"American Honey : vertige libre et cœur à nu".
Il est des films qui, lorsqu’on en ignore presque tout, vous prennent à revers, vous saisissent à bras-le-corps, et transforment à jamais votre vie de cinéphile sitôt le rideau tombé.
American Honey est de ceux-là. Road movie longiligne aux 2h43 qui peuvent décourager d’emblée, il relate le périple à perdre souffle d’une poignée de nomades juvéniles sillonnant les routes d’Amérique à bord d’un van cabossé.
Hymne à la vie la plus insouciante, ce film épouse le quotidien brut de jeunes adultes livrés à eux-mêmes, survivant en vendant des magazines de porte en porte. À travers le regard vertigineux de Star, fraîchement débarquée dans cette tribu vagabonde, nous assistons à son initiation - commerciale d’abord, existentielle surtout - et à son attachement croissant pour Jake, son mentor, incarné par un Shia LaBeouf étourdissant de naturel. À tel point que son visage bankable s'efface, ne laissant place qu'à un personnage veule, aussi immature qu’éperdument amoureux mais soumis à l'autorité de la matrone du groupe, Krystal endossé par Riley Keough littéralement sans scrupule par son orgueil intraitable.
Filmée comme un reportage saisi sur le vif - marque de fabrique d’Andrea Arnold (Red Road, Fish Tank) -, la mise en scène, d’une maîtrise hallucinante, convoque Larry Clark et Cassavetes dans la pudeur des sentiments, tout en imposant sans plagiat la signature franche et autonome de sa réalisatrice.
American Honey baigne dans un climat de liberté viscérale, presque anarchique, et donne le vertige par son jusqu’au-boutisme : ce road movie est si expressif, si brut, si hypnotique, qu’un malaise diffus finit par poindre, témoin des souffrances existentielles de Star, bâties sur le non-dit, sur un regard à la fois irresponsable et humaniste. Une observation trouble de son initiation au larcin et à la débauche.
Certaines séquences de sexe, crues comme toujours chez Andrea Arnold, installent la gêne - non par voyeurisme, mais par la mise en danger permanente de Star, inconsciente, affranchie, indifférente au péril.
Le film, d’une puissance émotionnelle dépouillée, trouve ses instants de grâce dans des plages musicales baignées de tendresse et d’ivresse libertaire. American Honey est une expérience humaine troublante et capiteuse, où la cinématographie fait éclater les frontières de la fiction au profit d’un réalisme halluciné, à la fois libre, attirant car sans foi ni loi et insécure.
Un mot enfin sur Sasha Lane, révélation à la vérité nue, désarmante de naturel maori. Son incarnation de Star - paumée véreuse, fragile, secrète - nous transperce, notamment dans les silences habités de son regard, témoins d’une déchéance sentimentale sans illusion.
"Une jeunesse brûle, et personne ne regarde".
Du grand cinéma d’auteur, furieusement libre, exaltant, désenchanté, habité par la tendresse de ces marginaux brisés par le chômage et la démission parentale - thème central de la passionnante filmo d’Andrea Arnold.
P.S: à découvrir impérativement en VO.
— le cinéphile du cœur noir
Récompenses:
Festival de Cannes 2016: Prix du Jury
British Independent Film Awards 2016:
Meilleur film
Meilleur réalisateur
Meilleure actrice pour Sasha Lane
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