lundi 13 octobre 2025

Good Boy de Ben Leonberg. 2025. U.S.A. 1h13.

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"Dans les yeux du chien, la peur a un visage."

Armé d’un concept aussi couillu que casse-gueule, Ben Leonberg parvient, avec autant d’habileté que d’ambition, à ne jamais le faire sombrer dans le ridicule.

Entièrement tourné du point de vue d’un chien réduit à la solitude dans une demeure potentiellement hantée, aux côtés d’un maître rongé par le cancer, Good Boy exploite à merveille chaque recoin de cette étrange bâtisse, avec une maîtrise technique terriblement inspirée - fréquemment à hauteur du chien. Par la force de cette mise en scène inventive, auscultant les réactions de stupeur et d’appréhension d’un simple animal, nous participons à une expérience horrifique comme nul autre film n’avait su l’oser.
Mais si Good Boy demeure si singulier, si dérangeant, si déstabilisant - c’est dans sa faculté sensorielle à nous confondre à la place du chien. Comme lui, nous ne comprenons jamais tout à fait ce que nous voyons, ni ce que nous subissons. Le réalisateur brouille les frontières entre rêve, hallucination et réalité, au gré de visions opaques d’une entité fangeuse, sournoise, pernicieuse - sans pitié.


À travers l’impuissance et la fragilité d’un simple canidé pris au piège d’une expérience surnaturelle bâtie sur l’incompréhension, l'impuissance et la cruauté, Good Boy nous enferme dans une double position inconfortable : celle du voyeur et de la victime. Une intensité émotionnelle que l’on ne voit jamais venir à travers son initiation héroïque doublée d'une une tension oppressante qui va délicatement crescendo. C’est là que réside la force, la véracité de cette hantise démoniale vue à travers les yeux d’un acteur canin d’une expressivité désarmante. Jusqu’à ce final subtilement émouvant par le non-dit qui refuse le happy-end attendu.

En matière d’horreur, si l’année 2025 ne déroge pas à la règle qualitative, Good Boy prouve qu’avec de l’ambition et l’intelligence de ne pas prendre le spectateur pour un ado ou un imbécile, il est encore possible d’offrir des œuvres qui s’impriment durablement en nous. Avec ce sentiment noble et rare d’avoir participé à quelque chose de neuf, de réellement novateur, au cœur du vieux thème de la maison hantée.

Une sacrée surprise donc, qui laisse derrière elle un frisson persistant, trouble et dérangeant, un souffle de hantise jamais vraiment éteint bien après le générique.

— le cinéphile du cœur noir

samedi 11 octobre 2025

Shiva Baby

                                 (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site Imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives)

"Le sabbat des identités."
Quand on tombe, par pur hasard, ou plutôt par rendez-vous, sur une énorme surprise.
L’histoire, d’une simplicité désarmante, déroute d’emblée. On se demande à quoi rime cette réunion funéraire, et surtout où la réalisatrice veut nous embarquer dans ce huis clos faussement affable. 
Il ne se passe rien - ou presque - et pourtant tout vibre : une ambiance inquiétante, décalée, ironique, terriblement caustique, d’une intensité détonante.

Tout repose sur les regards, les non-dits, les postures hypocrites. Et surtout, grâce au jeu habité des comédiennes et à une mise en scène baroque, presque cartographique dans sa dimension horrifique, Shiva Baby devient une épreuve de force psychologique, impossible à effacer de la mémoire sitôt le générique clos.

Cette farce juive à base d'anxiété, de judaïsme, de bisexualité, d’une maîtrise chirurgicale, ne dure qu’une heure treize - et pourtant, on en ressort dépité, frustré de sa brièveté. 

Gratitude à Rachel Sennott, étudiante peu recommandable, au bord du chavirement, en pleine crise identitaire face à une assemblée bourgeoise rongée de névroses. Elle éclate l’écran, de la première à la dernière seconde. On voudrait ne jamais la quitter. Trop tard… le rideau est déjà tombé.

P.S: 12 récompenses à travers le monde sur 43 nominations.

— le cinéphile du cœur noir

jeudi 9 octobre 2025

En première ligne / Heldin de Petra Biondina Volpe. 2025. Suisse/Allemagne. 1h33.

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"Le souffle des épuisés."

Avant-propos: "D’ici à 2030, il manquera en Suisse 30 000 membres du personnel infirmier. 36 % du personnel infirmier démissionne quatre ans après sa formation. La pénurie de soignants dans le monde est une crise sanitaire planétaire. L’OMS estime qu’il manquera 13 millions de soignants d’ici à 2030."

Production germano-suisse, En première ligne suit le quotidien d’une infirmière, Floria Lind, dans un hôpital suisse en sous-effectif chronique. Par son réalisme clinique et son immersion sensorielle, le film capte d’emblée l’essence du réel : celui d’un monde épuisé, au bord de la rupture. Soutenu par le jeu d’acteurs d’une vérité presque documentaire - notamment celui, habité, de l’Allemande Leonie Benesch -, En première ligne impose une humanité brute, charnelle, portée par une lumière laiteuse, bleutée, d’une froideur presque anesthésiante.

                                             
 
De sa démarche alourdie à son regard inlassablement tourné vers l’autre, Leonie Benesch incarne une femme pugnace, ancrée dans la sollicitude et la résistance tranquille. Malgré la fatigue qui ronge, la lassitude qui creuse, elle avance - droite, entière, traversant cette journée harassante faite de gestes répétés, de douleurs reçues, d’espoirs infimes. Ses rencontres, souvent âpres - patients irrévérencieux, égoïstes, parfois enfantins - révèlent peu à peu des éclats de bonté, de fragilité, d’altruisme. Sous la provocation affleure la peur ; sous l’amertume, un sursaut de conscience.

À travers ces visages abîmés par la maladie, En première ligne bouleverse sans prévenir. Il montre comment, dans la détresse, certains retrouvent encore la lumière - celle qu’une infirmière courageuse allume par sa seule présence, son abnégation, son humanité intacte. Vibrant, sans jamais sombrer dans le misérabilisme ou la sinistrose, le film dresse un témoignage d’une rare justesse sur la fatigue morale du corps infirmier, dans une société exsangue, vidée de compassion, d'ambition et d’effectifs. 

