mardi 10 juillet 2012

Schizophrenia /Angst / Fear


de Gérald Kargl. 1983. Autriche. 1h27. Avec Erwin Leder, Silvia Rabenreither, Edith Rosset, Rudolf Götz

Interdit en salles en France. 

FILMOGRAPHIE: Gérald Kargl est un réalisateur autrichien né en 1953 à Villach, Austria.
1980: Sceny narciarskie z Franzem Klammerem (documentaire)
1983: Angst

                                              D'après l'histoire vraie du tueur Werner Kniesek
         

Censuré un peu partout à travers le monde dès sa sortie en 1983, Schizophrenia est une expérience extrême d'autant plus inédite que son origine autrichienne renforce un cachet d'authenticité peu commun. Avec la voix perpétuelle d'un monologue narré par l'interprète principal, ce portrait glaçant d'un serial-killer notoire de l'Allemagne des années 80 y transcende son introspection mentale avec un réalisme diaphane. Accordant un soin esthétique formel à sa photographie clinique et à son ambiance blafarde au bord du marasme, l'unique film de Gérald Kargl est notamment un modèle de virtuosité technique. Plans larges ou aériens contournés à la louma, caméra subjective pour mieux mettre en exergue l'aspect désincarné du tueur en série, le réalisateur sait utiliser sa caméra avec une dextérité aussi inventive que géométrique.


Filmé en temps réel et exploitant à merveille son dédale pavillonnaire, nous suivons les exactions meurtrières d'un détenu relaxé, déjà prêt à perpétrer de nouvelles exactions. Après avoir tenté d'étrangler une chauffeuse de taxi, celui-ci apeuré s'enfuit à travers bois pour trouver refuge dans une vaste demeure bourgeoise. Observant qu'il n'y a personne dans la maison, il décide d'y pénétrer par effraction en brisant la vite d'une fenêtre. En comptant sur l'arrivée de ses propriétaires avec une impatience fébrile, une voix-off hypnotisante (à voir en VF pour une fois car plus immersive !) nous narre de façon récursive ses pensées intimes les plus licencieuses mais également son passé de maltraitance infantile. Une sexagénaire, son fils impotent et sa fille seront les nouvelles proies de ses crimes sordides dénués de mobile. Tuer quelqu'un est très dur, très douloureux et très... très long ! Cette célèbre citation du maître du suspense convient à cette descente aux enfers inflexible auquel notre tueur souhaite faire souffrir ses victimes de façon indolente et avec une véhémence incontrôlée ! Ce parti-pris (sur le vif) de filmer en temps réel, cette verdeur imputée aux meurtres cinglants (dont une mise à mort ultra sanglante !) et l'interprétation innée de notre tueur autrichien rendent Schizophrenia terriblement glauque et incommodant. En prime, le caractère inexpressif et apathique des personnages secondaires va aménager son aura d'étrangeté.


En terme de serial-killer déficient, Erwin Leder incarne son personnage avec une vérité si prégnante qu'il n'a pas à rougir de la comparaison avec Joe Spinell ou encore Michael Rooker. La pâleur de son faciès famélique et l'appréhension de son regard fuyant laissent en mémoire une prestance fébrile tributaire de son esprit déséquilibré. Son seul objectif est d'aborder sans raison n'importe quel quidam signalé au coin d'une rue et de l'assassiner avec un sadisme mâtiné de maladresse. Sa peur panique et son excitation irraisonnée pour la tentative d'homicide exacerbent la personnalité meurtrie d'un adulescent préalablement molesté par une filiation masochiste.


Malsain et hautement dérangeant par son aspect introspectif expérimental, Schizophrenia est une expérience extrême où la folie et le meurtre sont élaborés avec frénésie chez un criminel désaxé. Esthétiquement travaillé et ambitieux de par sa mise en scène personnelle, cette oeuvre scabreuse honteusement occultée et bannie depuis des décennies constitue un sommet de subversion où l'immersion clinique s'avère terriblement déstabilisante. Pour parachever, il faut aussi avouer que l'impact envoûtant du score de Klaus Schulze doit autant à son climat contrariant.
 
P.S: A Privilégier la VF, comme le souligne Gaspar Noé dans les Bonus du Blu-ray. 

*Bruno
25.07.22. 5èx
10.07.12. 

mercredi 4 juillet 2012

Le Vieux Fusil. César du Meilleur film 1976.

                                                              Photo empruntée sur Google, appartenant au site muriel.lucot.free.fr

de Robert Enrico. 1975. France. 1h43. Avec Philippe Noiret, Romy Schneider, Jean Bouise, Joachim Hansen, Robert Hoffmann, Karl Michael Vogler, Caroline Bonhomme, Catherine Delaporte, Madeleine Ozeray.

Sortie salles France: 22 Août 1975. U.S: 29 Juin 1976

FILMOGRAPHIE: Robert Enrico est un réalisateur et scénariste français, né le 13 Avril 1931 à Liévin (Pas-de-Calais), décédé le 23 Février 2001 à Paris. 1962: Au coeur de la vie. 1962: La Belle Vie. 1964: Contre point. 1965: Les Grandes Gueules. 1967: Les Aventuriers. 1967: Tante Zita. 1968: Ho ! 1971: Boulevard du Rhum. 1971: Un peu, beaucoup, passionnément. 1972: Les Caïds. 1974: Le Secret. 1975: Le Vieux Fusil. 1976: Un neveu silencieux. 1977: Coup de foudre. 1979: L'Empreinte des Géants. 1983: Au nom de tous les Miens. 1985: Zone Rouge. 1987: De Guerre Lasse. 1989: La Révolution Française (1ère partie: les années lumières). 1991: Vent d'Est. 1999: Fait d'Hiver.

 
"Quand l'amour s'éteint dans la guerre".
Panthéon du cinéma français, célébré par des millions de spectateurs avec une émotion inconsolable, Le Vieux Fusil est un moment de cinéma d’une telle acuité qu’on peine à s’en remettre sitôt le générique tombé. En s’inspirant du massacre d’Oradour-sur-Glane perpétré par les nazis en 1944, Robert Enrico livre, sans anesthésie, un drame éprouvant, haletant, inflexible. Insoutenable. Celui d’un médecin provincial anéanti par l’extermination de sa famille.

