samedi 4 janvier 2014

RUSH

                                                                        Photo empruntée sur Google, appartenant au site thereza-thereza.fr

de Ron Howard. 2013. U.S.A./Angleterre/Allemagne. 2h02. Avec Chris Hemsworth, Daniel Brühl, Olivia Wilde, Alexandra Maria Lara, Pierfrancesco Favino.

Sortie salles France: 25 Septembre 2013. U.S: 20 Septembre 2013

FILMOGRAPHIE: Ron Howard est un réalisateur et acteur américain, né le 1er Mars 1954 à Duncan, Oklahoma.
1977: Lâchez les bolides. 1982: Les Croque-morts en folie. 1984: Splash. 1985: Cocoon. 1985: Gung Ho. 1988: Willow. 1989: Portrait craché d'une famille modèle. 1990: Backdraft. 1992: Horizons Lointains. 1994: Le Journal. 1995: Apollo 13. 1996: La Rançon. 1999: En direct sur Ed TV. 2000: Le Grinch. 2001: Un Homme d'Exception. 2003: Les Disparus. 2005: De l'ombre à la lumière. 2006: Da Vinci Code. 2008: Frost/Nixon. 2009: Anges et Démons. 2011: Le Dilemme. 2013: Rush. 2014: Heart of the Sea.


Equipée effrénée de deux vainqueurs des circuits F1, Rush retrace l'autobiographie du britannique James Hunt se disputant la vedette du championnat du monde avec l'autrichien Niki Lauda. C'est donc une confrontation au sommet que nous évoque le prolifique Ron Howard avec un sens vertigineux du lyrisme et de l'épique. Film d'action émaillé d'impressionnants morceaux de bravoure, bien que rarement spectaculaires (on est ici à contre emploi des poursuites pétaradantes de Fast and Furious !), Rush joue la flamboyance pour sublimer avant tout la rivalité opiniâtre de deux briscards avides de gagne et de célébrité. Là où le film s'avère puissamment captivant mais aussi bouleversant, c'est dans l'étude de caractère allouée aux deux adversaires que Ron Howard brosse avec dignité humaine. Deux pilotes totalement contradictoires dans leur éthique existentielle mais communément sollicités à accéder au trône. Une course poursuite récursive d'une rudesse si impitoyable que dans le pire des contextes, l'accident mortel risque à tous moments de les départager !


Si Niki Lauda est un coureur renfrogné plutôt antipathique aux yeux du public, parce que solitaire et menant une existence docile, James Hunt est un bellâtre coureur de jupon particulièrement adulé. Un casse-cou suicidaire dans son arrogance du défi, quand bien même après la victoire, il se pavane dans les excès de drogues et d'alcool. L'un mène donc la prudence noble afin de rester studieux dans la persévérance et sauvegarder sa vie, l'autre mène une vie dissolue conçue sur les loisirs et le profit de l'instant présent. Cette ambivalence impartie à ces deux brillants pilotes renforce admirablement le caractère passionnant de leur rivalité et converge vers une réflexion sur la célébrité et le dépassement de soi. Avec une ambition circonspecte et beaucoup d'humilité, Ron Howard rend également hommage à une discipline de sport extrêmement risquée (le prologue rappellera d'ailleurs que sur 25 participants coucourant au championnat de F1, deux d'entre eux mourront accidentellement !) et met en exergue l'esprit de compétition, la rage de vaincre de deux hommes littéralement obsédés par leur discipline, jusqu'à en occulter l'amour (en pleine prospérité, Niki Lauda révisera son jugement sur le crédit du bonheur et l'idylle conjugale).


Superbement incarné par deux acteurs attachants dans leur charisme antinomique et leur loyauté, et pourvu d'un réalisme parfois rigoureux (les blessures corporelles infligées à l'un d'entre eux durant la convalescence hospitalière s'avère presque insoutenable !), Rush invoque le respect pour cette profession sportive où les enjeux de réussite et de célébrité s'avèrent impitoyablement risqués. Avec une juste lucidité, Ron Howard met également en lumière les rapports masochistes qu'entretenaient ces deux rivaux, communément épris de réelle considération pour leur esprit de stoïcité. Quand bien même l'un d'eux se brûlera les ailes d'avoir exploité si maladroitement son statut de notoriété !

04.01.14
Bruno Matéï


vendredi 3 janvier 2014

LE MONDE DE CHARLIE (The Perks of Being a Wallflower)

                                                               Photo empruntée sur Google, appartenant au site Notrecinema.com

de Stephen Chobsky. 2012. U.S.A. 1h42. Avec Logan Lerman, Emma Watson, Ezra Miller, Nina Dobrev, Mae Whitman, Kate Walsh.

Sortie salles France: 2 Janvier 2013. U.S: 21 Septembre 2012

FILMOGRAPHIE: Stephen Chobsky est un réalisateur, producteur, scénariste et écrivain américain, né le 25 Janvier 1970 à Pittsburgh, Etats-Unis. 1995! The four corners of nowhere. 2012: Le Monde de Charlie 

"Certains disent que ces choses là n'arrivent pas. Et certains oublient ce que c'est d'avoir 16 ans une fois qu'ils en ont 17. Ces moments deviendront des histoires, nos photos deviendront de vieux souvenirs, et on finira tous par devenir parents. Mais pour l'instant, ces moments ne sont pas des histoires. Ils sont bien réels. Je suis ici. Je la regarde. Et elle est sublime. Je le sens. Cet instant où on sait qu'on n'est pas un raté. Où on est vivant. Où on regarde les immeubles illuminés et tout ce qui nous émerveille. Où on écoute cette chanson pendant cette virée avec les gens qu'on aime le plus au monde. Et à cet instant, je peux dire qu'on est immortels."

Couvert de récompenses outre-atlantique, Le Monde de Charlie semble bien parti pour devenir le symbole de toute une génération, le "Breakfast Club" des années 2000, le phénomène culte d'une nouvelle Fureur de Vivre ! Quitte à passer pour un illuminé dithyrambique. Hymne à l'adolescence, à la vie et à l'amitié, quête initiatique, épopée nostalgique que cette période pubère de l'émoi amoureux, Le Monde de Charlie dépeint avec une lucidité précieuse le malaise adolescent du point de vue de la fraternité. Si le film s'avère si puissamment évocateur et vertigineux, il tire parti de la pudeur humaniste de ces protagonistes magnifiquement incarnés par des comédiens à la vitalité innocente !  Le pitchCharlie est un jeune adolescent introverti essayant timidement de s'insérer au sein de son nouveau lycée. Un jour, il fait la rencontre de Sam et Patrick qui l'accueillent sans préjugés. Grâce à leur cohésion, il vont entamer une amitié qui changera à jamais leur destin.  



