Photo empruntée sur Google, appartenant au site forum.nanarland.com
de John Badham. 1979. U.S.A/Angleterre. 1h49. Avec Frank Langella, Laurence Olivier, Donald Pleasence, Kate Nelligan, Trevor Eve.
Sortie salles U.S.A: 20 Juillet 1979 FILMOGRAPHIE: John Badham est un réalisateur et producteur britannique, né le 25 Août 1939 à Luton. 1976: Bingo. 1977: La Fièvre du samedi soir. 1979: Dracula. 1981: C'est ma vie après tout. 1983: Tonnerre de feu. 1983: Wargames. 1985: Le Prix de l'exploit. 1986: Short Circuit. 1987: Etroite Surveillance. 1990: Comme un oiseau sur la branche. 1991: La Manière Forte. 1992: Nom de code: Nina. 1993: Indiscrétion Assurée. 1994: Drop Zone. 1995: Meurtre en suspens. 1997: Incognito. 1998: Road Movie.
"La Nuit a un Visage : Frank Langella".
Couronné de la Licorne d'Or au Festival du film fantastique de Paris, le troisième long-métrage de John Badham s'inscrit comme une énième transposition du roman de Bram Stoker. Honteusement occulté aujourd’hui, relégué à l’indifférence par une génération oublieuse, Dracula demeure pourtant l’une des plus envoûtantes variations du mythe vampirique. Épris de romantisme lyrique dans la relation sensuelle qu’il noue entre le prince des ténèbres et sa muse, porté par un esthétisme onirique lancinant, ce conte baroque est transcendé par la présence magnétique de Frank Langella, époustouflant de charisme en dandy maléfique. Lorsqu’un navire s’échoue au large des côtes anglaises, une femme recueille l’unique survivant : le comte Dracula, décidé à séduire sa nouvelle maîtresse et engendrer sa race maudite. Après la mort mystérieuse de sa fille, le professeur Van Helsing rejoint le docteur Jack Seward, Jonathan Harker et sa fiancée Lucy pour faire face à l’ombre tapie.
Avec la splendeur d’une photographie désaturée aux teintes sépia et blafardes, John Badham embrasse une ambition formelle rare et livre un spectacle flamboyant mené tambour battant. Déployant des visions poétiques, diaphanes ou limpides, à travers les brumes crépusculaires d’une nature livide ou les alcôves d’un château noyé de bougies, Dracula devient une invitation au voyage jusqu’au bout de la nuit. La puissance de ces images picturales, la richesse de ces décors, la rigueur de la mise en scène, tout participe à un souffle exaltant, porté par des comédiens habités. Laurence Olivier campe un Van Helsing vulnérable, Donald Pleasence incarne un directeur d’asile à la présence secondaire mais touchante, Kate Nelligan s’abandonne à une sensualité trouble pour incarner la maîtresse corrompue, et Trevor Eve offre l’assistance vigoureuse de l’amant téméraire. Mais c’est Frank Langella qui ensorcelle durablement, dans la peau d’un prince des ténèbres à l’élégance inédite. Son regard noir, curieusement voilé, impose un jeu perfide, suave, délétère, accentuant avec un naturel troublant le magnétisme érotique qui nimbe le film.
Jalonné de péripéties haletantes — l’héroïsme pugnace des protagonistes face à l’entité infernale — et d’épisodes insolites — le prologue meurtrier à bord du navire, le tunnel sépulcral creusé sous le cimetière, l’apparition spectrale de Mina ! —, Draculas’embrase aussi d’une sensualité baroque : l’étreinte charnelle des deux amants, baignée dans les lueurs rutilantes d’un crépuscule carmin, atteint un sommet d’érotisme funèbre. Et la traque s’achève sur un point d’orgue d’une cruauté diabolique (et ô combien inventive !) : la mise à mort du vampire, cloîtré dans l’antre métallique d’un navire…
"La Séduction des Ombres".
D’une beauté plastique foudroyante, baignée dans un gothisme épuré, menée de main de maître par un John Badham habité, Dracula est un conte horrifique à la charge romantique envoûtante. L’une des plus belles déclinaisons du mythe — à la fois moderne et archaïque — injustement sombrée dans l’oubli. À (re)découvrir d’urgence.