Synopsis: Alors qu’il mène une vie paisible avec sa femme Clara et leur fille Florence, Julien Dandieu décide de les mettre à l’abri d’une milice française arrogante en les envoyant au château familial, retiré près d’un village champêtre. Resté à l’hôpital pour soigner ses malades, il finit par les rejoindre, inquiet. Mais sur place, l’horreur : les villageois ont été massacrés, rassemblés dans l’église et abattus sans pitié. Dans son château, Julien découvre le corps calciné de sa femme, et celui, ensanglanté, de sa fille. Ravagé par le chagrin, consumé par la haine, il engage une vengeance expéditive. Un à un, il traque les nazis encore présents sur les lieux du drame.

Entrecoupé de flashbacks où Julien se remémore les instants d’un bonheur révolu, Le Vieux Fusil alterne la tendresse des souvenirs angéliques et l’appréhension d’une traque implacable. Dans un huis clos minéral, confiné dans les souterrains du château, Enrico orchestre la métamorphose d’un homme pacifique en bourreau mu par le deuil. La perte brutale, inassimilable, l’horreur d’un viol collectif et d’une immolation crapuleuse font éclater sa moralité. Ces réminiscences élégiaques deviennent alors les contrepoints d’un effondrement. Aux souvenirs lumineux succède une rancune glaciale, irrespirable. Julien tue. Sans pitié. Sans détour. Et chaque balle tirée est un cri rentré, une larme qui ne coule pas.

Ces émotions antinomiques — l’amour, la haine, le passé, le sang — s’enchevêtrent avec une intensité bouleversante. Et si cette œuvre à vif nous étreint si fort, c’est aussi par la complicité vibrante de ses interprètes.


Dans le rôle du médecin submergé par la haine, Philippe Noiret (César du meilleur acteur) incarne l’évidence du mutisme et de la douleur contenue. Son regard perdu, son corps affaissé, traduisent l’implosion d’un homme englouti par la folie. Quant à Romy Schneider, elle illumine l’écran d’un regard pétri de fraîcheur, de bonté. Elle incarne la joie, la tendresse, le désir silencieux. On en tombe amoureux, comme Julien, happé par sa beauté sans emphase. C’est cette lumière, justement, qui rend sa perte si insupportable. Sa mort, puis celle de sa fille, réveillent en nous une répulsion viscérale. Tout cela sonne vrai. Trop vrai.

"À l’ombre des anges brûlés".
Porté par les interprétations bouleversantes de Noiret et Schneider, sublimé par la partition mélancolique de François de Roubaix, Le Vieux Fusil est un chef-d’œuvre d’émotions hybrides. Une œuvre de contraste : la pudeur romantique d’un amour perdu, la violence primitive d’un justicier consumé. Certaines scènes sont à vif, presque insoutenables (la séquence du lance-flammes, l’acharnement), mais jamais gratuites. Car Enrico, à travers une mise en scène géométrique, fait de l’espace un personnage, un piège, un sanctuaire brisé.

Il reste, de ce film, une fragilité déchirante, une douleur ciselée dans le marbre. Une quiétude fracassée qui nous poursuit longtemps. Ad vitam aeternam.

Romy, je t'aime.

*Bruno
04.07.12. 4èx

Récompenses: César du Meilleur Film, du Meilleur Acteur (Philippe Noiret) et Meilleure Musique (François de Roubaix) en 1976.
César des césars en 1985.

 

mardi 3 juillet 2012

Fire in the Sky

                                                   Photo empruntée sur Google, appartenant au site roswell1947.forumgratuit.org

de Robert Lieberman. 1993. U.S.A. 1h49. Avec D.B. Sweeney, Robert Patrick, Craig Sheffer, Peter Berg, Henry Thomas, Bradley Gregg, Noble Willingham, Kathleen Wilhoite, James Garner, Georgia Emelin.

Sortie salles U.S: 12 Mars 1993

FILMOGRAPHIE: Robert Lieberman est un réalisateur, scénariste et producteur américain.
1978: A Home run for love (télé-film). 1978: Gaucho (télé-film). 1980: Fighting Back (télé-film). 1982: Will: the autobiography of G. Gordon Liddy (télé-film). 1983: Table for Five. 1987: Nos Meilleures années. 1991: To Save a Child. 1991: Le plus beau cadeau de Noël. 1992: Fire in the Sky. 1996: Les Petits Champions 3. 1996: Le Titanic (télé-film). 1999: NetForce (télé-film). 2002: Red Skies. 2002: Second String (télé-film). 2004: Earthsea (télé-film). 2009: The Tortured. 2010: The Stranger.

 
"Fire in the Sky : l’ombre d’un enlèvement".
Réalisateur prolifique de téléfilms et séries TV, Robert Lieberman signe en 1993 son œuvre la plus connue, Fire in the Sky. Inspirée d’un fait divers (potentiel) sur un enlèvement extra-terrestre, cette série B fut hélas inédite dans nos salles hexagonales, directement exploitée en VHS puis en galette numérique. Dommage, au regard de la qualité de ce suspense captivant, convaincant dans sa tentative de nous faire croire à ce rapt incongru au premier degré.
 
Le pitch : le 5 novembre 1975, six bûcherons assistent, terrifiés, à un phénomène irrationnel venu du ciel. L’un d’eux, ébloui par la lumière aveuglante de l’engin spatial, est soudain foudroyé par une force surnaturelle. Ses camarades fuient à bord de leur fourgonnette, jusqu’à ce que le chauffeur, au dernier moment, fasse demi-tour. Seul sur les lieux, Mike Rogers découvre l’absence inexplicable de son ami Travis. En ville, les cinq survivants doivent justifier devant police et population la disparition mystérieuse, bientôt suspectés de meurtre.

 
Porté par des visages familiers (Robert Patrick, Henry Thomas, Peter Berg) et une mise en scène qui s’attarde sur les tourments psychologiques, Fire in the Sky dresse avant tout le portrait d’hommes de foi injustement montrés du doigt par des citadins et des autorités incrédules. Lieberman illustre avec soin le caractère sournois d’une communauté qui n’hésite pas à fustiger et remettre en cause le récit capillotracté de ces prolétaires gênants. Cette impuissance à prouver leur innocence, cette pugnacité obstinée (magnifiquement incarnée par Robert Patrick) à crier leur vérité aux autorités, suscite une empathie viscérale chez le spectateur, d’autant que le prologue nous assure que leur mésaventure n’est pas une affabulation. Leur humanité se dévoile aussi dans la panique de leur fuite désespérée à travers la forêt, après avoir abandonné leur camarade peut-être encore en vie.