Porté par une mise en scène d’une intensité dramatique maîtrisée - caméra fluide, mouvements circulaires d’une précision organique -, Petra Volpe signe une œuvre profondément habitée, entre docu-vérité et drame viscéral. En première ligne ébranle nos émotions, ravive notre empathie, et nous confronte à une évidence : derrière chaque blouse blanche se cache une âme au bord du gouffre, mais debout encore, par devoir d’aimer, par nécessité de soigner. Bouleversant, comme le suggère en douceur cet ultime plan d’une solidarité féminine, pudique et tendre, qui nous laisse sans voix. 

— le cinéphile du cœur noir

mercredi 8 octobre 2025

Monster: Ed Gein. 2025. U.S.A. 8 épisodes.

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"Larmes sur un visage de cuir."

Tout bien considéré, que penser de cette série scindée en huit épisodes à la fois troubles, malaisants, équivoques, expérimentaux, voire bouleversants - si je me réfère au dernier, déchirant, à ma grande stupeur ? Car je n’ai jamais ressenti de véritable empathie durant ces sept premiers épisodes inégaux, où je ne savais trop où les créateurs souhaitaient nous mener. Est-ce un portrait psychologique ? Un commentaire culturel ? Un hommage à la starification des serial killers, confondant admirablement fiction et réalité - avec ces scènes de tournage de Massacre à la Tronçonneuse et Psychose ?

Pourtant, l’épisode final m’a tétanisé. Une émotion brute, à vif. Jamais, dans ma vie de cinéphile, un tueur en série n’avait su me faire pleurer - par la force tragique de son humanité. Les créateurs prétendent l’humaniser tout en persévérant dans l’extravagance de ses hallucinations morbides, où Ed Gein se starifie auprès des pires monstres de l’histoire, par absence d’amour, de soutien, de réconfort - dans une société normalisée, incapable de concevoir que, parfois, derrière un monstre, se cache une part d’homme.


Ed Gein est bel et bien une victime : des sermons de sa mère bigote, de sa misanthropie - autant de haine pour l’homme que pour la femme - et d’une solitude qui ne trouve refuge que dans les délires fuyants d’une nécrophilie galopante passée sa fascination pour le génocide juif. Le contenu de cette série hors norme bouscule nos habitudes : déstabilisante, rarement immersive (en dépit d’un final cathartique flirtant avec le chef-d’œuvre élégiaque), elle conjugue - avec un soin formel et une efficacité technique remarquables - scènes psychologiques, horreurs sardoniques et mythologie du mal, de façon volontairement incohérente.

La plupart des épisodes fascinent autant qu’ils empêchent toute immersion, nous laissant perplexes devant le sens de ce que nous voyons et subissons - notamment dans le partage quelque peu commun, dans cette relation romanesque entre Eddie et une jeune fille à la nécrophilie refoulée (superbement incarnée par la force de vérité naturelle de Suzanna Son). Le rythme, parfois langoureux, détaché, effleure l’émotion sans l’étreindre. Et pourtant, impossible de détourner le regard : Charlie Hunnam, habité, transperce l’écran, jusqu’à m’arracher les larmes d’une délivrance, lors d’un adieu inoubliable.
 
 
La série interroge notre instinct voyeuriste, la fascination pour ces monstres que la société a engendrés, l’héritage d’une violence perverse et sadique, sans cesse reproduite, jusque dans l'ombre, le spectre du nazisme, la starification du crime que le cinéma érige en mythe. Ed Gein, lui, nous désarme dans sa condition de victime criminelle, recluse, incomprise, consumée par sa schizophrénie maternelle.

Alors que penser de cette série malade, qui nous invite à sonder le monstre tapi en chacun de nous ? Que la valeur d’un homme se juge peut-être à la manière dont il affronte ce monstre enfoui. Quoi qu’on en dise, Ed Gein est à revoir : il ne laisse pas indifférent, nous extirpe de notre zone de confort sans anesthésie, bouleverse notre quotidien cinéphile de par son réalisme trouble, glauque (en mode léché) et équivoque. Une œuvre libre, décalée, putassière, d’un humanisme aussi torturé que désespéré. On en sort impassible, bien que miné, comme une tragédie moisie.

 
Quant à ceux et celles qui ont détesté, les raisons argumentées tiennent la route.

— le cinéphile du cœur noir
 

lundi 6 octobre 2025

Les Enquêtes du département V: Dossier 64 de Christoffer Boe. 2018. Danemark / Allemagne. 1h58.

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"Nete, la cicatrice du siècle."

Sans hésitation aucune, Dossier 64 marque, selon moi, le sommet de la saga du département V.
Dernière enquête de nos inspecteurs Carl Mørck et Assad, c’est un film d’une intensité dramatique éprouvante à son diapason, qui manie avec une rare habileté l’art de la suggestion.
Inspiré d’un pan sombre de l’histoire danoise - les stérilisations forcées de 11 000 femmes entre 1934 et 1967 -, il laisse planer l’ombre du fascisme sur une affaire effroyable remontant à 1961. À cette époque, le docteur Curt Wad pratiquait sur des patientes marginales des abus sexuels suivis de stérilisations, au nom d’une idéologie malade.

Le récit s’ancre dans le regard d’une jeune femme, Nete, enceinte de son cousin, que Carl et Assad retrouvent en filigrane d’une enquête ouverte après la découverte macabre de trois squelettes dans un appartement abandonné. Tout ici glace le sang : les exactions sexuelles filmées hors champ, les patientes condamnées à avorter puis stérilisées au nom d’un héritage moral bâti sur l’épuration ethnique, la haine de la différence et de l’étranger.


Rigoureusement malaisant, tendu à l’extrême, Dossier 64 porte en lui une émotion bouleversante, celle d’une romance inconsolable que Nete traînera toute sa vie comme une cicatrice. Du côté de Carl et Assad, c’est une autre blessure : celle d’une amitié forgée dans le chaos, éprouvée par des revirements tragiques où la survie ne tient souvent qu’à un fil.

