mercredi 2 juillet 2025

A bicyclette ! de Mathias Mlekuz. 2025. France. 1h29.

               (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

                                              Top 2025, avec un 💘 gros comme ça.

"Chaque tour de roue rapproche les absents".
Retraçant le road trip d’un père en compagnie de son chien et de son meilleur ami, de l’Atlantique jusqu’à la mer Noire, afin de rendre hommage au suicide de son fils Youri après un voyage à vélo, À bicyclette ! nous cueille par la main là où on ne l’attend pas.

Mais il faut préciser qu’il s’agit moins d’une fiction que d’un documentaire où la majorité des séquences sont improvisées - les figurants et seconds rôles, d’un naturel bouleversant, croisent nos héros avec une vérité désarmante tout au long du périple.

Mathias Mlekuz (né dans ma ville de Lens), également réalisateur, incarne son propre rôle de père endeuillé, tandis que Philippe Rebbot, ami de longue date dans la vraie vie, joue le sien. Leur complicité ne relève pas du jeu ni de la mise en scène : elle vibre d’une amitié ancienne, sincère, palpable. Cette authenticité brute donne au récit sa chair, son souffle, son émotion.
 

Véritable hymne à la vie porté par un road movie débordant d’énergie, de tendresse, d’humour et de liberté, À bicyclette ! est un bonheur à l’état pur, derrière lequel se cache une quête de rédemption intime, nous imposant à notre tour une remise en question - celle du sens de nos trajectoires, de la place qu’on laisse au doute, à la douleur, à l’amour. Réflexion autant spirituelle que métaphysique, le film fait preuve d’une pudeur rare : dès que l’émotion menace de déborder, la caméra se dérobe, passe à une autre scène, comme pour mieux préserver la sincérité, la beauté, la dignité du geste. Ce parti-pris de discrétion devient un acte de bienveillance.
 
Militant pour les valeurs de la paternité et de l’amitié la plus loyale, À bicyclette ! aborde avec délicatesse et courage la thématique du suicide, interrogeant en creux le sens de la vie lorsqu’un être cher s’éteint sans prévenir.

Formellement splendide, baigné de paysages naturalistes qui nous émeuvent autant qu’ils nous élèvent, le film est un petit miracle de cinéma sous ses atours de visite touristique. À la croisée de l’improvisation, du vécu, d’une fiction à peine esquissée, il nous emporte dans un vertige aussi bouleversant que cathartique. Et l’on comprend, en refermant ce chapitre de route, que chaque mort - brutale ou silencieuse - peut nous apprendre à grandir, à marcher autrement, à aimer mieux, à honorer, à chérir, à transmettre.


"A Bicyclette, vers l'invisible".
Une œuvre magnifique, candide, gratifiante. Un antidépresseur précieux pour s’extraire de notre routine le temps d’1h29 de cinéma humble, sensible, plein de bon sens, et de valeurs.
Et pour finir, qu’on me permette de souffler, les yeux embués et le cœur gonflé : vive le cinéma français.

Bruno — cinéphile du cœur noir.

« Ce documentaire, c’est aussi une histoire d’amitié, puisque j’ai réalisé le voyage en compagnie de mon très bon ami, le comédien Philippe Rebbot. Il faut un lien fort pour partir sur un tel projet. C’est enfin un hommage à mon fils. J’ai voulu suivre ses traces, voir les paysages qu’il avait vu et rencontrer cette jeune femme, Marzi, que je ne connaissais pas. Il est beaucoup question d’errance dans le film. Nous allons d’un endroit à un autre, sans savoir ce qu’il va se passer, qui nous allons rencontrer. Il faut se laisser porter… C’est très beau comme sensation. Je n’ai pas encore fait le deuil de sa disparition, je ne suis pas encore prêt à le laisser partir. En réalisant ce documentaire, j’ai ainsi la sensation de continuer à faire vivre mon fils, de le voir exister. »

Mathias Mlekuz


Récompenses:
Festival du film francophone d'Angoulême 2024, en compétition officielle :
Valois de la mise en scène pour Mathias Mlekuz
Valois du public pour Mathias Mlekuz
Valois de la musique de film pour Pascal Lengagne
Festival 2 Cinéma 2 Valenciennes 2024 : section « Compétition fictions »:
Prix du public
Prix d'interprétation masculine pour Philippe Rebbot

Sortie salles France: 26 Février 2025

mardi 1 juillet 2025

Substitution – Bring Her Back de Danny et Michael Philippou. 2025. Australie. 1h44.

                       (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site IMDB. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

Distribution: Billy Barratt, Sora Wong, Jonah Wren Phillips, Sally Hawkins.
 
Sortie salles France: 30 Juillet 2025 
 
Budget: 15 Millions.  

Une déflagration dans le paysage horrifique australien : coup de tonnerre implacable du top 2025.


"L’Enfer en Héritage".
Si vous avez frémi de bonheur horrifique devant The DescentHérédité, Midsommar, Sinister, When Evil Lurks - pour ne citer que les références les plus récentes - un nouveau pavé vient heurter la surface du marécage : Bring Her Back des frères jumeaux Danny et Michael Philippou, déjà responsables du terrifiant La Main (Talk to Me), l’une des plus saisissantes surprises de 2023.

Mais ici, changement de registre. Abandonnant le ton ludique, les Philippou adoptent un parti pris radical. Ils nous arrachent violemment à notre zone de confort, avec un électrochoc aussi digne, révulsif et malaisant que les enseignes traumatiques Martyrs, Eden Lake, Wolf Creek, voire L’Exorciste, auquel il prête une certaine filiation, toutes proportions  gardées. Dès le prologue, des images d’archives (in)dignes d’Ogrish nous agressent sauvagement les mirettes. Et les exactions insalubres qui suivent font preuve d'un tel réalisme documenté qu'on croirait avoir affaire à un snuff… je n’en dirai pas plus. Des séquences nauséeuses, extrêmes, imprimées dans la rétine bien au-delà du générique.

En abordant avec intelligence, audace et sensibilité un traumatisme maternel, en sondant les conséquences de la maltraitance et la violence intériorisée chez celui qui l’a subie, les Philippou nous projettent tête baissée dans une descente aux enfers sans issue. Dénué de fioritures, ancré dans un réalisme de plus en plus incommodant, Bring Her Back va jusqu’au bout du malaise, sans détour, sans filtre. D’autant plus dérangeant qu’il met en lumière de jeunes adolescents livrés à la plus implacable torture, mentale et corporelle. Avec une utilisation judicieuse de regards pathologiquement tuméfiés qui contraste avec l'aura rubigineuse qui s'instille en leur cocon familial. Je m'adresse surtout à l'actrice Sora Wong (âgée de 14 ans au moment du tournage) , malvoyante dans la vie, née avec des malformations congénitales qui altèrent sa vision. Aveugle de l’œil gauche, sa vision de l’œil droit est d'autant plus réduite.