Mais après l’épreuve ambiguë du détecteur de mensonge, un rebondissement inattendu lève enfin le voile sur leur version des faits. Là encore, le réalisateur insiste sur la dimension psychologique de la victime traquée par les médias sensationnalistes, un chef de police paranoïaque et des badauds indélicats. L’interprétation de D.B. Sweeney, chétif et amnésique, anciennement malmené par ces E.T belliqueux, suscite une compassion douloureuse, exacerbée par son état défaillant. Jusqu’à la scène anthologique, où la terreur claustro-viscérale explose dans un réalisme horrifiant : une séquence cauchemardesque, un choc traumatique face aux sévices chirurgicaux infligés à cette victime martyrisée, littéralement révulsée, terrifiée, le souffle coupé.

 
Intelligemment traité dans la dimension humaine de personnages déchirés par une énigme irrationnelle, soutenu par un casting sobre entre émoi, mutisme et interrogation, Fire in the Sky est une honorable série B, soignée et captivante par son suspense latent. Enfin, c’est surtout dans son dernier acte, véritable moment d’effroi gravé d’une pierre blanche, qu’il nous réconforte sur la valeur d’une fidélité amicale.

*Bruno
18.04.25. 4è
03.07.12. 

vendredi 29 juin 2012

STAND BY ME

                                                                       Photo empruntée sur Google, appartenant au site cineclap.free.fr

de Rob Reiner. 1986. U.S.A. 1h29. Avec Wil Wheaton, River Phoenix, Corey Feldman, Jerry O'Connell, Gary Riley, Kiefer Sutherland, Casey Siemaszko, Bradley Gregg, Jason Olivier, Marshall Bell.

Sortie salles France: 25 Février 1987. U.S: 8 Août 1986

FILMOGRAPHIE: Rob Reiner est un acteur, producteur, scénariste et réalisateur américain, né le 6 Mars 1947 dans le Bronx de New-York. 1984: Spinal Tap. 1985: Garçon chic pour nana choc. 1986: Stand By Me. 1987: Princess Bride. 1989: Quand Harry rencontre Sally. 1990: Misery. 1992: Des Hommes d'honneur. 1994: L'Irrésistible North. 1995: Le Président et Miss Wade. 1996: Les Fantômes du passé. 1999: Une Vie à Deux. 2003: Alex et Emma. 2005: La Rumeur Court. 2007: Sans plus attendre. 2010: Flipped.


Réalisateur éclectique, Rob Reiner s'inspire en 1986 d'une nouvelle de Stephen King (Le Corps parue à travers Différentes Saisons) pour entreprendre avec Stand By Me un hommage élégiaque à l'enfance dans toute sa candeur et vulnérabilité. Eté 1959, Oregon. Une bande de quatre amis inséparables décide de partir deux jours en randonnée forestière pour tenter de retrouver le corps d'un adolescent récemment disparu. Cette découverte macabre changera à jamais leur destin et leur manière d'appréhender le monde.


De manière sous-jacente, la mort plane sur les frêles épaules de nos héros en culotte courte durant leur cheminement initiatique acheminé vers une trouvaille morbide. Avec simplicité, humour et beaucoup de tendresse, Rob Reiner apporte un soin humaniste à caractériser nos quatre adolescents débordant de vigueur à travers leur tempérament débrouillard, mais aussi de malaise existentiel et de rancoeur, faute d'une démission parentale. Tant auprès de Gordie Lachance, rejeton dénigré par ses parents depuis la mort accidentelle de son frère aîné, de Chris Chambers, gamin révolté issu d'une famille à la réputation galvaudée et malencontreusement accusé de vol auprès d'un particulier perfide, ou encore de Teddy Duchamp, casse-cou irascible et provocateur, violenté par son paternel, ancien vétéran du débarquement de Normandie. Seul, Vern Tessio, gamin bedonnant plutôt maladroit et trouillard semble hérité d'une filiation placide. Ainsi, à travers leur escapade bucolique jalonnée de péripéties impromptues (telle cette déconvenue avec une bande de délinquants majeurs, ou leur course effrénée sur un pont ferroviaire afin d'éviter de plein fouet un train lancé à vive allure !), nous suivons leurs vicissitudes insouciantes, entre blagues de potache, conflits caractériels et prise de conscience existentielle. Rob Reiner s'attachant surtout à accorder un peu plus d'empathie et d'intérêt envers les personnages fragilisés de Gordie et Chris. Les enfants malchanceux les plus discrédités de leurs parents, et donc les mieux aptes à comprendre l'apprentissage de la maturité de par leur libre arbitre. Par conséquent, durant leur périple, notre duo n'aura de cesse de s'échanger des confidences intimistes pour se réconforter d'une absence affective, cette solitude écrasante mise en cause par la désunion de la cellule familiale.


Entre deux crises de fous-rire, prises de becs, peur panique du bruit dans la nuit et discorde avec des rouleurs de mécaniques, nos quatre baroudeurs vont côtoyer pour la première fois le vrai visage informe de la mort. Il en ressortira de cette excursion peu commune une expérience mystique auprès de la cruauté de l'existence si bien que cette bonhomie de l'enfance s'avère éphémère pour laisser place à la maturité de l'expérience. A travers le monologue nostalgique d'un narrateur aujourd'hui épanoui d'une aubaine conjugale et d'une réussite professionnelle, la destinée de Gordie Lachance en sort grandie et victorieuse. Alors que certains de ces meilleurs camarades n'auront eu cette faveur idéaliste de par leur parcours antinomique. Ainsi, de cette réminiscence infantile y résulte une émotion bouleversée de ce que les aléas de la vie peuvent réserver à chacun d'entre nous. Que le hasard n'est point une coïncidence et que le destin peut parfois malencontreusement vilipender l'un d'entre nous. Mais que la fraternité et l'amour restent des valeurs sûres pour pouvoir profiter du temps présent, surtout lors d'une époque charnière de l'insouciance où les prises de risques peuvent nous être inconsidérées.