Avec sa mise en scène inventive, en symétrie avec le thème traité, scandée d'une partition rock rétro (Bowie iconise le trio juvénile au rythme du tube Heroes !), Stephen Chobsky réinvente le teen movie avec une dignité inusité. Cantique à l'immortalité du temps présent, Le Monde de Charlie demeure une déclaration d'amour à la renaissance à travers la fragilité adolescente. Une jeunesse en plein doute existentiel, parfois en danger de perdition mais capable de transcender ses craintes par le bénéfice de la confiance et de l'esprit de camaraderie. Ainsi, à travers le portrait d'un adolescent traumatisé par le deuil de sa tante, Stephen Chobsky nous fait pénétrer dans son univers avec une humilité bouleversante. En évitant l'apitoiement et la niaiserie sentimentale, il nous brosse le témoignage délicat d'un adolescent névrosé, tributaire d'un secret indécent mais prémuni par l'espoir amoureux et le sens de l'amitié. Son trouble émotionnel hanté des visions maternelles d'une tante confidente planera durant son cheminement moral pour se confondre maladroitement auprès de ses sentiments amoureux. Spoil !  Si durant tout le récit, le réalisateur nous laisse croire que Charlie est douloureusement accablé par l'absence d'un amour maternel, l'épilogue remettra en question un trauma beaucoup plus incongru qu'il n'y paraissait ! Fin du Spoil. Enfin, les clichés traditionnellement invoqués aux hobbys adolescents (sexe, drogue, alcool and rock'n roll !) sont ici réexploités parmi la dextérité d'une mise en scène laconique privilégiant l'ellipse, la poésie, la suggestion afin de contredire la redite ou la vulgarité.


Avec sa dimension humaine prude dédiée à la fragilité adolescente, Le Monde de Charlie s'érige en poème universel sur la confiance et l'acceptation de soi en prime d'un récit initiatique sur l'apprentissage amoureux lorsque l'on hésite à invoquer sa flamme à celle que l'on chéri secrètement. Oser affronter ses affres, braver les défis et vivre l'instant présent pour la liberté de l'épanouissement ! C'est ce que nous inculque Charlie à travers son destin adolescent, partagé entre le poids du traumatisme, sa rédemption amoureuse et sa fraternité amicale. Pour parachever, j'insiste à proclamer mon "coup de coeur" subjectif car j'en invoque ici le chef-d'oeuvre, puisque probablement l'une des plus belles oeuvres que j'ai pu découvrir sur l'émoi adolescent. Qui plus est, Stephen Chobsky se permet notamment de valoriser une pure histoire d'amour sous l'impulsion magnétique de ses amants pudiques. Par conséquent, rarement un teen movie n'aura alors aussi mieux retranscrit les sentiments de la vulnérabilité humaine avec une acuité spécialement ténue !

* Bruno
03/01/14

Récompenses: National Board of Review Awards 2012: Meilleure distribution
Indiana Film Journalists Association Awards 2012: Meilleur Scénario
Utah Film Critics Association Awards 2012: Meilleur Scénario
Boston Society of Film Critics Awards 2012: Meilleur Acteur de second rôle, Ezra Miller
People's Choice Awards 2013: Meilleur Film dramatique. Meilleure Actrice pour Emma Watson.
Independent Spirit Awards 2013: Meilleur premier film
Chlotrudis Awards 2013: Meilleur Film, Meilleur acteur de second rôle pour Ezra Miller, Meilleur Scénario.
Teen Choice Awards: Meilleur Acteur pour Logan Lerman

jeudi 2 janvier 2014

ALL IS LOST. Prix du Jury, Deauville, 2013

                                                                  Photo empruntée sur Google, appartenant au site notrecinema.com

de J. C. Sandor. 2013. U.S.A. 1h45. Avec Robert Redford

Récompense: Prix du Jury à Deauville, 2013
New York Film Critics Circle Awards 2013: Meilleur ActeurRobert Redford

Sortie salles U.S: 18 Octobre 2013

FILMOGRAPHIE: Jeffrey C. (J.C.) Chandor est un scénariste et réalisateur américain.
2011: Margin Call. 2013: All is Lost



Expérience humaine à bout de souffle, All is Lost joue la carte de l'aventure maritime parmi la présence d'un solitaire oublié de tous. Egaré au milieu de l'immensité de l'océan, ce navigateur est aujourd'hui contraint de se débarrasser de son voilier accidenté pour s'exiler sur un petit radeau pneumatique. Durant des journées interminables d'isolement et de désespoir, il va devoir se protéger contre les violentes intempéries afin d'y survivre et se raccrocher à l'espoir. Alors que la plupart de ses vivres ont été égarés dans l'eau et que les dernières conserves ont été consommées, il décide en dernier ressort de tenter la pêche au poisson. A l'instar de l'eau salée qu'il va essayer de filtrer à l'aide d'un système dérisoire. Gagné par la solitude, la fatigue et la colère, il finit par entrevoir vers l'horizon un cargo de marchandise.


Avec beaucoup de pudeur dans sa mise en scène naturaliste et le jeu dépouillé de Robert Redford, J. C. Sandor livre une leçon de survie, un témoignage de dignité envers l'espoir, alors que toutes les manoeuvres préalablement entamées par le sujet laissaient craindre le trépas. All is Lost s'achemine alors vers le poème spirituel pour tous les défaitistes ayant perdu la foi en la vie. A travers la survie endurante de ce navigateur, sévèrement mis à mal par le déchaînement de la mer et un concours de circonstances malchanceuses, All is Lost se porte en témoignage afin de démontrer que la désillusion et le sacrifice peuvent parfois vous amener à reconsidérer votre éthique. Dans un rôle difficile, car mutique et livré à son unique présence, Robert Redford joue sur l'expression du visage buriné, le regard croulé rattrapé par l'épuisement, bien que sa posture stoïque aura accompli nombre de bravoures.


The Impossible
Quasiment dénué de dialogues et uniquement interprété par un seul personnage, All is Lost s'avère inévitablement immersif pour suivre l'équipée insensée d'un navigateur en déclin. Emaillé de séquences impressionnantes dans son réalisme acéré, le film ne joue jamais la carte de l'esbroufe pour mieux se concentrer sur l'introspection anxiogène d'un otage livré à son désoeuvrement.
Une oeuvre prude et intimiste, anxiogène et monotone, à l'instar de sa discrète partition monocorde, mais vouée à ranimer la flamme du souhait. 

