mercredi 9 novembre 2016

Alice ou la dernière fugue

                                                   Photo empruntée sur Google, appartenant au site festival-gerardmer.com

de Claude Chabrol. 1977. France. 1h33. Avec Sylvia Kristel, Charles Vanel, André Dussollier, Bernard Rousselet, Fernand Ledoux, Jean Carmet, François Perrot.

Sortie salles France: 19 Janvier 1977.


L’ultime passage d’Alice
(Entre les limbes et la lumière).

Unique incursion de Claude Chabrol dans le fantastique, Alice ou la dernière fugue est une invitation au rêve, une dérive sensorielle dans l’errance d’une jeune femme piégée dans un monde sans repères. 

Lassée de sa vie conjugale avec son amant, Alice quitte le foyer et s’aventure vers une contrée inconnue. Sous une pluie battante, elle trouve refuge dans une vaste demeure nichée à la lisière d’un bois. Accueillie chaleureusement par un domestique affable, elle fait la connaissance du maître des lieux - si bien qu’elle accepte de passer la nuit parmi eux. Mais au matin, face à leur absence inexpliquée, elle tente de quitter la maison… pour découvrir qu’elle reste enfermée dans cet ailleurs sans issue.

Étrange, insolite, nonsensique, Alice ou la dernière fugue s’impose comme une expérience fantasmagorique irriguée par l’irrationnel. L’héroïne croise des figures tantôt excentriques, tantôt équivoques, au gré d’un cheminement en boucle, labyrinthique. Enraciné dans une nature vibrante que viennent troubler de légers soubresauts du réel - comme cette subtile rupture temporelle - le récit glisse peu à peu vers une douce inquiétude. Alice, guidée par son instinct aventureux, se heurte à des interlocuteurs volontiers provocateurs, presque hostiles (il est interdit de leur poser des questions !).

Portée par la beauté lunaire de Sylvia Kristel, inoubliable Emmanuelle, le film trouve son cœur battant. L’actrice insuffle à son personnage une grâce lascive, tout en pudeur et en sagesse, même lorsque Chabrol s’autorise un bref dévoilement de son corps, comme une offrande éthérée d’érotisme mélancolique. Curieuse, fragile, et pourtant paisible face aux mystères d’une demeure gothique, Alice tente d’en percer les secrets, au rythme de journées qui se répètent - visages croisés, phénomènes étrangement anodins, rituels absurdes. Grâce à la présence presque spectrale de Kristel, et au brio de Chabrol dans l’orchestration d’un décor à la fois gothique (la maison sombre, délabrée) et solaire (le jardin éclatant de lumière), le film nous immerge dans un rêve clos, suspendu dans l’instant. Unique en son genre. 


"La vie n’est qu’un long rêve dont la mort nous réveille."
Réflexion métaphysique sur la perception de la réalité, catharsis silencieuse sur l’acceptation de la mort, Alice ou la dernière fugue est l’une des rares pépites du fantastique français à réellement nous plonger dans un onirisme abscons, bientôt identifiable. Si la révélation finale se devine en filigrane, l’essence du film réside ailleurs : dans cette atmosphère feutrée, ensorcelante, où le surnaturel se drape de douceur et d’épure. Un joyau d’élégance et de mélancolie transcendé par Chabrol et par la divine Sylvia Kristel. Sans oublier la présence précieuse des excellents seconds rôles : Jean Carmet, André Dussollier, et surtout Charles Vanel, en énigmatique gardien des limbes.

— le cinéphile du cœur noir 🖤

Dédicace à Philippe Beun-Garbe

FILMOGRAPHIE: Claude Chabrol est un réalisateur français, producteur, acteur, scénariste et dialoguiste, né le 24 juin 1930, décédé le 12 septembre 2010.
1959 : Le Beau Serge. 1959 : Les Cousins. 1959 : À double tour. 1960 : Les Bonnes Femmes. 1961 : Les Godelureaux. 1962 : Les Sept Péchés capitaux (segment L'Avarice avec J.-C. Brialy). 1962 : L'Œil du Malin. 1963 : Ophélia. 1963 : Landru. 1964 : L'Homme qui vendit la tour Eiffel
(segment dans Les Plus Belles Escroqueries du monde). 1964 : Le Tigre aime la chair fraîche. 1965 : Paris vu par... (segment La Muette). 1965 : Marie-Chantal contre docteur Kha. 1965 : Le Tigre se parfume à la dynamite. 1966 : La Ligne de démarcation. 1967 : Le Scandale. 1967 : La Route de Corinthe. 1968 : Les Biches. 1969 : La Femme infidèle. 1969 : Que la bête meure. 1970 : Le Boucher
1970 : La Rupture. 1971 : Juste avant la nuit. 1971 : La Décade prodigieuse. 1972 : Docteur Popaul
1973 : Les Noces rouges. 1974 : Nada. 1975 : Une partie de plaisir. 1975 : Les Innocents aux mains sales. 1976 : De Grey, un récit romanesque Téléfilm. 1976 : Les Magiciens. 1976 : Folies bourgeoises
1977 : Alice ou la Dernière Fugue. 1978 : Les Liens de sang. 1978 : Violette Nozière. 1980 : Le Cheval d'orgueil. 1982 : Les Fantômes du chapelier. 1984 : Le Sang des autres. 1985 : Poulet au vinaigre. 1986 : Inspecteur Lavardin. 1987 : Masques. 1988 : Le Cri du hibou. 1989 : Une affaire de femmes. 1990 : Jours tranquilles à Clichy. 1990 : Docteur M.1991 : Madame Bovary. 1992 : Betty
1993 : L'Œil de Vichy. (une sélection des actualités du régime de Vichy). 1994 : L'Enfer. 1995 : La Cérémonie. 1997 : Rien ne va plus. 1999 : Au cœur du mensonge. 2000 : Merci pour le chocolat (prix Louis-Delluc). 2002 : La Fleur du mal. 2004 : La Demoiselle d'honneur. 2006 : L'Ivresse du pouvoir
2007 : La Fille coupée en deux. 2008 : Bellamy

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