Au coeur de l'amitié
Poésie lyrique à l'épanouissement de la jeunesse, hymne à l'amitié dans toute sa candeur, Stand by me est une déclaration d'amour à la magie de l'enfance mais aussi une prévoyance à l'ascension de la puberté. L'incroyable bonhomie naturelle de nos quatre adolescents et sa tendresse émanant de chaque tempérament nous menant finalement vers une élégie déchirante. Rob Reiner nous transcendant avec lyrisme une réminiscence infantile alliée au mérite de l'amitié et à cette fuite irrémédiable du temps présent.

A River Phoenix et Pascal, mon frère de coeur...
29.06.12. 4èx
Bruno Matéï

jeudi 28 juin 2012

VIERGES POUR LE BOURREAU (Il boia scarlatto)



                                Photo empruntée sur Google, appartenant au site fastmovieblog.blogpost.com


de Massimo Pupillo. 1965. Italie/U.S.A. 1h23. Avec Mickey Hargitay, Walter Brandi, Moa Tahi, Alfredo Rizzo, Rita Klein, Femi Benussi, Luisa Baratto, Gino Turini, Ralph Zucker, Barbara Nelli, Albert Gordon.

FILMOGRAPHIE: Massimo Pupillo est un réalisateur, scénariste et producteur italien, né le 7 Janvier 1929 à San Severo.
1961: Teddy, l'orsacchiotto vagabondo (doc). 1965: 5 Tombes pour un médium (le cimetière des morts-vivants). 1965: Vierges pour le bourreau. 1965: La Vendetta di Lady Morgan. 1968: Django le taciturne. 1970: Giovane Italia, Giovane Europa - Marternick (télé-film). 1970: L'Amore, questo Sconosciuto. 1980: Sajana, l'audace impresa


Un bourreau azimuté reprend du service pour embrigader une équipe de comédiens dans son château et leur perpétrer d'horribles tortures inquisitrices.


Tourné la même année que le charmant classique Cimetière des Morts-vivants (avec Barbara Steele !), Vierges pour le Bourreau est une peloche du samedi soir aussi ludique qu'hilarante dans son délire festif décrété par un bourreau écarlate en survêtement rouge ! Le scénario tiré par les cheveux est déjà un mets de choix dans son inspiration héritée du Masque du Démon ou plutôt des fameux pulps pour adultes imprimés sur papier décrépi par souci d'économie. D'ailleurs, les amateurs penseront sans doute au célèbre roman photo, Satanik, publié la même année au pays transalpin, qui narrait les méfaits d'un mystérieux criminel vêtu d'une combinaison de squelette, torturant sans modération de charmantes donzelles dévêtues. Après son prélude influencé par le chef-d'oeuvre de Bava auquel un bourreau délétère condamné à mort promet de revenir se venger quelques siècles plus tard, un photographe et sa troupe de comédiens investissent un château réputé abandonné afin de réaliser une séance photos pour la publication d'un roman d'horreur. Mais la demeure est néanmoins déjà résidée par un étrange propriétaire renfrogné, épaulé de ces géôliers tout aussi acariâtres. Il reconnait in extremis parmi les invités une de ces anciennes idylles ! Dès lors, le majordome préalablement réticent à accueillir ses nouveaux hôtes se rétracte pour finalement accorder sa grâce. Bien entendu, c'est dans ce manoir même que notre bourreau sanguinaire fut jadis condamné au supplice de la Vierge de Nuremberg, et des morts mystérieuses ne vont pas tarder à se manifester ! Notre fantomas en pijama rouge semble donc revenir de l'au-dela pour accomplir ses nouvelles exactions à l'aide d'instruments de torture moyenâgeux !
.

Hormis une première partie frivole et aseptisée, la suite est heureusement rattrapée par un délire excentrique digne d'un carnaval déluré ! Le bourreau masqué façon "Zorro" (qui n'est autre que le propriétaire du château, sévèrement fêlé de la casquette !) accomplit ses tortures avec une hargne insolente et une fougue inébranlable ! Certaines de ces épreuves mises en scène avec une diabolique inventivité sont si incongrues qu'elles n'ont rien à envier aux agissements du Dr Phibes ou Jigsaw, illustres tortionnaires concurrentiels des décennies à venir. A ce titre, la séquence où l'une de nos protagonistes est emprisonnée par des cordelettes constituant une gigantesque toile d'araignée est un moment jouissif délicieusement extravagant. Surtout sachant que si l'une des cordes contractées venait à rompre, une flèche s'élancerait violemment en direction de la victime pour venir la transpercer ! A partir du moment où le bourreau sanguinaire dévoile son véritable visage et décide d'entamer sans vergogne ses crimes sadiques, le film prend une tournure pittoresque irrésistible. D'autant plus que notre antagoniste déficient s'en donne à coeur joie à exprimer avec fierté son exaltation pour accomplir ses odieux supplices. Les potiches dévêtues et embrigadées crient leur agonie, les hommes pugnaces tentent tant bien que mal de se démêler de leur filet et le bourreau extraverti jubile à outrance devant tant de fertile festivité !


Hormis un début paresseux sans éclat, Vierges pour le Bourreau se révèle à mi-parcours un savoureux nanar où les péripéties s'enchaînent sans répit avec le dynamisme d'une mise en scène assidue. Les combats de catch et les mises à morts pernicieuses sont illustrés avec ferveur dans des décors gothiques aux teintes colorées ! En prime, la cocasserie des dialogues exprimés par des trognes de seconde zone, son scénario farfelu et son ambiance rétro ne pourront que réjouir l'amateur puriste de bisserie saugrenue !

Dédicace à Artus Films
28.06.12. 2èx
Bruno Matéï

                                    

mercredi 27 juin 2012

Rusty James / Rumble Fish

                                                 Photo empruntée sur Google, appartenant au site fr.pinterest.com

de Francis Ford Coppola. 1983. U.S.A. 1h34. Avec Matt Dillon, Mickey Rourke, Diane Lane, Dennis Hopper, Diana Scarwid, Vincent Spano, Nicolas Cage, Chris Penn, Laurence Fishburne, William Smith.

