jeudi 19 novembre 2015

BLUE STEEL

                                                                     Photo empruntée sur Google, appartenant au site nitehawkcinema.com

de Kathryn Bigelow. 1990. U.S.A. 1h42. Avec Jamie Lee Curtis, Ron Silver, Clancy Brown, Elizabeth Peña, Louise Fletcher, Philip Bosco, Kevin Dunn.

Sortie salles France: 25 Avril 1990. U.S: 16 Mars 1990

FILMOGRAPHIE: Kathryn Bigelow est une réalisatrice et scénariste américaine, née le 27 Novembre 1951 à San Carlos, Californie (Etats-Unis).
1982: The Loveless (co-réalisé avec Monty Montgomery). 1987: Aux Frontières de l'Aube. 1990: Blue Steel. 1991: Point Break. 1995: Strange Days. 2000: Le Poids de l'eau. 2002: K19. 2009: Démineurs. 2012: Zero Dark Thirty.


Trois ans après son sublime western vampirique, Near DarkKathryn Bigelow s'attelle au genre policier avec Blue Steel. Un thriller noir à la lisière de l'horreur lorsqu'un boursier, fasciné par l'héroïsme d'une flic novice, s'empresse de la séduire pour l'inciter à un duel de longue haleine après avoir dérobé le flingue d'un braqueur d'épicerie. A mi chemin entre Liaison Fatale (pour la romance puis le harcèlement du tueur délibéré à tyranniser sa victime féminine) et Un justicier dans la ville (pour le ressort vindicatif de cette dernière délibérée à bafouer les lois depuis l'incrédulité de ses supérieurs), Blue Steel multiplie rebondissements musclés et exactions sanglantes au sein d'une mégalopole soigneusement documentée. Baignant dans une photo azur, le stylisme imparti à la mise en scène fait preuve d'esthétisme léché parmi le score envoûtant de Brad Fiedel conçu pour sa part à alimenter un climat de séduction poisseux autour de l'inimitié des amants maudits.


Par le biais d'une intrigue aussi tortueuse que charpentée, Kathryn Bigelow brosse admirablement deux portraits sur la corde raide. Celui glaçant d'un sociopathe fasciné par les armes à feu et l'autorité de la mort, ce dernier jubilant de perversité à observer du regard des victimes leur peur lorsque l'arme est ciblée contre eux. Et le profil pugnace d'une jeune flic en herbe pleine de constance à pourchasser son ennemi tout en s'efforçant de prouver ses capacités professionnelles afin de convaincre le scepticisme de ses supérieurs. Hanté par sa déficience schizophrène (crises incontrôlées de démence à l'appui !), Ron Silver endosse un tueur cynique redoutablement retors dans ses stratégies d'attaques pour la victime molestée et dans ses subterfuges à déjouer les preuves policières. D'un charisme longiligne dans son costume de flic taillé sur mesure, Jamie Lee Curtis lui partage la vedette avec sensualité et héroïsme martial dangereusement vénéneux. De par ses pulsions vindicatives toujours plus addictives à courser le criminel depuis son impuissance d'assister à l'agonie de ses proches. Oscillant un jeu du chat et de la souris puis une chasse à l'homme de dernier ressort en plein centre urbain, Kathryn Bigelow convoque un duel à bout de souffle entre la victime et son persécuteur. Et si la succession de rebondissements parfois outranciers du dernier acte finissent malgré tout par ternir leur affrontement psychologique, la manière haletante dont l'intrigue est coordonnée et le savoir-faire technique de la réalisation finissent par transcender ses menus défauts.


En dépit de son final ostentatoire un peu fort de café pour les escapades du tueur rendu increvable, Blue Steel insuffle un climat trouble de fascination dans le portrait du schizophrène transi d'émotivité perverse. Quand bien même Jamie Lee Curtis lui dispute la vedette dans une fonction de flic novice attisée par une soif de justice et une volonté de convaincre ses atouts professionnels. Un thriller rondement mené donc autour d'une atmosphère urbaine aussi délétère que magnétique. 

Bruno Matéï
3èx

Récompenses: Mention spéciale pour Jamie Lee Curtis, lors du Festival du film policier de Cognac en 1990.
Prix de la meilleure actrice et nomination au prix du meilleur film, lors du Mystfest en 1990.


mercredi 18 novembre 2015

Killing Zoe

                                          Photo empruntée sur Google, appartenant au site cinefacts.de

de Roger Avary. 1993. U.S.A/France.1h39 (Director's cut). Avec Eric Stoltz, Jean-Hugues Anglade, Julie Delpy, Tai Thai, Bruce Ramsay, Kario Salem.

Sortie salles France : 31 août 1994 (Interdit aux - de 16 ans). États-Unis : septembre 1994

FILMOGRAPHIE: Roger Avary est un réalisateur et scénariste canadien né le 23 août 1965 à Flin Flon, Manitoba. 1993 : Killing Zoe. 1995 : Mr Stitch. 2003 : Les Lois de l'attraction. 2005 : Glitterati.


Expérience cinégénique comparable au trip hallucinogène oscillant les effets de drogues dures (Acide, Héro, Coco), Killing Zoe réinvente le film de braquage au gré d'une ambiance horrifique immersive. Roger Avary créant à l'aide d'une scénographie d'un rouge criard (les couloirs et chambres du sous-sol où sont entreposés les lingots d'or) un univers cauchemardesque au sein d'un établissement pris en otage par une escouade de psychopathes effrontés. Génialement exubérant, Jean Hugues Anglade se prête au jeu psychotique du leader toxicomane avec une verve sardonique et irascibilité imprévisible. Entièrement vêtu de noir dans sa posture filiforme et sa chevelure raide, l'acteur insuffle une présence délétère aussi répulsive que fascinante. A l'instar de son flegme quasi imperturbable d'y réfuter la peur depuis la présence policière quadrillant l'extérieur de l'enceinte. Si le scénario éculé s'avère d'une limpidité scolaire, la manière opératique de porter à l'écran cette sanglante prise d'otages ne cesse (heureusement) de nous surprendre et d'y détourner les codes (notamment le rôle insaisissable imparti aux forces de l'ordre dont nous ne verrons jamais le visage à l'écran). Tant auprès de son climat baroque quasi indicible que de l'excentricité (j'insiste) des preneurs d'otages pleins de sérénité et de fantaisie (à l'instar de leur visage recouvert d'un masque grotesque). A titre éloquent, l'un d'eux énoncera de façon expansive une blague salace à ses comparses face au témoignage médusé des otages, quand bien même leur leader se confine tranquillement dans les wc pour s'offrir un shoot en guise de jouissance.