02.01.14
Bruno Matéï


mercredi 1 janvier 2014

You're Next. Prix du Jury à Gérardmer, 2013

                                                  Photo empruntée sur Google, appartenant au site metalhammer.co.uk

de Adam Wingard. 2011. U.S.A. 1h36. Avec Sharni Vinson, Aj Bowen, Amy Seimetz, Barbara Crampton, Wendy Glenn.

Sortie salles France: 4 Septembre 2013. U.S: 23 Août 2013

FILMOGRAPHIE: Adam Wingard est un réalisateur, directeur de la photographie, monteur et scénariste, né le 3 Décembre 1980 à Oak Ridge dans le Tennessee. 2007: Pop Skull. 2010: A Horrible way to die. 2011: Autoerotic. 2011: You're Next. 2011: What fun we were having. 2012: V/H/S (sketch "tape 56"). 2012: The ABCs of Death (sktech "Q is for Quack"). 2013: V/H/S/2 (sketch "Phase I Clinical Trials).


Le Pitch: Une famille de bourges se réunit le temps d'un repas de soirée quand bien même un groupe d'individus masqués décide de les piéger à l'intérieur de leur maison. Le jeu de massacre peut commencer ! 

Auréolé de plusieurs récompenses dans les festivals, You're Next eut sans doute conquis prioritairement le jeune public cible issu de la génération Scream. Home Invasion nerveusement emballé dans son lot de rebondissements et péripéties sanglantes (le réal ne lésine pas sur la violence hardcore pour nous divertir auprès de son aspect spectaculaire), You're Next puise son efficacité sur l'aspect débridé d'une situation de siège du point de vue de l'héroïsme d'une survivante dur à cuire. Or, en pendant féminin de Ash ou de Ripley, Erin ne manque ni de vélocité, ni de tempérament, ni de personnalité propre pour se défendre contre ses oppresseurs avec un acharnement physique qui fait plaisir à voir. Qui plus est, nul besoin ici d'attendre patiemment l'ultime quart-d'heure (remember Vendredi 13 !) pour observer son courage à provoquer ses adversaires sans effets de manche ni fard auprès de sa posture naturelle. 


D'après ce scénario éculé, le réalisateur en tire avec beaucoup d'efficacité et de savoir-faire technique une farce caustique sur la cupidité d'une cellule familiale. Avec son montage nerveux et un sens effréné de l'action homérique, il mise beaucoup sur le déchaînement de violence déployée par nos agresseurs et certaines victimes affublés de masques grotesques et divers ustensiles d'armes blanches (arbalètes, hache, couteau, machette). Un parti-pris gentiment débridé afin de surprendre le spectateur et d'accentuer leur degré de dangerosité et de brutalité auprès de leur apparence sans visage. Ainsi, dans un bordel chaotique parfaitement géré d'une réalisation circonspecte exploitant lestement les pièces de la demeure, les victimes démunies, car piégées en vase clos, hurlent et courent tous azimuts afin d'éviter les flèches projetées de l'extérieur des fenêtres ! De cette confrontation dantesque entre victimes et agresseurs, il y émane un délire hardcore aussi ludique que passionnant, quand bien même l'une des survivantes est une ancienne adepte du survivalisme qu'elle nous dévoile au fil d'une réplique. Qui plus est, l'intrigue ne manque pas de certaines astuces pour remotiver l'action afin de reconsidérer ce dont nous étions témoins au préalable. Car si de prime abord, le danger provenait de l'extérieur, il est notamment géré à l'intérieur même du huis-clos ! A dose d'ultra violence décomplexé et un esprit cartoonesque toutefois contredit d'un réalisme naturaliste, You're Next joue la carte du divertissement échevelé avec autant d'intelligence retorse que d'inspiration quant à la gestion de sa tension permanente jusqu'au final paroxystique. 


Excellente série B nantie de nombreuses séquences chocs percutantes sous l'impulsion d'une guerrière intrépide franchement convaincante dans l'art du subterfuge meurtrier sobrement exercé, You're Next détourne habilement les conventions du genre en ne cessant de surprendre jusqu'à l'ultime image sarcastique. Quant à l'anecdote nostalgique, on se délecte de voir apparaître l'illustre Barbara Crampton, inoubliable "scream sexy" des classiques Ré-animator et From Beyond.

*Bruno
01.01.13.
26.08.24. Vostfr


Récompenses: Prix du Jury Syfy au Festival de Gérardmer, 2013
Prix TSR du public au festival de Neuchâtel, 2013
Festival international du film de Toronto 2011: People's Choice Award ("Midnight Madness").
Austin Fantastic Fest 2011: Meilleur Film, Meilleur Réalisateur, Meilleure Actrice (Sharni Vinson), Meilleur Scénariste, Prix du Public.


mardi 31 décembre 2013

LES BRASIERS DE LA COLERE (Out of the Furnace)

                                                                     Photo empruntée sur Google, appartenant au site lyricis.fr

de Scott Cooper. 2013. U.S.A/Angleterre. 1h56. Avec Christian Bale, Casey Affleck, Willem Dafoe, Woody Harrelson, Forest Whitaker, Zoë Saldana, Sam Shepard, Boyd Holbrook.

Sortie salles France: 15 Janvier 2014. U.S: 6 Décembre 2013

FILMOGRAPHIE: Scott Cooper est un réalisateur, scénariste et acteur américain, né en 1970 à Abingdon, Virginia, U.S.A.
2009: Crazy Heart. 2013: Les Brasiers de la colère



Soit comme un loup blessé qui se tait pour mourir. Et qui mord le couteau, de sa gueule qui saigne.

