samedi 22 novembre 2025

Wormtown de Sergio Pinheiro. 2025. U.S.A. 1h47.

"Gloire et horreur du corps vivant."

Wormtown, réalisé par Sergio Pinheiro (inconnu au bataillon) est un petit météore que je n'ai pas vu arriver. Une œuvre indépendante qui ne ressemble à nulle autre, surgie de nulle part avec la force brute d’un cauchemar organique. On pourrait lui prêter des ascendances - La Nuit des vers géants, The Faculty, The Bay, Horribilis, Mutations (Slugs), Frissons de Cronenberg (toute proportion gardée), la série TV The Strain, mais le film revendique sa singularité, son territoire propre, tremblant de vie et de mort mêlées. Dès le début, on est attiré, curieux, médusé par cette nouvelle hiérarchie humaine d'un genre nouveau. 

Sa trajectoire narrative s’élabore avec une douceur inattendue : un récit humaniste qui dresse de délicats portraits de jeunes lesbiennes en quête de liberté, de paix, d’un refuge où respirer sans peur. Une quête d’absolu dont la tendresse vient heurter, de plein fouet, l’horreur la plus répulsive. Car Wormtown n’épargne rien : son gore hyperréaliste, filmé parfois en gros plans suffocants, exhibe une matière organique répugnante, des séquences viscérales, presque vomitives, qui retournent l’estomac autant qu’elles bouleversent l’âme. Le sang y est un rouge rutilant, épais, presque intime. C'est beau et repoussant à la fois. 


Et pourtant, la beauté affleure partout. La photographie, d’une délicatesse inattendue, enveloppe les corps et les paysages dans une lumière gracile, baignée d’une nature paisible, presque idyllique, en contraste radical avec l’horreur rampante. La bourgade fantomatique, sous l’emprise d’un maire sectaire, respire la désolation poisseuse, comme si la terre elle-même refusait encore de révéler ses secrets.

La musique envoûte, portée par un score hypnotique qui hante longtemps après le silence, jusqu’à ce superbe générique de fin bercé par une mélodie rock mélancolique - un souffle de rédemption arraché à la violence entre deux étreintes figées. 

L’interprétation étonnamment attachante, confiée à des interprètes méconnus, sonne d’une authenticité prude et révoltée. Leur fragilité, leur chair, leurs regards écorchés donnent au film une émotion palpable, une tendresse fébrile qui transperce jusque dans les scènes les plus brutales. La dramaturgie se hisse alors jusqu’à un sommet escarpé, où chaque choc sanglant devient un cri existentiel, un appel désespéré vers une vie meilleure.

Du coup, Wormtown est une excellente surprise, une curiosité foudroyante de 2025, une œuvre baroque et ensorcelante, feutrée d’un climat indicible qui ne fera pas l’unanimité - loin s'en faut - et c’est tant mieux.

Un parcours de vie passionnant traversé par une horreur craspec mais stylisée, fascinante, profondément humaine. Là où on ne l'attend pas. 

Un film marginal qui griffe, qui brûle, qui reste dans le coeur, l'âme et les tripes.


— le cinéphile du cœur noir

Castle Rock. Série TV créée par Sam Shaw et Dustin Thomason. 2018. U.S.A. 2 saisons de 10 épisodes.

                                                       
                 (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site Imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives) 
 
Un mot: "Remarquable."
 
Castle Rock est un puits sans fond. Une brèche dans l('a)normalité, une rumeur de malédiction qui serpente au cœur d’une ville rongée par le passé. Tout est feutré, tout s’y fissure, lentement, comme une cloison fine entre le réel et l’indicible. La série choisit la suggestion plutôt que la démonstration, le non-dit plutôt que le sang - un territoire mortifère où l’horreur se nourrit du silence, des angles morts et des souvenirs à reconstituer tel un puzzle.

Au centre du labyrinthe, Henry Deaver, enfant perdu revenu sur les lieux du crime intime. L’avocat porte sur son corps et dans son regard l’empreinte d’un traumatisme que la ville n’a jamais digéré. Castle Rock n’est pas un décor, c’est un organisme malade ; un lieu qui dévore ses habitants, qui joue avec leurs failles humaines. Les visages sont hantés de secrets, leur geste charrie la culpabilité, comme si le Mal ne venait pas de l’extérieur mais suintait de l’intérieur, depuis les caves, les forêts, la mémoire collective surtout. Le mythe Kingien de la ville maudite. 
 
 
L’arrivée du jeune homme sans nom, trouvé enfermé dans une cage sous la prison de Shawshank, agit comme un catalyseur. Une présence muette, un regard étrangement abyssal, et les destins se désaxent : suicides, accès de folie, accidents absurdes, violence soudaine. Est-il le diable ? victime ? reflet de l’horreur tapie dans les cœurs ? La série ne le dit jamais. Elle préfère laisser le spectateur suffoquer dans l’incertitude, pris dans le même piège mental que les personnages. L’énigme n’est pas là pour être résolue : elle est là pour contaminer, pour nous plonger comme les personnages dans un dédale sans repères. 
 
Les acteurs (surtout le black endossant l'avocat) sont habités de perplexité, d'incompréhension, de doute, de crainte. Le coeur serré. Ils jouent l’égarement, le désespoir, cette incapacité à nommer ce qui les possède. Chacun semble marcher sur la corde raide d’un gouffre métaphysique, avec la sensation que le réel peut s’effondrer à tous moments.

