé-film). 1977: Checkered Flag or Crash. 1979: Churchill and the Generals (télé-film). 1980: The Two Faces of Evil (télé-film). 1982: Une femme nommée Golda (télé-film). 1982: Témoin à charge. 1984: Martin's Day. 1984: Helen Keller: The Miracle Continues (télé-film). 1987: The Charmer (série TV).

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Par celui qui aura tenté de moderniser à deux reprises le mythe du vampire des Carpathes avec deux nanars folichons, Dracula 73 (Christophe Lemaire en reste traumatisé !) et Dracula vit toujours à Londres, Alan Gibson avait préalablement réalisé en 1970 le meilleur film de sa carrière avec Le Mannequin Défiguré. Thriller horrifique au suspense Hitchcockien, cette petite série B admirablement orchestrée est à revoir sans modération grâce à la dextérité d'un scénario machiavélique et à ses personnages interlopes très attachants.
Susan Roberts est une jeune étudiante préparant une thèse sur le célèbre compositeur Henry Ryman. Invité chez la veuve du défunt dans une villa du Sud de la France, elle rencontre son fils paralytique, Georges, et entame une complicité. Mais l'attitude désinvolte d'une bonne à tout faire et d'un inquiétant geôlier vont contrarier l'invitée, d'autant plus que la mère semble avoir une emprise d'allégeance sur son fils. 


Film rare totalement sombré aujourd'hui dans l'oubli, Le Mannequin défiguré (pour une fois que le titre français transcende son homologue british !) est une véritable perle dans son genre horrifique produit par la fameuse firme Hammer Film ! Dans une ambiance ombrageuse palpable et un climat pervers étouffant, ce thriller diabolique doit son salut à une narration impeccablement structurée, rehaussée par le talent congru d'interprètes sur mesure. Sur un canevas Hitchcockien en diable, Le Mannequin Défiguré nous invite dans la villa bucolique d'une veuve et de son fils paralytique auquel une étudiante est invitée pour y rédiger une thèse sur le célèbre compositeur, Henry Ryman. Si parmi les témoins, la convivialité d'une ambiance amicale y est perceptible de prime abord, l'attitude insolente et arrogante d'une potiche de service et la présence clairsemée d'un étrange gardien vont rapidement interpeller la quiétude de Susan. D'autant plus que celle-ci va être confrontée aux violentes crises de spasmophilie endurées par Georges. Cet artiste préalablement promu à une riche carrière de pianiste aura eu la malchance de se retrouver en fauteuil roulant suite à un grave accident. Pour aggraver la fatalité, sa femme le quitta du jour au lendemain, faute de sa déficience physique inaltérable. Sujet à des cauchemars récurrents auquel il imagine son propre "double" assassiner sa femme, Georges semble assujetti par l'aguicheuse femme de ménage pour entamer communément une étrange relation masochiste. D'autant plus que pour mieux l'asservir à sa guise, Lilliane pratique un chantage alloué à la toxicité d'un psychotrope. Un soir, un horrible homicide va avoir lieu...


Voilà pour l'intrigue savamment planifiée avant que les enjeux interlopes prennent une tournure dramatique beaucoup plus délétère, voire schizophrène ! Par un savant dosage de suspense intense parfaitement coordonnée, scandé par le profil suspicieux de personnages aussi sournois que véreux, Le Mannequin Défiguré est un jouissif thriller baignant dans un cauchemar diffus et diaphane.
L'architecture gothique de la demeure érigée de manière arquée aux abords d'une piscine familiale agrémente favorablement son atmosphère insolite particulièrement moite et licencieuse. Comme son titre d'origine l'indique (Crescendo), la gravité des évènements va prendre une tournure plus sombre après le fameux meurtre perpétré par un tueur sans visage. Un piège machiavélique semble se refermer sur notre étudiante tributaire des agissements insidieux d'une sombre famille au passé galvaudé. Son point d'orgue révélateur se clôt sur une résolution inopinée alors que son rythme davantage haletant se culmine vers une succession de péripéties sardoniques.


