"The Passion of Darkly Noon" de Philip Ridley. 1995. Belgique/Allemagne/Angleterre. 1h41. Avec Brendan Fraser, Ashley Judd, Viggo Mortensen, Loren Dean, Lou Myers, Grace Zabriskie.
Sortie salles France: 25 Septembre 1996
FILMOGRAPHIE: Philip Ridley est un réalisateur et scénariste anglais né le 29 Décembre 1964 à Londres. 1990: L'enfant miroir. 1995: Darkly Noon. 2009: Heartless.
« Le fanatisme est l’apanage des ignorants. »
Réalisé entre L’Enfant Miroir et Heartless — deux perles inclassables du cinéma de genre — Darkly Noon, tourné en 1995, marque une nouvelle escale dans le parcours singulier de Philip Ridley. Probablement son œuvre la plus difficile d’accès, en raison d’un climat austère, de ruptures de ton déroutantes et de personnages à la fois sobres et profondément attachants, elle gravite autour du thème ravageur du fanatisme religieux.
Le pitch : échappé de l’enfer après avoir vu ses parents rigoristes massacrés, Darkly Noon trouve refuge dans la cabane isolée de la douce Callie, au cœur des bois. En attendant scrupuleusement le retour de son amant Clay, Callie s’attache à cet inconnu étrange, pétri de foi et d’angoisse mystique. Mais face à la sensualité naturelle et assumée de Callie, la répression sexuelle inculquée à Darkly par une secte ultra-conservatrice fait vaciller ses convictions, jusqu’à précipiter sa chute dans une croisade punitive.
Cauchemar féerique greffé sur un drame psychologique brûlant, Darkly Noon ne laisse pas indemne. Sa mise en scène personnelle, portée par une photographie surexposée et un stylisme alambiqué, façonne un univers sensoriel envoûtant. La palette incandescente des couleurs, souvent baignée d’onirisme, confère à l’ensemble une beauté picturale quasi expressionniste, où la nature semble désincarnée, et les visages, figés dans l’innocence. Au fil de la progression dramatique, cette féerie visuelle s’enflamme jusqu’à l’embrasement final, cathartique et sauvage, hurlé par un montage chaotique.
Au-delà de son étrangeté baroque et de son immersion parfois épineuse, le film distille avec originalité un mélange d’inquiétude, de tendresse, d’appréhension et de trouble. La première partie, toute en chaleur humaine et en érotisme diffus, reste à mon sens la plus abordable. Elle explore la fragile tentative d’apprivoisement entre Callie et Darkly, sur fond de désir interdit et de pudeur exacerbée. Callie, douce et lumineuse, tente de dédramatiser la sexualité auprès de ce jeune homme brisé, englué dans une timidité maladive. Toute l’intrigue repose sur l’évolution psychotique de Darkly, pantin influençable, tiraillé entre les préceptes violents de ses parents, ses visions morbides, et les murmures d’une énigmatique vieille femme, recluse elle aussi dans les bois.
Dans ce rôle à contre-emploi, Brendan Fraser est bouleversant. Il incarne avec intensité la fragilité nue d’un homme en miettes, prisonnier d’une idéologie obscurantiste qui l’a privé de toute boussole intérieure. Face à lui, Ashley Judd rayonne d’humanité : son attachement sincère à Darkly, aussi maladroit soit-il, passe par la transmission d’une tendresse simple, fondée sur l’écoute, le respect, et une forme de sagesse instinctive.
Œuvre baroque, à la fois lascive, poétique, déroutante et effrayante, Darkly Noon propose une expérience sensorielle et morale rare. Par son refus du conformisme, il dénonce avec provocation et inventivité la schizophrénie du fanatisme religieux. Toujours aussi fascinant, poignant, troublant — et sublimé par une musique d’une délicatesse presque douloureuse —, il demeure une pièce unique, impossible à émuler. Une œuvre à la croisée du conte et du cauchemar, qui continue d’habiter la mémoire bien après le dernier plan.
*Bruno
4èx. 12.05.25. Vostf
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