Photo empruntée sur Google, appartenant au site traileraddict.com
de Sebastian Schipper. 2015. Allemagne. 2h18. Avec Laia Costa, Frederick Lau, Franz Rogowski,
Burak Yigit, Max Mauff , André Hennicke, Eike Frederik Schulz, Hans-Ulrich Laux
Sortie salles France: 1er Juillet 2015
FILMOGRAPHIE: Sebastian Schipper est un réalisateur, acteur, producteur et scénariste allemand, né le 8 Mai 1968 à Hannover.
1999: Absolute Giganten. 2006: Ein Freund von mir. 2009: Vers la fin de l'été. 2015: Victoria
"Ce film renversera le monde". Darren Aronofsky
Uniquement tourné en temps réel d'un plan-séquence de 2h18, Victoria est une expérience cinématographique unique en son genre. Une véritable épreuve de force, un uppercut émotionnel comme on en voit peu dans le paysage du polar auquel le drame social l'emporte avec une rigueur à couper le souffle. Car par le biais d'un tour de force technique ahurissant de maîtrise et précision, Victoria privilégie les émotions à la fois fortes et fragiles de par le portrait scrupuleux d'une jeunesse insouciante contrainte d'exécuter une dangereuse transaction contre leur gré. Le récit décrivant avec ultra réalisme la rencontre impromptue d'une jeune espagnole, Victoria, avec trois délinquants allemands ivres de fureur de vivre. S'attardant durant 45 minutes sur leur virée nocturne avec une attention emprunt de lyrisme, Victoria nous immerge à travers leur sympathique amitié parmi le témoignage innocent de la jeune fille en quête de sensations nouvelles. Ainsi, en dépit de l'aspect irresponsable de cette jeune clique d'adultes peu fréquentables, Sebastian Schipper parvient inévitablement à nous provoquer de l'empathie pour leur esprit de cohésion inscrite dans l'amitié et leur désir insouciant d'une liberté sans règles sous euphorie d'alcool et de joints. Ce sentiment tendre de camaraderie sera notamment renforcé du regain d'affection que Sonne et Victoria vont apprivoiser durant leur cheminement périlleux.
La grande force du film résidant dans le portrait imparti à leur caractérisation humaine où désespoir et fragilité vont s'embraser un peu plus, ces derniers conscients d'un danger trop ardu étant toutefois contraints d'y céder sous le chantage d'un mafieux impérieux. Passés les préparatifs et le passage à l'acte du hold-up retranscrit avec suggestion et vigueur anxiogène Spoiler ! (notamment celle de l'attente interminable du chauffeur et de la panne du véhicule qui s'ensuit), Fin du Spoiler le cinéaste nous dépeindra avec toujours cette même rigueur d'ultra réalisme (l'action est filmée en temps réel) les conséquences tragiques de leur exploit de courte durée. Or, ce sentiment d'urgence d'éviter à tous prix la riposte des policiers, l'affolement et le marasme qui émanent de leur fuite à bout de souffle ainsi que la peur de trépasser, Sebastian Schipper les transcendent à l'instar d'un reportage pris sur le vif si bien que le langage cinématographique s'évapore au profit d'une expérience immersive avec l'engrenage de la délinquance. Cette densité émotionnelle allouée à l'injustice de leur défaite, cette angoisse exponentielle perçue à travers leur détresse étant exacerbés par les présences écorchées vives de comédiens plus vrais que nature au point d'en omettre leur "jeu d'interprétation". Et sur ce point probant, nous ne sommes pas prêts d'oublier la prestance bouleversante de Laia Costa se livrant corps et âme dans la peau de Victoria avec fraîcheur, innocence et insolence dépouillées. Curieuse et fascinée par le danger de l'interdit, elle alterne sentiments d'angoisse et de panique, courage et détermination, tristesse et désespoir durant son parcours initiatique à couteaux tirés.
Les Enfants du Silence
Expérience cinégénique dépassant le simple stade du divertissement policier, Victoria transfigure plutôt le drame social et psychologique sous couvert de mal-être d'une génération terriblement fragile et déboussolée. D'un ultra réalisme à faire rougir l'illustre John Cassavetes, Victoria est prioritairement sublimé par la prestance viscérale de gueules juvéniles criantes de vérité humaine. Soyez également avertis d'une méchante gueule de bois vers l'ultime acte du baroud d'honneur pour la verdeur de son acuité dramatique inconsolable. Car au-delà de son tour de force technique à couper au rasoir, cette oeuvre incandescente extériorise la douleur inéquitable, le désespoir d'une innocence galvaudée. Une tragédie humaine inoubliable en somme.
* Bruno
P.S: A découvrir obligatoirement en VOst.
Récompenses: Ours d'Argent, Prix du Public, Prix des cinémas au Festival de Berlin, 2015.
Grand Prix du festival du film Policier à Beaune, 2015.
La critique de Nelly Rufeet:
Un film tout simplement incroyable, je n'ai jamais vu un film comme ça ! Une expérience viscérale hors du commun, on est en apnée tout le film, et ce dès le début alors que les 45 minutes sont assez "joyeuses". Mais le réalisateur réussit à nous faire rester sur nos gardes et ce dès le début ! La musique discordante contribue largement au malaise, alors que les plans où l'on voit la bande de jeunes de dos dans les rues de Berlin, très réussis, nous mettent très vite mal à l'aise. Cette bande de jeunes est en quête de sens et veut tout simplement vivre et prend sa liberté à travers de petits larcins en toute insouciance. Mais l'insouciance va vite virer au drame... On attend une catastrophe, on est en état d'ébullition tout du long, un des acmés étant le moment où Sonne met du temps pour demander à Victoria de les accompagner dans un truc qui paraît tout de suite très louche...
