vendredi 16 mars 2012

LE MANNEQUIN DEFIGURE (Crescendo)


                                      

d'Alan Gibson. 1970. Angleterre. 1h30. Avec Stéfanie Powers, James Olson, Margaretta Scott, Jane Lapotaire, Joss Ackland, Kirsten Lindholm.

Sortie en salles le 24 Mars 1971

FILMOGRAPHIE: Alan Gibson est un réalisateur canadien, né le 28 avril 1938 à London, en Ontario (Canada), décédé le 5 juillet 1987 à Londres (Royaume-Uni).
1965: 199 Park Lane (série TV). 1966: A Separate Peace (télé-film). Eh, Joe ? (télé-film). 1968: Journey to Midnight. 1969: The English Boy (télé-film). 1970: Le Mannequin Défiguré. Goodbye Gemini. 1971: The Silver Collection (télé-film). 1972: Dracula 73. 1974: The Playboy of the Western World (télé-film). Dracula vit toujours à Londres. 1976: Dangerous Knowledge (télé-film). 1977: Checkered Flag or Crash. 1979: Churchill and the Generals (télé-film). 1980: The Two Faces of Evil (télé-film). 1982: Une femme nommée Golda (télé-film). 1982: Témoin à charge. 1984: Martin's Day. 1984: Helen Keller: The Miracle Continues (télé-film). 1987: The Charmer (série TV).

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Par celui qui aura tenté de moderniser à deux reprises le mythe du vampire des Carpathes avec deux nanars folichons, Dracula 73 (Christophe Lemaire en reste traumatisé !) et Dracula vit toujours à Londres, Alan Gibson avait préalablement réalisé en 1970 le meilleur film de sa carrière avec Le Mannequin Défiguré. Thriller horrifique au suspense Hitchcockien, cette petite série B admirablement orchestrée est à revoir sans modération grâce à la dextérité d'un scénario machiavélique et à ses personnages interlopes très attachants.
Susan Roberts est une jeune étudiante préparant une thèse sur le célèbre compositeur Henry Ryman. Invité chez la veuve du défunt dans une villa du Sud de la France, elle rencontre son fils paralytique, Georges, et entame une complicité. Mais l'attitude désinvolte d'une bonne à tout faire et d'un inquiétant geôlier vont contrarier l'invitée, d'autant plus que la mère semble avoir une emprise d'allégeance sur son fils. 


Film rare totalement sombré aujourd'hui dans l'oubli, Le Mannequin défiguré (pour une fois que le titre français transcende son homologue british !) est une véritable perle dans son genre horrifique produit par la fameuse firme Hammer Film ! Dans une ambiance ombrageuse palpable et un climat pervers étouffant, ce thriller diabolique doit son salut à une narration impeccablement structurée, rehaussée par le talent congru d'interprètes sur mesure. Sur un canevas Hitchcockien en diable, Le Mannequin Défiguré nous invite dans la villa bucolique d'une veuve et de son fils paralytique auquel une étudiante est invitée pour y rédiger une thèse sur le célèbre compositeur, Henry Ryman. Si parmi les témoins, la convivialité d'une ambiance amicale y est perceptible de prime abord, l'attitude insolente et arrogante d'une potiche de service et la présence clairsemée d'un étrange gardien vont rapidement interpeller la quiétude de Susan. D'autant plus que celle-ci va être confrontée aux violentes crises de spasmophilie endurées par Georges. Cet artiste préalablement promu à une riche carrière de pianiste aura eu la malchance de se retrouver en fauteuil roulant suite à un grave accident. Pour aggraver la fatalité, sa femme le quitta du jour au lendemain, faute de sa déficience physique inaltérable. Sujet à des cauchemars récurrents auquel il imagine son propre "double" assassiner sa femme, Georges semble assujetti par l'aguicheuse femme de ménage pour entamer communément une étrange relation masochiste. D'autant plus que pour mieux l'asservir à sa guise, Lilliane pratique un chantage alloué à la toxicité d'un psychotrope. Un soir, un horrible homicide va avoir lieu...


Voilà pour l'intrigue savamment planifiée avant que les enjeux interlopes prennent une tournure dramatique beaucoup plus délétère, voire schizophrène ! Par un savant dosage de suspense intense parfaitement coordonnée, scandé par le profil suspicieux de personnages aussi sournois que véreux, Le Mannequin Défiguré est un jouissif thriller baignant dans un cauchemar diffus et diaphane.
L'architecture gothique de la demeure érigée de manière arquée aux abords d'une piscine familiale agrémente favorablement son atmosphère insolite particulièrement moite et licencieuse. Comme son titre d'origine l'indique (Crescendo), la gravité des évènements va prendre une tournure plus sombre après le fameux meurtre perpétré par un tueur sans visage. Un piège machiavélique semble se refermer sur notre étudiante tributaire des agissements insidieux d'une sombre famille au passé galvaudé. Son point d'orgue révélateur se clôt sur une résolution inopinée alors que son rythme davantage haletant se culmine vers une succession de péripéties sardoniques.


Superbement campé par une galerie de comédiens complices s'en donnant à coeur joie dans l'autorité oppressive et mis en scène avec un savoir faire fripon dans l'intensité d'un suspense judicieux, Le Mannequin Défiguré est une petite perle du thriller à se procurer d'urgence. Rehaussé d'une atmosphère atypique dans le refuge affable d'un huis-clos feutré, cette production Hammer Film se pare en outre d'une certaine audace dans l'air du temps (les années 70) par sa violence âpre (le meurtre dans la piscine est particulièrement rigoureux) et son érotisme futilement polisson (Jane Lapotaire use et abuse de provocation impudique en gouvernante mesquine).
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Dédicace à Video Party Massacre
16.03.12
Bruno Mattéï.



jeudi 15 mars 2012

Le Territoire des Loups / The Grey



de Joe Carnahan. 2012. U.S.A. 1h57. Avec Liam Neeson, Dallas Roberts, Frank Grillo, Dermot Mulroney, Nonso Anozie, Joe Anderson, Ben Bray, James Badge Dale, Anne Openshaw, Peter Girges.

Sortie salles France: 29 Février 2012. U.S: 11 Décembre 2011 et 27 Janvier 2012

FILMOGRAPHIE: Joe Carnahan est un réalisateur, scénariste, monteur et producteur américain, né le 9 Mai 1969. 1998: Blood and Bullets. 2002: Narc. 2006: Faceless (télé-film). 2007: Mise à prix. 2010: l'Agence tous Risques. 2012: Le Territoire des Loups. 2013-2015 : Blacklist (Série TV) (3 épisodes). 2014 : Stretch. 2014-2015 : State of Affairs (série télévisée) (4 épisodes, également créateur). 2021 : Boss Level. 2021 : Copshop. prochainement : Shadow Force. 2024 : Not Without Hope. 2025 : RIP.