L’esthétique est le prolongement naturel du récit : une mise en scène lente, lourde de sens, qui laisse respirer le vide. Une photographie glacée, un tantinet sépia, où chaque plan résonne d’un pressentiment funèbre. La musique se fait discrète, elle est  insidieuse.
 

Castle Rock travaille la peur la plus profonde : celle de ne pas comprendre, de perdre son identité, de devenir étranger à son propre passé sans jamais nous ennuyer 10 épisodes durant.
La série tend à sous-entendre que le Mal n’est ni surnaturel ni explicable : il est endémique, contagieux, immémorial. Il rampe dans les recoins de Castle Rock comme un poison héréditaire. Une ville condamnée à revivre éternellement sa propre damnation, dans un cycle qui dépasse les frontières de l’espace et du temps.

Remarquable. Fort. Intense. D’une beauté sombre et dévastée, cette tragédie cosmique hypnotise nos sens de manière latente mais passionnante où l’espoir s’étouffe et où la vérité semble appréhender le pire à travers la culpabilité, le destin et l'héritage des secrets familiaux. 
 
En attendant la saison 2 - la dernière - que l'on dit supérieure.
 
— le cinéphile du cœur noir

mardi 18 novembre 2025

Le Retour des Morts-vivants 3 / Return of the Living Dead III de Brian Yuzna. 1993. 1h40.

                                                      
               (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site Imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives) 
 
(Révision: 5)

"Romance nécrophage."

Réjouissante fête foraine vitriolée, Le Retour des morts-vivants 3 flirte avec la bande dessinée dans sa formalité saturée : effusions gores omniprésentes mais au service du récit – une fois n'est pas coutume –, comédiens de seconde zone sciemment naïfs, grotesques, pédants, décomplexés, irresponsables, marginaux. Yuzna sait nous divertir, nous choquer et nous fasciner avec une efficacité brute en revitalisant le mythe du zombie à travers une romance écorchée vive – au propre comme au figuré. Le couple Curt / Julie, emporté par une intensité horrifico-dramatique en crescendo, nous accroche assez fermement pour que l’on s’inquiète de leur sort, de leur détresse, de leur fuite impossible.


Melinda Clarke, formidable de charisme sépulcral, s’impose en martyr gothique contrainte de s’infliger sur sa chair sévices, écorchures, piercings et scarifications afin d’étouffer sa faim de chair humaine. L’ambiance hystérique, aussi folle que débridée, et son aspect légèrement télévisuel (pas une première chez Yuzna) renforcent le caractère quasi documentaire de cette nuit d’horreur en roue libre, culminant dans un chaos frénétique et incongru où des zombies "métallisés" servent cruellement de cobayes à une science dévoyée par une idéologie militaire révolutionnaire.

Même si la photographie aurait peut-être gagné à plus de couleurs, sa texture demeure soignée, presque séduisante dans son format de BD de gare. Elle nous immerge pleinement dans cette relecture intelligente et trash de Roméo et Juliette, version nécrophile et SM sanguinaire où ça gicle à tout va (FX artisanal à l'appui). Si bien que Yuzna l'emballe avec une personnalité propre et une générosité à laquelle on ne s’attendait pas, aussi expansive que dévastatrice.
 
 
Interdit aux moins de 16 ans lors de sa sortie, le film fut couronné du Prix du Public à Gérardmer et du Silver Scream Award au Festival du film fantastique d’Amsterdam en 1994, consacrant ainsi le travail singulier de l'auteur. 
 
— le cinéphile du cœur noir
5èx. Vostf

samedi 15 novembre 2025

Buffy contre les Vampires / Buffy the Vampire Slayer: histoire d'un mythe télévisuel. 1997 / 2003.

 
                               (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site Imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives) 
 
Voilà, c’est fini.
Qu’est-ce que je vais faire maintenant, Buffy ?
Revenir à une vie normale ? Elle ne l’a, fort heureusement, jamais été.
Mais alors… sur qui compter désormais ?
 
L’aventure s’achève ici, après 144 épisodes, découverts pour la première fois du 23/05/2023 au 14/11/2025 (même si, à l’époque, j’avais déjà reluqué les deux premières saisons, dans une posture inversement instable et immature).
 
 
J’ai pris le temps de savourer chaque chapitre, même si j’ai englouti la septième et ultime saison de 22 épisodes en dix jours - une impulsivité névralgique, disons.
Hier soir, j’appréhendais tant d’amorcer ce final scindé en deux. Je redoutais ce lever de rideau fataliste.
Et ça n’a pas loupé : une turbulence météorologique incontrôlée à l’intérieur. Pourtant, les auteurs hétérodoxes - leur marque de fabrique - ont évité la facilité du tire-larmes, préférant la pudeur mélancolique.
 
Mais comment ne pas se dissoudre quand notre meilleure amie chrysalide (et ses chers comparses), consciente d’avoir abandonné sa panoplie de tueuse, se tient prête à affronter d’autres tempêtes, plus rationnelles, en femme affirmée ? Et ce avant que mon écran se teinte brutalement d'un fondu au noir dans une logique de non-dit.
 