Implacable, impeccablement mené, ce récit fiévreux explore une corruption tentaculaire - bureaucratique, médicale, politique, policière - et s’impose comme une méditation sur la mémoire refoulée d’un pays. Il montre comment le mal se recycle, se perpétue, se dissimule dans les institutions les plus respectables.
 
Avec un réalisme aussi perturbant que bouleversant, et par la gravité de son sujet, on est pas loin du chef-d'oeuvre.

— le cinéphile du cœur noir
vf

dimanche 5 octobre 2025

Pris au piège / Caught Stealing de Darren Aronofsky. 2025. 1h47. U.S.A.

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"Pris au piège du coup de cœur."

Il y a des films, comme ça, dont on n’attend pas grand-chose, et qui, sitôt le générique clos, s’imposent comme un coup de cœur.

Car si Pris au piège n’est qu’une récréation en bonne et due forme, il demeure d’une sincérité rare : attachant, retors, enlevé, surprenant - un récit frétillant où humour et violence s’entrelacent pour mieux nous surprendre dans une rupture de ton aussi grave que bouleversée. On ne peut que lui vouer le respect.

Constamment fun et captivant, ce jeu de piste où des criminels lunaires se disputent un trésor compose, en creux, l’histoire initiatique d’un jeune serveur passionné de base-ball. Sa traque devient une quête de rédemption, même si son dénouement badin se moque bien du politiquement correct - alibi parfait d’une comédie noire que Darren Aronofsky met en scène avec un savoir-faire désarmant.

Outre sa galerie d’illustres acteurs délicieusement investis dans la déconnade, Pris au piège repose sur l’alchimie brûlante du duo Zoë Kravitz / Austin Butler. Et si ce dernier m’avait laissé de marbre dans The Bikeriders, il se révèle ici d’une humanité à fleur de peau, fébrile et fragile, émouvant dans la pudeur sans jamais forcer l’émotion. Kravitz, quant à elle, irradie d’un charme tranquille, d’une grâce mutine et affable : elle apaise là où tout vacille, ancre la folie du film dans un sourire, une caresse, un regard presque trop doux pour ce monde de violence froide et sournoise.

Excellente surprise, donc, que cette comédie policière rondement menée : Pris au piège (oubliez ce titre sans relief) renoue avec le divertissement du samedi soir, celui où l’intelligence, le peps et l’implication se font presque sacerdoce.

— le cinéphile du cœur noir

samedi 4 octobre 2025

The Lost Bus de Paul Greengrass. 2025. U.S.A. 2h09.

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"The Lost Bus : l’enfer forestier de l’âme et des flammes."
 
Fans de récits catastrophistes adultes, humbles, et surtout intelligemment traités sans complaisance racoleuse, The Lost Bus a de quoi vous clouer au siège deux heures durant. Paul Greengrass, réalisateur émérite, nous immerge dans son enfer forestier en y imprimant sa signature auteurisante - un parti-pris déjà amorcé avec Bloody Sunday, Un 22 Juillet ou encore le traumatisant Vol 93. Caméra à l’épaule, au plus près des stratagèmes de pompiers et secouristes aussi interrogatifs que sur le qui-vive, il nous embarque tête baissée dans une descente aux enfers, inspirée de faits réels survenus en Californie en 2028.
 
Kevin, chauffeur de bus désargenté, accablé par la mort récente de son père et ses conflits incessants avec son fils, doit en prime s’occuper de sa mère grabataire. Lorsqu’un incendie ravage sa bourgade, il se heurte à un dilemme : rapatrier des enfants d’école pour les sauver, ou tenter de protéger sa mère et son fils bientôt pris dans l’étau du désastre. 
 

Ce pitch métaphorique développe, avec un humanisme à la fois torturé, fragile et stoïque, l’épreuve d’un père seul contre tous - épaulé seulement par une partenaire de survie improvisée. Dans sa lutte, Kevin cherche à conjurer son manque de confiance, sa perte identitaire, hérité d’un père démissionnaire, et à dépasser sa mauvaise réputation par la force du courage et de la détermination.

Le film marie attention psychologique et séquences de bravoure saisissantes, d’un réalisme cauchemardesque. La scénographie apocalyptique, où nos protagonistes se retrouvent reclus dans un bus saturé de fumée et d’angoisse, installe une tension suffocante, un état d’appréhension continue, soutenu par l’expressivité démunie mais combative des personnages. Hypnotique dans sa mise en scène proche du docu-fiction, The Lost Bus insuffle un suspense oppressant et une action improvisée, tant les flammes dévorent tous azimuts les forêts environnantes jusqu'à plus soif. 
 

Témoignage plein de pudeur et d’humilité sur les valeurs familiales vues à travers un père écorché vif en quête d’affirmation ; hymne à la vie auprès d’une jeune mère brutalement consciente de sa précarité existentielle ; mise en garde enfin contre l’irresponsabilité humaine qui engendre la déforestation par le feu : The Lost Bus redonne ses lettres de noblesse au cinéma catastrophe. Et Matthew McConaughey, bouleversant d’humanité désespérée, incarne cette rage contenue avec une pudeur émotive inscrite dans la réserve.
 
— le cinéphile du cœur noir

vendredi 3 octobre 2025

Les Enquêtes du département V: Miséricorde.

                                                          
                                                                                                 Photo empruntée sur Google, appartenant au site  Imdb.com

de Mikkel Nørgaard. 2013. Danemark/Norvège/Suède/Allemagne. 1h37. Avec Nikolaj Lie Kaas, Fares Fares, Sonja Richter, Mikkel Boe Følsgaard, Søren Pilmark, Peter Plaugborg, Lucas Lynggaard Tønnesen

Sortie en France en Vod le 27 Mars 2015 

FILMOGRAPHIE: Mikkel Nørgaard est un réalisateur et scénariste suédois. 2010: Klovn: The Movie. 2013: Les enquêtes du Département V: Miséricorde. 2014: Les enquêtes du Département V: Profanation. 2015: Klovn Forever. 2020: Klovn the Final. 

"Miséricorde sous pression."