Et parce qu’ils prennent leur temps - distillant un suspense latent, à la fois mystérieux, inquiétant, déjà déstabilisant - les Philippou maîtrisent l’art de l’étau. On suffoque dans cette épreuve de force insidieuse, où se noue un jeu de manipulation morale entre une thérapeute, un garçon muet, un frère, et sa sœur aveugle.

On est ici face à une horreur premier degré, frontale, électrisante. L’absence d’humour glace le sang. Certaines séquences de châtiment sont si atroces qu’on se surprend à détourner les yeux. Bring Her Back joue dans la cour des grands, renouant avec une horreur fétide, licencieuse, rapace, vénéneuse - attisant sans relâche notre curiosité quant à des enjeux humains à la lueur d’espoir quasi inexistante.

On sort de la salle le regard hagard, vidé, lessivé. L’intensité dramatique est telle qu’on pressentait dès les premières minutes que ce jeu de confrontations psychologiques, aussi sournois que déloyal, ne pouvait que s’achever dans la plus animale des violences.

Impeccablement interprété - notamment dans les rôles juvéniles, candides, rebelles et meurtris - et transcendé par le jeu perfide de l’électrisante Sally Hawkins en thérapeute de l’effroi le plus aliénant, Bring Her Back nous cloue au siège. Il nous tétanise de désarroi face à cette lente agonie, cette horreur démoniale, trop extrême pour qu’on puisse s’en distraire. Alors que l'émotion rédemptrice de dernier ressort, cette douleur en héritage, finit par nous provoquer une empathie bouleversée face à l’amour en cendres.

"Orphelins de l’Espoir".
Brutal, poisseux, hargneux, suffocant et surtout viscéral, Bring Her Back s’impose comme un futur classique de l’horreur extrême : il vous malmène, vous marque, vous suit. À vie. 

Il tache, il lacère, il hante : sitôt vu, il s’imprime dans la rétine et vous ne l’oublierez jamais. 

A condition de s'accrocher et de le prioriser au public averti (il sera chez nous interdit aux - 16 ans, avec Avertissement).

*Bruno
 
P.S: Le film est dédié à Harley Wallace, un ami des frères Philippou décédés avant le début de la production.


Laissez bronzer les Cadavres de Hélène Cattet et Bruno Forzani. 2017. France/Belgique. 1h32.

                  (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Orgie solaire et plomb brûlant".
Un soleil de plomb qui crame les rétines. Les corps luisent, les flingues tonnent, les heures défilent au rythme d’un carnage chorégraphié comme une danse macabre. Laissez bronzer les cadavres, c’est une messe solaire célébrée dans les cendres du polar italien et du western transalpin, où Django croise Antonioni sous acide.

La mise en scène ? Un trip sensoriel, ultra stylisé, chaque plan suinte la perfection maniériste. Cattet et Forzani taillent l’espace, le son, le temps, comme on cisèle une idole païenne. Gros plans fétichistes, zooms assassins, éclats de métal et de chair, ralentis suspendus dans le néant. Le montage éclaté, halluciné, fait tournoyer les points de vue : on revit les mêmes scènes à travers d’autres regards, d'autres pulsions, toujours rythmées par l’heure affichée à l’écran, comme une montre piégée à la nitro.

Le huis clos est à ciel ouvert, surchauffé, un décor minéral qui écrase les âmes. En plein juillet, la roche devient théâtre de la trahison, du désir, du sang. Un butin volé, deux flics qui débarquent, et tous les masques qui tombent dans une gerbe de plomb et de soleil.
 

Les acteurs ? Des gueules, des vraies, burinées, rugueuses, qu’on ne croise plus à l’écran. Ils n’interprètent pas, ils transpirent, ils brûlent. La violence, elle, n’est jamais gratuite, elle est rituelle, organique, sensorielle, féérique presque. Les corps s’aiment, se haïssent, se soumettent. Une femme qui urine sur la tête d’un homme, le viol par des balles de calibre, une autre fouettée, gorge ouverte, sous une pluie de champagne : jamais pornographique, jamais vulgaire. Onirique, dérangeant, d’une beauté toxique exotique.

Et puis viennent les fusillades, comme des ballets de feu et de mort. Du jamais-vu. Les chorégraphies explosent, entre Goldfinger et Fulci, entre Morricone et le rugissement du silence. Chaque tir est une note, chaque cri une pulsation. Le film devient opéra de mitraille sous des partitions transalpines que l'on s'entête par coeur.
 
C’est un cauchemar érotique en plein jour. Un rêve lucide baigné de sang, de poussière, de cendre (les corps se consument sous les flammes) et de soleil. Un pur orgasme cinématographique de souche française, une fois n'est pas coutume.

Gratitudine per i nostri amorevoli alchimisti Hélène Cattet / Bruno Forzani 💓


Récompenses:
Magritte 2019:
Magritte de la meilleure image pour Manu Dacosse.
Magritte du meilleur son pour Yves Bemelmans, Dan Bruylandt, Olivier Thys et Benoît Biral.
Magritte des meilleurs décors pour Alina Santos.

Sortie salles France: 18 Octobre 2017

lundi 30 juin 2025

Dune: 2è partie / Dune: Part Two de Dennis Villeneuve. 2024. U.S.A/Canada. 2h46 (2h38).

                      (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Dune : Villeneuve Dépasse les Étoiles".
Plus sombre, plus intense, plus fiévreuse. Cette suite déploie son souffle avec une audace encore plus grande. Villeneuve embrasse le chaos d’un monde en perdition, où les croyances deviennent poison, où le fanatisme pousse ses racines dans les sables. Le fondamentalisme religieux, la superstition aveugle, les prophéties cannibales : tout se referme sur Paul Atréides, messie malgré lui, pris dans l’engrenage d’une guerre qui le dépasse.

Les corps s’enlacent et se déchirent. L’amour de Paul et Chani n’a rien d’un apaisement : il est brasier, fracture, lutte entre idéal et fatalité. Chani est le cœur vibrant du désert, Paul, son ombre grandissante. Leur passion est belle, mais hérissée de doutes, blessée par l’éclat des visions, par le poids du pouvoir et des promesses qu’on n’a pas faites.