Or; prenant pour cadre la métropole parisienne sous son aspect noctambule, la première partie s'oriente sur les défonces et beuveries récursives de nos braqueurs confinés dans leur appartement avant d'aller s'engouffrer dans la cave d'un cabaret. Par le biais d'une réalisation expérimentale où l'image se déforme au fil de leur état aviné, Roger Avary parvient de manière éthérée à nous faire retransmettre les sensations du trip que nos antagonistes éprouvent face au témoignage novice du perceur de coffre peu habitué à tant de stupre (Eric Stoltz endossant la fonction d'un professionnel émérite avec une attitude paradoxalement docile). La seconde partie, toute aussi sensorielle et immersive, nous invite enfin à participer au braquage escompté à l'instar d'une vertigineuse descente vers l'enfer. Les sous-sols de l'établissement conférant une atmosphère sépulcrale au fil des exactions meurtrières du leader habité par le vice et le goût du sang. A partir du moment où les otages vont se confronter aux exactions aléatoires des gangsters, Killing Zoe se transforme en farce sardonique où les coups les plus couards y seront permis sous l'impulsion de dégénérés en perte de vitesse. Bêtes et méchants, ces derniers vont non seulement se confronter à la bravoure de certains otages mais aussi s'entretuer lors d'une déchéance suicidaire Et ce avant que la police n'intervienne à son tour pour surenchérir le chaos. A travers ces explosifs règlements de compte, ces comportements délurés et la position vaillante du second-rôle féminin (superbe Julie Delpy en douce catin insurgée !), Roger Avary joue avec nos nerfs avec une diabolique maîtrise et vigueur émotive éprouvante.


Speedball
Concentré d'adrénaline et d'ultra violence sardonique à corps perdu, Killing Zoe s'édifie en vilain petit canard dans son brassage de vulgarité, de provocations assumées et de délire en roue libre. Expérience sensitive en compagnie marginale de psychopathes shootés à la coke, ce bad-trip s'avère sans conteste le film de braquage le plus violent, brillé, atypique et couillu vu sur la toile avant qu'une romance ne vienne un peu adoucir la donne parmi le duo complémentaire Eric Stoltz/Julie Delpy. Une référence culte à ne pas mettre entre toutes les mains.  

*Bruno
23.04.24. 4èx 

mardi 17 novembre 2015

Comme un chien enragé / At close Range

(Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site IMDb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).                                                                
de James Foley. 1986. U.S.A. 1h55. Avec Sean Penn, Christopher Walken, Mary Stuart Masterson, Chris Penn, Millie Perkins, Crispin Glover, Kiefer Sutherland, Tracey Walter

Sortie salles France: 14 janvier 1987. États-Unis: 18 avril 1986

FILMOGRAPHIE: James Foley est un réalisateur, scénariste et acteur américain né le 28 décembre 1953 à Brooklyn, New York. 1984 : Reckless. 1986 : Comme un chien enragé. 1987 : Who's That Girl. 1990 : La Mort sera si douce. 1992 : Glengarry. 1995 : Instant de bonheur. 1996 : Fear. 1996 : L'Héritage de la haine. 1997 : Gun ("Gun") (série TV). 1999 : Le Corrupteur. 2003 : Confidence. 2005 : Man and Wife. 2007 : Dangereuse Séduction. 2013-.... : House of Cards, série télévisée. 2017: Cinquante nuances plus sombres.


Le scénario s'inspire d'un fait réel survenu en 1978 à Chester County dans la banlieue de Philadelphie, Pennsylvanie. 

Film culte d’une génération de vidéophiles, Comme un chien enragé marqua les esprits des années 80 par son ambiance mélancolique, terriblement prégnante, et son aspect dramatique aux relents de fait divers, où la figure paternelle impose à sa progéniture un enseignement sans foi ni loi. En inversant les codes, James Foley retrace, avec une émotion ténue, la déliquescence morale d’un jeune paumé privé de toute pédagogie dès l’enfance, avant une ultime tentative de sursaut. 

Le pitch : depuis son renvoi du lycée, Brad Whitewood et son frère tuent le temps entre joints et bières, à l’abri du cocon familial. Un soir, il croise Terry, jeune fille timorée de 16 ans, sur l’esplanade de son village. Coup de foudre. Mais le retour de Brad senior, père fantôme réapparaissant au foyer après des années d’absence, vient bouleverser la trajectoire. Fasciné par son train de vie vaguement fastueux, Brad junior se laisse happer. Très vite, il glisse dans la spirale du banditisme, avant de tenter, in extremis, de s’arracher à l’emprise paternelle — malgré le chantage.


Polar noir à la rigueur dramatique ascendante, Comme un chien enragé ausculte la lente corruption d’un fils par un père, enseignant à son propre sang la déontologie du cambriolage et l’immoralité du meurtre. Foley hypnotise les sens avec une mise en scène aussi sombre que lyrique, où chaque événement entraîne le suivant dans un engrenage inéluctable. Et pourtant, derrière la fétidité de l’intrigue — où le père se désolidarise de toute tendresse — se déploie une mélancolie diffuse, portée par la romance candide des deux amants. Ressort de rédemption, ce lien sentimental devient le seul contrepoids à la soumission filiale : le cinéaste le transfigure par une stylisation onirique, où la nature rurale épouse les états d’âme des amants en herbe (sublimée par une photographie vaporeuse). Exacerbé par le score hanté de Patrick Leonard en complicité avec Madonna, le film distille les notes malingres d’une mélodie ensorcelante, accompagnant Brad et Terry dans leur passion — juste avant la chute.

Au-delà de la puissance émotionnelle d’un drame criminel empreint de fourberie, Comme un chien enragé brille par le face-à-face de deux géants. Sean Penn, tout en fragilité nerveuse, incarne un délinquant vacillant sur le fil d’une possible rédemption, tandis que Christopher Walken, d’un jeu feutré, campe un père aussi veule qu’insidieux, stratège désaxé d’un crime sans honneur. Leur antagonisme culmine en une confrontation psychologique d’une intensité rare.


Au nom du père.
D’une beauté formelle quasi éthérée, pour la stylisation de sa mise en scène comme pour l’émotion fulgurante de sa romance juvénile, Comme un chien enragé explore l’endoctrinement au crime et la banalisation du mal, à travers un fait divers d’une bassesse édifiante. Il en émane un moment de cinéma inoubliable, magnétisé par le score fragile de Leonard, qui imprime au récit une ivresse bouleversante.

*Bruno
Dédicace à Ludovic Hilde et Nicolas Bruguet

lundi 16 novembre 2015

L'ETRANGE NOEL DE MR JACK

                                                                      Photo empruntée sur Google, appartenant au site maddysouris.com

"The Nightmare Before Christmas" de Henry Selick. 1993. U.S.A. 1h16. Basé sur une histoire et des personnages créés par Tim Burton

Sortie salles France: 7 Décembre 1994. États-Unis : 29 octobre 1993

FILMOGRAPHIEHenry Selick est un scénariste né le 30 novembre 1952, réalisateur et producteur américain de cinéma, spécialisé dans l'animation image par image (dite aussi  animation en volume).
1993 : L'Étrange Noël de Monsieur Jack. 1996 : James et la Pêche géante. 2001 : Monkeybone. 2009 : Coraline. 2015 : The Shadow King.