Superbement campé par une galerie de comédiens complices s'en donnant à coeur joie dans l'autorité oppressive et mis en scène avec un savoir faire fripon dans l'intensité d'un suspense judicieux, Le Mannequin Défiguré est une petite perle du thriller à se procurer d'urgence. Rehaussé d'une atmosphère atypique dans le refuge affable d'un huis-clos feutré, cette production Hammer Film se pare en outre d'une certaine audace dans l'air du temps (les années 70) par sa violence âpre (le meurtre dans la piscine est particulièrement rigoureux) et son érotisme futilement polisson (Jane Lapotaire use et abuse de provocation impudique en gouvernante mesquine).
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Dédicace à Video Party Massacre
16.03.12
Bruno Mattéï.



jeudi 15 mars 2012

Le Territoire des Loups / The Grey



de Joe Carnahan. 2012. U.S.A. 1h57. Avec Liam Neeson, Dallas Roberts, Frank Grillo, Dermot Mulroney, Nonso Anozie, Joe Anderson, Ben Bray, James Badge Dale, Anne Openshaw, Peter Girges.

Sortie salles France: 29 Février 2012. U.S: 11 Décembre 2011 et 27 Janvier 2012

FILMOGRAPHIE: Joe Carnahan est un réalisateur, scénariste, monteur et producteur américain, né le 9 Mai 1969. 1998: Blood and Bullets. 2002: Narc. 2006: Faceless (télé-film). 2007: Mise à prix. 2010: l'Agence tous Risques. 2012: Le Territoire des Loups. 2013-2015 : Blacklist (Série TV) (3 épisodes). 2014 : Stretch. 2014-2015 : State of Affairs (série télévisée) (4 épisodes, également créateur). 2021 : Boss Level. 2021 : Copshop. prochainement : Shadow Force. 2024 : Not Without Hope. 2025 : RIP.

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Une fois de plus dans la mêlée. Dans le dernier et plus grand combat de ma vie. Vivre et mourir aujourd'hui. Vivre... et mourir... aujourd'hui.
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Remember, Joe Carnahan nous épata avec son polar moite Narc. Puis ce fut au tour de l'excellent polar caméléon Mise à Prix pour ensuite nous décevoir (désolé les fans) avec un blockbuster imberbe, l'Agence tous Risques. En 2012, il nous revient avec un survival aussi acéré que le tranchant d'une lame, Le Territoire des loups. Et il faut peut-être remonter au mythique Délivrance de John Boorman (oui j'ose la comparaison) pour retrouver une telle intensité, un tel sentiment insécure, un souffle si désespéré pour la sombre destinée d'une poignée de survivants confrontés aux monstres tapis dans l'obscurité au sein des décors enneigées d'une nature hostile. 