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Une fois de plus dans la mêlée. Dans le dernier et plus grand combat de ma vie. Vivre et mourir aujourd'hui. Vivre... et mourir... aujourd'hui.
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Remember, Joe Carnahan nous épata avec son polar moite Narc. Puis ce fut au tour de l'excellent polar caméléon Mise à Prix pour ensuite nous décevoir (désolé les fans) avec un blockbuster imberbe, l'Agence tous Risques. En 2012, il nous revient avec un survival aussi acéré que le tranchant d'une lame, Le Territoire des loups. Et il faut peut-être remonter au mythique Délivrance de John Boorman (oui j'ose la comparaison) pour retrouver une telle intensité, un tel sentiment insécure, un souffle si désespéré pour la sombre destinée d'une poignée de survivants confrontés aux monstres tapis dans l'obscurité au sein des décors enneigées d'une nature hostile. 

Synopsis: Un avion transportant des ouvriers d'une compagnie pétrolière s'écrase dans les montagnes du Grand Nord. Un groupe de survivants devra se soumette à l'autorité de John Ottway, solitaire nihiliste profondément marqué par la mort de sa femme. Rapidement, une horde de loups voraces défient les intrus alors que John tentera de sauvegarder son équipe par sa pratique émérite à déjouer l'instinct du carnassier. 
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Le survival, l'aventure, le suspense, l'action, la catastrophe, l'horreur et surtout la terreur sont habilement agencés pour nous illustrer sans fioriture aucune une odyssée humaine désabusée au réalisme imparable. Car à travers les montagnes rocailleuses, si enneigées du Grand Nord, Joe Carnahan nous entraîne au coeur d'un enfer terrestre parmi l'intrusion d'une poignée de survivants d'un crash aérien confrontés à la sauvagerie d'une meute de loups. Le sombre récit annonçant la couleur blafarde dès son préambule avec la tentative de suicide de notre expert en chasse, un braconnier de loups employé à préserver la vie de foreurs d'une compagnie pétrolière. Car John Ottway est un veuf accablé par le chagrin de son épouse, toujours plus dépité par la nature délétère de l'homme. Il décide alors rejoindre sa défunte à un moment opportun avant de se raviser suite aux hurlements plaintifs d'un loup entendu dans la forêt adjacente. Le lendemain, après avoir embarqué dans l'avion parmi son équipe pour rejoindre l'Alaska, l'engin s'écrase en pleine nature déshéritée. Le réalisme de cette catastrophe nous ébranle sans prévenir de par sa brutalité aride sobrement illustrée. Filmé en interne de l'appareil incontrôlé, la panique générale allouée aux voyageurs crispés sur leur siège nous saisit d'une terreur sourde. Un vacarme d'apocalypse où leurs cris de frayeurs s'entremêlent avec le bruit assourdissant des moteurs en flamme et de taules déchiquetées. Dès le prélude, Joe Carnahan insiste à nous décrire sa vision hyper réaliste et dérangée de l'agonie humaine lorsque l'un des survivants sévèrement mutilé sera confronté à sa pire labeur, sa propre mort en direct face au témoignage de ses compagnons démunis. Ce sentiment morbide de la peur de trépasser, cette affres d'y rejoindre un ailleurs anonyme vont planer durant la totalité du récit sur la psyché désarmée de nos rescapés à bout de souffle. Une poignée d'hommes à caractère aussi bien distinct que trempé, confrontés au froid réfrigérant d'une contrée à la fois inconnue et sauvage, à la famine et à la fatigue de l'épuisement. Mais surtout des hommes faillibles auprès de leur sentiment d'orgueil, de vanité ou d'arrogance (l'inattention, l'imprudence, la phobie et leur conflit d'égo les mèneront fatalement au déclin). Des quidams perplexes de leur destinée, rapidement accablés par le désespoir car gagnés par la peur si envahissante de trépasser. Ainsi, durant ce périple improvisé où plane incessamment la mort, chaque protagoniste se confrontera à sa propre idéologie, une remise en question spirituelle sur le sens de leur propre destinée. De par cette terreur innée de trépasser dans un avenir proche au milieu d'une écologie rigoureusement menaçante et par cette crainte primitive d'être violenté par la sauvagerie du loup, nos ultimes rescapés devront se mesurer à leur courage et bravoure pour tenter de s'extraire d'un calvaire toujours plus sinistré. Si bien que leurs nerfs autant que les nôtres seront mis à rude épreuve sous l'impulsion d'une intensité dramatique à la limite du supportable (l'ultime demi-heure est un long moment d'anthologie auprès de nos derniers rescapés en proie à une épreuve de force toujours plus éreintante). 


Or, cette atmosphère terriblement mortifère est d'autant mieux rendue par l'immensité de l'environnement naturel, par ces tempêtes de neige fluctuantes au vent ardent fouettant les visages burinés de nos héros davantage exténués. Quand bien même dans l'obscurité, la présence nuisible, souvent latente des loups, ne fera qu'accentuer ce sentiment insécure prégnant auprès d'eux et surtout leur frayeur sensitive de craindre d'être dévorés par les maîtres des lieux. Il faut d'ailleurs insister sur la physionomie de ces fauves enragés impressionnant de robustesse à travers leur présence iconique, particulièrement épeurants lors des attaques sournoises violemment perpétrées sur les proies humaines. Et personnellement, de mémoire d'amateur éclairé, je n'avais pas ressenti une terreur aussi primale et désorientée face à l'hostilité animale depuis les lycanthropes du Loup-Garou de Londres (son préambule auquel les 2 héros sont égarés dans la campagne nocturne des landes) ou encore Hurlements (l'agression de Terry Fisher dans la cabane). 

Dans un rôle viril de meneur de groupe intarissable, Liam Neeson crève l'écran pour sa stature imposante, son intelligence d'esprit, son sens de camaraderie et surtout sa pugnacité chevronnée à livrer un combat sans merci contre l'ennemi quasi invisible. Mais aussi et surtout sa dimension humaine accablée par la perte d'un être cher qui le hante durant tout le périple. Son éthique également à accepter ou stigmatiser sa foi mystique. L'épilogue littéralement bouleversant car d'autant plus équivoque ne manque pas d'y suggérer un dernier acte de bravoure, un baroud d'honneur pour cet homme livré à sa seule raison, sa foi de croire en lui pour s'extirper de la mort.


Rédemption
Spectaculaire et intense, proprement terrifiant et si désespéré, Le Territoire des Loups est un survival implacable d'une acuité émotionnelle vulnérable autant qu'un drame humain d'une densité bouleversante auprès des remises en question morale initiatiques. Sa mise en scène documentée transcendant la beauté sauvage de ces montagnes enneigées, l'interprétation viscérale des comédiens, son climat funèbre imparti au sens de la vie nous acheminant au grand moment de cinéma à travers cette montée progressive de la tension horrifique où chaque survivant appréhende autant qu'il aménage sa future mort. Une référence dont il est impossible de sortir indemne. 

*Bruno
08.01.25. 2èx. Vost.
14.03.12. 