D'après un poème et des personnages imaginés par Tim Burton dans les années 80, l'Etrange Noel de Mr Jack retrace l'utopie de Jack Skellington, roi des citrouilles originaire de la ville d'Halloween. Lassé de sa fête, il décide de rejoindre la ville de Noel pour offrir aux enfants les traditionnels cadeaux après avoir kidnappé le père-Noël. Mais les jouets macabres généreusement distribués par la cheminée ne sont pas du goût de nos têtes blondes. Hymne à l'anticonformisme à travers une féerie macabre d'une inventivité fastueuse, l'Entrange Noel de Mr Jack est un plaisir esthétique permanent. De par le souci du détail imparti à l'expressionnisme de décors tantôt gothiques, tantôt enchanteurs, et la mobilité des personnages excentriques entièrement confectionnés en stop-motion. La puissance émotionnelle du métrage émanant de sa flamboyance macabre perpétuellement ensorcelante et de la posture rigide de nos pantins donnant chair à leur personnage avec une fantaisie exubérante. Ce tour de force technique animé image par image nécessita d'ailleurs 3 ans de préparation afin de parfaire l'ambition picturale du cinéaste perfectionniste. A travers la célébration de la fête des morts, ce dernier en profite pour dédramatiser son aspect macabre par le biais d'un humour noir caustique, alors que du point de vue des festivités de Noël, le conservatisme est roi lorsque les enfants dociles éprouvent la plus grande frayeur à se confronter à l'idée du changement. Bousculer les habitudes du spectateur afin de l'influencer à fréquenter un onirisme macabre aussi subversif que rédempteur (effrayer avec ironie les garnements pour mieux les exorciser de la peur de la mort), Henry Selick le prescrit avec un sens de l'imaginaire exaltant. Autant dire que la mission d'offrir un pied de nez aux conventions est pleinement réussie parmi l'appui complice d'un Tim Burton tout aussi amoureux de ces monstres (il refusa d'ailleurs de s'atteler à la réalisation au profit de Batman, le Défi).


Plaidoyer pour le droit à la différence et à la tolérance par le biais de créatures morbides irrésistiblement attachantes, hymne à la raison de la romance (le cheminement initiatique des deux héros), à la fête d'Halloween et son esprit sarcastique conçu pour dénaturer la peur de la mort, l'Etrange Noel de Mr Jack détourne avec une libre insolence le conte de noël au rythme de numéros musicaux harmonieusement chorégraphiés. 

Bruno Matéï
3èx

vendredi 13 novembre 2015

ERASERHEAD / LABYRINTH MAN

                                                                              Photo empruntée sur Google, appartenant au site mindpirates.org

de David Lynch. 1971-1976. U.S.A. 1h29. Avec Jack Nance, Charlotte Stewart, Allen Joseph,
Jeanne Bates, Judith Anna Roberts.

Sortie salles France: 17 décembre 1980. U.S: 28 septembre 1977.

FILMOGRAPHIE: David Lynch est un réalisateur, photographe, musicien et peintre américain, né le 20 Janvier 1946 à Missoula, dans le Montana, U.S.A.
1976: Eraserhead. 1980: Elephant Man. 1984: Dune. 1986: Blue Velvet. 1990: Sailor et Lula. 1992: Twin Peaks. 1997: Lost Highway. 1999: Une Histoire Vraie. 2001: Mulholland Drive. 2006: Inland Empire. 2012: Meditation, Creativity, Peace (documentaire).


Précédé d'un bouche à oreille sulfureux lors des séances des fameux Midgnight Movies, Eraserhead est un premier long-métrage d'une ambition singulière dans la motivation expérimentale du réalisateur à nous confiner dans l'antre de son univers cauchemardesque littéralement anxiogène. Etudiant en arts plastiques, le néophyte David Lynch aura mis plus de 5 ans à façonner cet essai en noir et blanc après l'avoir autoproduit. Ce n'est qu'au fil des ans et des décennies que le film accède à la renommée après avoir essuyé échec public et critique. Dérangeant, malsain, perturbant, mais surtout terriblement anxiogène et dépressif, Eraserhead transpire l'aigreur à travers l'errance de son héros sentencieux littéralement tourmenté par sa condition parentale. L'intrigue s'attachant à décrire par le biais de ses fantasmes et/ou celui du rêve sa situation démunie face au statut paternel puis conjugal. Son amie insomniaque ayant quitter précipitamment le foyer à la suite des braillements de leur bambin, Henry Spencer tente maladroitement de poursuivre sa morne existence en la présence de ce rejeton moribond.


Avec son décor blafard de banlieue industrielle et la sonorité infernale impartie aux bruit des machines et du vent tempétueux, Eraserhead ébranle nos sens, déstabilise nos habitudes sereines pour mettre en exergue le dépaysement d'une glauque scénographie auquel chaque membre d'une famille est servile au mal-être existentiel. Renforçant le malaise parmi la présence fétide d'un foetus difforme (FX bluffants de réalisme !) que Mary a enfantée de manière prématurée, l'intrigue multiplie les évènements nonsensiques au fil de l'introspection mentale du héros en léthargie. Outre le caractère baroque et surréaliste du design d'ameublement auquel cohabitent les personnages excentriques (notamment la dame du radiateur et les parents névrosés de Mary), Eraserhead planifie avec une inventivité schizophrène une descente aux enfers où l'illogisme des situations et l'incompréhension de certains évènements renforcent le malaise d'un bad-trip plus vrai que nature. Par l'acuité visuelle de son imagerie opaque extraite d'un esprit immature en perte de repère avec sa réalité, le film distille un sentiment de mal-être épidermique aussi rigoureux que Massacre à la Tronçonneuse, Martyrs ou encore La Dernière maison sur la gauche. Autant dire que l'expérience successivement éprouvante, oppressante et malsaine n'accorde aucune délivrance au spectateur privé d'émotions ludiques pour l'extraire de ce climat de sinistrose en chute libre.