Villeneuve filme l’action comme nul autre. Jamais de trop. Chaque affrontement est sec, tranchant, sans emphase, mais d’une puissance viscérale. L’essentiel, toujours. Il n’y a pas de spectacle pour le spectacle. L’action sert l’âme, l’élan, la tragédie. Les corps à corps sont des éclairs en plein soleil, brefs et implacables.

 
Les séquences de poursuites à dos de vers frôlent le sacré. On vole au-dessus du vide, happé par le vent et le sable dans une fluide frénésie. Quand les héros les agrippent au galop, il n’y a plus de limites, plus de frontières entre la légende et le réel. Le cinéma touche ici quelque chose de primal, d’inouï, d'inédit.
Et cette lumière… Parlons en. La photographie ocre, somptueuse, magnifie les dunes comme un mirage funèbre rutilant. Le désert devient un vaste personnage, majestueux, indicible et cruel. Hans Zimmer, lui, sculpte une musique élégiaque, tellurique, presque sacrée. Chaque note est une incantation, un écho venu du fond des âges.

La galerie de personnages explose à nouveau l’écran. Les trois antagonistes chauves – bêtes barbares au charisme empoisonné – déploient une cruauté sans concession. Et Walken, monarque blafard, impassible, comme un spectre assis sur le néant. Chaque regard, chaque mot est une menace feutrée.
Ce deuxième volet est plus qu’une suite. C’est une montée vers l’abîme. Plus dynamique, plus tendue, plus humaine aussi. Les enjeux sont vertigineux, et pourtant tout reste à hauteur d’homme, de chair, de larmes et de sang.

Et ce final… Mythique, foudroyant. Villeneuve convoque l’épopée sans jamais trahir l’intime. L’ultime souffle du film est une promesse d’apocalypse. Un avenir rongé par la cendre. Une légende en train de se briser. Une romance en train de s'éteindre... 

Dune : L’Ascension d’un Chef-d’Œuvre.

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Budget : 190 millions de $

Distribution: Timothée Chalamet, Zendaya, Rebecca Ferguson, Josh Brolin, Austin Butler, Florence Pugh, Christopher Walken.

Sortie salles France: 28 Février 2024.

The Love Witch de Anna Biller. 2016. U.S.A. 2h00.

                            (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"La sorcière qui aimait trop".
The Love Witch est une incantation de celluloïd, un sortilège vintage ourlé de désir, d'angoisse et de vernis rouge sang.
Anna Biller ressuscite le cinéma fantastique des années 60 avec une précision fétichiste - tout y est : les couleurs criardes, les décors satinés, les faux raccords délicieux, les regards caméras lascifs comme des appels muets à l'abîme.

Samantha Robinson, silhouette longiligne, beauté sombre, vénéneuse, presque irréelle, incarne cette sorcière moderne à la fois toute-puissante et tragiquement seule. Elle envoûte, elle manipule, elle aime - mais l’amour la fuit, la ronge, l’obsède. Sous ses airs de déesse du désir, elle est une femme blessée, condamnée à répéter le même rituel : faire fondre les hommes... jusqu’à ce qu’ils se consument. Sa sensualité est raffinée, presque sacrée, et sa détresse, abyssale. Elle crève l'écran.


L’univers est d’une beauté picturale à couper le souffle : chaque plan semble peint à la main, saturé de couleurs luxuriantes, d’accessoires kitsch et de lumières iridescentes. L’onirisme y affleure sans cesse, jusqu’à l’enchantement - comme dans cette fête médiévale improvisée, suspendue dans le temps, entre théâtre, rêve et érotisme bucolique.

Tout est solaire, pittoresque, insouciant en surface… mais c’est un éclat de vitrail qui cache la fêlure. Une satire douce-amère du machisme et du libertinage, où l’émancipation sexuelle féminine se heurte au fantasme masculin superficiel, à la peur d’être seule, même toute-puissante.

The Love Witch est un objet magique, hanté par le besoin d’aimer, par la mort tapie dans le plaisir, par cette sorcellerie mélancolique qu’est le cœur humain. À l’image de son final, étrange et amer, qui tranche avec l’éclat d’une fresque picturale aux accents symboliques.

Another Earth de Mike Cahill. 2011. U.S.A. 1h32.

                        (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Une autre Terre pour pardonner".
Another Earth est une caresse mélancolique. Un souffle. Une errance.
Dans cette science-fiction naturaliste, tout est feutré, nonchalant, alangui dans une brume de silences. Pas d'effets tonitruants, pas de cosmos en fusion : juste une planète jumelle suspendue au ciel comme un espoir impossible, un rêve lent, fragile, palpable.

Mike Cahill filme l'intime, le tremblé du réel. Caméra à l'épaule, quasi documentaire, grain DV comme une peau nue, poreuse à la lumière, à la douleur. Il délaisse le spectaculaire pour se lover dans les plis d’une romance pleine de pudeur, entre deux âmes abîmées.

Elle, c’est Brit Marling - beauté candide, comme lavée du monde -, dont le jeu est une vibration. Elle incarne la contradiction : peur, regret, culpabilité, mais aussi soif de rédemption, d’espérance, d’un souffle nouveau.
Lui, c’est William Mapother, charisme brisé, présence silencieuse, vacillante, comme un homme qui ne sait plus s’il peut encore sentir. Le lien qui les unit se tisse dans les silences, dans les regards, dans les absences.


Ce film n’avance pas, il dérive. Il contemple. Il respire. Il hypnotise.
L'onirisme qui l’imprègne est épuré, aérien, comme un rêve éveillé sans drame, sans éclats, tout en calme.

Another Earth ne cherche pas à convaincre. Il cherche à apaiser. Il parle à voix basse, avec douceur, de ce que c’est que vivre avec un poids sur la poitrine, un remords au fond de la gorge, un pardon qu’on ne sait pas formuler.

C’est un murmure cosmique, un pardon suspendu entre deux mondes.

Une oeuvre libre, modeste, pudique et lyrique, qui offre son cœur sans fard, avec une audace tremblante, presque déchirée.

vendredi 27 juin 2025

Dune, première partie de Dennis Villeneuve. 2021. U.S.A/Canada. 2h35.