Le tournage a lieu de janvier à mars 2011. Il se déroule en Colombie-Britannique au Canada, notamment à Vancouver et Smithers. Le tournage a été particulièrement éprouvant pour l'équipe en raisons des températures négatives et du phénomène de blanc dehors.
Liam Neeson raconte : « Pendant les premiers jours, c’était tout bonnement physiquement impossible. Il fallait que l’on mémorise nos répliques, mais c’était comme si nos cerveaux avaient gelé… Nous n’étions capables de penser qu’à une seule chose : se réchauffer. »

 

mardi 13 mars 2012

EXTREMEMENT FORT ET INCROYABLEMENT PRES ( Extremely Loud and Incredibly Close)


de Stephen Daldry. 2011. U.S.A. 2h09. Avec Tom Hanks, Thomas Horn, Sandra Bullock, Zoe Caldwell, Dennis Hearn, Paul Klementowicz, Julian Tepper, Caleb Reynolds, John Goodman, Max Von Sydow.

Sortie salles France: 29 Février 2012. U.S: 20 Janvier 2012

FILMOGRAPHIE: Stephen Daldry est un réalisateur et producteur anglais, né le 2 Mai 1961 dans le Dorset.
2000: Billy Elliot
2002: The Hours
2008: The Reader
2011: Extrêmement fort et incroyablement près
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D'après le best-seller de Jonathan Safran Foer, Extrêmement fort et incroyablement près est un mélodrame bâti sur le trauma post 11 septembre que toutes les familles endeuillées ont dû endurer. Le réalisateur Stephen Daldry s'intéresse ici au cas d'un enfant précoce de 9 ans, un élève surdoué incapable d'assumer la mort de son paternel mais qui va apprendre au fil de ses investigations la foi inhérente de subsister.

Oska est un jeune élève de 9 ans, studieux et perspicace mais incapable de réfréner un florilège de  phobies existentielles dans le monde qui l'entoure. Le jour du 11 septembre 2001, son père meurt sous les décombres d'une des tours jumelles du World Trade Center. Après l'enterrement, blotti dans une pièce secrète de sa chambre, il se réfugie longuement à travers ses souvenirs de photos et objets familiers en mémoire de son père.  
Un jour, il renverse incidemment un vase rangé sur l'étagère d'un sellier. C'est là qu'il découvre une clef à l'intérieur d'un buvard où est inscrit au verso le mot "Black". Il décide de retrouver la fameuse serrure qui pourrait lui saisir la chance d'en savoir plus sur son père. 
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A la manière d'un jeu de piste ludique, Extrêmement fort et incroyablement près est un récit initiatique entrepris par un jeune garçon traumatisé par la disparition brutale de son père. Par le biais d'une commémoration aux victimes du 11 septembre, le réalisateur nous façonne un drame intime, une introspection délicate sur la fragilité de l'enfance et de son refus de se soumettre à l'horrible réalité des faits imposés. Réfugié dans sa solitude et dépréciant sa mère en guise de rancoeur, Oskar souhaite découvrir le secret d'une clef qui pourrait lui permettre de renouer une dernière fois avec la mémoire de son père espiègle, préalablement complices de jeux pédagogiques en guise d'éducation spéculative.
Pour retrouver cette fameuse serrure occultée dans la cité urbaine de New-York, Oskar va devoir répertorier tous les patronymes commençant par "Black" et croiser des citadins éclectiques à l'ethnie différente. ATTENTION SPOILER !!! Avec l'aide du nouvel ami de sa grand-mère, un bailleur mutique, l'enfant va peu à peu apprendre à évoluer et réprimer ses peurs par la résolution d'une énigme fortuite auquel un témoin avait enduré une relation conflictuelle avec son géniteur fraîchement décédé. FIN DU SPOILER
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Réalisé avec tact et une sensibilité fébrile, beaucoup de critiques ont reproché son caractère lacrymal trop prononcé alors que la narration aléatoire et contée sans fioriture provoque une intense émotion dans ces moments les plus impondérables. Privilégié par un quatuor de comédiens tout à fait tempérés dans leurs états d'âme discrédités ou lamentés, le réalisateur réussit à provoquer une violente émotion incontrôlée lors de moments flegmatiques auquel nos personnages se sont réfugiés en guise d'exutoire.
S'il est concevable que son final insiste parfois un peu trop à tirer sur la corde sensible, ce mélodrame inscrit dans l'humilité se révèle à mon sens beaucoup plus sincère et modeste que nombre de productions conventionnelles abusant de pathos pour faire pleurer dans les chaumières.
A travers l'enquête minutieuse élaborée par Oskar, Extrêmement fort... aborde le thème du deuil insurmontable auprès des défunts et surtout de la difficulté de réprimer ses angoisses. Le courage de transcender la peur intrinsèque de la mort pour mieux affronter l'effervescence de notre vie auquel chaque jour peut nous être gratifié à la manière d'un miracle.
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Si Sandra Bullock surprend par sa retenue à endosser avec vulnérabilité une femme anéantie par le chagrin et que Max Von Sydow impose une composition sombre et torturée dans celui du bailleur âgé, c'est le jeune Thomas Horn qui crève ici littéralement l'écran ! Il interprète de manière magistrale le rôle hétérogène d'un petit gamin aussi adroit et débrouillard que profondément perturbé et tourmenté par la disparition brutale de son géniteur. La séquence difficile auquel Oskar se résout d'acculer le bailleur à écouter les messages d'adieu inscrits sur répondeur téléphonique par un père accablé, font parti des moments les plus durs et éprouvants du film. Dans ses rares apparitions, Tom Hanks se révèle traditionnellement talentueux dans son jeu décontracté de paternel plein d'aplomb à daigner éduquer son fils de la manière la plus prospère.
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Superbement interprété, mis en scène avec pudeur et tempérance et émaillé de séquences aussi poignantes que déchirantes (la dernière demi-heure vaut son pesant d'émotion cathartique), Extrêmement fort et incroyablement près est un fragile récit initiatique auscultant les névroses d'un enfant prodige scindé entre sa soif d'acquérir les connaissances et la douleur cinglante de la perte de l'être aimé.  En rendant un hommage déférent aux victimes des attentats du 11 septembre, ce mélodrame bouleversant réussit à convaincre et séduire par son habile narration dédiée à la culpabilité de ces protagonistes. Des personnages meurtris ou désunis mais confrontés à leur leçon de vie et de tolérance. 
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13.03.12
Bruno Matéï

lundi 12 mars 2012

Christine


de John Carpenter. 1983. U.S.A. 1h50. Avec Keith Gordon, John Stockwell, Alexandra Paul, Robert Prosky, Harry Dean Stanton, Christine Belford, Roberts Blossom, William Ostrander, David Spielberg.