Expérience horrifique capiteuse parmi l'intensité de sa bande-son dissonante et son florilège de séquences cauchemardesques engendrées par un esprit dépressif incapable de s'assumer, Eraserhead aborde les thèmes de l'adultère, l'infanticide, la démission parentale et conjugale avec une originalité machiavélique. Tour à tour angoissant et étouffant au point de perdre tous nos repères, le film décuple le malaise parmi la présences iconique du bambin alité et celle de l'acteur Jack Nance traînant sa lourde dégaine à la manière d'un somnambule impassible. 
P.S: En raison de l'intensité scrupuleuse de son climat perturbant, les âmes sensibles sont priées d'être averties (le film étant interdit aux - de 18 ans lors de sa sortie)

Bruno Matéï
2èx

jeudi 12 novembre 2015

The Devil's Rejects

                                                                    Photo empruntée sur Google, appartenant au site jeknight.deviantart.com 

de Rob Zombie. 2005. U.S.A. 1h50 (Director's Cut). Avec Sid Haig, Bill Moseley, Sheri Moon Zombie, William Forsythe, Ken Foree, Matthew McGrory, Leslie Easterbrook, Geoffrey Lewis.

Sortie salles France: 19 Juillet 2006 (Interdit aux - de 16 ans). U.S: 22 Juillet 2005

FILMOGRAPHIE: Rob Zombie est un chanteur, musicien et réalisateur américain, né le 12 Janvier 1965 à Haverhill, dans le Massachusetts.
2003: House of 1000 Corpses. 2005: The Devil's Rejects. 2007: Werewolf Women of the S.S. (trailer). 2007: Halloween. 2009: Halloween 2. 2012: The Lords of Salem. 2016: 31.


"Famille de démons sur bitume brûlant : The Devil’s Rejects".
Faisant suite à La Maison des 1000 morts, The Devil’s Rejects en modifie la topographie horrifique pour épouser l’ultra-violence d’un road movie poisseux, où le shérif Wydell traque trois psychopathes : le Capitaine Spaulding, Otis Driftwood et Baby Firefly. Fou de haine depuis que son frère a succombé sous leurs coups, John Quincy Wydell foule aux pieds la loi pour mieux les piéger, quitte à y perdre son âme dans une vendetta suintant la lâcheté et la soif de sang. Road movie fiévreux et dégénéré, hommage fangeux aux bandes des Seventies — Massacre à la tronçonneuse en étendard — Rob Zombie transcende le portrait d’anti-héros habités par une pulsion de mort déguisée en soif de liberté. Avec un jusqu’au-boutisme cru, il étale sans fard leurs exactions gratuites, secouant le spectateur entre rire nerveux, malaise moral et fascination morbide. Certaines scènes extrêmes imposent un réalisme poisseux, à la lisière du soutenable, quand des victimes en charpie implorent qu’on abrége leur agonie.

Si le scénario déroule une linéarité presque scolaire, le brio de la mise en scène engendre une succession de séquences anthologiques. D’un réalisme documentaire et d’une audace crue, Zombie provoque sans relâche, étalant humiliations et tortures avec une immoralité ricanante. Qu’il scrute ses sociopathes fraternels ou la dérive furieuse d’un shérif en roue libre, The Devil’s Rejects croque un jeu du chat et de la souris dans une Amérique rurale peuplée de rednecks ignares. Les seconds rôles, trognes grotesques et verve de caniveau (jusqu’à une transaction de poulets hilarante), injectent une cocasserie malsaine au cœur du carnage. Entre ces faces vulgaires et notre trio qui pue la sueur et la crasse, Zombie tire une parodie sarcastique, limite cartoonesque, de malfrats dépravés, ivres de sexe, de drogue, d’alcool et surtout de sang.

Et pourtant, miracle noir : dans la dernière ligne droite, les bourreaux basculent victimes, quand un shérif ricanant fraude les règles pour les humilier à son tour. Surgit alors, contre toute attente, un soupçon d’empathie pour ces déchets humains, frères soudés par l’amour du vice et un désir de liberté absolue. Zombie cueille l’émotion sur le bitume : clichés solaires, sourires exaltés, un instant volé au cauchemar, comme si ces rebuts de l’humanité frôlaient, eux aussi, l’idée du bonheur.


"Les Nouveaux Sauvages".
Aussi dérangeant qu’hilarant dans son festin d’ultra-violence cartoonesque (pour les amateurs de bandes déviantes et sardoniques), The Devil’s Rejects transcende le portrait au vitriol de psychopathes en une « horde sauvage » moderne, cherchant l’enfer le plus paisible possible. Un moment de cinéma inoubliable, incarné par des comédiens viscéraux, un chef-d’œuvre d’immoralité où palpite, malgré tout, l’illusion d’un humanisme désespéré.

— Bruno Matéï
3èx 

La Critique de Mathias Chaput:
Véritable bombe pondue par un Rob Zombie en état de grâce, "Devil's rejects" est un film qui devance tous ces prédécesseurs au niveau de la violence !

Outrancier dans son fond et dans sa forme mais passionnant à suivre car parfaitement rythmé et bien joué, ce métrage tient largement ses promesses et se distingue des autres par une originalité peu commune ou très peu exploité, à savoir qu'on a plus de compassion pour les tueurs que pour la police...

"The devil's rejects" est un mastodonte, une machine de guerre qui annihile tout sur son passage, recelant de moments d'anthologie et ponctué de dialogues cultes même si faisant la part belle aux invectives...

Faisant référence non sans un humour décalé et jubilatoire à plusieurs événements d'outre Atlantique ou à des figures emblématiques comme Groucho Marx ou même Elvis Presley, Rob Zombie se fait plaisir et NOUS fait plaisir et ne plagie à aucun moment les autres (même si le tout début peut faire légèrement penser à "Massacre à la tronçonneuse")...

Un montage ultra serré se servant de plans fixes et un final prodigieux tout en nuances permet au spectateur de garder un recul approprié face à ce déchaînement de brutalité (Rob Zombie n'y allant vraiment pas de main morte) et fait accéder l'oeuvre au sommet du genre, sorte de mélange entre "La dernière maison sur la gauche", "Tueurs nés" et "Dirty Harry"...

Toute une culture vintage se retrouve dans un film qui mettra tout le monde d'accord, transcendé par une folie pure et ambiante que l'on n'avait pas vue depuis longtemps !

Déjà huit ans et pas une seule ride !

Un pur must à déguster sans modération !
Note : 10/10


mardi 10 novembre 2015

NO ESCAPE

                                                                   Photo empruntée sur Google, appartenant au site allocine.fr

de John Erick Dowdle. 2015. U.S.A/Thaïlande. 1h43. Avec Pierce Brosnan, Owen Wilson, Lake Bell, Sterling Jerins, Spencer Garrett, John Goldney

Sortie salles France : 2 septembre 2015. U.S : 26 août 2015

FILMOGRAPHIE: John Erick Dowdle est un réalisateur américain né en Décmbre 1973.
1996 : Full Moon Rising. 2005 : The Dry Spell. 2007 : The Poughkeepsie Tapes. 2008 : En quarantaine (Quarantine). 2011 : Devil. 2014 : Catacombes (également coscénariste). 2015 : No Escape.


