mercredi 16 juillet 2025
Forbidden Zone de Richard Elfman. 1982. U.S.A. 1h13.
lundi 14 juillet 2025
Jean Pierre Putters 1946 / 2025. Fondateur de la revue Mad Movies, 1972.
Cet homme qui a nourri nos nuits de monstres et de merveilles,
ce passeur d’ombres lumineuses,
ce conteur fou qui nous a appris que le bizarre, le mystère, le sanglant, le viscéral
avaient une âme, un cœur, une intelligence.
Celui qui m’a appris qu’aimer le cinéma, ce n’était pas seulement aimer les chefs-d’œuvre,
mais aussi les créatures visqueuses, les cris muets, le sang factice qui disait parfois plus vrai que la réalité.
Je pleure aujourd’hui.
De tristesse, de tendresse… et de respect.
Ce n’est pas seulement un homme qui s’éteint,
c’est une flamme.
Celle qui brûlait dans les pages de Mad Movies,
dans les salles obscures du Grand-Guignol, ces églises du délire,
dans nos cœurs adolescents qui trouvaient enfin une tribu parmi les monstres.
Putters, c’était l’érudit déglingué d'une pudeur inouïe, d'une discrétion timorée,
le passionné réservé non blasé,
le grand frère gothique qui n’avait pas peur du mauvais goût,
parce qu’il savait que derrière le latex et les hurlements,
il y avait des vérités, de la beauté, de l’humanité, de la sensibilité.
À ne pas avoir honte de nos passions souvent ciblées comme "déviantes".
À faire du bizarre une maison. Du cinéma de genre, une langue maternelle.
on continue de rêver, de frissonner, de hurler…
parce qu’il nous l’a appris. Et que ça ne s’oublie pas.
La Dernière Cavale / Truth or Consequences, N.M. de Kiefer Sutherland. 1997. 1h46.
La Dernière Cavale, réalisé par Kiefer Sutherland (qui en endosse aussi l’un des rôles principaux), a des allures de série B influencée jusqu’à l’os par True Romance et ses cousins. Mais derrière ses clichés, ses situations éculées, ses méchants un brin caricaturaux - sauvés in extremis par des comédiens habités -, il y a une vraie tendresse, une sincérité brute qui finit par percer.
Sutherland soigne sa mise en scène. Il n’invente rien, mais il regarde ses personnages avec une attention sincère, presque inquiète. Cette bande de bras cassés, paumés magnifiques, cumule les bourdes avec la maladresse d’un humanisme déboussolé, une contrariété désespérée, une incapacité viscérale à s’extraire de la marginalité criminelle faute d’y avoir trop cru, trop vécu, trop sombré. Et l’on s’y attache. Vraiment. Franchement.
Il faut dire que les interprètes y mettent du cœur. Kim Dickens, sexy sans surjouer, impose une séduction tout en fragilité, une douceur blessée qu’elle déploie sans forcer. À ses côtés, Grace Phillips, d’une sensualité prude, presque éthérée, hypnotise avec ses splendides yeux bleus d’innocente troublée. Et puis il y a Vincent Gallo, instinctif, magnétique, bad boy fracassé au grand cœur, qu’on croit sorti d’un rêve déglingué de cinéma indépendant. Il crève l’écran sans en faire trop, à fleur de nerfs, animal et poignant.
Le récit reste trop classique, trop balisé. On devine souvent les trajectoires, les ruptures, les élans. Mais parfois, une idée jaillit - comme cette planque perchée au-dessus du camping-car, improbable et presque poétique - et vient troubler l'attendu. La musique, rock et nerveuse, entrecroisée de nappes plus lyriques, ne laisse pas indifférent. Elle imprime un souffle, un rythme, une tension presque romanesque.
La Dernière Cavale n’est pas un grand film, loin s’en faut. Mais c’est un film attachant. Une série B honnête, souvent touchante, parfois maladroite, qui aurait pu frapper plus fort si son scénario avait osé s’aventurer hors des sentiers rebattus. Il n’en reste pas moins une œuvre humaine, sincère, portée par l’élan généreux d’un cinéaste débutant qui regarde ses marginaux comme on regarde des frères perdus.
— le cinéphile du cœur noir
3èx. Vost
Birth / Rebirth de Laura Moss. 2023. U.S.A. 1h39.
samedi 12 juillet 2025
Rêves Sanglants / The Sender de Roger Christian. 1982. Angleterre. 1h32.
