de Jorge Grau. 1973. Espagne. 1h28. Avec Lucia Bosè, Espartaco Santoni, Ewa Aulin, Ana Farra, Silvano Tranquilli, Lola Gaos.
Sortie salles Espagne: 19 Novembre 1973. Italie: 4 Octobre 1973
FILMOGRAPHIE SELECTIVE: Jorge Grau est un réalisateur et scénariste espagnol, né le 27 Octobre 1930 à Barcelone. 1973: Ceremonia sangrienta. 1974: Le Massacre des Morts-Vivants. 1959: Costa Brava. 1960: Sobre Madrid. 1960: Medio siglo en un pincel. 1961: Laredo, Costa Esmeralda. 1961: Barcelona vieja amiga. 1976: La Siesta. 1982: La Leyenda del tambor. 1983: Coto de Caza. 1987: El extranger-oh ! de la calle Cruz del Sur. 1990: La punyalada. 1994: Tiempos mejores.
Une pépite d'horreur gothique oubliée.
Hélas restée inédite en France et absente des étagères vidéographiques, Cérémonie Sanglante fait une apparition providentielle grâce à l’inestimable initiative d’Artus Films, qui nous exhume cette pépite d’horreur gothique. Réalisé par Jorge Grau, l’auteur de l’indispensable Massacre des Morts-Vivants, ce film s’inspire des sombres exactions de la tristement célèbre comtesse hongroise Élisabeth Báthory de Ecséd, mais la touche personnelle de Grau, irrémédiablement imprégnée d’une essence ibérique, en fait une variation originale, déroutante, indéniablement inquiétante.
L'intrigue de Cérémonie Sanglante est une véritable odyssée visuelle et psychologique. Si, durant les deux premiers tiers du film, l’action semble délibérément confuse, oscillant entre motivations obscures et intrigues cabalistiques, il est impossible de détacher son regard de l’écran. Jorge Grau cultive notre attention avec brio, entretenant un jeu délicat entre forme et fond. La photographie flamboyante, les décors architecturaux stylisés, et un contexte historique minutieusement recréé rendent le tout étonnamment crédible et d'une beauté morbide. Ce cadre visuel n’est pas qu’un écrin esthétique ; il devient le terrain de jeu d’une histoire où désir, jalousie, félonie et soif de jeunesse éternelle se mêlent et s'entrelacent, créant une mégalomanie criminelle alimentée par des meurtres en série.
Grau parvient à nous faire croire à l’authenticité de ce microcosme médiéval, jusqu'aux plus infimes détails — que ce soit les instruments de torture ou les seconds rôles dénués de fard, dont les expressions, simples mais sincères, renforcent l’impression de réalité crue et inaltérée. Le film ne se contente pas de nous montrer une époque ; il nous plonge dans une époque, violente, pleine de superstitions et de mœurs primitives, où les personnages sont à la fois des victimes et des bourreaux.
Cérémonie Sanglante nous invite à observer, impuissants, les agissements immoraux de ses personnages, tous plus détestables les uns que les autres. Leur perfidie, leur lâcheté, leurs mensonges et leurs ambitions usurpées tissent un drame intime et social d’une noirceur fascinante. Aucun d’eux ne parvient à éveiller notre empathie ; au contraire, leur quête sans fin pour asservir et détruire leur proie, simplement pour goûter à l’élixir de l’éternelle jeunesse, les rend plus monstrueux encore. Il n'y a ici aucune forme de rédemption, seulement la violence d’un désir insatiable qui conduit à la ruine.
Mais ce qui donne à Cérémonie Sanglante sa profondeur, c’est la manière dont Jorge Grau aborde des thèmes essentiels comme la superstition, le fanatisme et la peur irrationnelle de l'inconnu. À travers une populace rétrograde, effrayée par l’idée même du vampire suceur de sang, Grau dénonce un monde où l’ignorance et la peur gouvernent les actes humains. Pourtant, loin de se conformer aux attentes, le réalisateur se libère des conventions en structurant son récit de manière plus complexe, plus retorse qu’il n’y paraît. Loin du manichéisme évident, les personnages majeurs du film s’inscrivent dans une démarche cynique mais fascinante, où le mal ne s'expose pas, il se cache derrière des stratagèmes complexes, dans une ambiance d’anticonformisme occulte.
Un aspect particulièrement surprenant réside dans le dénouement de Cérémonie Sanglante. Le revirement moral de la comtesse, d’un retournement presque fortuit, est à la fois choquant et habilement amené. Mais chut… ce secret, à découvrir sur l’écran, demeure l’un des plaisirs inavouables du film.
Classifiable, peut-être, dans la catégorie des séries B gothiques, Cérémonie Sanglante n’en est pas moins une œuvre de classe, une exploration sombre et raffinée de l’épouvante. Chaque détail, chaque ombre, chaque souffle de vent dans la scène finale semble avoir été soigneusement orchestré. Il est clair que Jorge Grau, passionné par le genre, met un soin méticuleux à reconstruire non seulement l’architecture historique de son récit, mais aussi la dépravation de ses personnages. Avec une certaine provocation qui fait écho à la désillusion existentielle de son époque, il parvient à faire de ce film une œuvre subtile, où la beauté macabre et le glauque se mêlent dans une danse inoubliable.
Une perle rare, donc, dont la visibilité en France a été tragiquement négligée. Et pourtant, Cérémonie Sanglante mérite d’être redécouvert, car elle incarne tout ce que le cinéma gothique a de plus audacieux, de plus inquiétant et de plus envoûtant. Un film à découvrir d’urgence, tant il regorge de richesse, de suspense et de vertige.
*Bruno
06.05.25. Vost. 2èx
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