Si John Erick Dowdle a accumulé depuis le début de sa carrière les nanars opportunistes, force est de constater qu'avec No Escape le réalisateur modifie la donne pour nous imposer avec une maestria inespérée (à l'instar d'une 1ère poursuite en mode subjectif entre les ruelles Thaïlandaises !) un survival brut de décoffrage dans sa tension à couper au rasoir ! Issus de souche américaine, Jack et sa famille ont décidé de s'expatrier en Asie du Sud-est pour son cadre idyllique. Mais à la suite d'un coup d'état meurtrier, ils se retrouvent pris à parti avec une armée de rebelles assoiffés de sang à la vue de toute présence occidentale. C'est le début d'une épreuve de force que va endurer la famille Dwyer la peur au ventreThriller d'action à couper le souffle dans son lot de péripéties aussi délétères que bellicistes, rebondissements imprévisibles et planques de dernier ressort, No Escape nous plonge tête baissée dans le chaos d'une guérilla urbaine bâtie sur la déchéance barbare. Les séquences gratuites d'exécutions sommaires sur les victimes innocentes se multipliant devant le témoignage révulsé d'une famille en perdition. Cette vertigineuse descente aux enfers inscrite dans le désespoir de survie, le cinéaste nous la dépeint avec un réalisme documenté au point d'en oublier sa facture ludique de série B effrénée (à une accalmie près pour une retrouvaille amicale !).


Ce sentiment d'insécurité permanent régi au tour d'une ville en état de siège, cette peur de trépasser l'instant d'après pour nos survivants à court d'oxygène, sont transfigurés par le talent des interprètes insufflant une angoisse viscérale contagieuse auprès de notre témoignage. En particulier Owen Wilson utilisé ici à contre-emploi pour se tailler la carrure d'un paternel plein d'humanisme mais redoutablement vaillant dans ses prises de risques inconsidérées à daigner prémunir sa famille. Dans un second-rôle plus affirmé, Pierce Brosnan lui partage la vedette avec une spontanéité impavide dans sa fonction de mercenaire émérite à déjouer les traques criminelles de l'ennemi rebelle. Transis d'anxiété et d'empathie pour leur situation précaire, nous nous immergeons de plein fouet dans leur parcours du combattant avec une acuité émotionnelle rigoureuse. Sachant notamment que le cinéaste se délecte à leur structurer un cheminement aléatoire d'enjeux de survie où les poursuites endiablées ne cessent de les compromettre à l'issue de secours. Quand bien même les parents vont être amenés à transgresser leur morale pour abuser parfois de violence afin de sauver leur peau et celle de leurs filles (les comédiennes imposant une fragilité dépouillée). Face à cet amoncellement de situations alertes où la mort omniprésente tente à chaque fois de les agripper, nos nerfs sont sévèrement mis à rude épreuve sous l'impulsion de séquences d'action aussi épiques (voires même parfois dantesques !) que réalistes.


Spectacle haletant de survival escarpé et de guérilla urbaine d'un réalisme parfois éprouvant (notamment la dureté de certaines scènes de violence faisant écho à l'actualité du terrorisme islamiste), No escape puise d'autant plus sa puissance émotionnelle dans l'efficacité de sa réalisation et la caractérisation humaniste de ses personnages vibrant de désespoir et de vigueur de vaincre.  

Bruno Matéï 

    lundi 9 novembre 2015

    QUI L'A VUE MOURIR ?


    "Chi l'ha vista morire ?" d'Aldo Lado. 1972. Italie. 1h30. Avec George Lazenby, Anita Strindberg, Dominique Boeschero, Peter Chatel, Adolfo Celi.

    FILMOGRAPHIE: Aldo Lado est un réalisateur italien, né le 5 décembre 1934 à Fiume (Croatie).
    1971: Je suis Vivant (La corta notte delle bambole di vetro). 1972: Qui l'a vue mourir ? 1972: La Drôle d'affaire. 1973 : Sepolta viva. 1974 : La cugina. 1975: La Bête tue de sang Froid. 1976 : L'ultima volta. 1978 : Il prigioniero (TV). 1979 : L'humanoïde. 1979 : Il était un musicien – Monsieur Mascagni. 1981 : La désobéissance. 1982 : La pietra di Marco Polo (TV). 1983 : La città di Miriam (TV). 1986 : I figli dell'ispettore (TV). 1987 : Sahara Heat ou Scirocco. 1990 : Rito d'amore. 1991 : La stella del parco (TV). 1992 : Alibi perfetto. 1993 : Venerdì nero. 1994 : La chance.


    Surtout connu chez nous grâce au sulfureux la Bête tue de sang froid, déclinaison transalpine de la Dernière Maison sur la Gauche, Aldo Lado s'était auparavant prêté au giallo avec Je suis vivant et le film qui nous intéresse ici, Qui l'a vue mourir ? Inédit en salles en France et exhumé de l'oubli grâce au Dvd édité par Ecstasy of Films, le film relate les exactions d'un assassin d'enfants au sein de la ville portuaire de Venise. Après la découverte de sa fille noyée, Franco Serpieri tente de mener lui même l'enquête quand bien même son épouse réapparaît après leur séparation afin d'assister aux funérailles. Au fil d'indices répertoriés au compte goutte, les morts commencent à se multiplier. Giallo méconnu chez nous, Qui l'a vue mourir ? anticipe avec deux ans d'avance le chef-d'oeuvre de Nicolas RoegNe vous retournez pas. De par sa scénographie d'une capitale vénitienne étrangement similaire, de la mort de l'innocence et la tragédie familiale du père investigateur avide de résolution. 


    Ca commence fort avec un prologue particulièrement crapuleux lorsqu'un mystérieux rôdeur décide de s'en prendre à une gamine pour lui fracasser le crane à coups de pierre. Le cadre de l'action confiné autour d'une forêt enneigée renforçant une angoisse diffuse autour des va-et-vient ludiques d'une mère et de sa fille. Une séquence explicite assez choquante même si l'aspect concis de la mise à mort en désamorce un peu sa brutalité. C'est sans doute en partie pour cette raison que le film écopa d'une interdiction aux - de 18 ans dans certains pays. Une seconde séquence, cette fois-ci établie hors-champs, va également provoquer le malaise lors de la découverte macabre d'une autre victime infantile dans la berge de Venise. C'est à partir de cette nouvelle tragédie sordide que l'intrigue va pouvoir s'affranchir sous l'impulsion du père endeuillé avide de questionnement. Ce qui l'entraîne à fréquenter quelques notables déviants pour leurs penchants pédophiles, jeux SM et party pornos organisés en soirées privées. Si l'enquête policière que mène Franco Serpieri s'avère un brin langoureuse dans son cheminement routinier, l'ambiance inquiétante régie autour de la ville vaporeuse et le portrait imparti aux seconds rôles véreux distillent une aura malsaine assez étouffante. Quant aux meurtres stylisés et parfois angoissants, ils se succèdent efficacement en intermittence en dépit du caractère prévisible de l'un d'entre eux, alors que l'assassin fait preuve de photogénie délétère par son accoutrement sépulcrale semblable à la veuve noire.  