Quatre ans après la ballade mélancolique de Crazy Heart, Scott Cooper revient nous confirmer son talent de metteur en scène avec Les Brasiers de la Colère. Avec ses têtes d'affiche aux gueules burinées, ce drame fiévreux emporte tout sur son passage dans sa plongée immersive de l'âme humaine, vers un voyage au bout de l'enfer. Car c'est bien l'ombre du chef-d'oeuvre de Michael Cimino qui plane sur le récit pour mettre en relief la situation indécise de prolétaires impliqués dans un concours de circonstances malchanceuses. On retrouve ici le même décor industriel auquel des ouvriers y exercent leur fonction, la partie de chasse improvisée chez un braconnier subitement rattrapé par sa pitié pour l'animal, et enfin le comportement suicidaire d'un vétéran traumatisé par la guerre. Ce personnage magnifiquement incarné par Casey Affleck va d'ailleurs devenir le pivot dramatique, l'élément déclencheur d'une vendetta implacable. Avec une dimension humaine scrupuleuse, Scott Cooper s'intéresse à dépeindre les états d'âme de braves frangins issus de l'Amérique profonde. L'aîné, Russell, est un ouvrier courageux toujours plus contrarié par l'état de santé d'un père moribond, quand bien même la déchéance morale de son cadet va l'amener à reconsidérer son jugement. Ancien vétéran martyrisé par la guerre d'Irak, Rodney est incapable de se réinsérer dans la société afin d'exercer, à l'instar de son frangin, un travail d'employé dans la métallurgie. Pour canaliser sa colère et se faire un peu d'argent, il fréquente les combats de rue clandestins sous l'entremise de John Petty. Alors que Russel se retrouve à séjourner en prison pour la responsabilité d'un accident mortel, Rodney s'empresse de rencontrer des adversaires autrement plus pugnaces afin de rembourser ses dettes et tourner la page.


Voilà en gros ce que nous rapporte le postulat auquel la thématique de la vengeance va distiller son poison durant le cheminement psychologique d'un personnage. Car Les Brasiers de la Colère raconte avec simplicité la déchéance vindicative d'un homme inconsolable, partagé entre sa sa colère de l'injustice et sa volonté de réparer ses erreurs. Avec intensité, Scott Cooper brosse le portrait d'un ouvrier digne mais contraint d'assumer moralement sa responsabilité d'un accident meurtrier. Son soutien auprès d'un paternel gravement malade, sa douloureuse rupture sentimentale et le comportement erratique d'un frère traumatisé par les horreurs de la guerre vont aussi l'amener à reconsidérer sa vie et celle de l'équité. Après sa tragédie du deuil familial, va t'il persévérer dans ses pulsions de haine pour pourchasser un animal sans vergogne (Woody Harrelson, habité par la mort !), ou à contrario, y renoncer avec le bénéfice de la prudence ? Si dans la première partie, on devine rapidement la tragédie qui se dessine, la suite des évènements reste logiquement prévisible (car irréversible !) dans sa tournure poisseuse afin de mettre en exergue la dérive psychologique d'un homme assailli par ses démons (Christian Bale, transi de tourments dans son questionnement !). Qui plus est, l'incroyable densité des seconds rôles mis en cause, le soin circonspect imparti à la mise en scène et le réalisme brutal qui en découle nous conditionnent en état d'hypnose, jusqu'au point d'orgue rédempteur ou défaitiste.


La bête tue de sang froid
Avec extrême sobriété, Scott Cooper vise juste et simplement pour redorer les lettres de noblesse du cinéma. Celui d'un film d'acteurs au diapason où la fêlure des personnages insuffle une incroyable vérité (in)humaine et où l'intensité dramatique converge à l'introspection d'un justicier en perdition. Bouleversant avec ce qu'il faut de juste retenue afin d'éviter l'apitoiement sentimental, Les Brasiers de la Colère renoue magistralement avec l'épopée du western sauvage et désenchanté. 

31.12.13
Bruno Matéï


lundi 30 décembre 2013

LES EVADES DE LA PLANETE DES SINGES (Escape from the Planet of the Apes)

                                                                Photo empruntée sur Google, appartenant au site sci-fimovieposters.co.uk

de Don Taylor. 1971. U.S.A. 1h38. Avec Roddy McDowall, Kin Hunter, Bradford Dillman, William Windom, John Randolph, Eric Braeden. 

Sortie salles France: Août 1971. U.S: 21 Mai 1971

FILMOGRAPHIE SELECTIVE: Don Taylor est un réalisateur, acteur, scénariste et producteur américain, né le 13 Décembre 1920 à Freeport, Pennsylvanie (Etats-Unis), décédé le 29 Décembre 1998 à Los Angeles (Californie)
1969: 5 hommes armés. 1971: Les Evadés de la Planète des Singes. 1973: Tom Sawyer. 1977: L'île du Docteur Moreau. 1978: Damien: la malédiction 2. 1980: Nimitz, retour vers l'enfer.


Troisième opus de la saga réalisé par Don Taylor (habile faiseur de séries B responsable de L'île du Dr Moreau, La Malédiction 2 et Nimitz, retour vers l'enfer), les Evadés de la Planète des singes reprend le concept du voyage temporel en inversant cette fois-ci le rôle des protagonistes. 
Le docteur Milo, Cornelius et sa compagne Zira réussissent à embarquer dans la navette spatiale du capitaine Taylor afin d'échapper à la destruction de la terre. Suite à une défaillance, ils se retrouvent projetés 2000 ans avant leur règne, c'est à dire en 1973. 


Série B modestement réalisée, de par son budget deux fois moindre que son modèle, les Evadés de la Planète des singes se focalise aujourd'hui sur la destinée précaire du couple Cornelius/Zira, pris à parti avec l'orgueil de notre civilisation moderne. D'abord accueilli avec courtoisie et curiosité par le gouvernement, nos deux chimpanzés ne vont pas tarder à se confronter à l'hostilité du Dr Otto Hasslein. En effet, suite aux déclarations prémonitoires sur leur prochaine ascension et après avoir avoué leurs travaux de dissection autrefois pratiqués sur les êtres humains, le gouvernement aura décidé de s'en débarrasser afin de sauvegarder l'éventuelle extinction de la race humaine. Comme dans le premier volet, nos héros vont pouvoir compter sur le soutien humaniste de deux médecins chargés de leur trouver une planque afin d'échapper à leur sentence, et se rapprocher auprès d'un directeur de zoo, témoin capital pour leur postérité. A l'instar de son prélude (l'escale des chimpanzés affublés de combinaisons de cosmonautes !), Don Taylor ne manque pas de distiller certains moments de cocasserie lorsque Cornelius et Zira sont contraints de comparaître devant un tribunal en s'exprimant avec l'art du langage. En sous texte social, on peut aussi déceler un réquisitoire contre la vivisection lorsque les chimpanzés sont confrontés à leur responsabilité morale d'avoir osé disséquer des êtres humains au nom de la science. A travers les allégations de Cornelius (comment les chats et les chiens ont fini par disparaître pour laisser place aux singes !), le réalisateur ironise également sur notre instinct possessif envers la domestication animale dans le but de nous tenir compagnie et de nous divertir. Enfin, il souligne notre rapport masochiste face au divertissement du sport (en l'occurrence, la boxe chorégraphiée dans toute sa violence !) et notre goût immodéré pour l'action du spectacle ! La dernière partie, beaucoup plus sombre et brutale, joue la carte du suspense et ne manque pas de provoquer une émotion poignante quand au sort réservé à nos deux héros. 