Excellent thriller latent que cette première enquête danoise du Département V, d’après l’illustre roman de Jussi Adler-Olsen. Photo monochrome léchée, mise en scène studieuse, intrigue solide et substantielle : tout converge vers un climat malsain, où le huis clos exigu devient irrespirable. Le duo de flics, malgré leurs divergences de caractère, s’attache dans une solidarité rugueuse, empreinte de respect et de désir de vaincre hormis la sinistrose pesante de Karl.

Mikkel Nørgaard conte scrupuleusement son histoire vénéneuse, nourrie d’un réalisme blafard : celui d’une victime démunie, enfermée dans une chambre de pressurisation. Effet claustro garanti. Une caisse métallique hermétique qui la réduit peu à peu à une dégénérescence physique et morale, éprouvante autant pour elle que pour le spectateur, impuissant face à sa déchéance. Mais l’admiration naît de son stoïcisme, de sa rage à ne pas céder à l’agonie, malgré l’autorité intraitable d’un bourreau invisible, trafiquant sa voix derrière un micro.

Outre sa structure narrative captivante, rehaussée par la profondeur psychologique des inspecteurs résignés à résoudre l’affaire, on se laisse happer par la tension d’un final haletant, riche en altercations cruelles et en interrogations troublées. Les interprétations dépouillées, portées par des comédiens au charisme ordinaire, renforcent le réalisme de ce thriller danois qui n’oublie jamais l’émotion humaine des plus humbles. Tandis que le tueur, glacé de retenue, convoque l’aversion par sa lâcheté et son cynisme sans vergogne.
 
Une belle entrée en matière pour les fans de thriller adulte dénué d'humour, de fard et d'effets de manche. 

— le cinéphile du cœur noir

12/09/22. 608 V 
02.10.25. 2èx. Vost 
 
 
 
Récompenses
Bodil (Bodil Awards) 2014
Rasmus Thjellesen
Zulu Awards 2014
Meilleur Film ; Mikkel Nørgaard et Louise Vesth

mercredi 1 octobre 2025

The Toxic Avenger de Macon Blair. 2023. U.S.A. 1h42.

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"The Toxic Avenger : entre gore potache et tendresse paternelle."

En dépit de mon instinct fureteur, je n’attendais pas grand-chose de cette réactualisation contemporaine. Or, malgré un prologue un peu lourdingue dans son comique raté, quelle surprise de me retrouver face à une attachante série B respectueuse de son modèle - même si une frange de puristes restera fidèle à la version gravée dans la mémoire des rats des vidéos. Chapoté par le même duo Troma (Michael Hertz, Lloyd Kaufman), The Toxic Avenger nouvelle mouture doit beaucoup de son charme à sa simplicité innocente. Exit toute prétention : malgré son budget plus élevé et ses acteurs familiers, ce divertissement reste aussi mal élevé que son aîné, porté par une galerie de cabotins décomplexés jusqu’à l’extravagance vrillée.

Sans jamais sombrer dans le copier-coller, The Toxic Avenger s’impose comme une déclinaison inventive, réjouissante et frétillante, bâtissant son propre univers plus futuriste que l’original, sublimé par une photo saturée inspirée de la BD. Ce côté cartoonesque, au gore vitriolé mais inoffensif, inspire une irrésistible sympathie sous l’impulsion d’un vengeur toxique au charisme étrangement persuasif. C’est l’une des vraies plus-values de cet écrin trashouille : mettre en avant un super-héros aussi grotesque que touchant, dans son design verdâtre éclatant d’une pestilence jubilatoire avec un oeil exorbité. 
 

Étonnamment à l’aise et jamais pédant, Peter Dinklage se fond dans ce corps vitriolé avec une modestie presque paternelle, imposant une valeur affective dans sa confrontation avec son fils solitaire. Ajoutez à cela des méchants benêts tout droit sortis d’un Atomic College, des leaders mégalos aussi vulgaires qu’abrutis, et vous obtenez un climat débridé, à la fois dégénéré, déjanté et politiquement incorrect, nourri de blagues potaches et de giclées gore (parfois même musicalement rock !) qui tachent sous couvert d’une diatribe écolo bien dans l’air du temps.

Formidable moment de détente, sincère et généreux, cette nouvelle incarnation parvient à imposer sa propre personnalité dans un univers futuriste immersif, évoquant un anime joyeusement fun et crados, même si moins comique que son prédécesseur. The Toxic Avenger renaît ainsi dans la peau d’un super-héros plus expressif et empathique que son congénère originel, façonné avec une précision où aucun détail n’est laissé au hasard. Encore une belle surprise donc pour le genre horrifique, en cette année florissante digne des plus nobles souvenirs des années 80.
 
P.S: Restez jusqu'au dernier crédit du générique de fin !
 
— le cinéphile du cœur noir

mardi 30 septembre 2025

Accident domestique / La Mesita del comedor de Caye Casas. 2022. Espagne. 1h30

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"Accident Domestique, chronique d’une horreur indicible."
 
Avertissement !
Âmes sensibles réfractaires aux déviances filmiques façon Cannibal Holocaust, A Serbian Film, Irréversible, La Dernière maison sur la gauche et consorts, mieux vaut sans doute détourner le regard. 
Car Accident Domestique est un franc-tireur qui repousse pourtant les limites de l’inmontrable avec un art consommé de la suggestion. Réalisme acéré, climat oppressant jusqu’à l’asphyxie, contexte morbide impensable - le tout traversé, comme pour mieux provoquer, d’un humour ultra noir, d’horreur brute et d’une acuité dramatique dérangeante à l’extrême - nous plongent dans un malaise trop corrosif pour nourrir des impressions agréables si bien que notre zone de confort vole en éclats.

Sans effusions de sang - ou si peu, tant la résultante morbide échappe presque à toute image - Accident Domestique ose suggérer l’innommable avec une audace suicidaire. D’où la fracture inévitable : un public qui adoube ou rejette en bloc cette proposition ibérique tournée en dix jours à peine. Car cette idée incongrue d'horreur bouleversée, malmenant jusqu’à l'immense cruauté morale un père anéanti, isolé de tous, nous confronte à une introspection insoutenable, sans issue de secours.
 