*Bruno
11.03.13. 4èx
Récompense: Licorne d'Or au Festival du film fantastique de Paris
Photo empruntée sur Google, appartenant au site melonesoldmovie.blogspot.com
de José Ramón Larraz. 1974. Angleterre. 1h27. Avec Marianne Morris, Anulka, Murray Brown, Michael Byrne, brian Deacon, Sally Faulkner, Karl Lanchbury.
FILMOGRAPHIE: José Ramón Larraz, dit parfois Gil, Dan Daubeney ou Watman (né en 1929 à Barcelone en Espagne) est un auteur de bande dessinée et réalisateur espagnol. 1970: l'Enfer de l'Erotisme. 1971: Déviation. 1973: La Muerte Incierta. 1974: Emma, puertas oscuras. 1974: Les Symptomes. (Symptoms/The Blood Virgin). 1974: Vampyres. 1974: Scream... and die ! 1977: Luto Riguroso. 1977: Le Voyeur. 1977: La Fin de l'Innocence. 1978: l'Occasion. 1978: La Visita del vicio. 1979: The Golden Lady. 1979: l'Infirmière a le feu aux fesses. 1980: Estigma. 1981: Las Alumnas de madame Olga. 1981: La Momia Nacional. 1982: Les Rites sexuels du diable. 1983: Polvos Magicos. 1983: Juana la loca... de vez en cuando. 1987: Repose en paix. 1988: Al filo del hacha. 1990: Deadly Manor. 1992: Sevilla connection.
La Chair et le Sang.
Auteur de bandes dessinées, l'espagnol José Ramon Larraz est aussi le cinéaste méconnu de plusieurs longs-métrages quasi introuvables en France comme le souligne le film qui nous intéresse ici. D'ailleurs, l'un de ses premier essais présenté à cannes, Les Symptomes, reste une oeuvre aujourd'hui invisible car faisant partie du Top 10 des 75 films les plus recherchés par le FBI. La même année, il entreprend donc Vampyres, un film d'exploitation alliant sans vergogne sexe et horreur sous un mode auteurisant. Largement occulté depuis des décennies par les spécialistes du genre, cette série B british demeure pourtant une véritable perle d'étrangeté à situer entre le cinéma onirique de Jean Rollin (voir aussi de Jess Franco pour son érotisme à l'orée de la pornographie) et celui, plus trivial, de Norman J. Warren (notamment pour sa dernière partie étonnamment plus violente et gorasse). Ainsi, le scénario linéaire est un prétexte pour aligner des séquences érotico-gores particulièrement corsées. Deux femmes autrefois assassinées par un mystérieux individu reviennent sous l'apparence de vampires pour assassiner les automobilistes égarés. Propriétaires d'un manoir, nos châtelaines entraînent quelques quidams esseulées dans leur gothique demeure pour s'adonner au plaisir de la chair et du sang. Ce qui frappe d'emblée dans ce conte fantasmatique où le temps semble dilué, c'est le soin alloué à l'atmosphère opaque irrésistiblement envoûtante. Tant auprès de sa nature crépusculaire en clair-obscur, de l'intérieur du manoir gothique où les chambres tamisées y prédominent le cadre, ou du sous-sol étroit d'une cave éclairée de bougies. Avec l'apparition onirique de deux beautés charnelles entr'aperçues aux abords d'une forêt mais natives de nulle part, José Ramon Larraz joue la carte de la poésie lascive.
Bien que ce soit l'érotisme ardent qui prédomine toute l'intrigue si bien que ces femmes vampires vêtus de cape noire (mais éludées de canines aiguisées !) occupent leur temps à l'échangisme d'ébats sexuels au sein de leur manoir reculé. La mise en scène soignée palliant la minceur de l'intrigue au gré d'une ambition formelle à façonner un climat d'étrangeté particulièrement prégnant. En prime, la verdeur des attaques sanglantes commises par les lesbiennes sur les mâles démunis s'avèrent davantage cruelles auprès de leur hargne incontrôlée. Superbement campées par Marianne Morris et Anulka (que l'on retrouve par ailleurs quelques décennies plus tard en interview croisé dans le Blu-ray Blue Underground), nos deux nymphettes impudentes parviennent aisément avec un naturel trouble à nous aguicher par leur silhouette voluptueuse, leur regard magnétique et leur poitrine opulente. Les séquences érotiques généreusement explicites accusant une certaine redondance que le spectateur contemple sans jamais se laisser distraire par l'ennui. Leur efficacité renouvelée résultant surtout dans la variante des victimes masculines, dans l'élaboration d'un climat gothique chargé de mystère diffus, dans ses éclairs de violence inopinés et dans le pouvoir de fascination imparti aux maîtresses insatiables avides d'étreintes sanglantes. Spoil !!! Quant au final caustique, il surprend une ultime fois pour sa teneur fantaisiste et son originalité à justifier les motivations revanchardes des vampires réduites à l'état d'ectoplasme comme le sous-entendait son prologue criminel. Fin du Spoil.