Sortie salles France: 25 Janvier 1984. U.S: 9 Décembre 1983

FILMOGRAPHIE: John Howard Carpenter est un réalisateur, acteur, scénariste, monteur, compositeur et producteur de film américain né le 16 janvier 1948 à Carthage (État de New York, États-Unis). 1974 : Dark Star 1976 : Assaut 1978 : Halloween, la nuit des masques 1980 : Fog 1981 : New York 1997 1982 : The Thing 1983 : Christine 1984 : Starman 1986 : Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin 1987 : Prince des ténèbres 1988 : Invasion Los Angeles 1992 : Les Aventures d'un homme invisible 1995 : L'Antre de la folie 1995 : Le Village des damnés 1996 : Los Angeles 2013 1998 : Vampires 2001 : Ghosts of Mars 2010 : The Ward


"Laisse-moi te dire ce que je pense de l'amour Denis. L'amour à un appétit vorace. Il te bouffe tout. Les amis, la famille. Tout ce que ça bouffe, ça me sidère. Mais ce que je sais maintenant... C'est que si tu le nourris bien, ça peut devenir une belle chose. Et c'est ce qui nous arrive. Quand tu es sûr que quelqu'un croit en toi, tu peux tout faire. Faire tout ce dont tu as envie. Et si en plus tu crois toi-même en l'autre,... mon vieux... Alors attention le monde, personne ne pourra jamais t'arrêter, jamais !". 
 
"Fury amoureuse". 
Un an après l’échec public et critique de The Thing, John Carpenter adapte un roman de Stephen King : Christine. Une œuvre injustement – voire inexplicablement – reléguée au rang de pièce mineure dès sa sortie. Qu’on se le dise ! C’est pourtant une clef de voûte du fantastique moderne, une variation ensorcelante sur le thème du vampirisme, entre un adolescent introverti et sa Plymouth Fury d’un rouge immaculé : Christine.

Le pitch : Arnie, ado timide et gauche, peine à trouver sa place. Son meilleur ami Dennis tente de l'encourager à séduire la nouvelle du lycée, Leigh. Mais un après-midi, alors qu’ils roulent à travers une route bucolique, Arnie tombe sous le charme d’une vieille carcasse rouillée abandonnée dans le jardin d’un vieil homme. Il demande à Dennis de s’arrêter sur le bas-côté, puis décide sur un coup de tête de l’acheter pour 250 dollars. Une étrange relation amoureuse s’initie alors entre Christine et lui.


"Elle sentait bon la voiture neuve, sûrement la meilleur odeur au monde, à part une chatte peut être" 
Avec un postulat à deux doigts du ridicule, Carpenter réussit pourtant l’immense gageure de nous faire croire à l’histoire d’un adolescent vampirisé par une voiture. Porté par un style formel d’une grande élégance et par de jeunes interprètes étonnants de sincérité, Christine fascine d’emblée par son ton résolument fantasmatique – la voiture électrise littéralement chaque apparition – et son essence tragique : la déshumanisation d’Arnie. Carpenter signe ici une tragédie funèbre au pouvoir d’envoûtement indéfectible. L’histoire d’un amour fou entre un adolescent et une Plymouth Fury délabrée. Sous l’emprise de Christine, Arnie se métamorphose : revanchard, orgueilleux, égocentrique – prêt à dévorer quiconque se mettrait entre elle et lui. Désinhibé, il parvient même à séduire la plus belle fille du lycée. Mais Christine, d’une jalousie maladive, n’entend pas partager.
 

En maître-conteur, Carpenter donne chair aux personnages gravitant autour d’Arnie : Leigh, Dennis, les parents démunis... Tous assistent, impuissants, à la mue maléfique de ce garçon rongé par sa passion métallique. Si le récit bouleverse, c’est autant par ses accès de violence que par la sobriété désespérée de ceux qui le peuplent. Lorsque Christine, désossée, affronte le regard de son maître furibond, quelque chose d’étrangement poignant se joue. Dans cette fusion intime entre un garçon solitaire et sa voiture, on touche à l’obsession pure, à la folie amoureuse. Keith Gordon incarne un Arnie bouleversant de rage contenue, le regard illuminé par une ferveur malsaine.

Avec peu d’effets spéciaux, Carpenter livre pourtant des séquences inoubliables : la résurrection de Christine, reconstituée pièce par pièce dans l’obscurité d’un garage désert ; les poursuites nocturnes baignées d’une lumière surnaturelle ; ou cette atmosphère d’outre-monde qui imprègne les rues d’une bourgade américaine trop tranquille. Pour parachever cette ambiance de cauchemar doux, la bande-son composée avec Alan Howarth injecte une mélancolie vénéneuse à chaque plan – un électro funèbre qui tourne chez moi en boucle, chaque mois.


"Rouge passion, chrome sanglant".
Raconté avec une simplicité limpide, Christine n’en demeure pas moins un chef-d’œuvre maudit, d’une beauté baroque et d’une intensité émotionnelle à fleur de métal. À travers les métamorphoses de ses personnages, gagnés par la peur, le désarroi ou la cruauté ; à travers cette atmosphère irréelle, presque indicible ; et surtout à travers sa musique ensorcelante, le film de Carpenter transcende le genre fantastique. Fable sur le fétichisme, la jalousie, l’amour dévorant, Christine devient le portrait d’un vampire de tôle, se nourrissant des sentiments d’un adolescent désarmé. Magnétique, venimeuse, rutilante : Christine crève l’écran – et dans sa dernière course, on en viendrait presque à l’aimer.

* Bruno
12.03.12
6èx


vendredi 9 mars 2012

ILSA LA LOUVE DES SS (Ilsa, She Wolf of the SS / Le Nazi était là, les Gretchen aussi)


de Don Edmonds. 1974. U.S.A/Allemagne. 1h36. Avec Dyanne Thorne, Gregory Knoph, Tony Mumolo, Maria Marx, Nicolle Riddell, Jo Jo Deville, Sandy Richman, George 'Buck' Flower, Rodina Keeler, Wolfgang Roehm.

Sortie salles U.S: Octobre 1975

FILMOGRAPHIE: Don Edmonds est un réalisateur, acteur, producteur, scénariste et cascadeur américain, né le 1er Septembre 1937 dans le Kansas City, décédé le 30 Mai 2009 en Californie.
1972: Wild Honey. 1973: Tender Loving Care. 1974: Ilsa, la louve des ss. 1976: Southern Double Cross. 1976: Ilsa, Gardienne du Harem. 1977: Bare Knuckles. 1980: Demon Rock. 1991: Tomcats Angels. 1991: Les dessous de Palm Beach (Série TV. Pilot).