Synopsis: Un avion transportant des ouvriers d'une compagnie pétrolière s'écrase dans les montagnes du Grand Nord. Un groupe de survivants devra se soumette à l'autorité de John Ottway, solitaire nihiliste profondément marqué par la mort de sa femme. Rapidement, une horde de loups voraces défient les intrus alors que John tentera de sauvegarder son équipe par sa pratique émérite à déjouer l'instinct du carnassier. 
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Le survival, l'aventure, le suspense, l'action, la catastrophe, l'horreur et surtout la terreur sont habilement agencés pour nous illustrer sans fioriture aucune une odyssée humaine désabusée au réalisme imparable. Car à travers les montagnes rocailleuses, si enneigées du Grand Nord, Joe Carnahan nous entraîne au coeur d'un enfer terrestre parmi l'intrusion d'une poignée de survivants d'un crash aérien confrontés à la sauvagerie d'une meute de loups. Le sombre récit annonçant la couleur blafarde dès son préambule avec la tentative de suicide de notre expert en chasse, un braconnier de loups employé à préserver la vie de foreurs d'une compagnie pétrolière. Car John Ottway est un veuf accablé par le chagrin de son épouse, toujours plus dépité par la nature délétère de l'homme. Il décide alors rejoindre sa défunte à un moment opportun avant de se raviser suite aux hurlements plaintifs d'un loup entendu dans la forêt adjacente. Le lendemain, après avoir embarqué dans l'avion parmi son équipe pour rejoindre l'Alaska, l'engin s'écrase en pleine nature déshéritée. Le réalisme de cette catastrophe nous ébranle sans prévenir de par sa brutalité aride sobrement illustrée. Filmé en interne de l'appareil incontrôlé, la panique générale allouée aux voyageurs crispés sur leur siège nous saisit d'une terreur sourde. Un vacarme d'apocalypse où leurs cris de frayeurs s'entremêlent avec le bruit assourdissant des moteurs en flamme et de taules déchiquetées. Dès le prélude, Joe Carnahan insiste à nous décrire sa vision hyper réaliste et dérangée de l'agonie humaine lorsque l'un des survivants sévèrement mutilé sera confronté à sa pire labeur, sa propre mort en direct face au témoignage de ses compagnons démunis. Ce sentiment morbide de la peur de trépasser, cette affres d'y rejoindre un ailleurs anonyme vont planer durant la totalité du récit sur la psyché désarmée de nos rescapés à bout de souffle. Une poignée d'hommes à caractère aussi bien distinct que trempé, confrontés au froid réfrigérant d'une contrée à la fois inconnue et sauvage, à la famine et à la fatigue de l'épuisement. Mais surtout des hommes faillibles auprès de leur sentiment d'orgueil, de vanité ou d'arrogance (l'inattention, l'imprudence, la phobie et leur conflit d'égo les mèneront fatalement au déclin). Des quidams perplexes de leur destinée, rapidement accablés par le désespoir car gagnés par la peur si envahissante de trépasser. Ainsi, durant ce périple improvisé où plane incessamment la mort, chaque protagoniste se confrontera à sa propre idéologie, une remise en question spirituelle sur le sens de leur propre destinée. De par cette terreur innée de trépasser dans un avenir proche au milieu d'une écologie rigoureusement menaçante et par cette crainte primitive d'être violenté par la sauvagerie du loup, nos ultimes rescapés devront se mesurer à leur courage et bravoure pour tenter de s'extraire d'un calvaire toujours plus sinistré. Si bien que leurs nerfs autant que les nôtres seront mis à rude épreuve sous l'impulsion d'une intensité dramatique à la limite du supportable (l'ultime demi-heure est un long moment d'anthologie auprès de nos derniers rescapés en proie à une épreuve de force toujours plus éreintante). 


Or, cette atmosphère terriblement mortifère est d'autant mieux rendue par l'immensité de l'environnement naturel, par ces tempêtes de neige fluctuantes au vent ardent fouettant les visages burinés de nos héros davantage exténués. Quand bien même dans l'obscurité, la présence nuisible, souvent latente des loups, ne fera qu'accentuer ce sentiment insécure prégnant auprès d'eux et surtout leur frayeur sensitive de craindre d'être dévorés par les maîtres des lieux. Il faut d'ailleurs insister sur la physionomie de ces fauves enragés impressionnant de robustesse à travers leur présence iconique, particulièrement épeurants lors des attaques sournoises violemment perpétrées sur les proies humaines. Et personnellement, de mémoire d'amateur éclairé, je n'avais pas ressenti une terreur aussi primale et désorientée face à l'hostilité animale depuis les lycanthropes du Loup-Garou de Londres (son préambule auquel les 2 héros sont égarés dans la campagne nocturne des landes) ou encore Hurlements (l'agression de Terry Fisher dans la cabane). 