Sortie salles France: 15 Février 1984. U.S: 21 Octobre 1983

FILMOGRAPHIE SELECTIVE: Francis Ford Coppola est un réalisateur, producteur et scénariste américain né le 7 Avril 1939. 1963: Dementia 13. 1966: Big Boy. 1968: La Vallée du Bonheur. 1969: Les Gens de la pluie. 1972: Le Parrain. 1974: Conversation Secrète. Le parrain 2. 1979: Apocalypse Now. 1982: Coup de coeur. 1983: Outsiders. Rusty James. 1984: Cotton Club. 1986: Peggy Sue s'est mariée. 1987: Jardins de Pierre. 1988: Tucker. 1989: New-York Stories. 1990: Le Parrain 3. 1992: Dracula. 1996: Jack. 1997: l'Idéaliste. 2007: l'Homme sans âge. 2009: Tetro. 2011: Twixt.


"Sublimement insolite et envoûtant à travers son onirisme existentiel que cette balade désenchantée avec l'ennui, voyage au bout de la nuit d'une quête identitaire."
Entrepris la même année que Outsiders et de nouveau adapté d'un roman de Susan Eloise Hinton, Francis Ford Coppola se révèle beaucoup plus ambitieux avec Rusty James, véritable expérience 
cinégénique imprimée de la personnalité (ici baroque) du cinéaste. Fable sur la lassitude, la fuite du temps et l'aliénation existentielle, cette errance fantasmatique de deux frères entravés nous envoûte les sens de par sa mise en scène expérimentale impartie à l'esthétisme expressionniste. Ainsi, à travers ce tableau dérisoire d'une jeunesse désoeuvrée laminée par l'ennui, le chômage et la démission parentale, Rusty James souhaite devenir le leader des gangs de rues, comme le fut préalablement son frère aîné, Motorcycle, véritable légende urbaine. S'il demeure vaillant et pugnace, Rusty James ne possède pas l'adresse ni l'intelligence de son aîné pour devenir un nouveau chef de bande réputé. Ses infidélités avec sa petite amie, l'absence d'un père alcoolique et la disparition inexpliquée de sa mère l'influencent à se focaliser sur la réputation notoire de son frère, et par la même occasion d'y trouver un sens à sa terne existence. Le hic, c'est que l'ancienne légende des bandes organisées s'est rétractée à renouer avec une vie marginale jalonnée de rixes héroïques. Penseur mutique emprisonné dans ses songes les plus autonomes, Motorcyle semble n'avoir d'autre but que de errer dans la petite contrée d'Oklahoma en murmurant à l'oreille de Rusty que les bagarres de rue finiront par le mener au bout d'une impasse.

                                        

Avec sa bande son musicale à la fois idoine et décalée, ses bruitages industriels récurrents et sa photo monocorde d'une splendeur hypnotique, Francis Ford Coppola nous façonne une "fureur de vivre" en mode "élégie existentielle". Sa distribution est d'autant mieux privilégiée du jeu spontané de Matt Dillon épaulé de son frangin taciturne en la présence du fantôme Mickey Rourke, mais aussi d'une pléiade de seconds rôles aussi marquants (Dennis Hooper en paternel alcoolique déchu, Chris Penn et Nicolas Cage en rebelles vaniteux, ou encore la suave Diane Lane en dulcinée trahie). Rusty James demeure donc une oeuvre atypique où l'atmosphère irréelle nous insuffle un sentiment d'escapade à travers le profil galvaudé de deux frères esseulés car destitués de leur propre identité. Ce besoin de fuite en avant vers l'immensité d'un océan azur, cette soif de liberté latente exprimée de façon succinct par un Motorcycle méditatif nous suscitant un poème désenchanté sur la fuite (furtive) du temps et l'échec personnel. Cette temporalité récursive rappelant à nos protagonistes que le passage à l'âge adulte est un cap franchissable si leur nouvelle vocation était de se rabattre à un avenir sociable. Spoil ! En l'occurrence, le parcours à venir de Rusty James pourrait donc peut-être renouer avec l'aspiration sociale après avoir médité sur la disparition de l'être cher parti trop tôt de manière fulgurante... Fin du Spoil.


Chef-d'oeuvre contemplatif beaucoup plus substantiel et abstrait que son cadet Outsiders auquel le temps ne semble avoir aucune prise sur son aura de fascination irrépressible, Rusty James est un moment de cinéma précieux à travers ses émotions troubles que 2 frères nous partagent dans leur humanisme à la fois torturé et romanesque. Tout simplement sublime et d'une sidérante modernité dans son format rétro de rendre hommage aux films de bandes des années 50.

*Bruno

La chronique d'Outsiders: http://brunomatei.blogspot.fr/2011/11/outsiders-outsiders.html

26.10.22. 4èx. Vost
27.06.12.

                                     

mardi 26 juin 2012

THE CROSSING GUARD

Photo empruntée sur Google, appartenant au site fan-de-cinema.com   
de Sean Penn. 1995. U.S.A. 1h51. Avec Jack Nicholson, David Morse, Anjelica Huston, Robin Wright, Piper Laurie, Richard Bradford, Priscilla Barnes, David Baerwald, Robbie Robertson, John Savage.

Sortie salles France: 15 Novembre 1995. U.S: 16 Novembre 1995

FILMOGRAPHIE: Sean Penn est un réalisateur, acteur, scénariste, producteur américain, né le 17 Août à 1960 à Santa Monica, en Californie.
1991: The Indian Runner
1995: The Crossing Guard
2001: The Pledge
2007: Into The Wild
Prochainement: The Comedian


Un père de famille décide de se faire justice lui même après avoir appris la libération du chauffard, responsable de la mort accidentelle de sa fillette de 7 ans.


Après son premier coup de maître, Indian Runner, qui illustrait la quête existentielle d'un belligérant du Vietnam de retour dans son pays, Sean Penn revient quatre ans plus tard pour nous évoquer avec The Crossing Guard le deuil insurmontable d'un père de famille rongé par la haine et la vengeance.
Avec en tête d'affiche le monstre sacré Jack Nicholson, épaulé du non moins brillant David Morse, mais aussi de seconds rôles féminins peu communs (Angelica Huston et Robin Wright, divines de candeur fluette !), ce drame psychologique s'exacerbe un peu plus au fil d'un cheminement tortueux et indécis. En réalisateur empli d'humanisme, Sean Penn transforme une simple histoire de vengeance en poème opaque auquel les thèmes de la culpabilité, la rancoeur, le pardon et la vengeance sont transcendés par une mise en scène auteurisante réfutant les traditionnelles conventions. Ce face à face poignant entre un père de famille désabusé et un ancien chauffard ivre, responsable de la mort accidentelle de sa petite fille, se déroule de façon inopinée pour mettre en valeur leurs états-d'âme galvaudée. Sa densité narrative est de mettre en exergue le profil torturé de ces deux hommes psychologiquement anéantis par le deuil d'une innocence infantile. Le défunt paternel, habité par la rancune et la haine, se morfond lamentablement dans l'alcool et accumule les conquêtes d'un soir dans un night club de streap-tease avant de daigner commettre l'irréparable ! Alors que le coupable, dégagé de l'équité d'avoir purgé une peine de cinq ans de réclusion, prolonge sa condamnation dans les tourments de la culpabilité et du remord.