 
Je me sens orphelin. J’ai l’impression que ma lucarne télévisuelle ne sera plus jamais la même après cette odyssée humaine, épique et déchirante. Les drames impromptus, les plus cruels, que je ne peux dévoiler ici, me resteront gravés au fer rouge dans l’encéphale.
 
Alors, quoi qu’en disent tes détracteurs, Buffy Summers : tu as ma gratitude la plus étendue. A coeur ouvert. Tu as transformé ma vie de cinéphile, guerrière farouche de la résilience et du dépassement de soi, leçon vivante d’existence et de solidarité, jusque dans la résurrection christique. 
 
 
Sarah Michelle Gellar, je te le dis avec mes sentiments les plus nobles et sincères, et quelque soit la trajectoire de ton parcours au cinéma, tu es et tu resteras une légende du petit écran, pionnière de la révolution féministe, avec cette profondeur humaine qui n’appartient qu’à ta dignité morale la plus absolue et fragile.
 
Une dernière pensée émue pour Michelle Trachtenberg, en toute humilité...
 
— le cinéphile du cœur noir
 

vendredi 14 novembre 2025

Une Bataille après l'autre / Eddington

               (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site Imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives) 
 
Le coeur du problème: "Le temps au cinéma."

Deux grands films. Deux grands récits. De grands acteurs. Deux grandes mises en scène. De l'ambition perpétuelle. De l'invention chiadée. 
Tout concourt à les sacraliser chefs-d’œuvre - et pourtant je m’y brise. 2h42 pour Une bataille après l’autre, 2h28 pour Eddington. Un tempo en dents de scie, narcotique, qui étouffe l’élan, sabote l’ardeur, décourage, démotive la concentration.

Ces œuvres que j’admire deviennent des traversées exténuantes, des marathons émotionnels qui usent en intermittence au lieu d’élever. L’éblouissement existe, mais il se noie parfois (souvent ?) dans la longueur - et c’est là que naît ma douleur de spectateur : aimer, et souffrir en même temps.

L’émotion est pourtant bien là. J’aime ces films, sincèrement - avec toutefois une préférence pour Eddington. Mais demeure en moi une frustration tenace : leur structure rythmique, insupportable à mes yeux, m’asphyxie à petit feu.
 

Peut-être que cette dérive du temps, cette tentation de l’étirement, vient aussi de là : le cinéma se laisse contaminer par la logique des séries.
Les séries ont imposé leur empire narratif : plusieurs heures, des arcs multiples, des respirations lentes, l’attente comme moteur, une caractérisation psychologique plus dense et profonde. Une temporalité dilatée où l’accumulation fait monument.

Mais transposer ce modèle au cinéma revient souvent à trahir son essence. Le cinéma n’est pas un fleuve, c’est une déflagration. Un éclat. Un impact. . Sa force naît de la concentration, de la densité, de la fulgurance, de la fascination hypnotique, de la sensitivité. 
Là où la série s’étire, le film doit inciser.
Là où la série construit patiemment, le film doit brûler intensément. Nuance. 

Aujourd’hui, trop de cinéastes semblent fascinés par la durée comme signe extérieur de grandeur - comme si l’ampleur automatique des minutes garantissait la noblesse du geste artistique. Une mode, presque une superstition : plus c’est long, plus c’est élevé. 
Or cette équation est fausse. La longueur n’est pas la profondeur. L’étalement n’est pas la vision.
 

Le cinéma perd alors son tranchant, son nerf, son unité organique. Il emprunte au format sériel un rythme qui n’est pas le sien, et le spectateur, lui, vacille dans ce no man’s land temporel où l’intensité se dissipe et où la beauté se dilue.

Ce n’est pas la patience du public qui manque : c’est la nécessité.
Le temps doit être vécu - pas rempli. Et j'en suis terriblement frustré avec ces 2 grandes oeuvres d'utilité publique.
 
— le cinéphile du cœur noir
 

jeudi 13 novembre 2025

Beetlejuice Beetlejuice de Tim Burton. 2025. U.S.A. 1h44.

(Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site Imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives)

"Le sourire des Morts."

Mea culpa.
Rappel des faits : j’avais jadis affirmé qu’il s’agissait de l’un des pires films de la carrière de Tim Burton.
Je me suis trompé. À la révision, Beetlejuice Beetlejuice s’impose, non comme un désastre, mais comme une suite modestement sympathique, moins drôle et sans éclat tonitruant que son illustre aîné - on y sourit plus qu’on n’en rit - mais attachante, plaisante, sincère dans son refus de prétention.
Burton ne cherche pas à épater : il retrouve ses obsessions avec une tendresse pudique, porté par la complicité d’acteurs sobres, habités d’une expressivité à la fois humaniste, spontanée et chaleureuse.

Le cinéaste revisite la hantise, le deuil et l’au-delà - lieu de transition, d’imaginaire, de libération - avec une inventivité encore vive, une vraie recherche narrative, une caractérisation psychologique : inversion des rôles oblige, Astrid (Jenna Ortega), fille de Lydia (Winona Ryder), ne croit pas aux fantômes ni au surnaturel - un renversement malicieux, presque ironique. Alors que Lydia, elle, vit ce qu'elle a fait subir à sa mère dans le 1er opus faute de son isolement mortuaire. Monica Bellucci, en princesse maudite traquant son ancien époux Beetlejuice dans une quête vengeresse, ajoute à cette mascarade funèbre une dimension baroque, espiègle et mélancolique.
 