Erotisme de la mollesse offerte. En dépit d'un cheminement narratif tantôt elliptique (mais facilement pardonnable de par son vénéneux charme rétro de nos jours révolus), le jeu perfectible de quelques rôles masculins (pour autant attachants) et ces dialogues standards (non préjudiciables), Vampyres fascine, trouble et envoûte sans modération le spectateur plongé dans un enivrant rêve érotico-sanglant régi par des nymphomaniacs ! A découvrir sans hésiter donc auprès des fans d'OVNI indépendant avides d'ambiance ésotérique à la sauce British.
Photo empruntée sur Google, appartenant au site dvdclassik.com
de Werner Herzog. 1972. Allemagne. 1h33. Avec Klaus Kinski, Helena Rojo, Del Negro, Ruy Guerra, Peter Berling, Cecilia Rivera.
Sortie salles France: 26 Février 1975 (Cannes: 16 Mai 1973). Allemagne: 29 Décembre. 1972. U.S: 3 Avril 1977
FILMOGRAPHIE: Werner Herzog (Werner Stipetic) est un réalisateur, acteur et metteur en scène allemand, né le 5 Septembre 1942 à Munich (Allemagne).
1968: Signes de vie. 1970: Les Nains aussi ont commencé petits. 1972: Aguirre, la colère de Dieu. 1974: l'Enigme de Kaspar Hauser. 1976: Coeur de verre. 1977: La Ballade de Bruno. 1979: Nosferatu, fantôme de la nuit. 1979: Woyzeck. 1982: Fitzcarraldo. 1984: Le pays où rêvent les fourmis vertes. 1987: Cobra Verde. 1991: Cerro Torre, le cri de la roche. 1992: Leçons de ténèbres. 2001: Invincible. 2005: The Wild Blue Yonder. 2006: Rescue Dawn. 2009: Bad Lieutenant: escale à la Nouvelle-Orléans. 2009: Dans l'oeil d'un tueur.
"Le Roi des Singes et des Brumes".
Film phare dans la carrière de Werner Herzog, Aguirre est une expérience sensorielle peu commune dans le paysage cinématographique. Filmée dans les décors naturels du Pérou, cette odyssée humaine menée par un mégalomane totalitaire devient une aventure épique de la démesure, un voyage naturaliste hors du temps. Le héros principal, conquistador espagnol gonflé d’orgueil, entraîne ses hommes au cœur d’une jungle hostile, remontant un fleuve en radeau à la recherche d’un Eldorado irréel.
Capté à la manière d’un documentaire contemplatif scrutant faune et flore sous l’ère du XVIe siècle, Herzog nous fait partager l’introspection d’un dictateur convaincu que son destin relève d’une ambition divine. Sa mise en scène expérimentale épouse l’hyperréalisme de l’improvisation : cadrages fixes sur les visages impassibles, caméra à l’épaule pour épier les murmures conspirateurs. On devine les risques encourus par l’équipe technique, les figurants, les comédiens — convoyés de chevaux et de mammifères, progressant à travers des sentiers impraticables, avalés par une végétation féroce. Le tournage fut houleux — comme en témoignent la séquence du radeau pris dans les rapides, ou l’inoubliable prologue aérien où les conquistadors dévalent à pied une montagne noyée de brume —, sans oublier les conflits légendaires opposant Herzog à son comparse furieux, Klaus Kinski.