    Sans révolutionner le genre, Aldo Lado parvient à esthétiser un sympathique giallo assez vénéneux et malsain parmi l'appui musical d'Ennio Morricone (sa comptine imposant un leitmotiv aussi entêtant que fascinant). Si la direction d'acteurs perfectible (en particulier le personnage principal endossé par le moustachu George Lazenby) et la monotonie de l'intrigue auraient gagnés à faire preuve de plus d'entrain, l'audace sordide du scénario conféré autour de meurtres d'enfants distille une aura sulfureuse plutôt inédite pour le genre. A découvrir.

    Remerciement à The Ecstasy of Films
    Bruno Matéï
    2èx 


    vendredi 6 novembre 2015

    Elephant Man / "The Elephant Man". Grand Prix, Avoriaz 80.

                                                Photo empruntée sur Google, appartenant au site impawards.com

    de David Lynch. 1980. Angleterre/U.S.A. 2h04. Avec John Hurt, Anthony Hopkins, Anne Bancroft, John Gielgud, Wendy Hiller, Freddie Jones.

    Sortie salles France: 8 Avril 1981. U.S: 10 Octobre 1980 (Interdit aux - de 13 ans)

    FILMOGRAPHIE: David Lynch est un réalisateur, photographe, musicien et peintre américain, né le 20 Janvier 1946 à Missoula, dans le Montana, U.S.A. 1976: Eraserhead. 1980: Elephant Man. 1984: Dune. 1986: Blue Velvet. 1990: Sailor et Lula. 1992: Twin Peaks. 1997: Lost Highway. 1999: Une Histoire Vraie. 2001: Mulholland Drive. 2006: Inland Empire. 2012: Meditation, Creativity, Peace (documentaire).


    "Jamais, non, jamais... rien ne meurt jamais. Le courant coule, le vent souffle, le nuage flotte, le coeur bat. Rien ne mourra".

    Grand Prix à Avoriaz en 1981, César du Meilleur Film Étranger en 1982, Elephant Man bouleversa critiques et spectateurs du monde entier par la rigueur de son intensité dramatique consacrée au portrait de Joseph Merrick. Un homme de 21 ans, atteint du syndrome de Protée — maladie génétique extrêmement rare — ayant vécu une existence miséreuse avant d’être recueilli par un service hospitalier londonien. 
     
    Monstre de foire, défiguré au point d’être comparé à un éléphant, John Merrick (David Lynch en modifia le prénom) est exhibé dans un cirque par un directeur alcoolique, vénal et brutal. Un jour, le chirurgien Frederick Treves, après avoir assisté à l’une de ses représentations, parvient à le faire sortir de cet enfer sous prétexte d’un examen médical. Recueilli avec égards dans un hôpital, John va réapprendre à vivre, découvrant peu à peu le sens des mots amitié, amour, reconnaissance, noblesse, à travers les soins, les rencontres aristocratiques et une comédienne de théâtre, Madge Kendal.

    Maelstrom d’émotions bouleversantes autour des vicissitudes de John Merrick, Elephant Man relate avec une acuité pudique son destin maudit, porté par des comédiens à la sobriété humaine sans fard. L’émotion nue, surgissant de leur regard face à cette difformité, avant qu’ils ne canalisent leurs élans pour lui offrir une réplique aussi simple que sincère. Il en naît des séquences intimistes d’une vigueur dramatique rare, tissées dans les silences, la bienveillance, l’écoute. Outre la posture pleine de dignité d’Anthony Hopkins en chirurgien altruiste, Hannah Gordon (l’épouse de Treves) et Anne Bancroft (Madge Kendal) partagent l’écran avec une tendre humilité, prouvant à Merrick qu’il peut, enfin, croire en la sécurité d’un monde qui ne le rejette plus.

    Mais si Elephant Man bouleverse si profondément, c’est par la fragilité éperdue de John Merrick, que John Hurt incarne avec une sensibilité bouleversante. Sa voix douce, son regard noyé de sagesse, de mélancolie, d’angoisse et d’amour... tout en lui parle d’un monde intérieur d’une noblesse inouïe. Baignant dans l’étrangeté d’une époque victorienne rongée par l’industrialisation, le film s’élève dans un noir et blanc épuré que Freddie Francis magnifie d’un onirisme baroque — chimères ou réalités, visions de mutation sociale. Le visage monstrueux de Merrick, tuméfié, grotesque, plonge l’ensemble dans un climat d’hostilité sourde. La foule le rejette, les marginaux s’en repaissent, et l’humanité chancelle dans l’ombre de son ignorance putassière.


    Porté par la partition feutrée de John Morris et le thème déchirant de Samuel Barber, Elephant Man transfigure avec une pudeur infinie le douloureux destin d’un "monstre humain", en puisant dans la candeur des sentiments et la grandeur de l’amour. Car à travers ce plaidoyer symbolique pour le droit à la différence, David Lynch livre une leçon d’humanité, un poème baroque sur la beauté cachée des infortunés, porté par une mise en scène d’une élégance presque sacrée. De ce vortex d’émotions capiteuses naît l’un des mélodrames les plus poignants de l’histoire du cinéma — que tout cinéphile se doit d’avoir contemplé.

    Bruno 
    3èx

    Grand Prix du Festival international du film fantastique d'Avoriaz, 1981.
    César du meilleur film étranger 1982
    British Academy Film Award du meilleur film
    British Academy Film Award du meilleur acteur pour John Hurt
    British Academy Film Award des meilleurs décors

    jeudi 5 novembre 2015

    La Sorcière Sanglante / I Lunghi capelli della morte

                                                         Photo empruntée sur Google, appartenant au site subscene.com

    de Antonio Margheriti. 1964. Italie. 1h40. Avec Barbara Steele, George Ardisson, Halina Zalewska, Umberto Raho, Laura Nucci.

    Sortie salles France: 5 Août 1970. Italie: 30 Décembre 1964

    FILMOGRAPHIE: Antonio Margheriti (Anthony M. Dawson) est un réalisateur italien, né le 19 septembre 1930 à Rome, décédé le 4 Novembre 2002 à Monterosi. 1960: Le Vainqueur de l'espace. 1962: Les Derniers jours d'un empire. 1963: La Vierge de Nuremberg. 1964: La Sorcière Sanglante. 1964: Les Géants de Rome. 1964: Danse Macabre. 1968: Avec Django, la mort est là. 1970: Et le vent apporta le Violence. 1971: Les Fantômes de Hurlevent. 1973: Les Diablesses. 1974: La brute, le colt et le karaté. 1975: La Chevauchée terrible. 1976: l'Ombre d'un tueur. 1979: l'Invasion des Piranhas. 1980: Pulsions Cannibales. 1980: Héros d'Apocalypse. 1982: Les Aventuriers du Cobra d'Or. 1983: Yor, le chasseur du futur. 1985: L'Enfer en 4è vitesse.