Et puis Tim Burton n’oublie pas le personnage Charles Deetz, ici défunt mari de Delia (Catherine O'Hara), incarné jadis par Jeffrey Jones dans le 1er opus. Sans le faire revenir "en chair et en os", il lui offre une résurrection grotesque et touchante, à mi-chemin entre hommage et caricature : une apparition animée, puis décomposée ensuite en live, engloutie dans un gag morbide où il périt dévoré par un requin après un crash d’avion. Ce clin d’œil macabre, aussi burtonien qu’un dessin d’enfant fait au fusain, n’a rien de pathétique. Il conjugue le rire et la mort dans une même impulsion de jeu, transformant la disparition du personnage à la ville en un numéro d’humour noir, pleine de tendresse tacite dans son absurdité, sa touchante poésie libératrice. Le réalisateur évite par cette occasion gentiment décomplexée de sombrer dans la facilité du pathos. Par ce choix, il fait d’une perte une célébration: il ne pleure pas le passé, il le transforme en image mouvante, en marionnette de mémoire. Ainsi, Beetlejuice Beetlejuice assume sa nostalgie sans s’y enliser ; le souvenir devient fantôme, mais un fantôme souriant - celui d’un cinéma qui se souvient, sans s’apitoyer.

Dans cette fête foraine macabre, Burton rend aussi hommage à l’un de ses maîtres : Mario Bava. Dans un décor d’Halloween ou à travers un flash-back monochrome, les éclats de couleurs et les jeux d’ombre rappellent ses visions gothiques et fantasmatiques, matières vivantes imprimées dans notre coeur. Et quel plaisir de retrouver Michael Keaton en mort-vivant mal élevé : moins tonitruant, certes, mais toujours cocasse, enjoué, délicieusement incorrect - une énergie désinvolte qui suffit à emporter l’adhésion.
 

Visuellement, Beetlejuice Beetlejuice éblouit constamment. Et puis son dernier quart d’heure, musical, en roue libre et sémillant, reste le moment le plus fort et réjouissant : une apothéose vibrante, élégiaque, où Burton chante les valeurs familiales, l’exaltation du présent, l’acceptation de la mort et de notre fragile condition lors d'une ultime séquence émouvante, superbe écho à Carrie en mode inversé.

Cette séquelle, pleine de charme et de sympathie, s’assume donc dans sa modestie : un divertissement aimable, nullement opportuniste, mais animé du désir sincère d’offrir un spectacle lumineux, un peu mélancolique, tendre et drôle - une fantaisie dosée de dérision sardonique, que Burton orchestre avec autant de malice que de générosité à travers le deuil et la mémoire familiale, la croyance et l'incrédulité, le passage de flambeau générationnel que Jenna Ortega exprime avec franchise et tempérament. 
 
Une oeuvre plus douce et plus posée dans son humilité, car au lieu de vouloir surpasser l’original en gags fous plus déchainés, Burton préfère "renouer" avec son esprit gothique, en y ajoutant une dimension intime. C’est ce qui le rend si "modestement sympathique" mais aussi émouvant dans sa déclaration d'amour à la dédramatisation de la mort avec une musicalité vivement entêtante.
 
 
— le cinéphile du cœur noir
2èx. 4K. Vostfr 
 
Box Office France: 1 713 700 entrées
Budget: 100 millions de dollars

lundi 10 novembre 2025

Le Sang des Innocents / Sleepless / Non ho sonno (je n'ai pas sommeil) de Dario Argento. 2001. 1h57. Italie.

                    (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site Imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives) 

"Le dernier frisson d’Argento."

Révision à la hausse (une troisième) du mal-aimé Le Sang des Innocents, bien qu’il ait depuis quelques années retrouvé une juste réévaluation. À raison : ce retour aux sources du Giallo, ranimant ses fantômes du passé - au propre comme au figuré - demeure un plaisir perpétuel tant Argento semble y raviver la flamme de ses débuts. Les vingt et une premières minutes, véritables pages d’anthologie horrifique, nous propulsent dans un train de l’enfer : modèle de mise en scène aussi ambitieuse qu’inventive, où Argento renoue avec l’ivresse émotive d’un Suspiria. Deux victimes féminines y subissent la furie d’un maniaque au couteau, dans un wagon et l’habitacle d’une voiture - séquences d’une intensité sensorielle fulgurante. On applaudit, on rajeunit. 

Mais si ce prologue, aussi jouissif que terrifiant, demeure le sommet du film, Le Sang des Innocents reste ensuite suffisamment efficace, captivant et parfois impressionnant par quelques éclats techniques pour maintenir l’adhésion jusqu’à la révélation finale, fertile en cadavres et détournements. Largement influencé par Les Frissons de l’angoisse (le mannequin, les dessins d’enfant, la comptine, le protagoniste incarné par le même acteur) et d’autres Gialli animaliers, le récit parvient pourtant à se construire seul, sous un vernis baroque, autonome et délicieusement vintage.