Avec Rêves sanglants, Roger Christian glisse une lame fine sous la peau du fantastique. Pas de second degré, pas d’échappatoire, pas de clin d’œil au spectateur. Juste une horreur adulte, froide, troublée. Une douleur blanche, enveloppée dans la lumière blafarde d’un hôpital psychiatrique où l’on scrute la folie comme un phénomène biologique.
Ici, les terreurs ne sortent pas des murs ou des masques grotesques. Elles sortent d’un esprit. Elles s’infiltrent. Elles contaminent.
Car John n’est pas seulement un jeune homme perdu. Il est un émetteur : il projette ses cauchemars dans la tête des autres. Ce qu’il rêve, vous le vivez. Ce qu’il redoute, vous l’endurez. Et ce qu’il a vécu… vous le revivez, en boucle.
Une scène en particulier, d’un choc absurde et effrayant, vous laisse suspendu comme en apnée - l’horreur n’est plus une pulsion, c’est une maladie mentale, une contagion de l’invisible.
Sa mise en scène, sobre et chirurgicale, refuse l’esbroufe. Chaque plan est cadré comme un soupçon. Chaque coupe, un fragment de conscience qui bascule. Ce monde est feutré, étouffant, comme si le cauchemar lui-même avait besoin de silence pour s’exprimer.
P.S: Fait notable, attesté par le livret de Marc Toullec : parmi tous les films d’horreur sortis en 1982, c’est celui-ci que Quentin Tarantino désigne comme son préféré.
"The Sender/Deadly Dreams" de Roger Christian. 1982. Angleterre. 1h22. Avec Kathryn Harrold, Željko Ivanek, Shirley Knight, Paul Freeman, Sean Hewitt.
Sortie salles U.S: 22 Octobre 1982.
FILMOGRAPHIE: Roger Christian est un réalisateur et scénariste britannique, né en 1944 à Londres. 1982 : Rêves sanglants. 1985 : Starship. 1994 : Nostradamus. 1995 : The Final Cut. 1996 : Underworld. 1997 : Masterminds. 1999 : Star Wars, épisode I : La Menace fantôme de George Lucas (réalisateur 2e équipe). 2000 : Battlefield Earth - Terre champ de bataille. 2004 : American Daylight. 2004 : Bandido. 2013 : La Malédiction de la pyramide (TV). 2013 : Intuition maternelle (Dangerous Intuition) (TV) . 2013 : Invasion sur la Lune.
vendredi 11 juillet 2025
On ira de Enya Baroux. 2025. France. 1h37.
jeudi 10 juillet 2025
The Quiet Girl de Colm Bairéad. 2022. Irlande. 1h34.
mercredi 9 juillet 2025
Et... ta mère aussi! (Y tu mamá también) de Alfonso Cuarón. 2001. Mexique. 1h46.
mardi 8 juillet 2025
Else de Thibault Emin. 2025. France. 1h43.
"Else, la métamorphose comme dernière étreinte".
What the fuck ???!!!
Et dire que cet ovni, aussi discret que discrédité (pas un seul trophée à Gérardmer, alors que l’anecdotique A Violent Nature récolta le Grand Prix !), est de souche française…
Et pourtant, il s’agit d’un premier long inspiré d’un court-métrage que Thibault Emin a mis des années à faire éclore.
À l’arrivée : une expérience singulière, vue nulle part ailleurs, à travers son concept de "métamorphisme" - terme géologique désignant une transformation physique minérale - que le réalisateur transpose à l’écran avec une créativité sans limites. Et ce, malgré un budget étriqué et un décor réduit à un huis clos domestique, bientôt transfiguré en espace organique, mouvant, sans repère spatial.
Croyez-moi : le spectacle, fascinatoire, demeure aussi vertigineux que malaisant, en s’émerveillant de l’onirisme d’une scénographie charnelle à la beauté irréelle et insoupçonnée.
D’un point de vue technique, impossible de ne pas penser au duo surdoué Hélène Cattet / Bruno Forzani, notamment dans la première demi-heure, où les effets de caméra - cadrages alambiqués, jeux optiques, mouvements habités - captivent l’œil. Pendant ce temps, on s’attache lentement à ce couple d’amants : l’un, réservé, l’autre, excentrique, presque perchée. Bonjour l'ambiance indicible où l'on avance pas à pas parmi eux.
D’une liberté de ton déroutante par ses ruptures émotionnelles, Else demeure un bad trip organique à la poésie sensuelle rare, traversé de visions cauchemardesques - claustros, troubles, charnelles, insécures.
