vendredi 27 septembre 2019

Soleil Vert / Soylent Green. Grand Prix, Avoriaz 74.


de Richard Fleischer. 1973. U.S.A. 1h37. Avec Charlton Heston, Leigh Taylor-Young, Chuck Connors, Joseph Cotten, Brock Peters, Paula Kelly, Edward G. Robinson.

Sortie en Salles: 19 Avril 1973 (New-York), 9 Mai 1973 (Etats-Unis), 26 Juin 1974 (France)

FILMOGRAPHIE: Richard Fleischer est un réalisateur américain né le 8 décembre 1916 à Brooklyn,  et décédé le 25 Mars 2006 de causes naturelles. 1952: l'Enigme du Chicago Express, 1954: 20 000 lieux sous les mers, 1955: les Inconnus dans la ville, 1958: les Vikings, 1962: Barabbas, 1966: le Voyage Fantastique, 1967: l'Extravagant Dr Dolittle, 1968: l'Etrangleur de Boston, 1970: Tora, tora, tora, 1971: l'Etrangleur de Rillington Place, 1972: Terreur Aveugle, les Flics ne dorment pas la nuit, 1973: Soleil Vert, 1974: Mr Majestyk, Du sang dans la Poussière, 1975: Mandingo, 1979: Ashanti, 1983: Amityville 3D, 1984: Conan le destructeur, 1985: Kalidor, la légende du talisman, 1989: Call from Space.

                                  

Le pitch :
En 2022, l’avenir du monde vacille. Surpopulation, pollution, réchauffement climatique, famines et crise du logement précipitent l’humanité vers une ultime alternative. Le Soleil Vert — ou bleu, ou rouge — désigne une tablette alimentaire synthétique à base de plancton, censée enrayer la famine. Mais derrière ce produit de consommation prolifique se dissimule un secret terrifiant. C’est ce que découvrira, au péril de sa vie, un flic obtus enquêtant sur la mort suspecte d’un directeur de production.

Un an après Les Flics ne dorment pas la nuit, polar fiévreux, Richard Fleischer bascule vers la science-fiction et nous tend l’un des miroirs les plus glaçants du devenir de notre humanité, en s’inspirant d’un roman de Harry Harrison. Ovationné au Festival d’Avoriaz, Soleil Vert résonne aujourd’hui avec une acuité dérangeante par ses thématiques politiques, écologiques et sociales, portées par une intensité émotionnelle inconsolable. Visionnaire défaitiste, Fleischer nous immerge dès le générique dans une atmosphère fuligineuse, déroulant via images d’archives le développement industriel des mégalopoles, de l’aube du XXe siècle jusqu’à notre époque. Un flot d’instantanés blafards, insalubres, claustrophobes, déversant leur fatalisme : surpopulation et pollution en lente dégénérescence.

                                      

Cette prophétie d’entrée est exacerbée par la partition mélancolique de Fred Myrow, qui souligne l’échec de dirigeants préoccupés par leurs profits plutôt que par le salut de la planète. Parmi les foules pressées dans des cités délabrées, Soleil Vert happe d’emblée à la gorge, son esthétique cauchemardesque saisissant le spectateur par sa crudité sensorielle. Sous couvert d’une enquête criminelle feutrée, le film explore la routine morne de Robert Thorn, flic opiniâtre partageant son appartement avec le vieux Sol Roth, jusqu’à ce que l’un et l’autre lèvent le voile sur une machination inavouable. Avec une sobriété brutale, Fleischer dessine un New York diaphane, suffocant, filtré d’un vert maladif, et provoque un effroi tant moral que viscéral.

Au cœur de ce cauchemar, une scène : celle, édifiante, où Sol offre à son jeune acolyte la possibilité de goûter aux plaisirs d’antan. Une feuille de salade, quelques tomates juteuses, une tranche de bœuf, une pomme rouge. Leur complicité douce-amère, tissée de regards affamés, exhale une émotion aigre, poignante, face à la mémoire d’un monde révolu où manger avait encore un goût de fertilité. Cette scène, improvisée à la demande de Charlton Heston et Edward G. Robinson, n’en est que plus bouleversante dans son humanité.

Plus engagé que jamais, Fleischer lance un cri d’alarme écolo, et frappe juste. Son avenir caniculaire est despotique et phallocrate. Les femmes sont battues, réduites à l’état de « mobilier », objets de location. Les pauvres s’entassent sur les marches et dans les églises, privés de sommeil, d’avenir. Les forces de l’ordre, impitoyables, ramassent les contestataires à la pelleteuse pour les entasser dans des camions-bennes comme du bétail. Pendant ce temps, les élites jouissent dans leurs pavillons climatisés : eau chaude, nourriture, alcool, sexe, hygiène à volonté. Quant à la faune et à la flore, elles ne subsistent plus que dans les souvenirs tremblants des anciens, quand ils ne préfèrent pas le suicide à la désillusion.

C’est d’ailleurs lorsque Sol découvre la vérité sur la composition des tablettes que Fleischer nous livre l’une des scènes d’euthanasie les plus poignantes du cinéma. Étendu sur un lit, le vieil homme contemple les merveilles disparues de la nature au fil d’un film projeté sur écran géant : paysages, animaux, verdure, sous la grâce d’un requiem symphonique (Beethoven, Tchaïkovsky, Grieg). Un hymne flamboyant à l’harmonie perdue, d’une élégie bouleversante, mêlant larmes silencieuses et beauté crépusculaire.

 
"L’avenir en morceaux".
Avec ses moyens modestes mais d’une justesse foudroyante, Fleischer privilégie la chair et le cœur de ses personnages, rongés par la mélancolie et le mal-être face à l’effondrement d’une civilisation inculte (où les livres disparaissent), fascisante et déshumanisée. D’une crédibilité terrifiante, Soleil Vert peint un climat de fin du monde irrespirable, dévoré par la pollution, la solitude, la pauvreté, l’esclavagisme, la phallocratie et l’amoralité — jusqu’à l’indicible...

Éprouvant, malsain, sans échappatoire, Soleil Vert nous laisse hébétés, exsangues, comme après une commotion cérébrale.

*Bruno
27.09.19. 4èx
26.07.11. 240 v

Récompenses: Grand Prix au Festival d'Avoriaz en 1974.
Prix du meilleur film de science-fiction (Saturn Award), lors de l'Académie des films de science-fiction, fantastique et horreur en 1975.

Note: Edward G. Robinson, qui venait de clôturer son 101ème dernier film, mourut en janvier 1973 (rongé par un cancer) peu après la fin du tournage, alors que Soleil vert n'était pas encore présenté au public.

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