On saluera la personnalité formelle de cet hommage giallesque : sa texture visuelle rugueuse assez particulière, sa photographie granuleuse et poussiéreuse, ses demeures gothiques plongées dans l’ombre - tout concourt à une immersion fascinante dans un néo-gothisme de fin de siècle. Le suspense, habilement entretenu, est porté par un Max Von Sydow d’une force tranquille et rassurante, en enquêteur à la retraite cherchant à dénouer les fils d’une sordide affaire criminelle étalée sur dix-sept ans, dominée par la figure grotesque d’un “nain assassin” exhumé de sa tombe. À ses côtés, Stefano Dionisi se montre correctement convaincant en adjoint impliqué malgré lui, hanté par le meurtre de sa mère survenu en 1983.

Pour relever la sauce et nous envoûter, Goblin renoue avec les sonorités d’un rock progressif entêtant, offrant à Argento des séquences clippesques et des instants d’inquiétude palpable qu’il cisèle avec un art consommé de la beauté morbide. 

Très sympathique Giallo mené sans temps mort durant deux heures, Le Sang des Innocents sonne comme la dernière mélodie émotive du genre - un chant funèbre ressuscité des cendres des seventies par l’ultime talent d’un artisan inspiré teinté de mélancolie.


— le cinéphile du cœur noir
01.05.20. 09.11.25. 3èx. Vistfr.

vendredi 7 novembre 2025

Annihilation de Alex Garland. 2018. U.S.A/Angleterre. 1h55.

  (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site Imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives)
 
Révision d'Annihilation. Une expérience sensorielle, presque hypnotique.

Le réalisateur Alex Garland distille, au compte-gouttes, un climat d’étrangeté qui s’immisce dans la douceur feutrée d’une nature d’apparence édénique. Ce sentiment d’évasion contraste violemment avec l’insécurité rampante de cette forêt faussement paisible, où surgissent les attaques d’un alligator et d’un ours monstrueux par exemple - séquences d’un réalisme cru, presque insoutenable, tranchant avec la pureté du décor et les codes classiques de la science-fiction, une fois n'est pas coutume.

Garland explore ici l’idée vertigineuse d’une vie extraterrestre non pas venue conquérir, mais fusionner : créer avec l’humain et la nature une nouvelle forme d’existence. De cette symbiose naît un univers irréel, à la fois déroutant et dérangeant, peuplé de visions morbides - cadavres décharnés, corps momifiés - qui nourrissent le malaise. Le final, d’une intensité presque métaphysique, reste aussi trouble qu’impressionnant : Natalie Portman y affronte un double alien, entité muette désireuse de lui dérober son corps, rappelant L’Invasion des profanateurs de sépultures de Don Siegel. Le jeu de Portman, fragile et déterminé, porte le film à bout de bras, habitée par une foi poignante en l’amour et en l’espoir pour l'homme qu'elle chérit avec culpabilité. 

On ne peut qu’admirer la splendeur visuelle de l’ensemble : ces couleurs pastel singulières tissent peu à peu une nature verte, baroque et atypique, d’un futurisme presque new age.

En définitive, Annihilation est une oeuvre lestement trouble, baroque et fascinante, pas aussi accessible qu’il n’y paraît, mais dont l’expérience laisse une empreinte durable - un trouble émotif, beau et dérangeant, gravé dans l’encéphale. Je l'ai d'ailleurs préféré qu'au premier visionnage.

— le cinéphile du cœur noir

2èx. Vost. 4K 

mercredi 5 novembre 2025

L'Aigle de la 9è légion / The Eagle de Kevin Macdonald. 2011. U.S.A. 1h54.

                    (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site Imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives) 
 
"Le souffle d'un monde perdu."

Réalisé en 2011 dans les paysages écossais et hongrois, l'Aigle de la 9è légion est un magnifique film d’aventures tourné à l’ancienne. Studieux et circonspect, Kevin Macdonald laisse son récit respirer, porté par un réalisme âpre qui peut parfois heurter par la brutalité des combats et certaines exactions, mais sans jamais sombrer dans la violence gratuite. Le film évite ainsi toute complaisance, toute prétention pour mieux jouer dans la cour des grands.

L’Aigle de la 9ᵉ légion insuffle le souffle épique et romanesque à travers l’amitié entre un centurion et un Breton, inversant peu à peu les rôles d’esclave et de maître, apprenant à se connaître, à se respecter, à s’unir pour l’honneur d’un père sacrifié. Récit initiatique et leçon de vie, le film explore les thèmes du colonialisme et du choc des cultures primitives au sein d’une époque romaine d’une dureté implacable.


Il illustre avec force le sens du sacrifice, la bravoure et l’héroïsme, dans une mise en scène naturaliste d’une beauté lyrique et apaisée, malgré la sauvagerie d’un monde luttant pour la préservation de sa propre identité. Channing Tatum et Jamie Bell, sobres et habités, incarnent avec pudeur deux âmes que la survie transforme en frères d’armes, unis dans la quête d’un aigle d’or pour la mémoire d’un père. Ils portent à bout de bras leur périple de dernier ressort avec un humanisme étonnamment humble et poignant. 

Injustement méconnu et oublié, L’Aigle de la 9ᵉ légion s’impose comme une œuvre noble, forte et profondément humaine - un voyage d’honneur, de fureur et de désir de paix, baigné d’un réalisme à l’onirisme naturaliste, sublimé par une photo splendide, jamais saturée au travers de panoramiques d'une amplitude immersive. Dépaysement assuré.
 