Si Les évadés de la planète des singes se réserve de surpasser son modèle, il se tire honorablement de la redite par une pirouette scénaristique retorse en privilégiant avec humilité la dimension romantique du couple Cornelius/Zira. Un 3è opus attachant et efficacement mené, surpassant aisément son antécédente séquelle. 

Bruno Matéï  

vendredi 27 décembre 2013

Fondu au Noir / Fade to black. Prix de la Critique, Avoriaz 1981

                                             Photo empruntée sur Google, appartenant au site colonelmortimer.blogspot.com

de Vernon Zimmerman. 1980. U.S.A. 1h40. Avec Dennis Christopher, Tim Thomerson, Linda Kerridge, Mickey Rourke, Eve Brent.

Sortie salles France: 20 Mai 1981. U.S: 14 Octobre 1980.

FILMOGRAPHIE: Vernon Zimmerman est un réalisateur et scénariste américain.
1964: The college (Documentaire). 1972: Deadhead miles. 1972: Unholy rollers. 1980: Fondu au noir
1995: Chuck and Wally on the Road (court-métrage)


Sorti en salles dans l'indifférence mais auréolé du Prix de la Critique à Avoriaz en 1981, Fondu au Noir s'est notamment attribué d'une certaine renommée dans les rayons des vidéos club au point de devenir culte chez une poignée de cinéphiles (Pascal Laugier le considère d'ailleurs comme l'un de ses films de chevet). Réalisateur méconnu uniquement responsable de trois longs-métrage, Vernon Zimmerman  nous traite ici un cas de schizophrénie du point de vue d'un cinéphile infaillible.

Le pitch: Passionné de cinéma, Eric vit reclus dans son foyer en compagnie de sa mère bigote. Pour pallier sa solitude, il visionne inlassablement ses films préférés qu'il connaît par coeur. Un jour, dans un bar, il tombe amoureux du sosie de Marilyn Monroe. Le soir même, il lui propose un rencart en ville pour une séance ciné mais la jeune fille étourdie oublie de le rejoindre. Dépité, il rentre chez lui et se replonge illico dans un vieux classique de film noir. Gagné par une rancune incontrôlée depuis que sa mère osa pénétrer dans sa chambre pour y détruire une bobine de pellicule, Eric finit par sombrer dans la folie.


Oeuvre insolite à la lisière du drame, de la romance et de l'horreur, Fondu au Noir se décline en hommage au cinéma de genre par le truchement d'un cinéphile dérangé. Plongé en apnée dans son désarroi de la solitude, faute d'une mégère incapable de lui porter regain d'amour maternel, Eric est d'autant plus contraint de supporter les railleries de ses confrères et l'intolérance d'un patron draconien. Son seul réconfort, il le retrouve donc dans les films qu'il se repasse en boucle du fond de sa chambre. Connaissant par coeur chaque séquence et réplique culte, à l'instar de la filmographie des acteurs et réalisateurs, il s'est taillé depuis une réputation de cinéphile incollable. Mais sa détresse et sa colère d'être systématiquement dénigré aux yeux des autres finissent par le faire sombrer dans une vendetta irréversible. 
L'originalité du sujet est ici traité de manière débridée afin de rendre hommage au 7 art mais surtout pour y dénoncer ses effets pervers sur l'emprise de l'image. Car afin de se permettre une raison d'exister et d'accomplir sa vengeance, notre cinéphile finit par s'inventer une nouvelle identité, à la manière du dédoublement de personnalité, pour pénétrer dans la peau de ses personnages favoris du cinéma. Travesti en vampire, cow-boy, momie ou gangster, Eric sème la panique et la mort autour de lui sous ses grotesques panoplies. 
Si les références et les clins d'oeil aux classiques du cinéma pullulent dans Fondu au Noir, c'est notamment pour y dénoncer l'influence que peuvent nourrir certaines images chez des esprits fragiles ou dérangés jusqu'à ne plus pouvoir distinguer réalité et fiction. En l'occurrence, l'intensité de la violence au cinéma que notre héros se remémore dans sa fascination maladive afin d'extérioriser sa rage meurtrière.


L'homme aux 1000 visages
Avec une tendresse indéniable pour ce personnage à l’émotivité vacillante, parfois déchirante, Vernon Zimmerman transcende le portrait d’un cinéphile égaré dans les méandres de ses chimères et de sa désillusion existentielle. Victime silencieuse, rongée par la solitude et l’indifférence d’une société avide, il s’accroche à l’icône Marilyn — mirage d’un idéal féminin et passerelle illusoire vers une célébrité fantasmée, reflet d’un acteur que le monde a déjà oublié.
Sous la fragile élégie du thème musical, porté par le jeu à vif de Dennis Christopher, Fondu au noir s’impose comme une œuvre inclassable, dérangeante, d’une beauté trouble, hantée par un sentiment d’amertume irrévocable.
Film magnifique, profondément singulier, Fondu au noir laisse une trace indélébile : un vertige émotionnel capiteux, frénétique et désabusé — une déclaration d’amour tragique au cinéma, et à ceux qu’il abandonne sur le bord du rêve.

*
Eric Binford
27.12.13. 
29.07.24. 6èx. VF

Récompense: Prix de la Critique à Avoriaz, 1981


jeudi 26 décembre 2013

Le Bal des Vampires / The Fearless Vampire Killers or pardon me, but your teeth are in my neck

                                              Photo empruntée sur Google, appartenant au site moviepostershop.com

de Roman Polanski. 1967. U.S.A/Angleterre. 1h48. Avec Jack MacGowran, Roman Polanski, Sharon Tate, Alfie Bass, Jessie Robins, Ferdy Mayne, Iain Quarrier.

Sortie salles France: 1er Avril 1968. U.S: 13 Novembre 1967. Angleterre: Février 1967

FILMOGRAPHIE: Roman Polanski est un réalisateur, producteur, comédien, metteur en scène de théâtre et d'opéra et scénariste franco-polonais américain. Il est né le 18 Août 1933 à Paris.
1962: Le Couteau dans l'eau. 1965: Répulsion. 1966: Cul de sac. 1967: Le Bal des Vampires. 1968: Rosemary's Baby. 1971: Macbeth. 1972: Week-end of a champion. 1972: Quoi ? 1974: Chinatown. 1976: Le Locataire. 1979: Tess. 1986: Pirates. 1988: Frantic. 1992: Lunes de fiel. 1994: La Jeune fille et la mort. 1999: La 9è porte. 2002: Le Pianiste. 2005: Oliver Twist. 2010: The Ghost Writer. 2011: Carnage. 2013: La Vénus à la fourrure.

