de Serge Leroy. 1975. France. 1h35. Avec Mimsy Farmer, Jean-Pierre Marielle, Jean-Luc Bideau,
Michael Lonsdale, Michel Constantin, Philippe Léotard, Paul Crauchet, Michel Robin.
Sublimant la ville tel un parcours touristique hanté par une ombre malfaisante et les superstitions de pénitents, L’Antéchrist est illuminé par la prestance écorchée de Carla Gravina. Littéralement possédée par ses pulsions perverses, l’actrice se réapproprie les clichés du genre - métamorphose physique, jets de bave verdâtre, yeux révulsés - grâce à une caractérisation profondément humaine en chute libre. De Martino prend soin, dans la première partie, de décrire son cheminement spirituel vers Satan, amorcé lors d’une séance d’hypnose. Elle y revisite un passé oublié : un sabbat satanique, une condamnation au bûcher décrétée par des apôtres fanatiques... Ippolita, autrefois initiée à la sorcellerie, avait fini par se tourner vers Dieu - avant que le Diable ne réclame son dû.
Outre le soin stylisé de ces séquences fantasmagoriques, baignées d’éclairages bleutés, Martino parvient à imposer une répulsion tangible par le pouvoir de suggestion. Je songe évidemment à cette séquence anthologique où, en pleine hypnose, Ippolita mime langoureusement le léchage d’anus d’une chèvre. Un moment lubrique d’une audace inouïe, qui illustre - sous l’égide du Mal - une préliminaire de zoophilie pleinement assumée. Mais au-delà de cette sexualité horrifique, que la seconde partie exploitera largement à travers une série d’exorcismes incantatoires (et répliques ordurières à la clé), L’Antéchrist fascine par la densité de son écriture. Il dresse le portrait d’une femme meurtrie : célibataire aigrie, clouée dans un fauteuil par un accident, hantée par la mort de sa mère, rongée par le remords d’un amour incestueux peut-être consommé avec son frère, et jalouse de l’infidélité de son père, épris d’une autre.
Seule, écartelée, Ippolita tente d’abord de se repentir auprès d’une madone… avant que Satan ne s’infiltre dans ses chairs. Le prologue, quasi documentaire, s’ouvre sur des pénitents erratiques en quête d’absolution, posant le cadre mystique et charnel d’une possession imminente. Tous ces éléments de frustration concupiscente rendent crédible sa descente aux enfers, d’autant que les personnages secondaires, incarnés par des acteurs familiers du ciné bis, demeurent d’une sobriété bienvenue. Il faut aussi saluer la puissance dramatique du final, quand Ippolita, comme dans sa vie antérieure, tente de renouer avec le pardon divin sous une ondée nocturne. Les musiques à l’orgue signées Ennio Morricone et Bruno Nicolai confèrent alors une gravité élégiaque à la rédemption.