Dans un rôle viril de meneur de groupe intarissable, Liam Neeson crève l'écran pour sa stature imposante, son intelligence d'esprit, son sens de camaraderie et surtout sa pugnacité chevronnée à livrer un combat sans merci contre l'ennemi quasi invisible. Mais aussi et surtout sa dimension humaine accablée par la perte d'un être cher qui le hante durant tout le périple. Son éthique également à accepter ou stigmatiser sa foi mystique. L'épilogue littéralement bouleversant car d'autant plus équivoque ne manque pas d'y suggérer un dernier acte de bravoure, un baroud d'honneur pour cet homme livré à sa seule raison, sa foi de croire en lui pour s'extirper de la mort.


Rédemption
Spectaculaire et intense, proprement terrifiant et si désespéré, Le Territoire des Loups est un survival implacable d'une acuité émotionnelle vulnérable autant qu'un drame humain d'une densité bouleversante auprès des remises en question morale initiatiques. Sa mise en scène documentée transcendant la beauté sauvage de ces montagnes enneigées, l'interprétation viscérale des comédiens, son climat funèbre imparti au sens de la vie nous acheminant au grand moment de cinéma à travers cette montée progressive de la tension horrifique où chaque survivant appréhende autant qu'il aménage sa future mort. Une référence dont il est impossible de sortir indemne. 

*Bruno
08.01.25. 2èx. Vost.
14.03.12. 

Le tournage a lieu de janvier à mars 2011. Il se déroule en Colombie-Britannique au Canada, notamment à Vancouver et Smithers. Le tournage a été particulièrement éprouvant pour l'équipe en raisons des températures négatives et du phénomène de blanc dehors.
Liam Neeson raconte : « Pendant les premiers jours, c’était tout bonnement physiquement impossible. Il fallait que l’on mémorise nos répliques, mais c’était comme si nos cerveaux avaient gelé… Nous n’étions capables de penser qu’à une seule chose : se réchauffer. »

 

mardi 13 mars 2012

EXTREMEMENT FORT ET INCROYABLEMENT PRES ( Extremely Loud and Incredibly Close)


de Stephen Daldry. 2011. U.S.A. 2h09. Avec Tom Hanks, Thomas Horn, Sandra Bullock, Zoe Caldwell, Dennis Hearn, Paul Klementowicz, Julian Tepper, Caleb Reynolds, John Goodman, Max Von Sydow.

Sortie salles France: 29 Février 2012. U.S: 20 Janvier 2012

FILMOGRAPHIE: Stephen Daldry est un réalisateur et producteur anglais, né le 2 Mai 1961 dans le Dorset.
2000: Billy Elliot
2002: The Hours
2008: The Reader
2011: Extrêmement fort et incroyablement près
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D'après le best-seller de Jonathan Safran Foer, Extrêmement fort et incroyablement près est un mélodrame bâti sur le trauma post 11 septembre que toutes les familles endeuillées ont dû endurer. Le réalisateur Stephen Daldry s'intéresse ici au cas d'un enfant précoce de 9 ans, un élève surdoué incapable d'assumer la mort de son paternel mais qui va apprendre au fil de ses investigations la foi inhérente de subsister.