Si certaines séquences, quasi hilarantes, déclenchent un rire nerveux - comme cette déclaration d’amour délirante d’une ado à son voisin quinquagénaire, médusé par tant d’audace immorale - l’ambiance, elle, demeure viciée, suffocante, plombante au possible et s’alourdit encore par l’intrusion innocente d’un couple ignorant la tragédie macabre qui se joue autour d’eux.

Ultra dérangeant, oppressant jusqu’au vertige moral et viscéral, Accident Domestique se vit comme une expérience morale éprouvante, dominée par une horreur rigoureuse (euphémisme !), pulvérisant tout espoir de rédemption dès les premières minutes sous l’impulsion d’une tension réfrigérante intolérable où la culpabilité refuse toute échappée. Et son final traumatique ne fait que parachever le désastre annoncé, nous laissant aussi désarmés qu’en ruine.
 
— le cinéphile du cœur noir 
 

Récompenses:
Festival international du film fantastique de Bruxelles 2023 : White Raven
Macabro – Festival internacional de cine de horror 2023 (Mexico) : prix du public
Festival européen du film fantastique de Strasbourg 2023 : Grand prix Crossovers
Festival du film d'horreur et fantastique de San Sebastián 2023 (Saint-Sébastien, Espagne) : prix du public ex æquo
Festival du film d'horreur de Molin (en) (TerrorMolins) 2023 : meilleur film.

samedi 27 septembre 2025

Apparences / What Lies Beneath de Robert Zemeckis. 2000. 2h10. U.S.A.

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"Apparences : quand Zemeckis fait frissonner l’ombre d’Hitchcock dans un écrin surnaturel."

Succès commercial lors de sa sortie (300 millions de dollars engrangés pour un budget de 100), Apparences est l’hommage direct à Hitchcock signé par le maître du divertissement Robert Zemeckis. Si je n’en gardais jadis qu’un souvenir aimable, quelle surprise de redécouvrir aujourd’hui un thriller horrifique d’une bien plus grande conviction, jouant habilement de son pitch référentiel et de l’argument fantastique de la demeure hantée. Certes, son scénario fut à l’époque dénigré pour sa prévisibilité, mais c’est oublier que Zemeckis manie ces clichés empruntés à Hitchcock avec adresse, subtilité et efficacité sans paraître "pot-pourri" – notamment dans la caractérisation des personnages interlopes – pour mieux nous captiver et surprendre malgré ses codes mille fois rebattus.
 

Oui, l’on peut déplorer quelques ficelles grossières et jump scares triviaux, surtout dans une première partie parfois convenue et jusque dans l’ultime confrontation outrancière (un Vendredi 13 fantasmé, avec ce tueur increvable). Mais le talent de mise en scène demeure indiscutable : Zemeckis insuffle aussi par moments une délicieuse angoisse éthérée – les séquences dans la salle de bain restent les plus réussies, en intensité comme en inquiétude – et s’appuie sur une direction d’acteurs absolument remarquable. En épouse bon chic bon genre en proie à une paranoïa grandissante, tour à tour erratique puis guidée par la lucidité, Michelle Pfeiffer crève l’écran. Radieuse, d’une force expressive à la fois résignée et déchirée, elle envoûte de son charme naturel digne des plus grandes stars. La retrouver dans une œuvre aussi soignée que captivante force le respect et décuple l’impact émotionnel de sa détresse esseulée. Plus en retrait, Harrison Ford n’est pas en reste : son jeu, contracté et pourtant d’une sérénité inquiétante, traduit subtilement l’angoisse contenue devant la déliquescence morale et mentale de son épouse.


Ainsi, à travers le huis-clos d’une splendide demeure champêtre, travaillée par des forces surnaturelles et un voisinage potentiellement suspect, Apparences exploite avec un savoir-faire implacable les codes du thriller, de l’horreur et du fantastique sans déborder vers l'invraisemblance la plus ridicule. Et si son final verse effectivement dans la surenchère d’une course-poursuite effrénée à rallonge, la tension tangible qui en émane, son action brutale, le dynamisme du montage et l’implication habitée des acteurs nous clouent au siège. Enfin, rien que pour la séquence rigoureusement hitchcockienne de la baignoire, Apparences ranime la peur de trépasser avec un art consommé de la tension inexorable.

— le cinéphile du cœur noir
2èx. Vostf. 4K 

vendredi 26 septembre 2025

Les enquêtes du département V: Délivrance de Hans Petter Moland. 2016. Danemark. 1h52.

                                                     
                                  (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site Imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives)
 
3ᵉ opus des Enquêtes du département V au pays scandinave, Délivrance est, paraît-il, considéré comme le sommet de la saga. Je n’irai pas contredire cette réputation : à mes yeux subjectifs, il se révèle en tout cas aussi solide et captivant que Miséricorde et Profanation. On y retrouve l’attachant duo Nikolaj Lie Kaas / Fares Fares, investigateurs antinomiques pétris d’humanité, fragiles et fébriles, écorchés moralement, divisés par leur rapport à la foi - divergence ici mise en pleine lumière.

C’est l’une des forces du récit : interroger la valeur de la croyance pour réfléchir au sectarisme (les témoins de Jéhovah), au racisme et à l’athéisme. Carl Mørck, inspecteur bourru, finit d’ailleurs par vaciller dans ses certitudes : lui qui méprise la parole contradictoire et les dogmes découvre une forme d’ouverture au contact de son partenaire, croyant sans être pratiquant.
 
 
Beaucoup plus proche de Seven que ses prédécesseurs, Délivrance nous plonge dans l’ombre d’un serial killer redoutable - flegmatique, retors, insidieux dans sa façon d’attirer ses proies. Sa force tranquille, son charisme rassurant et sa foi pervertie par le Mal le plus lâche le rendent d’autant plus glaçant. Toujours mené avec une efficacité redoutable, plus haletant encore que Miséricorde et Profanation, le film ose une violence sordide profondément dérangeante, surtout lorsqu’elle s’attaque à la candeur de l’enfance, broyée par une main diabolique sans la moindre concession.