 
Et comme le dit si justement Mad Movies lors de sa sortie: "le meilleur film d'aventure réalisé depuis Master and Commander".

— le cinéphile du cœur noir
2èx. Vost 

mardi 4 novembre 2025

Reflet dans un diamant mort de Hélène Cattet et Bruno Forzani. 2025. Belgique/Luxembourg/France/Italie. 1h27

                                              (Crédit photo : image trouvée via Google. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives) 
 
Je ne vais pas mentir : l’univers de OSS 117 n’a jamais été mon trip.

Autant Amer et Laissez bronzer les cadavres, je les vénère aujourd’hui - puisque revus l’été dernier, ils m’ont littéralement envoûté - autant ici, je reste aussi dubitatif que devant L’Étrange couleur des larmes de ton corps, malgré cette même formalité singulière, cette inventivité hallucinée en roue libre qui force le respect.

Reste que, point commun oblige : je n’ai strictement rien compris à l’intrigue complètement éclatée.

En revanche, quel bonheur de retrouver Fabio Testi en septuagénaire d'une classe transalpine impériale. 

De toute façon, avec Cattet et Forzani, un seul visionnage ne suffit jamais.
Ils demeurent des maîtres indéfectibles, sans la moindre concurrence.

A revoir donc. 

lundi 3 novembre 2025

La Belle et la Bête de Christophe Gans. 2014. France/Allemagne/Espagne. 1h53.

                           (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site Imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives) 


"Sous la fourrure numérique, un cœur qui bat."

Avec La Belle et la Bête (2014), Christophe Gans signe un conte féerique d’une beauté plastique étonnante, une œuvre d’art contemporaine où chaque plan respire la passion du cinéma de divertissement. Le réalisateur, fidèle à sa flamboyance visuelle, déploie un univers d’une richesse picturale assez fascinante pour retenir constamment l'attention, où les forêts enneigées, les jardins luxuriants et le château aux allures de songe rayonnent d’une féérie à la fois majestueuse et enveloppante. 

Certes, quelques effets numériques trahissent leur époque - notamment la séquence de la biche, un peu factice - mais peut-être Gans l’a-t-il voulu ainsi, pour préserver l’innocence du regard enfantin et ne pas les choquer auprès de son sort tragique. Car au-delà de ses CGI parfois inégaux, le film éblouit par la sincérité de son cœur battant : la Bête, pourtant digitalisée, dégage une réelle émotion, presque troublante, un charisme perçant. Derrière la fourrure et les pixels, on ressent une douleur, une humanité blessée qui appelle à l’empathie. Cette conviction dans le jeu, dans la respiration même du monstre, donne au film une âme vibrante.


Léa Seydoux incarne quant à elle une Belle d’une infinie délicatesse. Sa douceur naturelle, sa bienveillance instinctive, et cette noblesse des sentiments amoureux qu’elle exprime sans artifice, confèrent à son personnage une lumière apaisante. Elle irradie la pureté d’un amour sincère, protecteur, qui transcende la peur et la différence.

Gans revisite le roman de Madame Leprince de Beaumont avec une inventivité vouée au respect et à la poésie. Son parti pris personnel - mêler le romantisme d’antan à la puissance du merveilleux visuel mâtiné d'action - porte ici de somptueux fruits. Certaines séquences atteignent même une grandeur mythologique, comme celle où les statues de pierre géantes s’animent, hommage vibrant à Jason et les Argonautes, pour terrasser les mercenaires dans une apothéose de spectacle et d’émotion. Le meilleur moment du film car le plus hallucinant dans sa dimension à la fois épique, folle et ambitieuse.


La musique, pleine de grâce et d’enchantement, accompagne cette symphonie d’images avec aplomb. Elle sublime le climat féerique du récit, tout en magnifiant la relation fragile et tendre entre la Belle et la Bête - un lien qui évolue dans un univers numérique souvent expressif, envoûtant, mais toujours mesuré, qui vise à l'évasion la plus dépaysante.

Au final, La Belle et la Bête de Christophe Gans s’impose comme un très beau conte familial, une relecture intelligente, sincère et généreuse, animée par la conviction profonde d’un cinéaste amoureux de ce qu’il filme - avec respect, avec passion, et avec le cœur. Merci Christophe d'avoir su préserver ton âme d'enfant.


Budget: 45 Millions de $

— le cinéphile du cœur noir
2èx

lundi 27 octobre 2025

Golem: le tueur de Londres / The Limehouse Golem de Juan Carlos Medina. 2016.

                      (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site Imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives) 

"Le théâtre du sang et des larmes."

Dans le brouillard jaune de Londres, la peur s’infiltre dans les ruelles comme une vapeur acide. Le sang, les cris, la scène et la potence. 

Formidable thriller horrifique au suspense exponentiel, Golem: le tueur de Londres s’annonce d’abord comme une simple enquête victorienne, mais rapidement s'élève, se déploie, s'y tord une véritable tragédie humaine que nul ne pouvait prédire. 