Et si, au premier visionnage, on reste stupéfait, saisi, presque victime de ce choc visuel en perpétuelle mutation (même la couleur vire au noir et blanc, lors d’une régénération corporelle d’une puissance folle), on se dit très vite qu’il faudra y replonger. Urgemment. Car sous ce délire incongru affleure un conte métaphysique, où la thématique du deuil et de son acceptation devient le sésame d’un ailleurs - étrange, mais apaisé.
D’une puissance visuelle hallucinée, Else est une proposition fantastique radicale, auteurisante, qui ne plaira pas à tous - mais qui ravira les amateurs (éclairés) de spectacle viscéral autre, où l’émotion, trouble, charnelle, désespérée, nous happe irrémédiablement dans un vertige d’impuissance.
Bruno — cinéphile du cœur noir.
vendredi 4 juillet 2025
Blood Feast de Herschell Gordon Lewis. 1963. U.S.A. 1h07.
mercredi 2 juillet 2025
A bicyclette ! de Mathias Mlekuz. 2025. France. 1h29.
Retraçant le road trip d’un père en compagnie de son chien et de son meilleur ami, de l’Atlantique jusqu’à la mer Noire, afin de rendre hommage au suicide de son fils Youri après un voyage à vélo, À bicyclette ! nous cueille par la main là où on ne l’attend pas.
Mais il faut préciser qu’il s’agit moins d’une fiction que d’un documentaire où la majorité des séquences sont improvisées - les figurants et seconds rôles, d’un naturel bouleversant, croisent nos héros avec une vérité désarmante tout au long du périple.
Mathias Mlekuz (né dans ma ville de Lens), également réalisateur, incarne son propre rôle de père endeuillé, tandis que Philippe Rebbot, ami de longue date dans la vraie vie, joue le sien. Leur complicité ne relève pas du jeu ni de la mise en scène : elle vibre d’une amitié ancienne, sincère, palpable. Cette authenticité brute donne au récit sa chair, son souffle, son émotion.
Véritable hymne à la vie porté par un road movie débordant d’énergie, de tendresse, d’humour et de liberté, À bicyclette ! est un bonheur à l’état pur, derrière lequel se cache une quête de rédemption intime, nous imposant à notre tour une remise en question - celle du sens de nos trajectoires, de la place qu’on laisse au doute, à la douleur, à l’amour. Réflexion autant spirituelle que métaphysique, le film fait preuve d’une pudeur rare : dès que l’émotion menace de déborder, la caméra se dérobe, passe à une autre scène, comme pour mieux préserver la sincérité, la beauté, la dignité du geste. Ce parti-pris de discrétion devient un acte de bienveillance.
Formellement splendide, baigné de paysages naturalistes qui nous émeuvent autant qu’ils nous élèvent, le film est un petit miracle de cinéma sous ses atours de visite touristique. À la croisée de l’improvisation, du vécu, d’une fiction à peine esquissée, il nous emporte dans un vertige aussi bouleversant que cathartique. Et l’on comprend, en refermant ce chapitre de route, que chaque mort - brutale ou silencieuse - peut nous apprendre à grandir, à marcher autrement, à aimer mieux, à honorer, à chérir, à transmettre.
Festival du film francophone d'Angoulême 2024, en compétition officielle :
Valois de la mise en scène pour Mathias Mlekuz
Valois du public pour Mathias Mlekuz
Valois de la musique de film pour Pascal Lengagne
Festival 2 Cinéma 2 Valenciennes 2024 : section « Compétition fictions »:
Prix du public
Prix d'interprétation masculine pour Philippe Rebbot
mardi 1 juillet 2025
Substitution – Bring Her Back de Danny et Michael Philippou. 2025. Australie. 1h44.
Mais ici, changement de registre. Abandonnant le ton ludique, les Philippou adoptent un parti pris radical. Ils nous arrachent violemment à notre zone de confort, avec un électrochoc aussi digne, révulsif et malaisant que les enseignes traumatiques Martyrs, Eden Lake, Wolf Creek, voire L’Exorciste, auquel il prête une certaine filiation, toutes proportions gardées. Dès le prologue, des images d’archives (in)dignes d’Ogrish nous agressent sauvagement les mirettes. Et les exactions insalubres qui suivent font preuve d'un tel réalisme documenté qu'on croirait avoir affaire à un snuff… je n’en dirai pas plus. Des séquences nauséeuses, extrêmes, imprimées dans la rétine bien au-delà du générique.