Oska est un jeune élève de 9 ans, studieux et perspicace mais incapable de réfréner un florilège de  phobies existentielles dans le monde qui l'entoure. Le jour du 11 septembre 2001, son père meurt sous les décombres d'une des tours jumelles du World Trade Center. Après l'enterrement, blotti dans une pièce secrète de sa chambre, il se réfugie longuement à travers ses souvenirs de photos et objets familiers en mémoire de son père.  
Un jour, il renverse incidemment un vase rangé sur l'étagère d'un sellier. C'est là qu'il découvre une clef à l'intérieur d'un buvard où est inscrit au verso le mot "Black". Il décide de retrouver la fameuse serrure qui pourrait lui saisir la chance d'en savoir plus sur son père. 
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A la manière d'un jeu de piste ludique, Extrêmement fort et incroyablement près est un récit initiatique entrepris par un jeune garçon traumatisé par la disparition brutale de son père. Par le biais d'une commémoration aux victimes du 11 septembre, le réalisateur nous façonne un drame intime, une introspection délicate sur la fragilité de l'enfance et de son refus de se soumettre à l'horrible réalité des faits imposés. Réfugié dans sa solitude et dépréciant sa mère en guise de rancoeur, Oskar souhaite découvrir le secret d'une clef qui pourrait lui permettre de renouer une dernière fois avec la mémoire de son père espiègle, préalablement complices de jeux pédagogiques en guise d'éducation spéculative.
Pour retrouver cette fameuse serrure occultée dans la cité urbaine de New-York, Oskar va devoir répertorier tous les patronymes commençant par "Black" et croiser des citadins éclectiques à l'ethnie différente. ATTENTION SPOILER !!! Avec l'aide du nouvel ami de sa grand-mère, un bailleur mutique, l'enfant va peu à peu apprendre à évoluer et réprimer ses peurs par la résolution d'une énigme fortuite auquel un témoin avait enduré une relation conflictuelle avec son géniteur fraîchement décédé. FIN DU SPOILER
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Réalisé avec tact et une sensibilité fébrile, beaucoup de critiques ont reproché son caractère lacrymal trop prononcé alors que la narration aléatoire et contée sans fioriture provoque une intense émotion dans ces moments les plus impondérables. Privilégié par un quatuor de comédiens tout à fait tempérés dans leurs états d'âme discrédités ou lamentés, le réalisateur réussit à provoquer une violente émotion incontrôlée lors de moments flegmatiques auquel nos personnages se sont réfugiés en guise d'exutoire.
S'il est concevable que son final insiste parfois un peu trop à tirer sur la corde sensible, ce mélodrame inscrit dans l'humilité se révèle à mon sens beaucoup plus sincère et modeste que nombre de productions conventionnelles abusant de pathos pour faire pleurer dans les chaumières.
A travers l'enquête minutieuse élaborée par Oskar, Extrêmement fort... aborde le thème du deuil insurmontable auprès des défunts et surtout de la difficulté de réprimer ses angoisses. Le courage de transcender la peur intrinsèque de la mort pour mieux affronter l'effervescence de notre vie auquel chaque jour peut nous être gratifié à la manière d'un miracle.
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Si Sandra Bullock surprend par sa retenue à endosser avec vulnérabilité une femme anéantie par le chagrin et que Max Von Sydow impose une composition sombre et torturée dans celui du bailleur âgé, c'est le jeune Thomas Horn qui crève ici littéralement l'écran ! Il interprète de manière magistrale le rôle hétérogène d'un petit gamin aussi adroit et débrouillard que profondément perturbé et tourmenté par la disparition brutale de son géniteur. La séquence difficile auquel Oskar se résout d'acculer le bailleur à écouter les messages d'adieu inscrits sur répondeur téléphonique par un père accablé, font parti des moments les plus durs et éprouvants du film. Dans ses rares apparitions, Tom Hanks se révèle traditionnellement talentueux dans son jeu décontracté de paternel plein d'aplomb à daigner éduquer son fils de la manière la plus prospère.
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Superbement interprété, mis en scène avec pudeur et tempérance et émaillé de séquences aussi poignantes que déchirantes (la dernière demi-heure vaut son pesant d'émotion cathartique), Extrêmement fort et incroyablement près est un fragile récit initiatique auscultant les névroses d'un enfant prodige scindé entre sa soif d'acquérir les connaissances et la douleur cinglante de la perte de l'être aimé.  En rendant un hommage déférent aux victimes des attentats du 11 septembre, ce mélodrame bouleversant réussit à convaincre et séduire par son habile narration dédiée à la culpabilité de ces protagonistes. Des personnages meurtris ou désunis mais confrontés à leur leçon de vie et de tolérance. 
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13.03.12
Bruno Matéï

lundi 12 mars 2012

Christine


de John Carpenter. 1983. U.S.A. 1h50. Avec Keith Gordon, John Stockwell, Alexandra Paul, Robert Prosky, Harry Dean Stanton, Christine Belford, Roberts Blossom, William Ostrander, David Spielberg.