Au cœur de cette mécanique parfaitement huilée : Lizzie Cree, interprétée avec une intensité naturelle par Olivia Cooke (Bates Motel). Elle prend vie dans une douce affirmation. Elle magnétise délicatement. Or, derrière ses yeux, un abîme - celui d’une femme broyée par le mépris des hommes, par la faim de reconnaissance, par l’illusion de la célébrité. On éprouve pour elle une empathie profonde, dérangeante : enfant maltraitée, femme humiliée, marionnette du patriarcat victorien. Une longue asphyxie sociale et intime où moult suspects nous interrogent par leurs actions déplacées. 

Le film se nourrit de cette tension psychologique, fiévreuse, entre Lizzie et l’inspecteur Kildare (un Bill Nighy d’une retenue poignante comme le souligne l'incroyable final dramatique). Deux âmes solitaires : lui cherche la vérité comme on cherche Dieu en guise de justice et de loyauté, elle cherche l’amour comme on mendie la lumière. Chacun est hanté par son propre masque. L’enquête devient alors un duel silencieux, un ballet d’ombres et de regards où les confessions se font par ricochet au fil d'un suspense toujours plus délétère. 

Juan Carlos Medina filme ce labyrinthe mental avec une élégance froide, théâtrale - les rideaux rouges du music-hall deviennent le rideau de scène du crime passés les numéros comiques. Le théâtre, la presse, la morale : tout se confond dans un carnaval de faux-semblants où la société elle-même devient coupable, victime et ignorante de ce qui se trame.

Et quand vient la révélation, c’est un vertige émotionnel qui affecte la gravité. Non pas le triomphe d’un twist, mais l’effondrement d’une âme, faute d'un dilemme moral terriblement ambigu. 
Le Golem n’est plus un tueur dans la nuit - c’est la créature que le monde narcissique fabrique lors de mises en scène ludiques. Une mise en abyme aussi fantasque que dramatique. 

Visuellement somptueux, étonnamment cruel, tant d'un point de vue graphique que psychologique, Golem le tueur de Londres est d’une intelligence émotionnelle dans sa disparité des genres qu'unissent le drame, la romance, le policier et l'horreur mutuellement confinés dans une tragédie humaine. Le cœur y bat davantage sous le vernis des costumes, dans la solitude, dans ce besoin désespéré d’être regardée - même pour ses crimes.

Or, à travers cette vendetta victorienne impeccablement reconstituée, rien ne laissait présager la valeur des sentiments qui se détache de ce conte macabre, aussi stylisé que psychologiquement éprouvant. Si bien que l'on en sort taiseux, amer et démuni.

— le cinéphile du cœur noir
2èx. Vostf 

Tron: Ares de Joachim Rønning. 2025. U.S.A. 1h59.

                  (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site Imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives) 

"L’Évêque des batailles.

"Par tous les croms ! Mais quel spectacle de fou !
Tron: Ares n’est pas qu’une suite tardive ou un reboot conçu pour plaire à la nouvelle génération : c’est un rite de passage, une immersion totale dans le cœur vibrant d’un univers où la lumière épouse la chair. Joachim Ronning signe un film d’une pure beauté visuelle, un trip électro aux pulsations presque mystiques, où chaque plan fusionne avec la musique pour former un gigantesque clip cosmique - une messe dédiée à l’image et au son j'vous dis.

Et sous son apparente simplicité, le scénario cache en filigrane une réflexion mélancolique - à juste dose épurée - sur la fatalité et l’acceptation de la mort, sur la fragilité de l’humain face à ses créations faute de sa mégalomanie, sa soif d'autorité intolérante. Ici, l’intelligence artificielle n’est pas un monstre apocalyptique mais un nouveau-né, un miroir, une éventuelle promesse : celle d’un outil capable de sauver, de nourrir, de guérir - à condition qu’on lui insuffle une conscience de bon sens et qu'on l'utilise à bon escient.
 
 
Truffé de clins d'oeil et de détails rétros, Ronning déclare par la même occasion générationnelle son amour aux années 80 avec une touchante sincérité. Le film originel est respecté, honoré, reconditionné lors de la dernière partie : l’action se déplace au cœur du jeu vidéo, temple de néons et de vitesses, où les circuits numériques se mêlent à la matière urbaine. Les effets spéciaux, d’une précision tactile, s’intègrent parfaitement dans ce monde hybride où le virtuel infiltre le réel avec une douceur troublante proche de l'émerveillement. On est à l'intérieur de l'écran ! On croit à ce que l'on voit ! On vit ce que l'on voit, tel un rêve sensoriel échappé de notre mémoire.
 
Chaque séquence d’action, lisible, chorégraphiée avec une élégance stylée, sert le récit et non l’inverse. La photographie, rutilante comme une armure de verre, capte la lumière des pixels et la transforme en émotion pure. Les acteurs familiers, formidablement impliqués, donnent chair à leurs caractères et à leur programmes en éveil existentiel. Leur empathie, palpable, irrigue le film d’une tendresse inattendue : la relation entre Ares et Eve par exemple devient le coeur battant du récit, un lien amical fragile et humain, promesse de paix intérieure et d’avenir possible entre deux voix humanoïdes.
 

Tron: Ares est une expérience de cinéma généreuse - sensorielle, enivrante, hypnotique, belle jusqu'à l'ivresse de l'amour car quand on aime, on aime toujours trop. Un vertige rétrofuturiste où la nostalgie communique avec l’avenir, où l’émerveillement l’emporte sur le cynisme. L’univers de jeu devient cathédrale du divertissement optimal, et Ronning, son évêque des batailles, y célèbre la fusion sacrée de l’homme et de la machine dans un concerto électro extrêmement entrainant.
 