Avec l'entremise d'épisodes souvent impondérables, parfois teintées d'ironisme (la cliente hautaine de la bijouterie, la 1ère altercation entre les deux hommes dans la caravane) ou de plages de poésie prude (l'intrusion de Freddy dans la chambre de la fillette asiatique et l'épilogue crépusculaire confiné à un recueillement funéraire !), The Crossing Guard surprend par son iconoclasme et son empathie dépouillée. Comment surmonter son deuil d'avoir perdu sa chair de sang vertueuse et comment trouver la quiétude après sa soudaine disparition inéquitable ? Ce sentiment d'injustice et ce désir de justice expéditive est décuplé par un père de famille chétif, incapable de pouvoir réfréner ses pulsions malsaines liées au trépas punitif.
Si le coupable tente d'entamer de façon aléatoire une liaison amoureuse avec une jeune femme inapte à supporter son poids de culpabilité, sa peur et ses doutes de devoir trépasser sous les balles d'un justicier opiniâtre le contraint malgré tout à se défendre en désespoir de cause.
Sean Penn démontre ici que la victime et le coupable sont étroitement liés dans leurs névroses intrinsèques où culpabilité pour l'un et rancoeur pour l'autre vont les contraindre à s'affronter dans une démarche suicidaire afin de mettre un terme à leur affliction commune.


Emprunt de lyrisme et débordant d'humanisme rédempteur, The Crossing Guard interpelle dans son discours pacificateur imparti au pardon, à contrario de la rancoeur vindicative. Ce drame intense et bouleversant doit également son impact émotionnel grâce à l'interprétation d'illustres comédiens (l'immense Nicholson déambule à la manière d'un fantôme discrédité), sa structure narrative anticonformiste, sa mise en scène gracile et enfin son tube nonchalant, I miss you, interprété par la voix singulière de Bruce Springsteen.

26.06.12. 2èx
Bruno Matéï

lundi 25 juin 2012

Le Monstre est vivant. Prix Spécial du Jury à Avoriaz 1975

                                                                  Photo empruntée sur Google, appartenant au site cinechange.com

"It's Alive" de Larry Cohen. 1974. U.S.A. 1h31. Avec John P. Ryan, Sharon Farrell, James Dixon, William Wellman Jr, Shamus Locke, Andrew Duggan, Guy Stockwell, Daniel Holzman, Michael Ansara, Robert Emhardt.

Récompense: Prix Spécial du Jury à Avoriaz, 1975

FILMOGRAPHIE: Larry Cohen est un réalisateur, producteur et scénariste américain né le 15 Juillet 1941. Il est le créateur de la célèbre série TV, Les Envahisseurs. 1972: Bone, 1973: Black Caesar, Hell Up in Harlem, 1974: Le Monstre est vivant, 1976: Meurtres sous contrôle, 1979: Les Monstres sont toujours vivants, 1982: Epouvante sur New-York, 1985: The Stuff, 1987: La Vengeance des Monstres, Les Enfants de Salem, 1990: l'Ambulance. - Comme Producteur: Maniac Cop 1/2/3. - Comme Scénariste: Cellular, Phone Game, 3 épisodes de Columbo.

Un puissant plaidoyer pour l'amour parental.
Le pitch : une femme accouche d’un bébé monstrueux dans un hôpital. Libéré dans la nature et confiné dans les égouts, le bambin perpétue une vague de crimes. La police locale entame une traque impitoyable, tandis que les parents tentent de déchiffrer leur éventuelle responsabilité.

Gros succès international malgré son échec à sa première sortie U.S. (il ne rencontrera la notoriété qu’après une ressortie trois ans et demi plus tard), Le Monstre est vivant doit beaucoup de son impact émotionnel au thème délicat de l’enfance galvaudée. Car à partir d’une idée incongrue, à la limite du grotesque — un bébé monstre commet une série de meurtres dans une paisible bourgade, qui l’eût cru ? — Larry Cohen extrait un film d’horreur intelligent, dont la force tient à son traitement social, évitant toute surenchère. Là où d’autres cinéastes, plus cupides ou moins scrupuleux, auraient sombré dans le grand-guignol racoleur (il suffit de jeter un œil, même furtif, à l’horripilant remake DTV de Josef Rusnak…), Cohen s’applique au contraire à prendre son sujet à bras-le-corps.


Il en résulte un drame humain à la fois poignant — le cruel épilogue, d’une acuité dramatique rare, provoque une empathie insoupçonnée envers le nourrisson terrorisé —, rigoureux et profondément inquiétant. La culpabilité des parents désemparés, les exactions du bébé, tout concourt à renforcer l’opacité d’une ambiance feutrée. Le prologue anthologique — un accouchement virant à l’horreur pure — en est une parfaite illustration : un médecin ensanglanté trébuche hors de la salle d’opération. Il n’en faut pas plus à Cohen pour véhiculer un climat anxiogène abrupt. Le père, alerté par cette apparition grotesque, se précipite vers la salle et découvre avec effroi l’horrible carnage. Tous les membres du personnel ont été sauvagement mutilés par le nourrisson difforme et carnassier — seule la mère, en état de marasme, a été épargnée. Échappé de l’hôpital, l’enfant sème la terreur et semble vouloir retrouver son cocon parental.
 

Avec une sobriété admirable, et en évitant autant que possible de dévoiler l’apparence du monstre par des plans laconiques, Le Monstre est vivant se transforme en traque implacable orchestrée par les forces de l’ordre. Mais pendant que la police s’acharne, les parents, désœuvrés, se consument dans une culpabilité rongeante. Larry Cohen, avec beaucoup d’humanisme, explore leurs états d’âme, broyés par la honte, la stupeur, l’incompréhension. Leur détresse résonne comme un cri d’impuissance dans une société drastique, amorale — où les médias, en quête de sensationnalisme, s’acoquinent à une police expéditive, incapable de traiter avec nuance le cas d’un monstre infantile privé de lien familial.