                       (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

                                                             (Mea culpa à la 3è révision)

L’éveil d’un mythe.
Avec Dune, Denis Villeneuve convoque les forces du cosmos et fait résonner le fracas des étoiles dans un opéra de sable et de sang. Portée par un souffle épique d’une densité rare, cette première partie embrasse le romanesque à bras-le-corps, et l’élève au rang d’épopée mystique. Chaque plan est une fresque - foudroyante, minérale, presque sacrée - où les FX d’un réalisme sidérant (les bras m'en tombent pour son identité numérique) se fondent dans des décors dantesques aux allures de cathédrales écrasées par le vent. On avance à l’aveugle, brûlé par le soleil d’Arrakis, le cœur saisi par cette ambiance baroque, capiteuse, où les silences pèsent autant que les explosions, et où la moindre respiration semble dictée par les sables mouvants du destin.

La distribution, d’une justesse habitée, donne chair et âme à ces figures écrasées par l’héritage, rongées par la prophétie, lancées malgré elles dans le tumulte d’une guerre antique. Timothée Chalamet incarne Paul comme un funambule en pleine transfiguration : fragile et incandescent, traversé de visions fiévreuses, il devient peu à peu le vaisseau d’un dépassement de soi où se mêlent sacrifice, courage et douleur au moment même de prendre la place de son père. 

Dune, c’est aussi cela : une lente combustion intérieure, un récit de résistance, de transmission, de fardeau accepté. Villeneuve en fait une œuvre de feu, de poussière et de rédemption, où l’homme affronte sa propre légende à la lumière d'un crépuscule prophétique. Et lorsque l’Empereur paraît, et que le Ver surgit de sa tanière - immenses, délétères, souverains et fauves - il ne reste plus qu’à se taire... et frémir. De bonheur, de stupeur, d’évasion immaculée.

Spectacle ultime, d’une ampleur inouïe et d’une maîtrise à faire ployer les sens, Dune fera date, balise lumineuse dans l’histoire du genre. En attendant la suite, promise comme l’aube après la tempête.
C’est dans ces instants-là qu’on se souvient pourquoi le cinéma nous est vital, pourquoi il brûle en nous comme une nécessité.

*Bruno
4K. Vostf

Distribution: Timothée Chalamet, Rebecca Ferguson, Oscar Isaac, Jason Momoa, Stellan Skarsgård, Stephen McKinley Henderson, Josh Brolin, Javier Bardem.

Sortie salles France: 15 Septembre 2021

FILMOGRAPHIE: Denis Villeneuve est un scénariste et réalisateur québécois, né le 3 octobre 1967 à Trois-Rivières. 1996: Cosmos. 1998: Un 32 Août sur terre. 2000: Maelström. 2009: Polytechnique. 2010: Incendies. 2013: An Enemy. 2013: Prisoners. 2015 : Sicario. 2016 : Premier Contact. 2017: Blade Runner 2049. 2021: Dune, 1ère partie. 

jeudi 26 juin 2025

Parthenope de Paolo Sorrentino. 2024. France/Italie. 2h17.

                   (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).
       
                                                                 Top 2025 franc-tireur. 

"Parthenope - La vie comme une mer trop calme, ou chant funèbre pour les amours manqués".

Il est des expériences cinématographiques qui laissent bouche bée, sans qu’on saisisse vraiment ce à quoi l’on vient de prendre part - tant Paolo Sorrentino se refuse à livrer les clefs de lecture. Parthenope fait partie de ces œuvres rares, complexes, délicates, profondes et graciles que l’on contemple comme un rêve suspendu, soufflant le tiède et le froid.

Inscrit dans une mélancolie à la fois tendre, sensuelle et existentielle, ce film joue les ascenseurs émotionnels (attention : les ruptures de ton risquent d’en désarçonner plus d’un). Parthenope nous fait traverser 73 ans d’existence aux côtés d’une sirène charnelle qui ne parvient jamais à habiter sa propre vie. Alors que Naples (corruptible) l’entoure de désirs jusqu’à l’obsession, elle observe ce monde baroque - tour à tour cruel, chaleureux, désenchanté - avec une tendresse de plus en plus affectée, au fil de ses expériences amoureuses et de son éveil intellectuel. 

Dans sa plénitude innée, la jeune actrice Celeste Dalla Porta irradie l'écran auprès de sa sensualité tranquille, sa sérénité rassurante, sa sensualité naturelle d'un calme (faussement) épanoui. 
Transpirant la nonchalance d’un amour éperdu, au fil de rencontres parfois lunaires qui désarçonnent autant l’héroïne que le spectateur, ce mélo existentiel inconsolable, sublimé par ses chansons italiennes, nous écorche le cœur à vif. Sa sève philosophique, métaphysique suinte à travers Parthenope et ses proches les plus cérébraux jusqu'à nous perdre dans la déraison, l'interrogation, le bouleversement moral, la foi amoureuse que l'on ne peut maîtriser. 

Et nous, spectateurs, quittons difficilement des yeux l’écran - comme elle, perdue dans ses pensées, dans la beauté de ses souvenirs, alors que s’annonce le générique - d’avoir vécu, deux heures dix-sept durant, une expérience émotive aussi trouble que bouleversante. Comme une fleur finalement fragile se rendant soudain compte qu’elle s’est fanée avec le temps. 

Sa vie est une énigme, et se souvenir devient une forme d’art. Le film lui-même peine à la cerner, comme si elle était toujours ailleurs – au bord du réel, au bord d’elle-même.

"Sous les paupières de Parthenope".
Sensiblement envoûtant sans jamais rien pouvoir contrôler, Parthenope est un chef-d’œuvre lyrique, audacieux, provocateur et hétérodoxe que le réalisateur italien Paolo Sorrentino nous livre sans anesthésie, avec la maîtrise des sentiments les plus sobres et la pudeur étouffée d’une émotion sans emphase.

Mais attention aux déchirants adieux que suscite la fin : quitter Parthenope, c’est perdre une amie, une femme, une muse, une maîtresse - insaisissable et aimée - que l’on n’a pas su retenir, glissant à travers les doigts comme une mémoire qui s’efface. 

Viva il cinema italiano 💖

Gratitude Jean-Marc Micciche pour l'influence involontaire.

*Bruno

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"Parthenope - Naître au monde sans y appartenir"

Elle naît de la mer comme une apparition. Parthenope, sirène napolitaine, femme sans ancrage, silhouette toujours en décalage avec le monde. Sorrentino ne la filme pas comme un personnage, mais comme une vibration : le souvenir d’un été, l’ombre d’un amour, le battement sourd d’un regret.

Il y a dans ce film une beauté hypnotique, comme si chaque plan retenait son souffle. Et pourtant, derrière les dorures, la mer bleue et les visages d’hommes éblouis, Parthenope raconte une solitude indicible – celle d’une femme qui traverse l’existence sans jamais y trouver de prise.