Sortie salles France: 25 Janvier 1984. U.S: 9 Décembre 1983

FILMOGRAPHIE: John Howard Carpenter est un réalisateur, acteur, scénariste, monteur, compositeur et producteur de film américain né le 16 janvier 1948 à Carthage (État de New York, États-Unis). 1974 : Dark Star 1976 : Assaut 1978 : Halloween, la nuit des masques 1980 : Fog 1981 : New York 1997 1982 : The Thing 1983 : Christine 1984 : Starman 1986 : Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin 1987 : Prince des ténèbres 1988 : Invasion Los Angeles 1992 : Les Aventures d'un homme invisible 1995 : L'Antre de la folie 1995 : Le Village des damnés 1996 : Los Angeles 2013 1998 : Vampires 2001 : Ghosts of Mars 2010 : The Ward


"Laisse-moi te dire ce que je pense de l'amour Denis. L'amour à un appétit vorace. Il te bouffe tout. Les amis, la famille. Tout ce que ça bouffe, ça me sidère. Mais ce que je sais maintenant... C'est que si tu le nourris bien, ça peut devenir une belle chose. Et c'est ce qui nous arrive. Quand tu es sûr que quelqu'un croit en toi, tu peux tout faire. Faire tout ce dont tu as envie. Et si en plus tu crois toi-même en l'autre,... mon vieux... Alors attention le monde, personne ne pourra jamais t'arrêter, jamais !". 
 
"Fury amoureuse". 
Un an après l’échec public et critique de The Thing, John Carpenter adapte un roman de Stephen King : Christine. Une œuvre injustement – voire inexplicablement – reléguée au rang de pièce mineure dès sa sortie. Qu’on se le dise ! C’est pourtant une clef de voûte du fantastique moderne, une variation ensorcelante sur le thème du vampirisme, entre un adolescent introverti et sa Plymouth Fury d’un rouge immaculé : Christine.

Le pitch : Arnie, ado timide et gauche, peine à trouver sa place. Son meilleur ami Dennis tente de l'encourager à séduire la nouvelle du lycée, Leigh. Mais un après-midi, alors qu’ils roulent à travers une route bucolique, Arnie tombe sous le charme d’une vieille carcasse rouillée abandonnée dans le jardin d’un vieil homme. Il demande à Dennis de s’arrêter sur le bas-côté, puis décide sur un coup de tête de l’acheter pour 250 dollars. Une étrange relation amoureuse s’initie alors entre Christine et lui.


"Elle sentait bon la voiture neuve, sûrement la meilleur odeur au monde, à part une chatte peut être" 
Avec un postulat à deux doigts du ridicule, Carpenter réussit pourtant l’immense gageure de nous faire croire à l’histoire d’un adolescent vampirisé par une voiture. Porté par un style formel d’une grande élégance et par de jeunes interprètes étonnants de sincérité, Christine fascine d’emblée par son ton résolument fantasmatique – la voiture électrise littéralement chaque apparition – et son essence tragique : la déshumanisation d’Arnie. Carpenter signe ici une tragédie funèbre au pouvoir d’envoûtement indéfectible. L’histoire d’un amour fou entre un adolescent et une Plymouth Fury délabrée. Sous l’emprise de Christine, Arnie se métamorphose : revanchard, orgueilleux, égocentrique – prêt à dévorer quiconque se mettrait entre elle et lui. Désinhibé, il parvient même à séduire la plus belle fille du lycée. Mais Christine, d’une jalousie maladive, n’entend pas partager.
 