     
    "Les Flammes de l’Injustice : élégie pour une sorcière"
    Tourné entre La Vierge de Nuremberg et Danse Macabre, La Sorcière Sanglante vient clore magistralement la trilogie gothique du maître italien, sous l’impulsion de la reine des ténèbres : Barbara Steele.
     
    Synopsis: Accusée à tort de sorcellerie après la découverte du corps du comte Franz, Adèle est condamnée à périr sur le bûcher, sous les yeux de sa fille, la jeune Elisabeth. Mais dans les flammes, elle jure vengeance contre ses bourreaux. Tandis que sa sœur aînée, Helen, tente désespérément de la sauver en plaidant sa cause auprès du comte Humboldt, elle se voit contrainte de céder à ses avances pour gagner sa clémence. En vain. Helen assiste, impuissante, à l’exécution d’Adèle. Puis, craignant d’être accusé d’adultère, Humboldt fait basculer Helen du haut d’un pont. Des années plus tard, Elisabeth est forcée d’épouser Kurt, le fils du comte. Mais bientôt, les secrets remontent à la surface : Kurt avoue à son père être le véritable responsable de la mort de Franz. Au même moment, le sosie troublant d’Helen réapparaît sous les traits de Mary Karnstein...

    Ce pitch ombrageux, transcendé par une reconstitution médiévale du XVIe siècle, Antonio Margheriti l’illustre avec une ambition formelle et un sens diffus du suspense, alors que le bourreau de cette tragédie familiale se voit pris au piège d’une conjuration machiavélique. « Plus réussi est le méchant, meilleur est le film », dixit Hitchcock — et Margheriti respecte à la lettre ce précepte. Le personnage de Kurt, cupide et fallacieux, interprété avec une sobriété cynique par George Ardisson, excelle dans l’art de supprimer chaque témoin gênant. Amant de l’énigmatique Mary, Kurt va pourtant sombrer dans l’irréel, miné par sa propre paranoïa, dès lors qu’il ourdit un nouveau stratagème : empoisonner son épouse. Toute la tension du récit naît de cette spirale de suspicion délirante, où les figures d’Elisabeth et de Mary semblent tirer les ficelles d’une machination spectrale. Margheriti s’amuse à inverser les rôles de victime et bourreau, à travers le regard fiévreux d’un anti-héros rongé par l’effroi.

    Avec ses manoirs lugubres, ses cryptes décrépites et ses souterrains oppressants, La Sorcière Sanglante insuffle une étrangeté prégnante, presque délirante, autour des déplacements d’ombres humaines, en proie à d’éventuelles puissances occultes — alors même que la peste ravage les villageois, hébétés de superstition. 


    "Le Sang des sœurs, l’Étreinte des morts".
    Par la limpidité de sa photo monochrome, la solidité de son intrigue au suspense insoutenable, la stylisation morbide de ses décors gothiques, et bien sûr, la présence magnétique de Barbara Steele, La Sorcière Sanglante ravive la flamme de l’épouvante transalpine. Sans égaler Danse Macabre, réalisé la même année, ce bijou d’angoisse baroque et de tension érotique déploie un pouvoir de séduction ténébreux à travers ses personnages ambigus, merveilleusement dessinés. Et ce, dès son prologue anthologique baigné de cruauté, jusqu’à son épilogue rédempteur, d’une ironie sardonique saisissante — où victime et bourreau s’opposent une dernière fois, face au brasier purificateur. Gratitude Artus Films 💖.
     
    *Bruno
    06.06.25
    3èx. Vost

    Pour les intéressés, les 2 autres volets sont chroniqués ci-dessous:
    La Vierge de Nuremberg: http://brunomatei.blogspot.fr/…/la-vierge-de-nuremberg-la-v…
    Danse Macabre: http://brunomatei.blogspot.fr/…/danse-macabre-danza-macabra…



    mercredi 4 novembre 2015

    LA MOUCHE. Prix Spécial du Jury, Avoriaz 87.

                                                                             Photo empruntée sur Google, appartenant au site impawards.com

    "The Fly" de David Cronenberg. 1986. U.S.A. 1h35. Avec Jeff Goldblum, Geena Davis, John Getz, Joy Boushel, Leslie Carlson, George Chuvalo.

    Sortie salles France: 21 Janvier 1987. U.S: 15 Août 1986

    FILMOGRAPHIE: David Cronenberg est un réalisateur canadien, né le 15 mars 1943 à Toronto (Canada). 1969: Stereo. 1970: Crimes of the Future. 1975: Frissons. 1977: Rage,1979: Fast Company. 1979: Chromosome 3. 1981: Scanners. 1982: Videodrome. 1983: Dead Zone. 1986: La Mouche. 1988: Faux-semblants. 1991: Le Festin nu. 1993: M. Butterfly. 1996: Crash. 1999: eXistenz. 2002: Spider. 2005 : A History of Violence. 2007: Les Promesses de l'ombre. 2011: A Dangerous Method. 2012: Cosmopolis. 2014:Maps to the Stars.


    Déclinaison du classique de Kurt Neumann réalisé en 1958, La Mouche version 86 transcende la définition du terme "remake" dans le sens où Cronenberg réinterprète avec une rare intelligence l'histoire de l'écrivain George Langelaan à la manière d'un drame psychologique d'une intensité bouleversante. Métaphore sur le cancer illustrée de manière horrifique, La Mouche dépeint la dégénérescence irréversible d'un physicien à l'origine d'une invention révolutionnaire, la téléportation. Après avoir réussi l'expérience avec un babouin, Seth Brundle décide de se porter volontaire pour se téléporter d'une machine à une autre. Mais durant l'épreuve, une mouche s'est incidemment introduite dans la machine si bien que l'ordinateur décide de les fusionner. Pourvu d'une force surhumaine et d'une énergie pétulante, Seth Brundle finit par se dégrader physiquement pour se métamorphoser peu à peu en insecte humain. 