Son malaise est discret, mais profond. Il suinte dans les silences, dans les regards qu’elle ne soutient pas, dans ses gestes suspendus. Elle vit, oui – mais à la manière d’un fantôme bienveillant. Ni colère, ni cris. Juste l’impression persistante que la vie se déroule à côté d’elle.

Ses amours ? Des esquisses. Des élans retenus. Elle attire, fascine, mais ne s’abandonne jamais tout à fait. Comme si l’amour lui était interdit, ou trop fragile pour s’y laisser prendre. Un frère trop proche, un amant disparu, un enfant qu’elle n’a pas gardé… Chaque rencontre semble échouer sur le rivage d’un impossible.

Et lorsqu’elle vieillit, que les mots deviennent des outils, que l’intellect tente de contenir ce qui lui a échappé, il est déjà trop tard. Reste la mémoire. Mais même celle-ci semble fuyante, noyée dans une mélancolie douce.

Parthenope, c’est l’histoire d’une femme qui ne parvient jamais à habiter sa propre vie. Une femme belle jusqu’à l’irréel, que le monde regarde mais ne comprend pas. Et que le film lui-même peine à cerner, comme si elle était toujours ailleurs – au bord du réel, au bord d’elle-même.

C’est aussi un chant funèbre pour les amours manqués, les décisions non prises, les instants qu’on n’a pas su retenir. Un poème en forme de vague, lent, somptueux, troublant. Il ne faut pas attendre de ce film un récit, mais une sensation : celle d’avoir frôlé quelque chose d’immense et de vide à la fois.

*Aurélie.

Sortie salles France: 12 Mars 2025

DistributionCeleste Dalla Porta, Daniele Rienzo, Dario Aita, Silvio Orlando, Gary Oldman

mercredi 25 juin 2025

Amer de Hélène Cattet et Bruno Forzani. 2009. France. 1h30.

                         (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).
 
"Symphonie sensorielle en trois temps".
Expérience unique brouillant nos repères entre réalité et illusion, Amer se décline en néo-giallo atypique, à la virtuosité technique qui laisse pantelant. Si bien que, dans ce paysage cinématographique souvent estampillé sous-genre, le duo Hélène Cattet / Bruno Forzani l'adopte au premier degré auteurisant, avec une richesse métaphorique aussi déroutante que fascinante.

Une proposition infiniment ambitieuse, délibérément conçue pour nous extirper de notre zone de confort, avec un art consommé du stylisme à la fois sensoriel, olfactif, auditif, viscéral. Pour ce faire, ils misent sur un brio technique extrêmement chiadé, composant des cadrages alambiqués sur les corps, les statues, les visages filmés en plans serrés, afin de nous faire ressentir les émotions charnelles des personnages - particulièrement Ana, à la fois curieuse, craintive et susceptible.
 

Découpé en trois parties retraçant son enfance, son adolescence puis sa vie adulte, Amer narre la perte d’innocence d’Ana, depuis la mort de son grand-père jusqu’à son bouleversement émotif dans un corps de femme ; sa hantise du désir, sa peur de la mort, notamment en renouant avec un passé funéraire devenu labyrinthe.
 
Expérience hallucinatoire, à la fois psychédélique et fantasmatique, baignée dans un onirisme ultra-sensuel ou brutal (avec un meurtre à couper au rasoir - euphémisme !), Amer nous plaque au siège, nous hypnotise la vue, si bien que l’écran s’efface peu à peu, laissant place à un rêve éveillé que l’on perçoit sans plus rien contrôler.
 
 
Et si rien ne nous passionne rationnellement dans ce délire érotique subtilement expressif, on reste irrémédiablement captivé, fasciné, curieux, attiré par la beauté - que dis-je - la puissance de ses images charnelles, d’une fulgurance émotive aussi déconcertante que séduisante. Une fulgurance gothique puis solaire, à damner un saint, renforcée par sa photo sépia en format scope en bonne et due forme.
Entièrement voué à cette imagerie baroque, extrêmement travaillée et d’une inventivité à couper le souffle (chaque plan est un travail d’orfèvre qui subjugue les mirettes), le duo Cattet / Forzani accorde peu de place aux dialogues - d’autant plus rares qu’on pourrait aisément les occulter, tant le travail sur le son, la partition italienne épurée et l’image prédominent, monopolisant l’écran avec un art pictural jamais vu jusqu’ici.

"Le Giallo mis à nu".
Ovni sensoriel d’une vigueur érotique vertigineuse qu’aucun concurrent ne saurait émuler, Amer est une expérimentation psychédélique d’une modernité autonome, qui ne plaira pas à tout un chacun. Or, la proposition circonspecte que nous offre le duo français relève du jamais vu, en matière de (néo) Giallo expressif. Il ne cesse d’intriguer, d’interroger, de fasciner au fil des révisions, avec un pouvoir émotif aussi trouble qu’incontrôlable.
 
*Bruno
4èx 
 

Récompenses:
    2010 : Grand prix du nouveau talent à CPH:PIX
    2010 : Mention spéciale du prix de la critique, festival de Gérardmer
    2009 : Prix du public, festival du Nouveau Cinéma
    2009 : Meilleurs réalisateurs, festival du cinéma fantastique de l’université de Málaga
    2009 : Prix Noves Visions, festival international du film de Catalogne

lundi 23 juin 2025

Le Rideau de Brume / Seance on a Wet Afternoon de Bryan Forbes. 1964. Angleterre. 1h56.

                                                      
           (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Fantômes d’un foyer perdu".
Méfiez-vous des apparences, car sous ses atours de thriller à suspense, porté avec une intensité rare par le duo Kim Stanley / Richard Attenborough, se tapit un drame maternel bouleversant : l’histoire d’une médium et de son époux qui décident d’enlever une fillette pour obtenir la célébrité.

Énoncé ainsi, le pitch a de quoi laisser dubitatif l’amateur de polar tiré par les cheveux — d’autant qu’ici, l’intrigue s’infiltre de suggestion surnaturelle : Mr et Mme Savage ourdissent ce stratagème médiumnique pour étouffer la douleur de la perte de leur fils Arthur.
 

Attenborough, en mari veule rongé par le doute, communique d’instinct une empathie bouleversante, traînant sa bravoure pathétique à esquiver la police et à livrer une rançon à l’instant décisif. Face à lui, Kim Stanley dévore l’écran, autoritaire et insidieuse, manipulant son homme au nom d’un pacte amoureux vicié. À eux deux, ils forment un couple vénéneux, prêt à tout pour ressusciter l’illusion d’un foyer perdu.