En maître-conteur, Carpenter donne chair aux personnages gravitant autour d’Arnie : Leigh, Dennis, les parents démunis... Tous assistent, impuissants, à la mue maléfique de ce garçon rongé par sa passion métallique. Si le récit bouleverse, c’est autant par ses accès de violence que par la sobriété désespérée de ceux qui le peuplent. Lorsque Christine, désossée, affronte le regard de son maître furibond, quelque chose d’étrangement poignant se joue. Dans cette fusion intime entre un garçon solitaire et sa voiture, on touche à l’obsession pure, à la folie amoureuse. Keith Gordon incarne un Arnie bouleversant de rage contenue, le regard illuminé par une ferveur malsaine.

Avec peu d’effets spéciaux, Carpenter livre pourtant des séquences inoubliables : la résurrection de Christine, reconstituée pièce par pièce dans l’obscurité d’un garage désert ; les poursuites nocturnes baignées d’une lumière surnaturelle ; ou cette atmosphère d’outre-monde qui imprègne les rues d’une bourgade américaine trop tranquille. Pour parachever cette ambiance de cauchemar doux, la bande-son composée avec Alan Howarth injecte une mélancolie vénéneuse à chaque plan – un électro funèbre qui tourne chez moi en boucle, chaque mois.


"Rouge passion, chrome sanglant".
Raconté avec une simplicité limpide, Christine n’en demeure pas moins un chef-d’œuvre maudit, d’une beauté baroque et d’une intensité émotionnelle à fleur de métal. À travers les métamorphoses de ses personnages, gagnés par la peur, le désarroi ou la cruauté ; à travers cette atmosphère irréelle, presque indicible ; et surtout à travers sa musique ensorcelante, le film de Carpenter transcende le genre fantastique. Fable sur le fétichisme, la jalousie, l’amour dévorant, Christine devient le portrait d’un vampire de tôle, se nourrissant des sentiments d’un adolescent désarmé. Magnétique, venimeuse, rutilante : Christine crève l’écran – et dans sa dernière course, on en viendrait presque à l’aimer.

* Bruno
12.03.12
6èx


vendredi 9 mars 2012

ILSA LA LOUVE DES SS (Ilsa, She Wolf of the SS / Le Nazi était là, les Gretchen aussi)


de Don Edmonds. 1974. U.S.A/Allemagne. 1h36. Avec Dyanne Thorne, Gregory Knoph, Tony Mumolo, Maria Marx, Nicolle Riddell, Jo Jo Deville, Sandy Richman, George 'Buck' Flower, Rodina Keeler, Wolfgang Roehm.

Sortie salles U.S: Octobre 1975

FILMOGRAPHIE: Don Edmonds est un réalisateur, acteur, producteur, scénariste et cascadeur américain, né le 1er Septembre 1937 dans le Kansas City, décédé le 30 Mai 2009 en Californie.
1972: Wild Honey. 1973: Tender Loving Care. 1974: Ilsa, la louve des ss. 1976: Southern Double Cross. 1976: Ilsa, Gardienne du Harem. 1977: Bare Knuckles. 1980: Demon Rock. 1991: Tomcats Angels. 1991: Les dessous de Palm Beach (Série TV. Pilot).


Film fondateur du Nazisploitation (si on écarte l'oeuvre abstraite Portier de Nuit, réalisé la même année - critique détaillée ici -http://brunomatei.blogspot.com/2011/11/portier-de-nuit.html), Ilsa, la Louve des SS fut un tel succès lors de sa sortie en salles en 1975 que deux autres suites furent rapidement mises en chantier. Il faut reconnaître l'audace indécente du cinéaste d'avoir osé exploiter à l'écran l'holocauste du nazisme de la guerre 39/45 sous la structure d'un pur film d'horreur complaisant et putassier. D'ailleurs, plusieurs cinéastes de tous horizons ne vont pas hésiter à profiter du nouveau filon hérité du WIP (Woman In Prison) en façonnant d'autres rejetons tout aussi vulgaires, voirs encore plus incongrus (la Dernière orgie du 3è Reich, Train Spécial pour Hitler, SS Camp 5, Holocaust Nazi ou encore KZ9 Camp d'Extramination). Deux auteurs frondeurs parviendront néanmoins à livrer des films artistiquement ambitieux et dialectiques avec justement Portier de Nuit de Liliana Cavani et Salon Kitty de Tinto Brass. Amis du bon goût, il est maintenant temps pour vous de plier bagage !