Un coup de cœur ? Disons plutôt une onde de choc thermique, brève mais persistante, dans la mémoire du rêve. Mais rêver, c’est aussi croire que le cinéma peut sauver le monde.

— le cinéphile du cœur noir

Le Règne animal de Thomas Calley. 2023. France. 2h07.

                   (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site Imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives) 

"Un chant d'amour et de désespoir pour le devenir de l'humanité."

De manière prude et posée, et dans l'art du storytelling, Le Règne animal s’avance comme une fable organique où le fantastique naît de la chair, du souffle et de la forêt sous l'impulsion d'effets spéciaux bluffant de réalisme viscéral. Thomas Cailley y orchestre la métamorphose d’un monde et d’un fils, Émile, adolescent en dérive, dont le corps se fissure à mesure que l’humanité chancelle. Le film respire la peur et la tendresse, la sauvagerie et la douceur mêlées. Sous ses dehors de récit initiatique, il murmure une vérité essentielle : celle du droit à la différence, de l’acceptation de ce qui échappe, et du retour à la nature comme refuge ultime.

 
Dans la forêt, le film s’abandonne à un onirisme naturaliste d’une beauté rare dans le paysage du cinéma Français, en toute sobriété. L’amitié entre Émile et l’homme-oiseau y atteint une grâce silencieuse, presque spirituelle. Leurs gestes, leurs regards, leurs tentatives de vol sont autant d’élans vers la liberté, d’appels à la lumière, de cri d'alarme pour le droit d'exister en toute autonomie. La musique, subtile, un peu discrète et lyrique, accompagne ces instants suspendus avec une justesse qui caresse le coeur. 

Et puis il y a Nina - cette romance impossible, douce comme une blessure tacite. Cailley en saisit la fugacité, la pudeur, l’éclat fragile d’un sentiment condamné avant d’avoir vraiment vécu.
 
 
Romain Duris, Paul Kircher, Adèle Exarchopoulos - trois âmes vibrantes suspendues entre amour, questionnements, et perte. Thomas Cailley filme leurs visages comme des paysages à l’orée du désastre. L’émotion circule, nue, fragile, bouleversante, jusqu’à ce final d’adieux qui étreint le cœur et le laisse battre à vif. Le générique défile, on reste bouche bée, muré dans un silence pesant. 

Métaphore du passage de l'adolescence à l'âge adulte dans une  émancipation primitive renouant avec notre instinct animal, hymne à l’altérité, cri écologique pour la cause animale et poème d’amour aux métamorphoses du vivant, Le Règne animal s’impose comme l’un des plus beaux films fantastiques contemporains - une œuvre de tendresse somme toute sensible par son humanité déchirante inscrite dans le non-dit, dont on ne ressort pas indemne. 
 

On pleure en guise d’exutoire, d’échappatoire, face à un monde en crise qui échappe un peu plus chaque jour à notre raison et à notre compréhension.

— le cinéphile du cœur noir

mercredi 22 octobre 2025

Dead of Winter de Brian Kirk. 2025. U.S.A. 1h38 (1h33).

                      (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site Imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives)    

"La blancheur des spectres."

Excellent thriller à l’ancienne, impeccablement interprété par un quatuor de comédiens à l’expressivité forcenée, Dead of Winter s’élève grâce à la présence d’Emma Thompson, bouleversante septuagénaire mélancolique en quête d’un havre de paix. Le réalisateur tisse peu à peu les fils de son passé familial à travers des flash-backs habilement insérés entre deux rebondissements incertains, entre deux frissons d’angoisse.

Si la première demi-heure évoque un peu Fargo des frères Coen - par cette opposition malencontreuse entre un couple véreux et une veuve en quête de repos, s’entraînant dans une chasse sans répit - Dead of Winter relance sans cesse son intrigue échevelée, sculptant un suspense retors tout en approfondissant la psychologie des personnages au seuil de la mort.
 

On peut saluer la qualité technique d’une mise en scène pleinement investie dans ce qu’elle filme : le cadre enneigé s’y déploie en panoramiques oniriques, en sentiers boisés, en cabanes délabrées où les personnages errent avec une ironie tacite, se disputant tour à tour les espaces clos comme autant de refuges précaires, guidés par une soif de survie à la fois éreintante et palpitante.

Par son intensité psychologique, finement développée tant chez les bourreaux que chez les victimes - tous unis par la peur de la mort et le désir de la gagne - Dead of Winter dresse un constat pathétique sur la nature humaine confrontée au spectre de sa finitude. Sous un vernis de cruauté individualiste, Brian Kirk ose offrir à une septuagénaire un rôle d’une belle densité, qu’Emma Thompson habite avec une justesse poignante : héroïne de fortune, mère en quête de rédemption, âme blessée cherchant encore la chaleur d’un foyer auprès d'un lac symbole.
 

Le film, rapide, dur et radical, offre un regard poignant sur la vieillesse et le sens de la fidélité. Il s'achève d'ailleurs sur un final aussi surprenant qu’émouvant, célébrant les valeurs familiales avec une pudeur dépouillée qui force le respect.

— le cinéphile du cœur noir