 
"Le Bal des Ombres Rieuses".
Chef-d'œuvre parodique, Le Bal des Vampires conserve intact son pouvoir ensorcelant grâce à l’esthétisme gothique hérité de la Hammer et à l’excentricité de personnages baignés dans la maladresse ou la mesquinerie. En confrontant l’horreur à la comédie, Roman Polanski orchestre une satire délicieusement ludique, tout en respectant les codes sacrés du puriste cinéphile. À travers ses paysages enneigés aux teintes immaculées, ses architectures décaties et sa forteresse en clair-obscur, Le Bal des Vampires devient une invitation au dépaysement — un voyage au bout de la nuit sous l’allégeance du comte Krolock. Là même où s’organise un bal annuel, danse macabre à laquelle une assemblée de morts-vivants s’extirpe lentement de ses cercueils, répondant à l’invitation comme à un rite ancestral.

Sur un scénario éculé — un professeur et son assistant tentent de sauver une jeune femme des griffes d’un vampire — Polanski échappe à la redite grâce à la verve insolente d’une succession de gags, dont les situations débordent d’audace : drague homosexuelle improvisée, stratégies coquines d’un aubergiste incapable de réprimer ses pulsions, et cet épilogue sardonique annonçant froidement la propagation du Mal à travers le monde.

C’est surtout dans les mésaventures de ses deux héros que le film déclenche une sympathie irrésistible. Abronsius, congelé par deux fois, se retrouve coincé dans l’embrasure d’une fenêtre menant à la crypte, tandis qu’Alfred, éternel étourdi, peine à affronter Krolock et son fils Herbert. L’aventure gagne en démesure à travers la galerie des seconds rôles hauts en couleur : l’aubergiste juif, tiraillé entre une midinette nocturne et sa femme bedonnante ; Herbert, vampire efféminé improvisant une lecture poétique pour séduire Alfred ; ou l’attardé Koukol, bossu au rictus large, fidèle larbin du maître. En comte Krolock, Ferdy Mayne se régale à parodier Christopher Lee avec une élégance amusée.

Et puis il y a cette bonhomie des deux chasseurs de vampires, malhabiles mais profondément unis dans une complicité presque filiale, et le charme étrangement sensuel de Sarah — Sharon Tate y dégage un magnétisme troublant. Le Bal des Vampires embrasse une forme d’héroïsme cocasse, presque absurde, pour enrayer la menace vampirique.

"Le Château aux Rires Maudits".
Merveille esthétique de tous les instants, rappelant les plus beaux fleurons de la Hammer, Le Bal des Vampires insuffle aussi une charge érotique, discrète mais tenace, en la personne lumineuse de Sharon Tate. En parodiant le mythe du vampire avec tendresse et irrévérence, Polanski rend hommage au genre avec drôlerie, mais aussi avec une infinie douceur pour ses personnages — comme ce moment suspendu où Alfred, transi, ose enfin déclarer sa flamme à Sarah, au cœur du bal costumé. Un classique inoxydable à la fraîcheur exaltante.


*Bruno

26.12.13. 4èx

mercredi 25 décembre 2013

FRUITVALE STATION. Grand Prix du Jury, Sundance, 2013

                                                           Photo empruntée sur Google, appartenant au site notrecinema.com

de Ryan Coogler. 2013. U.S.A. 1h29. Avec Michael B. Jordan, Melonie Diaz, Octavia Spencer, Kevin Durand, Chad Michael Murray.

Sortie salles France: 1er Janvier 2014

Récompenses: Grand Prix du JuryPrix du Public, Sundance 2013
Prix de la révélation Cartier pour Ryan Coogler, Prix du Public à Deauville
Prix de l'avenir, un certain regard, Cannes 2013
National Board of Review Awards 2013: Meilleure Actrice pour Octavia Spencer
Meilleure révélation masculine pour Michael B. Jordan
Meilleur premier film pour Ryan Coogler
New-York Film Critics Circle Awards 2013: Meilleur premier film pour Ryan Coogler.
Africain-American Film Critics Association Awards 2013: Meilleur film indépendant.

FILMOGRAPHIE: Ryan Coogler est un réalisateur et scénariste américain, né le 23 Mai 1986 à Oakland, Californie.
2013: Fruitvale Station. Prochainement: Creed


Auréolé du Grand prix du Jury à Sundance 2013, Fruitvale Station est la reconstitution d'un fait-divers tragique survenu le 1er Janvier 2009 dans la station de métro Fruitvale à San Francisco. Auparavant, le film relate avec souci de vérité proche du documentaire la journée d'Oscar qui a précédé son arrestation musclée. Jeune black de 22 ans, ancien taulard condamné pour deal de came, Oscar est aujourd'hui père d'une petite fille et partage sa vie avec Sophina dans l'espoir d'une réinsertion sociale. Confronté au chômage, il tente de récupérer son job de vendeur dans un supermarché contre la réticence de son ancien patron. Livré à sa solitude et son désarroi (à l'instar de son appel à l'aide pour porter secours à un chien renversé par une voiture en fuite !), il décide de revendre un peu de came aux junkies du coin avant de se raviser.


Avec réalisme intimiste, Ryan Coogler tient à mettre en exergue l'errance quotidienne d'un ancien délinquant tributaire de ses pulsions irascibles mais néanmoins rattaché à sa valeur paternelle et à l'amour conjugal. Son réconfort et son soutien, il les retrouvent notamment auprès de ses grands-parents et d'une maman autoritaire. Durant une heure, le réalisateur insiste à décrire avec pudeur ces liens familiaux qui unifient Oscar afin d'afficher son caractère humaniste et l'environnement équilibré auquel il appartient. Avec l'impact saisissant d'une authentique vidéo d'archive préalablement apposée en prologue, on imagine le drame inéluctable qui se dessine lentement autour du personnage lorsqu'il décide d'emprunter le métro avec Sophina et quelques amies pour célébrer un feu d'artifice. Durant son déplacement urbain, une certaine tension sous jacente nous accapare au fil des bavardages amicaux entretenus avec ces amis et des inconnus du compartiment. Jusqu'à la confrontation inopinément brutale qui basculera le destin d'Oscar dans la tragédie accidentelle. Cette dernière demi-heure, d'une grande puissance émotionnelle, nous confine dans un malaise au bord de l'asphyxie. Le réalisme acerbe qui découle de l'altercation avec les délinquants éméchés et de l'opposition policière qui s'ensuit nous saisit à la gorge jusqu'au drame impardonnable. Sans pathos ni apitoiement, le réalisateur rend hommage à la victime avec une pudeur humaniste bouleversante tout en dénonçant froidement l'autorité zélée de flics avides d'oppression !