Le droit à la différence est ici mis à mal pour mieux dénoncer l’idéologie brutale d’un appareil policier souhaitant étouffer un fait divers dérangeant. L’intrigue, fragile, baigne dans une atmosphère ombrageuse qui vire à l’édifice dramatique quand le père — bouleversé par une compassion déchirante — choisit de ne pas tourner le dos à son rejeton. Quelle puissance d’expression dans le jeu de John P. Ryan, qui magnétise l’écran tout au long du récit ! Le père observe le désarroi de l’enfant, tremblant de peur, et tente de le rassurer, en ultime recours. Pour expliquer la pathologie de cette victime estropiée, Cohen semble pointer du doigt la dérive inquiétante de certains produits pharmaceutiques — notamment la pilule contraceptive, consommée par la mère huit mois avant l’accouchement. (De là à insinuer que Cohen serait contre l’avortement…). 


"Monstre est l’enfant, monstre est le monde".
Métaphore sur l’innocence pervertie, Le Monstre est vivant est une œuvre culte, sacrément couillue, d’avoir su aborder avec tant d’intelligence un thème aussi improbable. Grâce au brio d’un cinéaste capable de sublimer les scénarios les plus absurdes, le film échappe à la routine zédifiante pour devenir un drame puissant, dérangeant, presque inavouable. Cultivant un rythme volontairement languissant mais captivant, cette œuvre forte et bouleversante nous confronte aux choix moraux d’une famille démunie, coincée entre l’acceptation et la démission face au destin de son enfant. Le tout, sous le prisme du droit à la différence et des zones d’ombre de l’avortement, avec en toile de fond la menace insidieuse des médicaments en vente libre.

* Bruno
Dédicace à Isabelle Rocton
18.09.20. 5èx
25.06.12.

vendredi 22 juin 2012

Duel. Grand Prix, Avoriaz 1973

                                                          Photo empruntée sur Google, appartenant au site ivid.it

de Steven Spielberg. 1971. U.S.A. 1h29. Avec Dennis Weaver, Jacqueline Scott, Eddie Firestone, Lou Frizzell, Gene Dynarski, Lucille Benson, Tim Herbert, Charles Seel, Shirley O'Hara, Alexander Lockwood.

Sortie salles France: 21 Mars 1973. U.S: 13 Novembre 1971

FILMOGRAPHIE: Steven Allan Spielberg, Chevalier de l'Ordre national de la Légion d'honneur est un réalisateur, producteur, scénariste, producteur exécutif, producteur délégué et créateur américain, né le 18 décembre 1946 à Cincinnati (Ohio, États-Unis). 1971: Duel , 1972: La Chose (télé-film). 1974: Sugarland Express, 1975: Les Dents de la mer, 1977: Rencontres du troisième type, 1979: 1941, 1981: les Aventuriers de l'Arche Perdue, 1982: E.T. l'extra-terrestre , 1983: La Quatrième Dimension (2è épisode), 1984: Indiana Jones et le Temple maudit, 1985: La Couleur pourpre, 1987: Empire du soleil, 1989: Indiana Jones et la Dernière Croisade, Always, 1991: Hook, 1993: Jurassic Park, La Liste de Schindler, 1997: Le Monde Perdu, Amistad, 1998: Il faut sauver le soldat Ryan Saving Private Ryan, 2001: A.I., 2002: Minority Report, Arrête-moi si tu peux, 2004: Le Terminal , 2005: La Guerre des Mondes, 2006: Munich, 2008: Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal. 2011 : Cheval de guerre. 2012 : Lincoln. 2015 : Le Pont des Espions. 2016 : Le Bon Gros Géant. 2017 : Pentagon Papers. 2018 : Ready Player One. 2021 : West Side Story. 2022 : The Fabelmans. 


A l'origine, Duel est un télé-film réalisé par un jeune novice inconnu, Steven Spielberg, d'après une nouvelle de Richard Matheson. Fort de son succès d'audience à la télévision américaine, le réalisateur décide de rallonger son film de 16 minutes pour pouvoir le diffuser en salles. Le public et la critique sont conquis ! Ce film à petit budget tourné en 12 jours remporte un succès d'estime à travers le monde et se voit même gratifié 2 ans après sa sortie du prestigieux Grand Prix du Festival d'Avoriaz. Ainsi donc, avec un pitch d'une désarmante simplicité (une course effrénée entre deux véhicules routiers à travers les routes de Californie jusqu'à ce que l'un d'entre eux en perde le contrôle), le débutant Steven Spielberg concrétise un modèle de mise en scène et d'efficacité poussée à son paroxysme. Toute l'habileté de cette situation saugrenue digne d'un épisode de la 4è dimension étant impartie à la dimension psychologique de son personnage principal, un employé de commerce en crise conjugale. Durant son périple bucolique à travers les routes clairsemées de la Californie, David Mann (campé par un Dennis Weaver hanté  d'appréhension paranoïde !) va se retrouver confronté à une terrible épreuve de survie dans sa banalité quotidienne. Sous un soleil écrasant, un mystérieux routier dont on ne verra jamais le visage décide de poursuivre inlassablement cet automobiliste alors que son unique vocation semble être un duel machiste jusqu'à ce que mort s'ensuive.


Mené de main de maître par un Steven Spielberg déjà surdoué pour élaborer des séquences virtuoses de courses-poursuites d'une rare intensité (on peut même clairement songer à Mad-Max), Duel est un suspense délétère d'autant plus interlope que nous ne connaîtrons jamais l'identité du routier erratique. Une manière sournoise pour le réalisateur d'alimenter le mystère et ainsi exacerber une situation de crise anxiogène auprès de la victime dépourvue d'assistance. Avec son poids-lourd à combustible rubigineux, véritable monstre d'acier au faciès rugissant, ce conducteur n'aura de cesse de harceler cet employé de commerce déjà contrarié par un conflit familial. Père de famille pudique et inhibé, David devra user de bravoure et vaillance pour se dépêtrer d'un duel infernal entrepris avec cet antagoniste toujours plus intraitable. Et pour accentuer la dimension humaine de la victime réprimandée, Spielberg établit notamment une introspection sur ses pensées intimes gagnées par la paranoïa. De façon intermittente, un monologue nous rappellera que notre automobiliste désorienté est intrinsèquement épris d'une terreur incontrôlée de par l'influence du psychopathe indéfectible. Emaillé de péripéties impromptues parfois spectaculaires et terriblement intenses (l'hallucinante offensive du poids-lourd chez la propriétaire de reptiles ou l'altercation devant la voie ferrée), Duel nous transcende la plus aberrante course-poursuite automobile jamais conçue au cinéma !