Film fondateur du Nazisploitation (si on écarte l'oeuvre abstraite Portier de Nuit, réalisé la même année - critique détaillée ici -http://brunomatei.blogspot.com/2011/11/portier-de-nuit.html), Ilsa, la Louve des SS fut un tel succès lors de sa sortie en salles en 1975 que deux autres suites furent rapidement mises en chantier. Il faut reconnaître l'audace indécente du cinéaste d'avoir osé exploiter à l'écran l'holocauste du nazisme de la guerre 39/45 sous la structure d'un pur film d'horreur complaisant et putassier. D'ailleurs, plusieurs cinéastes de tous horizons ne vont pas hésiter à profiter du nouveau filon hérité du WIP (Woman In Prison) en façonnant d'autres rejetons tout aussi vulgaires, voirs encore plus incongrus (la Dernière orgie du 3è Reich, Train Spécial pour Hitler, SS Camp 5, Holocaust Nazi ou encore KZ9 Camp d'Extramination). Deux auteurs frondeurs parviendront néanmoins à livrer des films artistiquement ambitieux et dialectiques avec justement Portier de Nuit de Liliana Cavani et Salon Kitty de Tinto Brass. Amis du bon goût, il est maintenant temps pour vous de plier bagage !


A la fin de la seconde guerre mondiale, Ilsa, officier SS lubrique et tortionnaire exploite son nouveau camp de prisonniers dans une contrée germanique. Epaulé par ses officiers, elle se livre à diverses expériences médicales sur ses patientes molestées par le supplice de la torture. Mais l'arrivée d'un groupe de détenus mâles va considérablement changer la donne quand l'un d'eux, Wolf, décide d'entraîner le groupe à l'insurrection. Quand on revoit aujourd'hui Ilsa, la louve des SS, on se rend compte à quel point les années 70 furent l'époque de toutes les transgressions et des déviances. Dans un alliage de sexe putanesque et de violence crade, ce pur produit d'exploitation proche de la bande dessinée accorde un intérêt très limité dans ses péripéties sordides alignant nombre de scènes de tortures aussi abjectes que vomitives. Sorte de Saw avant gardiste où ici notre tortionnaire utilise sur ces patients des ustensiles rubigineux et nombre d'idées utopiques afin de leur contracter les maladies les plus contagieuses et létales en guise de mégalomanie. Ces pratiques barbares sont également vouées à une ambition toute personnelle car purement sadienne, à savoir quel sujet pourra réussir à supporter la plus grande douleur sur un laps de temps indéfini !


Le film mollement réalisé parvient tout de même à préserver un certain intérêt grâce à cette surenchère sadique d'étaler à intervalle régulier (voire, sans discontinuer !) nombre de scènes gores hardcores et orgies sexuelles vouées à la débauche la plus cynique. Mais Ilsa possède également un atout de choix en la présence iconique de l'inoubliable Dianne Thorne. Une actrice blonde extravertie qui en rajoute des tonnes dans la cabotinerie pour incarner une officière allemande adepte du fétichisme, n'hésitant jamais à se dévêtir pour copuler et ainsi afficher fièrement l'opulence de sa poitrine. Mais une interprète exubérante, véritable garce de l'outrance et de l'outrage immoral, réussissant à invoquer auprès du spectateur une fascination/répulsion dans ses méfaits licencieux particulièrement insatiables. L'atmosphère malsaine qui émane des décors sépias d'un camp de prisonniers vétuste jusqu'aux laboratoires expérimentaux souillés par les éclaboussures de sang participe également à accentuer son climat étouffant, voir parfois dérangeant. Heureusement, pour mieux faire passer la pilule du mauvais goût, Ilsa, la Louve... possède une aura typiquement kitch et ringarde parmi le surjeu de ces acteurs, par ses décors approximatifs (le camp est en faite la même scénographie préalablement utilisée dans la fameuse série TV Papa Schultz !) et par son ton grossier plein d'extravagance.

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Volontairement obscène, cul et hardgore, Ilsa, la Louve des SS est un nanar malotru mais foutraque, insolent et paresseux dans sa trame linéaire dénuée d'intérêt. Par son ambiance aussi malsaine que cartoonesque, ce pur produit Bis estampillé seventie garde intact son impact choquant dans ses tortures les plus déviantes. Une curiosité insensée à revoir d'un oeil distrait, d'autant plus que Dianne Thorne mène la sarabande graveleuse avec une spontanéité assumée ! A réserver néanmoins à un public préparé et à subir au 10è degré !
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Dédicace à l'Antre du Bis et de l'exploitation
09.03.12
Bruno Matéï


jeudi 8 mars 2012

BUTTERFLY KISS. Double Prix d'interprétation Féminine à Dinard 1995.


de Michael Winterbottom. 1995. Angleterre. 1h25. Avec Amanda Plummer, Kathy Jamieson, Saskia Reeves, Des McAleer, Lisa Riley, Freda Dowie, Paula Tilbrook, Fine Time Fontayne, Elizabeth Mc Grath, Joanne Cook.

Sortie salles France: 10 Janvier 1996. Angleterre: 26 Avril 1996

Récompenses: Double Prix d'interprétation Féminine au Festival du film Britannique de Dinard en 1995.

FILMOGRAPHIE: Michael Winterbottom est un monteur, producteur, réalisateur et scénariste britannique, né le 29 Mars 1961.
1990: Forget about me. 1992: Under the Sun. 1995: Butterfly Kiss. 1995: Go now. 1996: Jude. 1997: Bienvenue à Sarajevo. 1998: I want you. 1999: Wonderland. 1999: With or without you. 2000: Rédemption. 2002: 24 Hour Party People. In this World. 2003: Code 46. 2004: 9 Songs. 2005: Tournage dans un jardin anglais. 2006: The Road to Guantanamo. 2007: Un Coeur invaincu. 2009: Un Eté Italien. 2010: La Stratégie du choc. 2010: The Killer inside me. 2011: The Trip. 2011: Trishna.

                                               "Il y a du bon et du mauvais chez tout le monde".
 
"Road movie au vitriol : la dérive déchirante de Butterfly Kiss".
En 1995, sort dans l’indifférence générale le troisième long-métrage d’un réalisateur polygraphe aujourd’hui reconnu. Récompensé d’un double prix d’interprétation féminine au Festival de Dinard, respectivement attribué à Amanda Plummer et Saskia Reeves, Butterfly Kiss s’est forgé, au fil des années, une réputation de film culte, introuvable et destiné à un public marginal. Histoire d’amour écorchée vive, œuvre austère, inclassable et hermétique, ce road movie au vitriol laisse une empreinte méchante dans l’encéphale sitôt l’épilogue brutalement achevé.

Une vagabonde saphique erre sur les autoroutes d’Angleterre, cherchant une certaine Judith aux abords des stations-service. Sur sa route, elle rencontre Miriam, serveuse introvertie et naïve. Ensemble, elles entament un périple meurtrier contre les quidams machistes, avant de tomber amoureuses. Film choc, profondément dérangeant, par son ambiance malsaine au confins du marasme et le profil torturé d’un duo de lesbiennes complices de meurtres en série, Butterfly Kiss est un ovni subversif qui bouleversa nombre de spectateurs, déconcertés par cette relation amoureuse sous formol.

Une serial killeuse obsédée par la quête d’une Judith croisée au hasard croise Miriam, serveuse solitaire cloîtrée avec sa mère dans un appartement sombre.