A la modestie humaine préservée dans sa première heure se succède une violence aussi soudaine 
qu'incontrôlée pour retransmettre sans répit la banalité du fait-divers dramatique. A partir de cet incident majeur où la haine raciale n'est pas pointée du doigt, Fruitvale Station délivre le portrait déchirant d'un ancien délinquant qui ne demandait qu'à cristalliser ses nouveaux espoirs. Son témoignage se porte notamment en étendard pour la communauté noire régulièrement stigmatisée par le motif quelconque d'une police intransigeante. Un électro-choc dont il est difficile d'en sortir indemne. 

25.12.13
Bruno Matéï

mardi 24 décembre 2013

La Marque du Diable / Mark of the Devil / Hexen bis aufs blut gequält

                                                                        Photo empruntée sur Google, appartenant au site filmundo.de

de Michael Armstrong et Adrien Hoven. 1970. Angleterre/Allemagne. 1h37. Avec Udo Kier, Herbert Lom, Olivera Vuco, Reggie Nalder, Herbert Fux, Michael Maien, Gaby Fuchs, Ingeborg Schöner, Adrian Hoven.

FILMOGRAPHIE: Michael Armstrong est un réalisateur et scénariste anglais, né le 24 Juillet 1944 à Bolton, Lancashire, Angleterre.
1969: The Haunted house of horror. 1970: La Marque du Diable. 1986: Screamtime

Avertissement: Il s'agit de la version intégrale inédite en France mais disponible aujourd'hui grâce à l'enseigne The Ecstasy of Films ! (la Vhs d'époque de René Chateau étant cut !)


"À vomir et à pleurer : La Marque du Diable".
Deux ans après le chef-d’œuvre inégalé Le Grand Inquisiteur de Michael Reeves, une production germano-britannique s’approprie à nouveau ce concept historique, avec une volonté féroce de surenchérir dans l’horreur sanglante. Pour preuve ultime : un sac à vomi était distribué à chaque spectateur, à l’entrée, pour flatter son instinct voyeur. 

Pitch: Dans une bourgade autrichienne, sous le joug de l’Inquisition, l’évêque Albino fait régner la terreur, perpétuant sa chasse aux sorcières avec une soif de sadisme inextinguible. Mais l’arrivée du juge Cumberland et de son jeune apprenti, Christian, vient troubler la quiétude de ses exactions. Témoignant, médusé, de ces rituels barbares, le candide Christian finit par s’éprendre d’une villageoise.

Série B d’horreur déviante, avant-coureuse du Torture Porn, La Marque du Diable s’érige en étendard d’un genre en pleine mue dans cette décennie charnière. Michael Armstrong y livre une orgie putassière presque inédite pour l’époque. Une plongée jusqu’au-boutiste dans l’enfer des tortures ancestrales, où des instruments rubigineux rivalisent d’ingéniosité pour briser l’hérétique. Sans répit, Armstrong (épaulé de Adrian Hoven) étale, à intervalles réguliers, toute une panoplie de sévices corporels, au nom hypocrite du clergé. Avec une volonté historique de dénoncer le fanatisme religieux et la corruption des notables (le juge lui-même cède à ses pulsions meurtrières et lubriques), il offre un constat féroce d’une société gangrenée par la superstition. Même les villageois, ivres de vengeance, n’hésitent pas à sacrifier un innocent pour abattre les sbires du dogme.


Si La Marque du Diable souffre parfois d’une mise en scène triviale — ces zooms insistants sur des trognes vicieuses, ce montage heurté —, il préserve une densité dramatique, tant pour les faits exposés que pour la romance contrariée de Christian et Vanessa. Le réalisme sordide, presque malsain, des supplices atteint une intensité émotionnelle rare : l’arrachage de langue, à lui seul, retourne les entrailles et précipite le spectateur dans un gouffre de cruauté pure.

Côté interprétation, le film s’en tire avec panache : l’apparence burinée de l’immense Reggie Nalder, baron pervers pétri de bestialité, hante la rétine, tout comme le juge endossé par Herbert Lom, massif et ténébreux, qui laisse suinter la pourriture de son âme. Udo Kier, en apprenti placide, peut agacer, mais son physique d’ange damné irradie un magnétisme troublant et arrache l’empathie, surtout dans sa romance blessée avec Vanessa — pulpeuse, frémissante de révolte et d’injustice.


"Orgie inquisitoriale : le supplice selon Armstrong".
Sommet d’horreur craspec, faux témoignage mais vraie dissection de la barbarie inquisitoriale, La Marque du Diable conserve intacte sa morsure graphique et nous entraîne dans une chute vertigineuse, portée par la caresse d’une mélodie lascive. Ruggero Deodato reprendra d'ailleurs cette note élégiaque pour distiller le malaise maladif de Cannibal Holocaust.

Dédicace à Christophe Cosyns
24.12.13. 3èx
Bruno Matéï 

lundi 23 décembre 2013

Le Secret de la Planète des Singes / Beneath the Planet of the Apes

                                                                       Photo empruntée sur Google, appartenant au site notrecinema.com

de Ted Post. 1970. U.S.A. 1h35. Avec James Franciscus, Kim Hunter, Maurice Evans, Linda Harrison, Paul Richards, Victor Buono, James Gregory.

Sortie salle France: Juin 1970. U.S: 26 Mai 1970

FILMOGRAPHIE SELECTIVE: Ted Post est un réalisateur, scénariste et acteur américain, né le 31 Mars 1918 à Brooklyn, New-York, décédé le 20 Août 2013 à Santa Monica.
1956: The Peacemaker. 1959: The Legend of Tom Dooley. 1968: Pendez les haut et court. 1970: Le Secret de la planète des singes. 1973: The Harrad Experiment. 1973: Magnum force. 1975: Whiffs. 1978: Le Merdier. 1978: Le Commado des Tigres noirs. 1980: Nightkill. 1992: The Human Shield. 1999: 4 Faces. 2000: Old Pals.