Suspense hitchcockien, tantôt haletant, tantôt douloureux, "Le Rideau de Brume" distille une tension nerveuse, notamment lors de la traversée urbaine de Billy, traqué jusqu’au dernier souffle, et dans ce final insoutenable qui interroge la survie de l’enfant. Sous couvert de thriller captivant, le film gagne en émotion tremblante, s’épaissit en drame maternel d’une profondeur psychologique saisissante - et sa dernière demi-heure nous étreint d’une angoisse grave et résignée, culminant en un dénouement faussement prévisible, mais déchirant de vérité nue.

- Le cinéphile du coeur noir. 
 
 
Récompenses
Prix de la BAFTA 1965 du meilleur acteur britannique, pour Richard Attenborough ;
Prix Edgar-Allan-Poe, Edgar 1965 du meilleur film étranger, pour Bryan Forbes ;
Prix Laurel 1965 Laurel d'or, 3e place pour la meilleure actrice, Kim Stanley ;
Prix du National Board of Review (USA) de la meilleure actrice, pour Kim Stanley ;
Prix de la critique newyorkaise 1964 de la meilleure actrice, pour Kim Stanley ;
Prix du meilleur acteur du festival de San Sebastián 1964, pour Richard Attenborough (ex aequo avec Maurice Biraud) ;
Prix de la Writers' Guild of Great Britain du meilleur scénario d'un film dramatique britannique, pour Bryan Forbes.

Distribution: Kim Stanley, Richard Attenborough, Godfrey James, Nanette Newman

France : 18 janvier 1967

Ghost Story de Stephen Weeks. 1974. Angleterre. 1h23.

                 (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Ghost Story : la hantise oubliée".
S’il est un film injustement oublié, méconnu - parfois même méprisé - c’est bien celui-ci. Stephen Weeks, déjà signataire de l’excellente variation de Jekyll et Hyde "Je suis un monstre", nous offre ici un conte gothique délicieusement envoûtant, porté par un esthétisme à la fois solaire et opaque, dont les extérieurs furent d’ailleurs captés en Inde (!). Une photographie admirable, magnifiant ses modestes décors domestiques et naturels avec un soin stylisé qui force le respect. Tout, dans Ghost Story, attire l’œil de l’amateur d’histoires de revenants, étranges et précieusement contées, avec une scrupuleuse attention psychologique.

Cette Ghost Story, toute personnelle, milite pour la suggestion : son art du récit se déploie sans effets sanglants, distillant une étrangeté diffuse qui nimbe chaque plan et esquisse ses personnages - des aristocrates altiers, anciens camarades de lycée réunis dans un manoir reculé pour y perpétrer la chasse.

On est immédiatement captivé par le jeu délicieusement étrange de ce trio maniéré, leurs échanges verbaux d’un autre âge conférant au drame une saveur théâtrale singulière. Deux d’entre eux, incarnés par Murray Melvin et Vivian MacKerrell, se révèlent irrésistiblement irritants, se gaussant de leur camarade Talbot, que l’on plaint aussitôt pour ses hallucinations fantomatiques -annonciatrices du destin funeste de Sophy Kwykwer, injustement internée par son époux. L'acteur Larry Dann, unique personnage empathique, campe ce souffre-douleur timoré, égaré dans l’incompréhension et l’effroi, prisonnier de visions qu’aucune nuit ne saurait apaiser.

Irrésistiblement inquiétant, lugubre, et subtilement insécure sans jamais céder à la surenchère, Ghost Story ressuscite le charme british de ces hantises horrifiques qu’on se murmure au coin du feu. Stephen Weeks y imprime sa signature : un film opaque, insidieusement ensorcelant, hanté d’un score musical dissonant, presque dérangeant lorsque la tension se fait suffocante. Témoin, cette séquence où Talbot est tiré par la main par une poupée soudain animée, fillette victorienne surgie d’un cauchemar. Ou ces scènes malsaines dans l’asile psychiatrique, où les internés se livrent à une folie communautaire.

On se laisse happer, interloqué, jusqu’à ce final, cruel, inattendu - et peut-être même déroutant - qui clôture cette ghost story dans un souffle d’injustice abrupte. Une étreinte nocturne, qu’on n’oublie pas, ad vitam aeternam. 

"Fantômes au manoir : l’élégance du trouble".
Une œuvre maudite, donc, où le trouble règne en maître - aussi puissante et envoûtante que Le Fantôme de Milburn, mais travaillée ici dans une épure baroque et une équivoque délicieusement vénéneuse. Autant par la psychologie interlope de ses protagonistes anachroniques que par ce climat de mystère feutré, unique, qui n’appartient qu’à Stephen Weeks et à sa hantise souveraine.

*Bruno

vendredi 20 juin 2025

Il reste encore demain / C'è ancora domani de et avec Paola Cortellesi. 2023. Italie. 1h58.

                          (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"En Italie, le Dimanche 2 juin et le Lundi 3 Juin 1946 ont eu lieu les premières élections politiques avec le droit de vote pour les femmes. 89% d'entre eux se sont précipités aux urnes. De 25 millions d'électeurs, 13 millions étaient des femmes. Nous avons serré nos bulletins de vote comme des mots d'amour." Anna Garofalo (journaliste et suffragette italienne).
                                                                   --------------------------

"Il reste demain : un cri muet au cœur du noir et blanc".
Il y a des films qui divertissent et parfois même font réfléchir… Mais il en est, plus rares, qui vous emportent sans prévenir dans un vertige d’émotions incontrôlables. C’est d’autant plus percutant quand la réalisatrice (et actrice) n’a rien prémédité de ce séisme émotif : on ne voit rien venir dans cette trajectoire familiale, à la fois tendre, volcanique et dérisoire. Cette œuvre modeste nous cueille à nu, à travers le quotidien en perdition d’une famille précaire à la fin de la Seconde Guerre mondiale.


Tourné dans un splendide noir et blanc -- d’abord en 4/3 pour huit minutes, avant d’embrasser le 16/9 en hommage au néo-réalisme italien -- "Il reste encore demain" déclare sa flamme à la femme dans toute sa grâce, sa fragilité, sa pureté. Un portrait terrible et bouleversant du destin insoumis d’une femme battue que Paola Cortellesi incarne avec une pudeur à vif, presque insoutenable.