A la limite du fantastique irrationnel, Duel est un chef-d'oeuvre immuable d'une puissance narrative et émotionnelle atypique ! Jouant autant avec les nerfs du spectateur qu'avec la victime prise à partie, Steven Spielberg aménage avec des moyens minimalistes un sommet de suspense Hitchcockien d'une efficacité extravagante. Mis en scène avec une précision chirurgicale, ce premier coup de maître d'un authentique magicien du 7 art symbolise notamment non sans originalité une allégorie sur la montée d'une violence routière aliénante plus que jamais actuelle.

*Bruno
22.06.12. 
06.09.24. 5èx. Vostfr

Récompenses: Grand Prix à Avoriaz, 1973
Emmy Awards du Meilleur Montage sonore en 1972

jeudi 21 juin 2012

C'Etait Demain / Time after Time. Grand Prix, Antenne d'Or: Avoriaz 1980

                                                 Photo empruntée sur Google, appartenant au site every70smovie.blogspot.com

de Nicholas Meyer. 1979. U.S.A. 1h52. Avec Malcolm Mc Dowell, David Warner, Mary Steenburgen, Charles Cioffi, Kent Williams, Andonia Katsaros, Patti d'Arbanville, James Garrett, Leo Lewis.

Sortie salles France: 23 Janvier 1980. U.S: 31 Août 1979

FILMOGRAPHIE: Nicholas Meyer est un réalisateur, scénariste, acteur et producteur américain, né  le 24 Décembre 1945 à New-York. 1979: C'était demain. 1982: Star Trek 2. 1983: Le Jour d'Après. 1985: Volunteers. 1988: Les Imposteurs. 1991: Company Business. Star Trek 6. 1999: Vendetta


Londres, 1893. Le célèbre écrivain HG Wells vient de mettre au point une machine à voyager dans le temps. Mais le tueur Jack l'Eventreur réussit à dérober son invention pour se projeter dans un futur beaucoup plus familier pour ses exactions meurtrières. HG Wells décide de le rejoindre afin de tenter de l'appréhender.


Couronné du Grand Prix et de l'Antenne d'Or à Avoriaz, C'était Demain doit sa renommée grâce à un scénario particulièrement ciselé, des personnages finement dessinés et très attachants (euphémisme) et un concept délirant absolument stimulant. Imaginez H.G Wells, illustre romancier de science-fiction, expliquant à ces amis qu'il est le concepteur d'une machine à explorer le temps. Or, parmi l'assemblée, John Stevenson, alias Jack l'éventreur, fait parti des invités et décide de dérober l'engin révolutionnaire pour fuir la police de Scotland Yard. Et HG Wells de s'empresser de le rejoindre dans le monde moderne du vingtième siècle à San Francisco ! Commence alors le début d'une palpitante chasse à l'homme me direz vous ! Oui et non, car de prime abord le réalisateur Nicholas Meyer souhaite privilégier la dimension psychologique de ces protagonistes réfugiés dans notre monde contemporain avili par la banalité d'une violence criminelle. Notamment d'y mettre en exergue le comportement matérialiste de l'espèce humaine tributaire des nouvelles technologies du monde moderne. Alors que Jack l'Eventreur s'épanouit pleinement à perpétrer ses crimes dans cette nouvelle époque dissolue, H.G Wells établit la rencontre d'une ravissante banquière pour amorcer de manière improvisée une relation romantique. Si le réalisateur s'attarde avant tout à nous décrire cette romance vertueuse entre les deux amants, c'est aussi pour nous familiariser à leurs rapports communs et confectionner ainsi un suspense grandissant quant à la sauvegarde de la dulcinée de Wells, prochaine cible de l'éventreur.


Avec sobriété et refus de surenchère, C'était Demain cultive son intérêt auprès d'une structure narrative charpentée mais aussi et surtout auprès de la spontanéité fougueuse des personnages en proie à la passion des sentiments. En romancier avisé revenu de l'époque victorienne, Malcolm McDowell livre une géniale interprétation à la fois timorée, héroïque (en herbe) et fructueuse avec amusante pudeur. Sa posture de détective circonspect affublé d'un look rétro façon Sherlock Holmes, son intégrité et sa passion amoureuse de s'éprendre d'une femme avenante imposant un profil docile pour contraster avec la folie ambiante d'un nouveau siècle régi par l'incivisme, la haine et la violence. Secondé par l'ultra charmante Mary Steenburgen, l'actrice endosse une romantique anachronique éperdument vouée à rencontrer le prince charmant. Sa présence ultra suave, sa voix naturellement lascive (surtout en VO, un pur régal de séduction !), sa douceur de miel et son caractère altruiste insufflant un irrésistible pouvoir de séduction dont H.G Wells et le spectateur sont naturellement contraints d'y céder. Enfin, Jack l'éventreur est incarné par le génialement patibulaire David Warner, absolument magnétique à travers son flegme odieusement délétère. Son hypocrisie arrogante et sa déraison meurtrière caractérisant avec rigueur un tueur impassible, presque mutique lors de ses exactions crapuleuses.


Mené de main de maître par un réalisateur inspiré (notamment auprès de sa réalisation carrée) et pourvu d'une grande intelligence dans sa structure narrative découlant d'une allégorie sur l'infection du Mal par le venin d'une violence en roue libre, C'était Demain n'a rien perdu de son attrait extrêmement communicatif. La densité de son suspense progressif, son humour subtilement cocasse et surtout la dimension prude accordée à la tendre romance confinant au chef-d'oeuvre d'une science-fiction moderne de par l'alchimie de ses genres disparates (comédie, horreur, thriller, science-fiction, romance) impeccablement rodés. 

*Bruno
21.06.12. 
29.05.24. 5èx

Récompenses: Grand Prix et Antenne d'Or à Avoriaz, 1980.