Habité par son rôle névrosé, ce dernier incarne Aguirre avec une foi maladive : posture de roi orgueilleux, regard halluciné, colère irascible. Sa présence quasi surnaturelle renforce le caractère baroque, insolite, de cette expédition suicidaire hantée par sa propre démence. L’ennemi, invisible, tapi dans l’ombre végétale, frappe sans prévenir, précipitant les colons vers une mort sourde. Le final mystique illustre à merveille l’arrogance d’un homme devenu roi de rien, perdu sur un radeau infesté de singes capucins, poursuivant sa dérive vers une cité d’or chimérique, sans jamais concevoir que la mort l’attend.
"La Jungle aux Yeux Hallucinés".
Illuminé par la musique envoûtante de Popol Vuh et l’interprétation possédée de Kinski, Aguirre est un morceau de cinéma hypnotique, d’une puissance formelle rare. Une expérience sensitive inoubliable, qui transcende la folie intrinsèque de l’homme assoiffé de pouvoir et de gloire. Aguirre, avatar de la dictature fasciste, erre ainsi à jamais, seul roi de sa propre perdition.
Photo empruntée sur Google, appartenant au site filmscoremonthly.com
de Sam Peckinpah. 1978. U.S.A/Angleterre. 1h47. Avec Kris Kristofferson, Ali MacGraw, Burt Young, Ernest Borgnine, Seymour Cassel, Franklyn Ajaye.
Sortie salles France: 16 Août 1978. U.S: 28 Juin 1978
FILMOGRAPHIE: Sam Peckinpah est un scénariste et réalisateur américain, né le 21 Février 1925, décédé le 28 Décembre 1984.
1961: New Mexico, 1962: Coups de feu dans la Sierra. 1965: Major Dundee. 1969: La Horde Sauvage. 1970: Un Nommé Cable Hogue. 1971: Les Chiens de Paille. 1972: Junior Bonner. Guet Apens. 1973: Pat Garrett et Billy le Kid. 1974: Apportez moi la tête d'Alfredo Garcia. 1975: Tueur d'Elite. 1977: Croix de Fer. 1978: Le Convoi. 1983: Osterman Week-end.
Avant dernier film de Peckinpah, Le Convoi est un pur western moderne conçu pour nous divertir avec l'entremise d'un sous-texte social contestataire. Puisqu'ici, le réalisateur s'intéresse à la condition des prolétaires tributaires d'une politique éminemment insidieuse (un gouverneur profite de la renommée d'un routier pour s'attirer la sympathie des ouvriers afin de remporter les élections). Largement sous-estimé depuis sa sortie à cause de son côté décalé et cartoonesque, Le Convoi a considérablement déconcerté une partie du public qui s'attendait à une "horde sauvage" contemporaine. Il s'agit pourtant d'un road movie homérique bougrement jouissif de par sa dérision insolente (les flics sont constamment raillés et à bout de course dans leur désir d'oppression !). Alternant sans répit baston de saloon, cascades et poursuites intrépides, le film est notamment l'occasion de retrouver d'anciens briscards du cinéma de genre comme notre baroudeur Kris Kristofferson, les vétérans Ernest Borgnine et Burt Young ainsi que le charme lascif d'Ally McGraw (toujours sexy dans sa trentaine assumée !).
Bourré d'humour et de péripéties échevelées, le pitch part d'une simple infraction d'excès de vitesse commise par un camionneur notoire sur une route de l'Arizona. A partir de cette altercation avec un flic bourru rempli de rancune, le routier Duck va être contraint de s'exiler vers le Nouveau-Mexique. Seulement, durant sa destination, notre frondeur attise la sympathie d'autres routiers qui décident de le rejoindre pour former une alliance contestataire. De son côté, le flic irascible toujours plus pugnace alerte toutes les forces de police afin de contrecarrer le convoi sauvage multipliant les infractions. Au fil de la notoriété grandissante de Duck, s'attirant notamment la sympathie de la population, un politicard vénal profite de ce mouvement de crise pour s'attirer les votes des prolétaires.
Si le scénario mal structuré et assez improbable se contente d'illustrer une longue traque automobile entre un cow-boy marginal et un shérif imbus de son pouvoir, son sens de l'efficacité, la bonhomie attachante des protagonistes et surtout l'humour débridé qui en émane procurent un spectacle stimulant inévitablement attachant.