Sans sombrer dans un misérabilisme de pacotille, elle écarte d’instinct les clichés pour évoquer, avec une liberté de ton parfois inattendue, la violence conjugale. Les coups deviennent ballet, les humiliations chorégraphie : la douleur se travestit en poésie grinçante qui gifle en douceur le spectateur. Nous voilà pris dans ce périple humaniste où Délia, prisonnière du patriarcat, s’enlise dans la morne routine dictée par un mari brutal et sans dignité. Et quand sa fille aînée semble prête à répéter le même schéma amoureux, Délia pourrait bien, enfin, fissurer ses chaînes et réinventer sa propre survie.


Parsemé d’éclats d’humour et de tendresse, pensé avec cette verve mordante qui n’appartient qu’à l’Italie, "Il reste encore demain" se referme sur un final faussement prévisible : un suspense bicéphale, porté par deux enjeux brûlants et une idéologie politique libératrice. À mes yeux, il offre l’une des plus belles séquences qu’il m’ait été donné de contempler : un échange de regards féminins, muet mais inondé de musique, d’une émotion à déchirer la chair. Dans ce souffle, l’intrigue bascule vers une fantasmagorie onirique, portée par une chanson italienne qui enlace hier et aujourd’hui. D’où cette intemporalité qui palpite dans la pellicule monochrome, mémoire vivante d’une époque sombre.

Beau à en pleurer -- à chaudes larmes, pour son bouquet final inoubliable -- et grave à éprouver jusqu’à la colère devant l’obscénité d’une violence ordinaire, "Il reste encore demain" frappe en plein cœur sans crier gare pour son humble témoignage imputé à l'émancipation féminine. Paola Cortellesi, dont il s'agit de son 1er essai en tant que réalisatrice, y révèle une foi, une sincérité, une humilité brûlantes qui forcent le respect et le silence. 


Vive le cinéma italien, à nouveau roboratif, même drapé dans la simplicité d’un noir et blanc modeste mais (si) expressif. 

Un grand merci Jérôme.

*Bruno

Récompenses:
Festival du Film de Rome 2023 :
Prix spécial du jury
Meilleur premier film BNL BNP Paribas – Mention spéciale
Prix du public
David di Donatello 2024:
Meilleur réalisateur débutant
Meilleure actrice pour Paola Cortellesi
Meilleure actrice dans un second rôle pour Emanuela Fanelli
Meilleur scénario original
David Jeunes
David des spectateurs

Paola Cortellesi est une présentatrice, humoriste, chanteuse, actrice et réalisatrice italienne, née le 24 novembre 1973 à Rome.

Sortie salles France: 13 Mars 2024

Distribution: Paola Cortellesi, Valerio Mastandrea, Romana Maggiora Vergano, Giorgio Colangeli, Emanuela Fanelli 

jeudi 19 juin 2025

Black Journal / Gran Bollito de Mauro Bolognini. 1977. Italie.

                              (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

Troisième révision, mais aujourd’hui je ne sais toujours pas quoi en penser. L’ambiance domestique, gothique, génialement atmosphérique, est d’une expressivité rare ; les acteurs sont excellents (Max von Sydow en travelo — il fallait oser), Shelley Winters, renversante, habitée, au sens large. 

Mais alors, l’histoire et les postures lunaires de ces personnages (et après m’être renseigné, j’ai été rassuré de voir que je n’étais pas le seul à rester dubitatif) : on ne saisit pas bien où ils vont, ni ce que ça raconte, en s’inspirant d’un fait divers criminel assez incongru, qui avait défrayé la chronique durant la Seconde Guerre.

Quoi qu’il en soit, Black Journal ne laisse pas indifférent — malgré quelques longueurs dans sa version uncut, et imprime la mémoire d’une comédie italienne inusitée, farce macabre et satire caustique de l’aliénation maternelle, où l’émotion, soudain, perce dans une conclusion frappée de tendresse élégiaque.
 
Un drôle de film, vraiment.
 
*Bruno
3èx. Vf 

mardi 17 juin 2025

Destination Finale Bloodlines / Final Destination Bloodlines de Zach Lipovsky et Adam B. Stein. 2025. U.S.A. 1h49.

                                (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

Révision. Mea culpa. 

"L’échiquier fatal de Bloodlines".

Avec un scénario plus charpenté que les précédents opus, sous une mainmise filiale, Destination Finale : Bloodlines redouble d’efficacité pour préméditer ses mises à mort, cultivant l’art exquis de l’expectative. Plutôt que de miser sur la prévisibilité des victimes désignées, Zach Lipovsky et Adam B. Stein s’amusent à brouiller les pistes, jonglant avec simulacre et subterfuge pour mieux nous prendre à revers.

La Mort, invisible, n’aura jamais aussi magistralement réglé ses comptes : ses proies juvéniles s’empêtrent dans ses filets au moment le plus inopportun.

Quant aux gerbes sanglantes qui éclaboussent le récit, leur aspect cartoonesque et numérisé n’est point un défaut : il démultiplie le plaisir innocent de ces situations débridées, ourlées d’une cruauté sardonique, délicieusement vicieuse et sans concession.

Constamment inventif et aimablement anxiogène, porté par l’angoisse sourde d’une famille indécise, peu à peu fauchée par le sort, Destination Finale : Bloodlines enchaîne ses catastrophes avec une frénésie implacable et toujours justifiée.

Les personnages, pour la plupart gogos et affligés, manient une dérision tacite pour digérer leurs actes absurdes ou trop couillus, mais jouissifs, et affichent une stoïcité de survie qui arrache le rictus.

Un vrai régal, ce chapitre diablotin, ourdissant plus retors que jamais un puzzle machiavélique autour d’une famille condamnée à ruser contre la plus perfide des fatalités — malgré les jokers funestes que leur glisse, entre deux rires noirs, un (regretté) Tony Todd toujours aussi faucheur d’espoirs.

Ordre de préférence de la saga: 1 - 2 - 6 - 5 - 3 - 4.

*Bruno
2èx. Vost. 4K.


Distribution: Kaitlyn Santa Juana, Teo Briones, Richard Harmon.

Sortie salles France: 14 Mai 2025 (- 12 ans avec Avertissement)

Budget: 50 000 000 Dollars

lundi 16 juin 2025

Prom Queen de Matt Palmer. 2025. U.S.A. 1h30. Avec India Fowler, Suzanna Son, Fina Strazzai.

                                                 
                           (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

Diffusé sur Netflix le 23 Mai 2025.