C’est le début d’une tendre relation qu’Eunice va lentement entraîner dans des pérégrinations meurtrières, punissant cavaleurs de jupons. Voilà pour la synthèse de ce road movie blafard, où les décors glauques des autoroutes anglaises renforcent son côté dépressif, amplifiant la grisaille d’un climat maussade. On ne saura rien du passé de ces deux femmes paumées ni pourquoi Eunice s’acharne à retrouver Judith, probablement une idylle déchue, tandis qu’elle s’entête à chercher le tube d’une chanson sur l’amour. Le réalisateur s’attache surtout à décrire avec un humanisme désespéré leur union fragile, inscrite dans la rancœur morale et le meurtre gratuit.

C’est une élégie désenchantée, une odyssée aux teintes sombres, qui nous est livrée avec verdeur, peignant sans détour leurs vicissitudes sordides, présageant en fin de parcours une rédemption nihiliste. Comme si ces deux héroïnes incomprises s’empressaient, par l’acte meurtrier, de rejoindre les ténèbres pour s’extraire au plus vite de leur univers absurde.

Jalonné de tubes pop-rock — Cranberries, P.J. Harvey, Björk —, le film exacerbe cette ambiance terne pour magnifier l’amertume suicidaire de ces deux paumées incapables de s’assumer ou d’accepter le bonheur.

Amanda Plummer incarne Eunice dans ce rôle magnétique et délicat, traduisant avec acuité désespérée la tueuse en série répugnée par sa propre personnalité. Pour expier ses crimes, elle martyrise son corps, orné de piercings, tatouages et chaînes de métal, marquant ses stigmates d’hématomes. Saskia Reeves partage la vedette, incarnant avec naïveté candide une femme-enfant en perte de repères. Une célibataire inflexible, dénuée d’ambition, influencée par la misanthropie sordide d’Eunice faute de leur intense liaison amoureuse.

"Sous le voile noir : tendresse et violence d’un amour brisé".
Magnifiquement interprété par deux comédiennes à la beauté naturelle, Butterfly Kiss est une virée cafardeuse, une odyssée romantique invoquant l’opacité des ténèbres comme délivrance. Son épilogue traumatique, brutal et inopiné, frappe le spectateur d’une émotion incontrôlée. On s’étonne de ressentir soudain une profonde empathie pour ces deux protagonistes fragiles et besogneuses. Passé cet exutoire cinglant et indélébile, il devient impossible de sortir indemne d’une œuvre aussi fragile, malsaine et désenchantée. À réserver néanmoins à un public averti, tant pour son climat perturbant que son final cathartique — d’où son interdiction aux moins de 16 ans.
 
*Bruno 
A Isabelle Pica
08.03.12

ATTENTION SPOILER POUR CET EXTRAIT DEVOILANT SON FINAL IMPLACABLE !



mercredi 7 mars 2012

CELLULE 211 (Celda 211)


de Daniel Monzon. 2009. France/Espagne. 1h50. Avec Carlos Bardem, Luis Tosar, Alberto Ammann, Marta Etura, Antonio Resines, Luis Zahera, Manolo Solo, Félix Cubero, Jesus Carroza, Joxean Bengoetxea, David Selvas.

Sortie salles France: 4 Août 2010

FILMOGRAPHIE: Daniel Monzon est un réalisateur, scénariste et acteur espagnol, né en 1968.
2000: Le Coeur du Guerrier. 2002: El robo mas grande jamas contado. 2006: The Kovak Box. 2010: Cellule 211.

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Multi récompensé dans son pays d'origine mais passé inaperçu et déprécié dans l'hexagone, Cellule 211 est un thriller carcéral alternant action et psychologie des personnages au fil d'une narration dramatique en chute libre. Pour sa première journée de service, un nouveau gardien de prison se retrouve embrigadé dans une émeute pénitentiaire. Pour sauver sa peau, il est contraint de se faire passer pour un détenu aux yeux des prisonniers délibérés à obtenir leur requête. Alors que les forces spéciales sont prêtes à intervenir, un évènement inopiné va totalement changer la donne et semer l'anarchie la plus désordonnée dans les deux camps adverses.
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De manière ludique mais réaliste, cette série B rondement menée entame sa première partie avec assez d'efficience pour embarquer le spectateur dans un film de prison alerte.  D'autant plus que la confrontation entre nos deux protagonistes antinomiques ne manquent pas d'intensité dans leur relation ombrageuse davantage équivoque. A cause d'un accident aléatoire et d'une violente émeute engagée en interne du pénitencier, un gardien de prison va devoir s'affilier avec un leader contestataire pour tenter d'étouffer la vérité sur sa propre identité. Alors que quelques geôliers et membres de l'ETA sont retenus en otage par les insurgés, les forces spéciales sont sur le point d'entamer un assaut. A l'extérieur, une manifestation de citadins ainsi que les familles des détenus bat son plein autour de l'enceinte. Le gouvernement décide donc de déployer une cohorte de CRS pour tenter d'apaiser la situation. Voilà pour la mise en place de l'intrigue accentuée par la caractérisation autoritaire et fraternelle de nos deux anti-héros finalement conciliés dans une confiance commune. Mais un évènement dramatique impondérable va totalement reconsidérer la conspiration, tandis que les rôles majeurs vont considérablement s'inverser et se combiner.
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C'est à ce moment propice que Cellule 211 va prendre une ampleur psychologique considérable dans le profil galvaudé d'un des protagonistes principaux. Dès lors, la frontière entre le bien et le mal commence sérieusement à régresser pour compromettre chaque protagoniste davantage déconsidéré. L'avènement du chaos semble être la pire solution à tolérer, sachant en outre que notre gardien de prison est à deux doigts de se faire démasquer sur sa véritable identité ! Chaque camp adverse (les représentants de l'ordre contre les marginaux pourfendeurs) va donc devoir user de ruse pour tenter de gagner la partie et ainsi préserver sa propre hiérarchie. La où le film gagne en intensité dramatique et suspense tranchant, c'est dans la démarche immorale et manipulatrice que se résigne chaque témoin contradictoire pour tenter de s'extraire du conflit. La tragédie humaine qui en découle est sévèrement prescrite par le sort réservé à ce gardien de prison déchu. Un pion meurtri devenu en l'occurrence contre sa moralité un véritable détenu aussi délétère et forcené que ses voisins de cellule. Les rapports affectés qu'il entretient avec son coéquipier permettent d'établir un rapport trouble, voir empathique dans leur relation autoritaire, partagée entre sentiment d'iniquité, suspicion et vengeance. Quand au nihilisme du point d'orgue fortuit, il réfute admirablement l'esbroufe au profit d'un conclusion immorale gangrenée par l'opportunisme et la félonie.
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Captivant et davantage haletant dans les enjeux sévèrement encourus, Cellule 211 constitue un excellent actionner subversif pour son immoralité orgueilleuse. Il s'enrichit d'un drame humain particulièrement poignant vers sa seconde partie démontrant avec acuité que l'individu lambda peut un jour bafouer sa liberté pour le compte de la partialité et la vengeance. Le réalisateur tend également à souligner les conditions inhumaines entretenues chez les détenus lorsqu'ils sont amenés à contracter une pathologie en interne de leur cellule. Quand aux interprètes frappants de charisme patibulaire, Carlos Bardem et Luis Tosar mènent leur insurrection avec une virilité primale. 
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07.03.12
BM


mardi 6 mars 2012

Candyman. Prix du Public Avoriaz 93.


de Bernard Rose. 1992. U.S.A. 1h38. Avec Virginia Madsen, Tony Todd, Xander Berkeley, Kasi Lemmons, Vanessa Williams, DeJuan Guy, Barbara Alston, Caesar Brown, Kenneth A. Brown, Michael Culkin.

