(Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).
"Eenie Meenie : l’élégance tragique de la série B".
Formidable surprise passée par la trappe Hulu aux États-Unis et sur Star/Disney+ ailleurs, Eenie Meenie / Wild Speed Girl s’impose comme un hommage sincère au cinéma d’exploitation des seventies par l’entremise du film de braquage pur et dur. Il ne cherche pas à s’affranchir des conventions mais assume pleinement sa nature de série B - menée avec efficacité, implication, élégance visuelle et surtout habitée par ses interprètes. Le duo Samara Weaving / Karl Glusman crève littéralement l’écran en Bonnie and Clyde modernes, portant le film à bout de bras grâce à une complicité vibrante, badine et insolente, nourrie par les dérives du banditisme mafieux.
Qu’on se le dise : les amateurs de bourrinades calibrées risquent d’être déconcertés. Eenie Meenie refuse cette case triviale et confortable. Shawn Simmons préfère dresser le portrait d’une femme déchue mais digne, dissimulé derrière l’écrin ludique du polar. Il conjugue avec finesse humour, action et drame, mais sans jamais programmer l’émotion : elle surgit de manière inattendue, notamment dans une ultime demi-heure marquée par une rupture de ton aussi abrupte que bouleversante. Émaillé de deux poursuites chorégraphiées à l’ancienne - l’antithèse des outrances hypertrophiées de Fast and Furious - le film divertit sans faiblir, porté par des dialogues jamais vains (ils sont nombreux), toujours au service des préparatifs du casse, des concertations et de l’évolution d’un couple bancal. John manipule sournoisement la psyché désarmée d’Edie, qui vacille au seuil de la criminalité, déchirée entre fronde et soumission.
Tout l’intérêt du récit réside là : dans le parcours fragile, douloureusement humain, d’Edie. Prisonnière de son indulgence envers les hommes - qu’elle a toujours protégés, depuis sa jeunesse au sein d’une famille dysfonctionnelle - elle se jette dans l’illégalité avec une audace aussi désespérée que suicidaire. As du volant exploitée par une ligue masculine à la fois solidaire, autoritaire et fallacieuse, elle finira par comprendre que l’emprise de John sur son cœur pourrait la conduire à sa perte. Andy Garcia, en patriarche mafieux, apporte quant à lui une force tranquille qui échappe à toute caricature : expressif sans excès, presque réconfortant, il accompagne Edie dans son cheminement, tout en laissant affleurer la dignité d’une remise en question rédemptrice.
Le final émeut profondément, grâce au tact du réalisateur qui filme l’émotion sans emphase, avec une pudeur vibrante de sincérité. Samara Weaving y déploie un charisme hypnotique, inquiétant et troublé, révélant un humanisme torturé d’une intensité presque cachée. Karl Glusman n’est pas en reste : petite frappe casse-cou, insolente, bravache, il incarne avec instinct une masculinité immature, oscillant entre bravoure et irresponsabilité.
Excellent polar d’action truffé d’humour, de dérision mais aussi de gravité et de tendresse, Eenie Meenie s’impose enfin grâce à une nappe musicale discrète et fragile (The Haxan Cloak), qui épouse la fébrilité désenchantée de ses personnages. Mais c’est surtout Samara Weaving qui embrase chaque plan, présence à la fois candide et incandescente, oscillant entre altruisme, audace et fragilité extrême, dans l’écrin vibrant d’un cinéma d’antan retrouvé.
On ne peut donc qu’être saisi par cette première réalisation, à la fois digne, noble, modeste et inspirée, qui laisse tant le récit respirer avec une attention psychologique, une fêlure humaine désormais presque disparue derrière ses portraits (faussement) détendus.
— le cinéphile du cœur noir
4k vost
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