"Clichés, giclées et tendresse VHS : Prom Queen ressuscite. Pourquoi tant de haine ?"

Dilacéré aux quatre coins du globe, j’ai sciemment patienté quelques semaines avant de me lancer, histoire de laisser retomber le soufflet d’un bashing impitoyable.

Alors que je m’apprêtais à stopper la VHS après quinze minutes, quelle ne fut pas ma surprise — dès le générique extra-diégétique, dès ce prologue sardonique — de me laisser happer par ces clichés chers aux psycho-killers, vaguement ou franchement bonnards, qui pullulaient dans la sacro-sainte décennie 80.

Pur hommage aux modestes psycho-killers (moins aux chefs-d’œuvre notoires, au risque d’être déçu), Prom Queen se contente avant tout de chérir son amour pour ces séries B innocemment ludiques qui tapissaient nos murs de chambre et les étagères des vidéoclubs. On pense, entre autres joyaux plus ou moins obscurs, à Le Monstre du Train, Le Bal de l’Horreur, Happy Birthday, Les Yeux de la Terreur, Week-end de Terreur, Meurtres à la Saint-Valentin, Vendredi 13, Carnages, Humongous, Vœux Sanglants, Massacre au camp d'été et consorts.

Matt Palmer (déjà remarqué pour l’excellent Calibre en 2018) façonne ici un pur divertissement trivial, s’amusant des clichés avec une fantaisie et une désinvolture désarmantes de naïveté assumée. Et si les personnages gogos, notre héroïne un brin cruche, se contentent du minimum syndical pour une psychologie superficielle, leur comportement crétin, leur pointe d’humanisme candide réveillent la nostalgie de ces bobines horrifiques bâties sur l’exploitation de leur sort morbide. À ce niveau, Prom Queen ne déçoit pas : il bannit presque tout effet numérique au profit de maquillages mécaniques du plus bel effet sanglant. Même si le récit ne fait pas vraiment peur, l’ambiance anxiogène ou inquiétante, son petit charisme visuel, opèrent leur charme de fascination. Porté par un montage nerveux, le tout intensifie les actions furibardes pour un plaisir de fun immédiat.

Criant son amour aux années 80 sous entêtante impulsion électro, la bande-son pop qui résonne au bal maudit sert de juke-box exaltant pour une génération projetée d’un coup dans son insouciance — quand un tueur encapuchonné rôde dans l’ombre des couloirs avant de frapper, armé des lames (et outils électriques) les plus divers et improbables. Émaillé de clins d’œil tous azimuts — jusque dans les posters punaisés aux murs des chambres adolescentes — Prom Queen distille en filigrane, parfois avec ostentation, un humour noir qui rappelle que ce jeu de massacre se savoure au second degré.

Quant au final paroxystique, il régale les mirettes d’un carnage festif, directement inspiré de Carrie, avec en prime une série de rebondissements sur l’identité et les mobiles du présumé coupable. Un dénouement aussi jubilatoire que sciemment semi-parodique, porté par une inventivité narrative plutôt cohérente au regard de ses illustres aînés du psycho-killer bonnard.

"Prom Queen : un bal maudit pour nostalgiques gogos".
Attachant comme un vieux fanzine froissé, fun et jamais ennuyeux, Prom Queen exhale ce parfum VHS fichtrement sympatoche — pour quiconque chérit encore ces psycho-killers de fond de vidéoclub et n’a jamais vraiment rangé son cerveau d’ado au placard.

Alors, à quoi bon bouder ce plaisir de gentil sale gosse ?

*Bruno

Vostf.



samedi 14 juin 2025

Les Sorcières du bord du lac / Il delitto del diavolo de Tonino Cervi. 1970. Italie/France. 1h28.


"Rêve sépia d’un sabbat solaire".
Un lac, un ventre d’eau où se reflète la lune malade. Trois soeurs — nues, mielleuses, carnassières — se glissent dans la nuque de David comme des vipères de soie. Il croyait s’allonger sur l’herbe et baiser la liberté ; il se couche dans le piège, il s’offre à un bois moisi, un lit de racines tordues.

Tout est faux, tout est vrai : elles rient, elles dansent, elles l’aspirent. La chair s’échauffe, puis le sang appelle le sang. Le film se dépouille de son voile libertin, crache ses crocs de sorcières ancestrales. La forêt s’en souvient, la nuit l’avale. David n’aura pas de lendemain, pas de révolution, pas de baiser au soleil levant.

On reluque à plusieurs reprises ce hiboux observer David au bord de l’eau figée. Le conte n’a jamais promis de salut — seulement l’orgasme et la mort, mêlés dans un même soupir. Les sorcières au bord du lac gardent leurs secrets sous la vase, et quiconque vient troubler la surface y laisse sa peau.

Ce film, c’est une caresse tendre qui suinte pourtant le poison : un poème païen étouffé sous la mousse, un avertissement que la nature, parfois, n’a pas de morale — seulement une faim, un pouvoir, une autorité suprême.

Et moi, spectateur, j’en ressors capiteux, trempé de boue, de doute, d'amour et de désir. Avec au fond de la gorge un goût de sang, de miel et de nuit. Pour une fois j'aurai tant aimé une autre fin. Mais c'est ainsi et c'est ce qui fait la force escarpée de cet écrin transalpin plaisamment aguicheur au point d'y éveiller un soupçon de félicité le temps d'1h20.

Les Sorcières du bord du lac est une œuvre méconnue, splendide par son onirisme, son charme fou, sa singularité de ton où perce la rupture, sa quiétude solaire et ses jouvencelles à qui l’on donnerait le bon Dieu sans confession — ou presque. Il faut dire que nos trois actrices (Haydée Politoff, Silvia Monti, Ida Galli) bien connues des cinéphiles crèvent littéralement l’écran, tandis que Ray Lovelock, en hippie débonnaire, s’abandonne à une inversion subtile des valeurs morales. Ici, l’on prêche le conservatisme, l’archaïsme triomphant monarchique, au mépris de la contestation et de la liberté la plus permissive.

Baignant dans un climat fantasmagorique, enivrant de désillusion, ourlé d’une photographie sépia quasi irréelle, Les Sorcières du bord du lac imprime ses traces dans l’encéphale comme le souvenir d’un rêve chimérique projeté à même la rétine — un songe captif, hanté par les forces d’un satanisme féministe, doux et vénéneux.

Un sacré morceau de péloche fantastique, dans ce qu’elle a de plus noble et furieusement libre, à l’image du cinéma d’exploitation des Seventies.

*Bruno
2èx. Vost