Une séquence aqueuse, notamment, risque de provoquer un choc viscéral à la limite du soutenable, tant les enfants, d’une justesse et d’une expressivité désarmantes, se laissent happer par leur bourreau — lui-même prisonnier d’un passé traumatique lié à la religion. Passionnant par son enquête criminelle aussi éprouvante qu’intolérable (lorsqu’il s’agit d’enlèvements d’enfants), Délivrance nous colle au siège, inconfortable mais fasciné. Mention spéciale à l’incroyable scène de l’hôpital : d’une intensité affolante, elle montre le tueur déjouant la vigilance policière avec une perspicacité glaçante. Réalisée avec brio, là où un autre sombrerait dans l’invraisemblance, elle impose sa crédibilité et la noirceur machiavélique de ce prédateur.
 
 
Quant à Carl Mørck, son parcours psychologique émeut autant qu’il secoue : une épreuve de force à perdre haleine, qui se conclut sur une délivrance intérieure, une réconciliation avec lui-même et une ouverture nouvelle, plus respectueuse, plus tolérante, envers cette idéologie religieuse tant débattue.
 
— le cinéphile du cœur noir

jeudi 25 septembre 2025

Les enquêtes du Département V: Profanation / Fasandræberne

                                                    
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Remarquable thriller que cette seconde enquête danoise du Département V, adaptée d’un illustre roman de Jussi Adler-Olsen. Photographie monochrome léchée, mise en scène studieuse - aucun plan ne déborde —, intrigue solide, climat malaisant où liaisons dangereuses et exactions criminelles comme sexuelles s’abandonnent en roue libre, complémentarité attachante d’un duo de flics solidaires malgré leurs divergences caractérielles. Tout concourt à façonner un thriller criminel redoutablement efficace, nourri de rebondissements en flash-back, tandis que Mikkel Nørgaard s’applique à conter son récit sordide avec un réalisme blafard, fusionnant en nous inquiétude, tension et angoisse au fil de révélations toujours plus sentencieuses.

Et puis ce final haletant, convoquant tous les protagonistes, nous place face à l’appréhension et à l’impuissance, dans une inversion des rôles héroïques, tendue entre rédemption et fatalisme sacrificiel.


Au bout du compte, nous demeurons captifs et démunis, happés par l’intensité dramatique de cette cohésion SM où bien et mal se confondent, sous le regard scrupuleux d’une cagole à la fois bourreau et victime, et d’un flic introverti, taciturne, tentant d’offrir une ultime signification à son existence en secourant autrui - réduit ici à une dégénérescence morale, prisonnière d’une rapacité vindicative impossible à contenir.

Par sa profondeur psychologique, bouleversant la destinée de deux êtres esseulés confinés dans le repli et le pessimisme mais animés par la rage de l’injustice, Profanation s’impose comme un incontournable pour les amateurs éclairés de thriller noir, où toute complaisance se trouve bannie. Les comédiens, méconnus chez nous, y brillent d'autant plus par une expressivité austère et un charisme contracté, jamais forcé.

— le cinéphile du cœur noir

25.09.25. 2èx. Vost 

mercredi 24 septembre 2025

Bleu d'Enfer / Into the blue de John Stockwell. 2005. U.S.A. 1h50.

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"Le vertige des profondeurs."

Discrédité dès sa sortie par la critique et boudé par le public (même si Outre-Atlantique l’accueil fut meilleur), Bleu d’Enfer est de ces pépites maudites qu’il faut réévaluer d’urgence - au point que j’en suis déjà à ma troisième révision. Réalisé par l’acteur, scénariste et producteur John Stockwell (illustre second rôle de Christine de Carpenter), le film s’impose comme une déclinaison moderne des Grands fonds, autre aventure injustement méprisée et comparée à tort à un ersatz des Dents de la mer.

Sublimé par une photographie saturée qui magnifie la scénographie maritime des Bahamas, des îles Caïmans et de la Floride, Bleu d’Enfer enchaîne les séquences sous-marines d’une féerie immersive (effet 3D en sus). Sous la houlette d’une chasse au trésor aux rebondissements toujours plus intenses, il joue à fond la carte d’une série B redoutablement efficace par sa simplicité innocente. Porté par le métronomique rythme effréné d’un quatuor de jeunes touristes terriblement attachants, le film repose sur un casting volontairement clinquant.
 

Au sein de cette ambiance exotique dépaysante, Paul Walker séduit, magnétise par delà l'écran, par un charisme rassurant, une force morale affirmée sobrement expressive. Naturellement convaincant en redresseur de torts, il se laisse pourtant happer par l’irresponsabilité de son comparse hâbleur incarné par Scott Caan, moteur sournois des vicissitudes à venir. Filiforme et solaire, Jessica Alba échappe sans mal au cliché de la gentille cruche : sa douceur de miel et sa sagesse d’esprit s’opposent à la cupidité qui gangrène son entourage. Quant à Ashley Scott, hyper sexy en allumeuse attirée par les mauvais garçons, elle insuffle une joie de vivre expansive et exaltante, renforçant la dimension ludique de ce film d’action maritime au savoir-faire infaillible.

Concentré d’humour, de romance, de suspense et de violence punitive, Bleu d’Enfer s’impose comme un pur divertissement du samedi soir - techniquement maîtrisé, mais surtout fun et jouissif à coeur ouvert. Son attachement à ces personnages juvéniles piégés par de mauvaises influences nourrit l’érosion progressive d’un climat solaire qui s’assombrit, menacé par une ligue mafieuse tentaculaire faite de traîtres et de complices. Un sacré bon moment de détente d'autant plus espiègle et rafraichissant qu'il se réclame d'un charme innocent irrésistible.
 
— le cinéphile du cœur noir
3èx. Vost
 

jeudi 18 septembre 2025

Au nom du père / In the Name of the Father de Jim Sheridan. 1993. Irlande/Angleterre. 2h13.

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Puissant réquisitoire contre l’erreur judiciaire nourrie par la corruption policière, Au nom du père s’impose comme un moment de cinéma gravé dans les mémoires, dont on ne sort pas indemne. Relatant l’histoire vraie de la famille Conlon accusée à tort de terrorisme au cœur des années 70, alors que l’IRA ensanglantait l’Irlande du Nord, le film se concentre sur la descente aux enfers d’un père et de son fils, incarcérés trente ans durant dans la même cellule.