    Ce concept original aussi débridé que cauchemardesque, David Cronenberg le traite avec un sérieux imperturbable, là ou n'importe quel tâcheron se serait facilement vautré dans la gaudriole de série Z. Une trame improbable, voire même ridicule, que le cinéaste parvient haut la main à rationaliser par le biais d'une mise en scène maîtrisée, le souci du détail de l'étude scientifique et le brio de comédiens taillés sur mesure. Entièrement alloué à la dimension humaine des personnages, l'intrigue nous plonge avec force et détails (FX renversants à l'appui !) dans le désarroi d'un scientifique émérite sur le point de révolutionner nos moyens de transport avant de voir ses travaux bafoués par la cause d'un insecte. Par le biais d'une réflexion sur les progrès inquiétants de la recherche scientifique, David Cronenberg en extrait une magnifique tragédie humaine sur la déroute d'un physicien sombrant peu à peu dans le désespoir et la folie depuis que son corps et son mental sont amenés à adopter les réflexes d'une mouche. Epaulé du score fragile de Howard Shore et des maquillages saisissants de Chris Wallas, le film cultive un réalisme scrupuleux quant à la métamorphose du héros succombant également dans une éthique dénuée de politique comme le souligne l'existence frigide des insectes. En prime de nous ébranler la vue avec les visions cauchemardesques de la victime atteinte d'une difformité toujours plus décharnée, Cronenberg nous émeut par l'entremise d'une douloureuse histoire d'amour que le héros entretient avec une journaliste philanthrope. Impuissante face à sa déchéance corporelle et psychologique, son témoignage donne lieu à des séquences toujours plus poignantes lorsque le duo s'efforce vainement de trouver une solution de dernier ressort face à une situation aberrante où la malchance aura décidé d'en châtier le responsable. 


    Sommet d'émotion et d'angoisse dépressive que Jeff Goldblum et Geena Davis transcende avec un humanisme aussi fébrile que bouleversant, la Mouche exploite l'alibi de l'argument horrifique pour en extraire un drame psychologique d'une émotion viscérale. Notamment parce que le thème de la maladie incurable nous concerne tous lorsque la mutation du cancer s'efforce de nous anéantir avec une partialité intolérable. De cette nouvelle chair hybride, Cronenberg en extirpe un chef-d'oeuvre aussi fragile qu'intelligent pour sa réactualisation d'une célèbre nouvelle. Ou lorsque l'élève dépasse le maître. 

    La Chronique de la Mouche 2 (la): http://brunomatei.blogspot.fr/2014/04/la-mouche-2-fly-2.html

    Bruno Matéï
    5èx

    Récompenses:
    Oscar du Meilleur Maquillage pour Chris Walas et Stephan Dupuis en 1987.
    Prix du meilleur film d'horreur, meilleur acteur (Jeff Goldblum) et meilleurs maquillages lors des Saturn Awards, 1987.
    Prix spécial du jury au Festival International du film fantastique d'Avoriaz, 1987

    mardi 3 novembre 2015

    BATMAN LE DEFI

                                                                      Photo empruntée sur Google, appartenant au site moviepostershop.com

    "Batman Returns" de Tim Burton. 1992. U.S.A. 2h06. Avec Michael Keaton, Michelle Pfeiffer, Danny DeVito, Christopher Walken, Michael Gough, Michael Murphy, Cristi Conaway, Andrew Bryniarski.

    Sortie salles France: 15 Juillet 1992. U.S: 19 Juin 1992

    FILMOGRAPHIE: Timothy William Burton, dit Tim Burton, est un réalisateur, scénariste et producteur américain, né le 25 Août 1958 à Burbank en Californie.
    1985: Pee-Wee Big Adventure. 1988: Beetlejuice. 1989: Batman. 1990: Edward aux mains d'argent. 1992: Batman, le Défi. 1994: Ed Wood. 1996: Mars Attacks ! 1999: Sleepy Hollow. 2001: La Planète des Singes. 2003: Big Fish. 2005: Charlie et la Chocolaterie. 2005: Les Noces Funèbres. 2008: Sweeney Todd. 2010: Alice au pays des Merveilles. 2012: Dark Shadows. 2012: Frankenweenie. 2014: Big Eyes. 2016 : Miss Peregrine's Home for Peculiar Children.


    Véritable déclaration d'amour aux monstres, carnaval grotesque de deux infortunés gagnés par la vengeance, Batman le Défi fait office de vilain petit canard dans son ambition décalée de proposer un divertissement adulte prioritairement caustique. Alors que Tim Burton refusa dans un premier temps de réaliser une suite à Batman, les producteurs parviennent à le contredire en lui laissant la totale liberté de supprimer le personnage de Robin et d'y poursuivre à sa guise son entreprise. Ce qui donne lieu à une fantaisie flamboyante constamment inventive dans son lot de coups d'état, poursuites, règlements de compte et subterfuges que les ennemis de Batman et funambules imposteurs emploient avec une exubérance mal élevée. D'une fulgurance formelle ensorcelante, Tim Burton transcende l'univers gothique du comics par le biais de décors tantôt féeriques (climat enneigé des festivités de noël à l'appui !) tantôt baroques (sculptures grandioses parfois influencées par l'expressionnisme allemand !), quand bien même les antagonistes schizophrènes volent la vedette à l'homme chauve-souris, témoin empathique de leur condition névrosée. 


    Deux monstres opprimés noyés par leur chagrin et leurs pulsions de haine depuis leur profonde solitude d'avoir été lâchement sacrifiés. Soit par la démission de parents intolérants, soit par la prétention cupide d'un patron sans vergogne. Derrière leur masque se cache donc une aigreur inconsolable que Tim Burton transfigure avec malingre émotion sous l'impulsion de comédiens en roue libre ! Outre la prestance infaillible de Christopher Walken en magnat mégalo particulièrement sournois, Batman le défi tire parti de sa fascination grâce à l'alliance des deux antagonistes au passé torturé. Quasi méconnaissable, Danny DeVito endossant le personnage du Pingouin avec l'ambition sardonique de martyriser la population de Gotham avant d'y manoeuvrer Batman. Avec son rictus grimaçant et son regard fielleux héritier de sa peine morale, l'acteur se surpasse à exprimer des sentiments de rébellion facilement influencés par l'immoralité d'une vendetta escarpée. Reflet de sa solitude, sa soif d'amour et sa douleur insurmontable d'avoir été considéré depuis son enfance comme un rebut de la société. Pleine de sensualité et de provocations lubriques, Michelle Pfeiffer lui partage la vedette avec une même rancoeur erratique depuis la condescendance criminelle de son patron, quand bien même ce dernier est impliqué dans les travaux d'une centrale électrique émanant des déchet toxiques. Avec autant de charisme dans son expressivité impérieuse, l'actrice se fond dans sa combinaison de latex avec autant d'intensité que de fragilité humaine depuis son identité introvertie de se soumettre à la peur de l'autorité. 


    La Monstrueuse Parade
    Plaidoyer pour le droit à la différence à travers les portraits désenchantés de freaks psychotiques, Batman le défi s'iconise en poème d'amour tragique pour l'impossible reconnaissance de ces laissés pour compte. Un chef-d'oeuvre absolu du fantastique baroque que Tim Burton parvient en toute autonomie à détourner du produit standard sous le pilier d'un esthétisme crépusculaire pétulant ! Un conte de Noël frelaté d'une tristesse sous-jacente prépondérante... 

    Bruno 
    3èx