En abordant avec intelligence, audace et sensibilité un traumatisme maternel, en sondant les conséquences de la maltraitance et la violence intériorisée chez celui qui l’a subie, les Philippou nous projettent tête baissée dans une descente aux enfers sans issue. Dénué de fioritures, ancré dans un réalisme de plus en plus incommodant, Bring Her Back va jusqu’au bout du malaise, sans détour, sans filtre. D’autant plus dérangeant qu’il met en lumière de jeunes adolescents livrés à la plus implacable torture, mentale et corporelle. Avec une utilisation judicieuse de regards pathologiquement tuméfiés qui contraste avec l'aura rubigineuse qui s'instille en leur cocon familial. Je m'adresse surtout à l'actrice Sora Wong (âgée de 14 ans au moment du tournage) , malvoyante dans la vie, née avec des malformations congénitales qui altèrent sa vision. Aveugle de l’œil gauche, sa vision de l’œil droit est d'autant plus réduite.
Et parce qu’ils prennent leur temps - distillant un suspense latent, à la fois mystérieux, inquiétant, déjà déstabilisant - les Philippou maîtrisent l’art de l’étau. On suffoque dans cette épreuve de force insidieuse, où se noue un jeu de manipulation morale entre une thérapeute, un garçon muet, un frère, et sa sœur aveugle.
On est ici face à une horreur premier degré, frontale, électrisante. L’absence d’humour glace le sang. Certaines séquences de châtiment sont si atroces qu’on se surprend à détourner les yeux. Bring Her Back joue dans la cour des grands, renouant avec une horreur fétide, licencieuse, rapace, vénéneuse - attisant sans relâche notre curiosité quant à des enjeux humains à la lueur d’espoir quasi inexistante.
On sort de la salle le regard hagard, vidé, lessivé. L’intensité dramatique est telle qu’on pressentait dès les premières minutes que ce jeu de confrontations psychologiques, aussi sournois que déloyal, ne pouvait que s’achever dans la plus animale des violences.
Impeccablement interprété - notamment dans les rôles juvéniles, candides, rebelles et meurtris - et transcendé par le jeu perfide de l’électrisante Sally Hawkins en thérapeute de l’effroi le plus aliénant, Bring Her Back nous cloue au siège. Il nous tétanise de désarroi face à cette lente agonie, cette horreur démoniale, trop extrême pour qu’on puisse s’en distraire. Alors que l'émotion rédemptrice de dernier ressort, cette douleur en héritage, finit par nous provoquer une empathie bouleversée face à l’amour en cendres.
Il tache, il lacère, il hante : sitôt vu, il s’imprime dans la rétine et vous ne l’oublierez jamais.
A condition de s'accrocher et de le prioriser au public averti (il sera chez nous interdit aux - 16 ans, avec Avertissement).
Laissez bronzer les Cadavres de Hélène Cattet et Bruno Forzani. 2017. France/Belgique. 1h32.
"Orgie solaire et plomb brûlant".
La mise en scène ? Un trip sensoriel, ultra stylisé, chaque plan suinte la perfection maniériste. Cattet et Forzani taillent l’espace, le son, le temps, comme on cisèle une idole païenne. Gros plans fétichistes, zooms assassins, éclats de métal et de chair, ralentis suspendus dans le néant. Le montage éclaté, halluciné, fait tournoyer les points de vue : on revit les mêmes scènes à travers d’autres regards, d'autres pulsions, toujours rythmées par l’heure affichée à l’écran, comme une montre piégée à la nitro.
Les acteurs ? Des gueules, des vraies, burinées, rugueuses, qu’on ne croise plus à l’écran. Ils n’interprètent pas, ils transpirent, ils brûlent. La violence, elle, n’est jamais gratuite, elle est rituelle, organique, sensorielle, féérique presque. Les corps s’aiment, se haïssent, se soumettent. Une femme qui urine sur la tête d’un homme, le viol par des balles de calibre, une autre fouettée, gorge ouverte, sous une pluie de champagne : jamais pornographique, jamais vulgaire. Onirique, dérangeant, d’une beauté toxique exotique.
Et puis viennent les fusillades, comme des ballets de feu et de mort. Du jamais-vu. Les chorégraphies explosent, entre Goldfinger et Fulci, entre Morricone et le rugissement du silence. Chaque tir est une note, chaque cri une pulsation. Le film devient opéra de mitraille sous des partitions transalpines que l'on s'entête par coeur.
C’est un cauchemar érotique en plein jour. Un rêve lucide baigné de sang, de poussière, de cendre (les corps se consument sous les flammes) et de soleil. Un pur orgasme cinématographique de souche française, une fois n'est pas coutume.