Jim Sheridan, armé d’un réalisme âpre et d’une chronologie implacable, nous immerge de plein fouet dans l’univers carcéral, jusqu’au jour où le véritable coupable y est lui-même enfermé aux côtés de Gerry et de son père Giuseppe. Poignant, bouleversant, le drame se fait révolte lorsque leur combat désespéré pour la vérité éclaire l’injustice d’un procès fallacieux qui condamna quatre innocents tandis que les véritables coupables demeuraient impunis.
 

Mais au-delà de l’indignation, Sheridan peint aussi le portrait fragile d’un père et de son fils, minés par la haine, la rancœur et la rébellion, cherchant malgré tout la réconciliation au sein de la geôle. Dans la peau d’un petit délinquant écorché, animé par la fureur de vivre, Daniel Day-Lewis crève l’écran avec une intensité foudroyante. Face à lui, Pete Postlethwaite incarne un père brisé, rongé par la culpabilité de n’avoir su retenir son fils sur la pente de la délinquance, faute d’un amour paternel mal exprimé mais brûlant.

Électrochoc d’une rigueur émotionnelle suffocante avant de libérer son spectateur de l’étau judiciaire et policier, Au nom du père reste l’un des drames carcéraux les plus puissants jamais portés à l’écran. On en ressort transformé à jamais.

— le cinéphile du cœur noir
3èx. Vostf

Récompenses: Festival de Berlin 1994 : Ours d'or du meilleur film

mardi 16 septembre 2025

L'affaire Josey Aimes / North Country de Niki Caro. 2005. U.S.A. 2h06.

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"La révolte enfouie, la révolte éclatée". 

Inspiré d’une histoire vraie qui fit grand bruit aux États-Unis en 1984, lorsque Lois Jensen se résigna à poursuivre son employeur, la compagnie minière Eleveth, pour discrimination et harcèlement sexuel, L’Affaire Josey Aimes demeure un témoignage d’une puissance intacte, toujours aussi brûlant quelques décennies plus tard. Porté par la présence dépouillée de Charlize Theron en jeune mineur vouée aux gémonies par une horde aussi machiste que décervelée, le film insuffle une émotion à la fois poignante et bouleversante dans son épreuve de force : traduire devant les tribunaux une entreprise dénuée de morale, où les femmes subissent harcèlement, intimidations, brimades et menaces sous la férule d’une dictature prolo, triviale et abrutissante, gonflée d’un orgueil pusillanime.
 

On pourra néanmoins regretter un final étonnamment moins convaincant, lesté de revirements de ton - le père de Josey, un harceleur repentant, et une amie condamnée par la maladie dans un mélo sentencieux - mais L’Affaire Josey Aimes est une œuvre forte, engagée, marquée d’une dignité farouche. Elle montre Josey debout face à la lâcheté des hommes et au silence complice de ses collègues féminines, murées dans le mutisme pour sauver leur emploi.

Vibrant d’humanisme, ce récit d’une femme seule contre tous, cherchant notamment à renouer avec son fils rancunier faute d'un passé plus sordide qu’on ne l’imaginait, interpelle et scandalise par la crudité avec laquelle il dépeint un univers machiste aussi rétrograde que putassier.

A redécouvrir.

— le cinéphile du cœur noir
2èx. Vost

vendredi 12 septembre 2025

Erin Brockovich de Steven Sodenbergh. 2000. U.S.A. 2h11.

                  (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site Imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Elle a mis une petite ville à ses pieds et une multinationale à genoux."
Relatant un célèbre fait divers qui fit grand bruit outre-Atlantique - une affaire de pollution des eaux qu’une petite ville californienne endura, ses habitants contaminés et brisés - Erin Brockovich s’impose comme un grand moment de cinéma, rare dans le paysage souvent languissant, rébarbatif ou bavard des films de procès. Ici, tout s’inverse : une jubilatoire investigation de longue haleine, menée par une marginale tenace qui refuse d’abandonner et finit par faire plier des margoulins persuadés de leur intouchabilité.

Julia Roberts (Oscar de la Meilleure Actrice) y explose l’écran, tour à tour fine, intelligente, spontanée, mais aussi vulgaire - son langage fleuri claque comme une gifle - et provocante dans ses tenues sexy portées comme des armes. Elle impose un mélange décalé de dérision et de férocité qui laisse pantois. Face à elle, Albert Finney irradie un charisme paternel, autoritaire et borné, mais empreint de patience et de résilience. Ensemble, ils affrontent la Pacific Gas and Electric Company (PG&E), machine froide et monstrueuse, filiale d’un empire indifférent aux vies qu’elle broie.
 

Steven Soderbergh orchestre ce récit avec une maîtrise implacable : aller droit à l’essentiel, ne jamais s’égarer, même dans les scènes intimes, conjugales ou professionnelles, toujours dessinées avec une précision sans gras. L’intensité émotionnelle jaillit, inattendue, sous l’impulsion d’une Julia Roberts qui dévore chaque plan avec une détermination infaillible, laissant le souffle coupé. On suit son combat avec une attention irrévocable, face à l’effrayant scandale qui se dévoile : des familles entières condamnées à des maladies incurables, parfois mortelles, pour nourrir la cupidité d’une société sans vergogne.

Passionnant, drôle, poignant et révoltant, nourri d’une mise en scène vibrante d’amour de cinéma, Erin Brockovich est sans doute l’œuvre la plus salutaire et convaincante de Steven Soderbergh, malgré une filmographie inégale. Un classique authentique, brûlant de courage et de rage, qui rappelle que l’endurance et la force de conviction suffisent parfois à mettre à genoux les géants que l’on croyait intouchables.