Aucun jugement n'est porté sur ces jeunes, l'insouciance de ces derniers est bien rendue, notamment lors de la scène en boîte de nuit, qui fait écho à celle du tout début du film. Les plans rapprochés sont très très réussis, ils donnent le vertiges et nous sommes immergés dans la psychologie des personnages et même au-delà: ce film nous renvoie à nos propres démons, à nos propres angoisses, c'est une vraie expérience qui pose de grandes questions sur l'être, son aspiration à la liberté et l'insouciance dans une société cadenassée par la censure où les trafics font loi. C'est aussi un questionnement sur les passions (la scène au piano est juste incroyable, la caméra épouse le visage de Victoria et les mouvements habités de ses mains au piano, on comprend qu'elle souffre encore de ne pas avoir pu faire une carrière de pianiste et on souffre avec elle !).
Mention spéciale à Laia Costa qui joue merveilleusement bien. Ses regards incendiaires sont habités d’une passion horrifique pour cette bande de potes, inconnus il y a quelques heures mais qui deviennent très vite SA bande, pour laquelle elle est prête à tout... Frederick Lau est également très touchant, on voit vite que ce “chef” de bande est en réalité très amène et doux, et qu’il ne ferait pas de mal à une mouche. La rue et l’aventure dans laquelle ils sont embarqués le transforme malgré lui...
Le rythme du film est incroyablement bien orchestré, cette scène au piano étant une parenthèse "tendre" avant le coup d'éclat de violence incontrôlée qui va suivre...Cette bande de jeunes est prise au piège d'une dette qu'a un des jeunes envers une personne qui l'a aidée quand elle était en prison et cette dette va transformer leur vie en cauchemar.. On est bientôt très loin de la scène sur le toit et on part dans une escalade de violence hallucinante qui nous hantera longtemps.... et qui hantera longtemps Victoria, embarquée presque malgré elle dans cette aventure mortuaire... Le monde de la nuit nous est magnifiquement décrit de façon poétique (les gros plans sur Victoria à l'hôtel face à Sonne, c'est de la poésie !), anxiogène, alors que le tout dernier plan sonne le glas du drame en un acte auquel nous avons assiste, enfin + qu'assisté... Que nous avons VECU avec eux ! Un chef-d'oeuvre comme on n'en fait plus, d’autant plus qu’il a été tourné en un seul plan-séquence dans plus de 22 lieux différents, une prouesse !
La critique de Mathias Chaput:
« Victoria » est un véritable tour de force cinématographique puisque, à l’instar du film de Hitchcock « La corde », il a été tourné en un seul et unique plan de deux heures vingt minutes dans vingt- deux lieux différents, outre cette gageure technique incroyable et sidérante se rajoute des acteurs incroyables, tous très justes et qui tiennent la cadence sans fatiguer ; la prouesse dont fait preuve Sebastian Schipper est d’autant plus monumental qu’on se croit même carrément en train d’assister à un rêve éveillé, les décors s’imbriquent pile poil dans l’histoire du film, tout est millimétré et pourtant c’est du cinéma freestyle, très tonique avec comme levier scénaristique le casse qui doit avoir lieu et Victoria qui se retrouve embringuée dans cet imbroglio (formidable Laia Costa, fille nature et attendrissante)…
Dès lors, dès que le spectateur a l’information qu’un casse va avoir lieu, cela rajoute une tension de folie mais là où « Victoria » est un métrage incroyable, c’est que Sebastian Schipper choisit justement de ne PAS montrer le casse, du moins de l’intérieur de la banque !
A la différence de « Killing Zoe » auquel on aurait pu penser et se référer, il n’y a aucune violence brute mais plus une empathie pour les personnages…
Le spectateur est baladé dans un voyage filmique hors des conventions et rien n’est laissé au hasard, « Victoria » est une virée nocturne où le spectateur, calé confortablement dans son fauteuil, va suivre l’itinéraire de ces jeunes gens, avec une issue de fous (que je ne vous dévoilerai bien sûr pas)…
Schipper a signé avec « Victoria » une œuvre essentielle pour le cinéma européen des années deux mille dix/deux mille quinze, c’est un tourbillon absolu dont on sort en larmes et totalement collapsé, cette maitrise totale de la technique boostée par le jeu des comédiens amène à se demander comment les comédiens ont pu tenir tout le long du film sans faire de malaise (ils sont restés sans uriner alors qu’ils se sont enquiller des dizaines de verres !), « Victoria » est un film monumental, une claque et même on peut se demander s’il n’a pas été tourné avec une micro caméra, les scènes de voitures ou la caméra qui sort par la vitre avant de la voiture pour rejoindre les protagonistes sur le trottoir, je ne vois pas comment cela a été fait, un homme caméraman en aurait été techniquement incapable, c’est vraiment un travail exceptionnel !
Le film est sorti au début de l’été 2015 en France mais n’a pas laissé de traces énormes, il est donc à réhabiliter impérativement, c’est un OVNI total qui révolutionne le monde du cinéma…
Les cinéphiles apprécieront « Victoria » comme il se doit et savoureront un mélange de drame, d’action et de film d’auteur qui restera longtemps gravé dans les mémoires !
Les dix dernières minutes sont à couper le souffle, mais chuttt…. Je vous laisse voir et explorer ce film monumental….
Une gifle !
Note : 10/10