Deuxième opus d'une franchise à succès (il totalise rien qu'en France 1 163 547 entrées), le Secret de la Planète des Singes dénonce à nouveau avec une certaine originalité inattendue la folie de l'arme atomique derrière la thématique du fanatisme religieux. En jouant la carte du simple divertissement soigneusement illustré, cette déclinaison a également le mérite de ne jamais ennuyer de par sa réalisation efficace, son atmosphère baroque particulièrement étrange et immersive et la prestance virile d'un nouveau venu résolument convaincant: James Franciscus. µ

Le PitchAprès avoir débarqué sur terre en l'an 3955, l'astronaute John Brent découvre la cité des hommes-singes par l'entremise de Nova, compagne mutique du capitaine Taylor aujourd'hui porté disparu. Rapidement embrigadés par les gorilles, ils réussissent à s'échapper grâce à la complicité des deux chimpanzés, Zira et Cornelius. Réfugiés vers la zone interdite, ils parviennent à découvrir une étrange confrérie religieuse vouée à l'adoration de l'ère atomique.


A travers cet étrange postulat, Ted Post tente de jouer la carte de l'originalité avec l'iconisation d'une menace encore plus délétère que celle des hommes-singes, une communauté de prêtres télépathes adeptes de l'arme nucléaire. De par son thème religieux imparti au sectarisme, c'est une nouvelle guerre aux enjeux destructeurs que nous impose ce second opus efficacement conté, si bien que les singes, davantage influencés par l'éthique belliqueuse des gorilles, ont décidé d'investir les fouilles de la zone interdite afin d'imposer leur mainmise. Au préalable, à travers quelques souvenirs laissés sur notre ancienne civilisation, l'astronaute Brent découvre la vérité sur l'extinction de la Terre et doit endurer une série d'épreuves psychologiques que des religieux vont lui soumettre afin de connaître la stratégie militaire des singes. On s'étonne d'ailleurs de leur apparence vestimentaire et de leur pouvoir psychique capable d'y tyranniser l'ennemi par la pensée (à l'écoute d'un son inaudible, la victime est éprise d'une folie meurtrière incontrôlée pour tuer son adversaire !). En prime, ils n'ont pas besoin de gesticuler la moindre syllabe pour se faire entendre puisque nous sommes capables de discerner leur parole à travers l'acuité d'un son. Enfin, Ted Post tente de nous surprendre à travers leur véritable apparence corporelle allouée à la mutation et relance en dernier acte un affrontement entre clans à la fois spectaculaire et incroyablement couillu parmi l'entremise inopinée du capitaine Taylor !


Etonnamment soigné et inspiré de la part d'une suite, interprété avec conviction par un James Franciscus aussi impliqué, et entrecoupé de scènes d'actions nerveuses, le Secret de la Planète des singes demeure un excellent divertissement à la fois ludique, inquiétant et sans concession. A l'instar de son hallucinant final encore plus nihiliste que son prédécesseur si bien que l'on en reste bouche bée au moment du générique (lestement) mutique. Une séquelle encore plus attachante aujourd'hui exploitant notamment un esthétisme mystique absolument délirant (la bombe atomique est à l'effigie du Christ ! ) autour de décors dévastés fortement dépaysants. 

18.11.24. 4èx. Vostfr
23.12.13. 

vendredi 20 décembre 2013

LES AMANTS DU TEXAS (Ain't Them Bodies Saints)

                                                   Photo empruntée sur Google, appartenant au site insidemovies.ew.com

de David Lowery. 2013. U.S.A. 1h40. Avec Casey Affleck, Rooney Mara, Ben Foster, Rami Malek, Keith Carradine, Nate Parker.

Sortie salles France: 18 Septembre 2013. U.S: 16 Août 2013

FILMOGRAPHIE: David Lowery est un réalisateur américain.
2005: Deadroom. 2009: St Nick. 2013: Les Amants du Texas



Sélectionné à Sundance et couronné du prix de la meilleure photographie, Les Amants du Texas est tout à fait représentatif du métrage indépendant privilégiant les ambiances latentes au sein d'un drame intime tout en élégie. A la suite d'un braquage, Bob et Ruth sont contraint de se retrancher dans leur ferme prise d'assaut par la police. L'homme se rend devant la police et se dénonce afin d'épargner sa dulcinée. Incarcéré en prison, il réussit à s'échapper quatre ans plus tard après plusieurs tentatives. Sa seule aspiration est de retrouver sa femme et l'enfant qu'il n'a jamais pu connaître. Mais la police à l'affût veille sur son inévitable retour dans une contrée mutique du Texas.


Western contemplatif et drame romantique se télescopent pour dépeindre une idylle passionnelle conçue sur l'attente des retrouvailles. Avec son ambiance feutrée et l'expression aigre de ces personnages, Les Amants du Texas demande un certain effort d'adaptation au spectateur afin d'assumer un rythme languissant où les regards lamentés insufflent un climat de douceur diffus. D'une manière intimiste, David Lowery dépeint la remise en question d'une femme réduite à la solitude, partagée entre le remord d'un passé marginal et son expectative du retour de son amant. Car depuis quatre années d'espérance, Ruth se retrouve aujourd'hui démunie, épuisée à l'idée de renouer contact avec un malfaiteur en fuite. Pendant son éducation maternelle auprès de sa fille, un shérif fouineur mais attentionné se rapproche de son désarroi avec une empathie toujours plus affectueuse. De son côté, si Bob réussit à se planquer chez un comparse, un gang de malfrats lancés à ses trousses s'empressent de lui faire la peau. Dans une mise en scène circonspecte privilégiant la psychologie meurtrie du couple en déclin, David Lowery accorde beaucoup d'importance à ausculter leur état d'âme avec une sensibilité prude. A l'instar de sa nature crépusculaire où les visages marqués par la tristesse sont discrètement éclairés par quelques rayons de soleil. Traversé de quelques éclairs de violence fulgurantes, Les Amants du Texas met notamment en évidence l'anxiété du danger et celle de la mort, la prescience redoutée d'un destin fatalement tragique.


Les amants du regret 
Superbement interprété par des comédiens au charisme austère valorisant avec humanisme l'amertume du regret et l'espoir du bonheur conjugal, Les Amants du Texas est inscrit dans la pudeur d'une romance impossible. Un western poétique dédié à la mise en scène atmosphérique car rehaussé d'un climat envoûtant et d'une partition monocorde poignante. Au public de juger et de se laisser happer par sa grâce docile ou, à contrario, de s'en détacher, faute d'un rythme monotone qui ne pourra plaire à tous.  

RécompensePrix de la meilleure photographie au Festival de Sundance, 2013

* Bruno