— le cinéphile du cœur noir
3èx. Vost 
 
Récompenses
BMI Film & TV Awards 2000 : BMI Film Music Award pour Thomas Newman
Oscars 2001 : meilleure actrice pour Julia Roberts
BAFTA Awards 2001 : meilleure actrice pour Julia Roberts
AFI Awards 2001 : film de l'année
Golden Globes 2001 : meilleure actrice dans un film dramatique pour Julia Roberts

jeudi 11 septembre 2025

Dark

                         (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site Imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

Ces trois dernières semaines, j’ai revu une troisième fois la saison 1 de Dark, avant de découvrir, pour la toute première fois, ses deux saisons finales. En matière de série fantastique, je n’ai rien vu d’aussi fort et de plus beau depuis La Quatrième Dimension, X-Files, The Leftovers, Twin Peaks, Penny dreadful, L’Hôpital et ses fantômes, Le Carnaval de l'étrange ou Fringe.

Les quinze dernières minutes de l’épisode final comptent parmi les plus belles séquences que j’aie vues, au cinéma comme à la télévision, en termes d’intensité émotionnelle et d’immersion onirique. C’est du niveau créatif du final de L’Au-delà de Fulci ou du prologue criminel de Suspiria d’Argento.

Bouleversant, déchirant - presque traumatisant - ce dernier adieu démiurgique, traversé d’une vision mystique indicible, s’imprime en moi comme une plaie ardente. Dark restera gravé en moi, tel un organisme vivant qui, au fil de ses vingt-six épisodes, n’a cessé de me rappeler que tout ce que je sais n’est qu’une goutte d’eau, tandis que tout ce que j’ignore appartient à l’océan.
 

Une œuvre dense, flamboyante, complexe, profondément humaine et fragile (TOUS les comédiens, sans exception aucune, sont transis, imperturbables), mais toujours passionnante. Une œuvre qui choisit la lumière plutôt que l’ombre, et qui invite à repenser notre existence par le prisme du temps et des univers parallèles. Car ici, Dieu n’est pas un vieillard barbu trônant au ciel : Dieu est le temps lui-même, la trame infinie qui nous façonne et nous défait.

Et peut-être que notre vie n’est rien d’autre qu’un cycle de renaissances : nous mourons, nous revenons, nous tentons à chaque fois d’améliorer l’histoire, de corriger ce qui fut brisé, de sauver ceux que nous aimons. Comme si nous étions condamnés à rejouer la partition jusqu’à trouver l’accord juste, jusqu’à apaiser enfin le tumulte. Alors, le début devient la fin, et la fin s’ouvre toujours sur un commencement.

"Vous me suivez ? Peu importe. J’ai changé - alors l’univers changera."

— le cinéphile du cœur noir

Docteurs in love / Young Doctors in Love de Gary Marshall. 1982. U.S.A. 1h36

                     (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site notrecinema. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).


"Docteurs in love : l’éclat oublié d’une parodie furieuse."

Bijou maudit de la comédie hilarante, clairement influencée par Y’a-t-il un pilote dans l’avion ? des ZAZ sorti deux ans plus tôt, Docteurs in love est d’autant plus invisible depuis des décennies que tout le monde - ou presque - semble l’avoir oublié, pour ne pas dire méprisé, y compris la génération 80. Et pourtant, enchaînant gags visuels et sonores toutes les cinq à dix secondes avec une efficacité presque aussi effrénée que son modèle, le film s’impose comme un régal de comédie déjantée, parodiant avec une énergie insolente et galvanisante les séries médicales saturées de romances mièvres et de rebondissements mélodramatiques - au chevet des malades les plus atteints, au propre comme au figuré.

Les acteurs, en roue libre, s’en donnent à cœur joie, incarnant médecins, intrus mafieux, junkie ou patients possédés par un grain de folie contagieux. Leurs personnages faussement sérieux, confrontés à leur propre pitrerie irresponsable, créent un décalage irrésistible. Docteurs in love s’avère ainsi bien plus drôle, libre, osé et débridé que la majorité des comédies ricaines de ces vingt dernières années - loin, très loin par exemple, du poussif Y’a t-il un flic pour sauver le monde ?, fraîchement exploité dans nos salles, tellement moins sincère, fêlé et inspiré.


Et je dirais même qu’avec son parfum irrésistible des années 80, transpirant l’innocence révolue, le film me paraît aujourd’hui encore plus drôle, charmant et expressif qu’à sa sortie. D’autant qu’il s’agit de la première œuvre de Garry Marshall, futur auteur inoubliable de Pretty Woman et d’une pléthore de succès populaires au box-office. Produit par l’illustre Jerry Bruckheimer, porté par une musique signée Maurice Jarre, Docteurs in love demeure un classique incompréhensiblement englouti par l’anonymat - une parodie aussi folle que brillante, injustement reléguée dans l’ombre (en dépit de ses 1 092 743 entrées chez nous). Et il y a de quoi pleurer face à une telle injustice. Pour preuve, il reste toujours inédit en Dvd comme en Blu-ray...

— le cinéphile du cœur noir
3èx. VF
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"Histoire de vous convaincre davantage, je vous joins l’avis de corsu61, publié le 28 août 2011 sur son blog SOS MOVIES".

Attention, ce film est un petit bijou de parodie. Dans la lignée des "Y a t-il un pilote dans l'avion" avec sa griffe "Un gag à la minute", cette histoire totalement farfelue réunit une pléiade de personnages tout aussi amusants les uns que les autres. Les situations absurdes s'enchaînent à la vitesse grand V pour notre plus grand bonheur, et les plus réfractaires des spectateurs ne pourront s'empêcher de réprimer quelques rires. L'enchevêtrement des scènes comiques fait que l'on ne s'ennuie jamais, grâce notamment aux sauts de puce qui nous projettent dans les différentes histoires. De l'amourette-quiproquo entre la chef infirmière et l'interne dealer aux règlements de compte entre tueurs de la mafia, du directeur véreux à l'histoire d'amour entre étudiants, tout se combine pour ne former qu'un vaste réseau de gags. Il faut même écouter avec attention toutes les annonces faites par la sono de l'hôpital.... Petite cerise sur le gâteau, vous découvrirez également les débuts de deux futures stars du cinéma : Demi Moore (Harcèlement, Ghost) et Richard Dean Anderson (Mc Gyver, Stargate). En bref, "Doctors in love" est un modèle de grand n'importe quoi qui fait travailler les zygomatiques ! Quatre smileys et demis.

Date de sortie en France : 25 novembre 1982

Notation : 4.5/5