Sortie salles France: 20 Janvier 1993. U.S: 16 Octobre 1992

FILMOGRAPHIE: Bernard Rose est un réalisateur, scénariste, acteur, directeur de la photographie et monteur britannique. Il est né à Londres le 4 août 1960.
1987 Body contact, 1988 Paperhouse, 1990 Chicago Joe and the Showgirl, 1992 Candyman, 1994 Ludwig van B.(Immortal Beloved),1997 Anna Karénine, 2000 Ivans xtc., 2008 The Kreutzer Sonata, 2010 Mr Nice.

 
"Candyman : le miroir fendu de la haine".
Quatre ans après l’éblouissant Paper House, Bernard Rose transpose à l’écran l’une des nouvelles de Clive Barker, The Forbidden, tirée des Livres de Sang. Sous couvert de légendes urbaines et de superstitions nourries par la peur des déshérités, Candyman aborde frontalement l’exclusion et la xénophobie à travers le martyr d’un croque-mitaine, symbole vindicatif d’une communauté noire immolée par la haine raciale.

Le pitch : Une étudiante et sa collègue rédigent une thèse sur les légendes urbaines. Elles s’aventurent dans un quartier noir défavorisé de Chicago pour enquêter sur le mythe de Candyman. Incrédule et athée, Hélène devient malgré elle la nouvelle cible du spectre, destinée à embrasser les ténèbres comme maîtresse de son royaume maudit..

Porté par un scénario ingénieux transcendant un conte social d’une noirceur inouïe, Candyman avance d’abord à pas feutrés : l’enquête minutieuse de deux universitaires piégées par le mythe qu’elles croyaient disséquer. À première vue, on pourrait croire à un énième avatar de psycho-killer, héritier des cavalcades insolentes d’un Freddy Krueger adulé dans les années 80. Or, grâce à une première partie qui suggère plus qu’elle ne montre, et à la menace tapie d’un être peut-être chimérique, l’œuvre austère de Bernard Rose distille un suspense vénéneux, insinué jusqu’à l’os.

À travers Hélène, érudite fascinée par les croyances populaires mais sourde à toute notion de surnaturel, le réalisateur exploite l’incrédulité pour la hisser au rang de victime emblématique, soumise à la vengeance implacable d’un homme noir jadis massacré par une foule raciste — revenu de l’au-delà par le truchement des miroirs, à quiconque murmure cinq fois son nom face à la glace. Chaque meurtre perpétré dans les bas-fonds insalubres trouve en Hélène la coupable idéale, manipulée par Candyman. D’un crochet rouillé, le spectre lui greffe la preuve du crime dans les mains, l’enferme dans une spirale de chantage moral, et l’enchaîne par l’enlèvement d’un enfant gardé dans un recoin imprenable.

 
Cette empathie pour la victime blanche, arrachée à son confort pour être livrée à une justice sourde, cette impuissance à clamer l’innocence face à l’inexorable, nous cingle d’un malaise étouffant, d’une terreur presque palpable. Par une maîtrise technique implacable, Bernard Rose attise l’angoisse à chaque apparition, à chaque effusion de sang orchestrée par Candyman, jusqu’à nous ligoter au cauchemar d’Hélène promise à la damnation. Les décors d’HLM rongés de graffitis hystériques et l’inoubliable partition solennelle de Philip Glass amplifient ce climat d’abandon et de pourriture. Quant à l’apparition béante du spectre revanchard, drapé de velours noir et armé de son crochet sifflant, elle nous cloue sur place, à l’unisson de sa voix gutturale (privilégier coûte que coûte la VO, plus grave et caverneuse !).


"L’évangile sanglant du croque-mitaine vengeur".
Brillamment interprété par une Virginia Madsen candide, poignante de vulnérabilité et de vertige, face à un Tony Todd glaçant de majesté funèbre, Candyman se dresse en chef-d’œuvre absolu du fantastique à résonance sociale. Un conte macabre d’une cruauté foudroyante, peinture sans fard d’une haine raciale jamais assagie, qu’étouffe encore son atmosphère urbaine suffocante. Une date incontournable, à revoir sans jamais s’endurcir.

Bruno 
03.04.25. 4èx. Vost
06.03.12. 

Récompense: Prix du Public à Avoriaz en 1993.
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lundi 5 mars 2012

KILL LIST


de Ben Wheatley. Angleterre. 2011. 1h30. Avec Neil Maskell, MyAnna Buring, Harry Simpson, Michael Smiley, Emma Fryer, Struan Rodger, Esme Folley, Ben Crompton, Gemma Lise Thornton, Robin Hill, Zoe Thomas.

Sortie salles France: Juillet 2012. U.S: 3 Février 2012

FILMOGRAPHIE: Ben Wheatley est un réalisateur, scénariste, producteur et acteur anglais.
2009: Down Terrace
2011: Kill List
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Second film d'un réalisateur anglais méconnu (son 1er long est resté inédit en France), Kill List est un nouvel ovni sorti de nulle part mais précédé d'une réputation particulièrement élogieuse partout où il fut projeté. Réaliste, sombre, lattent et ombrageux, sa narration abstraite passant d'un genre à un autre ne pourra laisser personne indifférent, au risque de déconcerter ceux qui n'étaient pas préparer à ce brutal revirement de tons.