A la fin de la seconde guerre mondiale, Ilsa, officier SS lubrique et tortionnaire exploite son nouveau camp de prisonniers dans une contrée germanique. Epaulé par ses officiers, elle se livre à diverses expériences médicales sur ses patientes molestées par le supplice de la torture. Mais l'arrivée d'un groupe de détenus mâles va considérablement changer la donne quand l'un d'eux, Wolf, décide d'entraîner le groupe à l'insurrection. Quand on revoit aujourd'hui Ilsa, la louve des SS, on se rend compte à quel point les années 70 furent l'époque de toutes les transgressions et des déviances. Dans un alliage de sexe putanesque et de violence crade, ce pur produit d'exploitation proche de la bande dessinée accorde un intérêt très limité dans ses péripéties sordides alignant nombre de scènes de tortures aussi abjectes que vomitives. Sorte de Saw avant gardiste où ici notre tortionnaire utilise sur ces patients des ustensiles rubigineux et nombre d'idées utopiques afin de leur contracter les maladies les plus contagieuses et létales en guise de mégalomanie. Ces pratiques barbares sont également vouées à une ambition toute personnelle car purement sadienne, à savoir quel sujet pourra réussir à supporter la plus grande douleur sur un laps de temps indéfini !


Le film mollement réalisé parvient tout de même à préserver un certain intérêt grâce à cette surenchère sadique d'étaler à intervalle régulier (voire, sans discontinuer !) nombre de scènes gores hardcores et orgies sexuelles vouées à la débauche la plus cynique. Mais Ilsa possède également un atout de choix en la présence iconique de l'inoubliable Dianne Thorne. Une actrice blonde extravertie qui en rajoute des tonnes dans la cabotinerie pour incarner une officière allemande adepte du fétichisme, n'hésitant jamais à se dévêtir pour copuler et ainsi afficher fièrement l'opulence de sa poitrine. Mais une interprète exubérante, véritable garce de l'outrance et de l'outrage immoral, réussissant à invoquer auprès du spectateur une fascination/répulsion dans ses méfaits licencieux particulièrement insatiables. L'atmosphère malsaine qui émane des décors sépias d'un camp de prisonniers vétuste jusqu'aux laboratoires expérimentaux souillés par les éclaboussures de sang participe également à accentuer son climat étouffant, voir parfois dérangeant. Heureusement, pour mieux faire passer la pilule du mauvais goût, Ilsa, la Louve... possède une aura typiquement kitch et ringarde parmi le surjeu de ces acteurs, par ses décors approximatifs (le camp est en faite la même scénographie préalablement utilisée dans la fameuse série TV Papa Schultz !) et par son ton grossier plein d'extravagance.

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Volontairement obscène, cul et hardgore, Ilsa, la Louve des SS est un nanar malotru mais foutraque, insolent et paresseux dans sa trame linéaire dénuée d'intérêt. Par son ambiance aussi malsaine que cartoonesque, ce pur produit Bis estampillé seventie garde intact son impact choquant dans ses tortures les plus déviantes. Une curiosité insensée à revoir d'un oeil distrait, d'autant plus que Dianne Thorne mène la sarabande graveleuse avec une spontanéité assumée ! A réserver néanmoins à un public préparé et à subir au 10è degré !
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Dédicace à l'Antre du Bis et de l'exploitation
09.03.12
Bruno Matéï