Un duo de tueurs à gage reprennent du service et sont contraints sous l'allégeance de leur patron de supprimer trois individus spécifiques: un prêtre, un bibliothécaire et un député. Mais leur juteux contrat va les mener vers une irrémédiable descente aux enfers. 
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Ca débute comme un drame social avec le portrait conjugal d'un couple en précarité financière pour s'engager ensuite vers le polar moite et ultra violent dans la dérive meurtrière de deux tueurs professionnels. Alors que sa dernière demi-heure amorce un dernier virage impondérable pour bifurquer in extremis vers une horreur païenne où l'on cherche encore le sens mystique de cette confrérie (du moins, de mon point de vue personnel).
Jay, ancien belligérant marqué par les traumatismes d'une guerre ukrainienne va devoir reprendre les armes sous son ancien profil de tueur à gage afin de subvenir aux besoins de sa famille. C'est grâce à l'aide de son compagnon Gal qu'ils vont pouvoir entreprendre un nouveau contrat sous l'injonction d'un patron opiniâtre. C'est à dire exécuter de sang froid trois individus liés à un sordide réseau pornographique. Mais Jay, davantage erratique dans ses élans meurtriers d'une extrême violence va peu à peu se laisser happer par sa peur et sa paranoïa, alors qu'un piège est entrain de se refermer contre eux.
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Voilà en gros le résumé d'une narration interlope qui ne cesse d'alterner les ruptures de ton en nous embarquant dans une virée sanglante de deux tueurs professionnels pris au dépourvu.
Dans une ambiance lourde et oppressante, amplifiée par l'opacité d'une partition musicale éprouvée, les personnages marginaux de Kill List nous sont préalablement décrits comme des personnages plutôt anodins. Si ce n'est que Jay et sa ravissante épouse entament une relation parfois véhémente dans leur mésentente lié à un problème financier. Son ami Gal semble beaucoup mieux épanoui avec sa nouvelle maîtresse toute aussi ténue mais discrète et insondable. Ces quatre personnages nous sont donc présentés de prime abord comme des citoyens modestes issus de classe moyenne. Mais rapidement, un indice suspicieux dévoilé par l'une des protagonistes réfugiée dans une salle de bain va nous être établi sans pouvoir démanteler sa véritable signification. La structure narrative va ensuite monter d'un échelon son caractère trouble en ascension avec la révélation professionnelle exercée par Jay et son acolyte de toujours, Gal, compromis à une organisation criminelle. Dans une réalisation maîtrisée au montage elliptique, Kill List tisse lentement sa toile d'araignée dans lequel nos deux tueurs à gage vont lamentablement s'y laisser appréhender. Leur relation parfois orageuse, leur éthique réfutant toute croyance spirituelle et leur doute compromis par certains éléments troublants vont peu à peu les confronter aux sombres exactions d'une divinité païenne.
Avec quelques détails hermétiques qui vont venir alimenter un mystère adroitement entretenu et la déchéance psychologique du personnage principal (l'entaille faite au couteau à la main de Jay par son boss taciturne, le remplaçant du médecin à la posture trop confiante, le témoignage de gratitude exclamée par chacune des victimes avant de trépasser), ce voyage au bout de la nuit nous happe peu à peu dans un dédale terriblement insidieux confinant au malaise.
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Parfaitement interprété (les 2 comédiens principaux sont surprenant de naturel et de flegme impassible dans leurs exactions sanguinaires) et mis en scène avec un réalisme acéré par ces éclairs de violence barbare parfois insupportables, Kill List attise l'anxiété et décuple son caractère mortifère dans un alliage de genres savamment combinés. Même si la narration complexe est loin de dévoiler la véritable nature des enjeux mystiques, cet ovni déroutant laisse au final une forte impression d'avoir vécu quelque chose d'insondable et d'irrésistiblement malsain. Une seconde vision est même à prodiguer au plus vite tant le film regorge d'indices sous-jacent restés en suspension, ce qui nous laisse donc sur un sentiment de doute intentionnel. 

05.03.12
Bruno Matéï

jeudi 1 mars 2012

BREAKING POINT


de Bo Arne Vibenius (pseudo: Ron Silberman Jr). 1975. 1h35. Suède. Avec Andreas Bellis, Irena Billing, Barbara Scott, Per-Axel Arosenius, Susanne Audrian.

FILMOGRAPHIE: Bo Arne Vibenius est un réalisateur, scénariste, producteur, acteur suédois, né le 29 Mars 1943. 1969: Hur Marie Traffade Fredrik. 1974: Thriller. Crime à froid (sous le pseudo Alex Fridolinski). 1975: Breaking Point


            Avertissement: Film à caractère pornographique interdit au moins de 18 ans.
Un an après le cultissime Thriller (Crime à Froid), le franc-tireur Bo Arne Vibenius renoue avec la déviance pornographique et ses climats blafards résolument glauques et malsains. Sauf qu'en l'occurrence, Breaking Point se distingue par une ironie caustique à la limite de la loufoquerie. Cynique et immoral, son trip schizo jalonné de séquences X pourrait même se voir taxé d'apologie au viol par quelques ligues féministes (pisse-froids) s'ils n'avaient perçu (ou encaissé) son caractère aussi sarcastique que risible. Bob Bellings est un comptable timoré et introverti travaillant autour de l'assemblée d'une gente féminine condescendante. Célibataire inflexible, il vit reclus dans son appartement parmi sa passion ludique des locomotives électriques. A la tombée de la nuit, il se laisse guider par ses fantasmes sexuels. Autant avertir les âmes prudes, Breaking Point rivalise d'audace putanesque à travers ses rêveries hardcores retranscrites avec verdeur auprès du profil refoulé d'un bureaucrate impassible. L'oeuvre incongrue ne ressemblant à aucune autre de par la personnalité au vitriol du cinéaste marginal adepte du politiquement incorrect.


Un alchimiste inspiré d'expérimentations visuelles et d'idées saugrenues afin d'amplifier un climat effronté éludé de morale. Son atmosphère acrimonieuse exacerbée d'une photo terne nous plongeant dans une ambiance aussi feutrée qu'hallucinée, quand bien même les frasques meurtrières et libidineuses de notre sociopathe nous désarçonne par ses mesquineries machistes (son sperme versé dans la tasse à café d'une secrétaire en guise de rancoeur !). L'originalité est de mise donc au sein de ce mélange judicieux de genres hétéroclites. Si bien que l'on passe constamment de la comédie à la pornographie en passant par le polar et la violence parfois sordide (le préambule expérimental convergeant à l'assassinat crapuleux). Si Breaking Point se révèle si hors normes et extravagant, c'est également grâce à son score musical en demi-teinte composé par Ralph Lundsten, puisque oscillant le décalage entre une mélodie enjouée et les échos interlopes. Enfin, la silhouette photogénique de l'acteur grec Andreas Bellis doit notamment beaucoup au caractère réaliste de cette dérive frénétique. Tant pour ces talents d'hardeur (non simulé) lors de ces galipettes impromptues que de son inquiétante physionomie en pervers à la fois studieux et fébrile. Tour à tour névrosé et introverti par sa morne existence de comptable apatride, car tributaire d'une hiérarchie féministe, il parvient pour autant à s'affranchir lors de fantasmes nocturnes sitôt réfugié dans la solitude de son appartement étriqué.


Vilain p'tit canard hardcore, cynique et débridé, Breaking Point constitue une expérience extrême insoluble à évacuer de la mémoire tant elle marque de son aura malsaine un délire assumé à ne pas prendre au premier degré. L'originalité de sa mise en scène assumée, le ton décalé des genres disparates et l'interprétation maladive d'Andreas Bellis convergeant à l'ovni versatile, à côtoyer toutefois prudemment chez les non initiés. En tous cas une perle marginale atypique pour un public adepte de déviance jusqu'au-boutiste. 

* Bruno
02.03.12