Pamphlet contestataire contre l'autorité déloyale au sein d'une Amérique raciste, le Convoi est une forme d'hommage à tous ces routiers exploités par un gouvernement mégalo où seul le pouvoir reste l'unique dessein. Si on pouvait espérer un spectacle plus dense et substantiel de la part de Sam Peckinpah, il n'en demeure pas moins un sympathique moment de détente bourré de dérision et d'action. Un western sur bitume où les gros camions sont pilotés par des trognes aussi téméraires qu'amicales. Shérif fait moi peur n'est pas loin !
de Brian De Palma. 1976. U.S.A. 1h38. Avec Sissy Spacek, Piper Laurie, Amy Irving, Nancy Allen, John Travolta, William Katt, Betty Buckley.
Sortie salles France: 22 Avril 1977. U.S: 3 Novembre 1976
FILMOGRAPHIE: Brian De Palma, de son vrai nom Brian Russel DePalma, est un cinéaste américain d'origine italienne, né le 11 septembre 1940 à Newark, New-Jersey, Etats-Unis. 1968: Murder à la mod. Greetings. The Wedding Party. 1970: Dionysus in'69. Hi, Mom ! 1972: Attention au lapin. 1973: Soeurs de sang. 1974: Phantom of the paradise. 1976: Obsession. Carrie. 1978: Furie. 1980: Home Movies. Pulsions. 1981: Blow Out. 1983: Scarface. 1984: Body Double. 1986: Mafia Salad. 1987: Les Incorruptibles. 1989: Outrages. 1990: Le Bûcher des vanités. 1992: l'Esprit de Cain. 1993: l'Impasse. 1996: Mission Impossible. 1998: Snake Eyes. 2000: Mission to Mars. 2002: Femme Fatale. 2006: Le Dahlia Noir. 2007: Redacted.
Sous l’emprise d’une foi fanatique et la cruauté d’une jeunesse en meute, l’éveil d’une adolescente devient martyre. Brian De Palma transcende l’horreur en tragédie lyrique, livrant avec Carrie un cri de douleur aussi bouleversant que terrifiant — où l’effroi naît du rejet, et la colère du cœur brisé.
Auréolé du Grand Prix à Avoriaz un an après sa sortie triomphante (33 millions de dollars de recettes pour un budget de 1 800 000 !), Carrie demeure sans nul doute l’une des plus puissantes adaptations de Stephen King. Un chef-d’œuvre du fantastique moderne, d’une rare émotivité pour un genre traditionnellement voué à terrifier. Littéralement envoûté par la prestance iconique de Sissy Spacek, incarnant une souffre-douleur timorée, Carrie s’affirme avant tout comme un drame psychologique transplanté dans les arcanes d’une épouvante satanique, orchestrée par une mégère fondamentaliste.
À travers la tragédie de cette lycéenne introvertie, soudainement confrontée à sa puberté et raillée par ses camarades, Brian De Palma sonde les abîmes du fanatisme religieux sous l’emprise d’une mère castratrice. Avec une acuité psychologique bouleversante, il érige une intrigue baroque, fondée sur la télékinésie, que Carrie devra dompter pour exorciser sa colère et accomplir une vengeance démoniale. Alternant le romantisme fragile de sa relation avec son cavalier et le puritanisme dément d’un enseignement maternel dévoyé, De Palma tisse une tension sourde, tiraillée entre compassion fébrile et angoisse rampante.
Toute cette charge de sentiments contrariés — compromis entre l’amour pathologique d’une catholique fanatique et la révolte silencieuse d’une enfant martyrisée — converge vers un suspense hitchcockien au sein du bal de fin d’année… avant l’éruption sanglante de l’enfer.
Si ce drame horrifique conserve intact son pouvoir d’émotion et de fascination, il le doit en grande partie à l’interprétation sensorielle de la révélation Sissy Spacek. D’une sensibilité à fleur de peau, elle incarne avec une grâce funèbre l’effroi d’une adolescente craintive, sans cesse piétinée par les autres. À l’image de cette danse imposée par son cavalier, moment d’étreinte vertigineuse — magnifié par un travelling circulaire — où elle semble enfin s’épanouir dans une gratitude méritée. Mais lorsqu’un acte de moquerie prémédité vient profaner ce fragile apaisement, la stupeur de Carrie, "reine ensanglantée", fait basculer la terreur dans le surnaturel. En face, Piper Laurie incarne à la perfection la mégère dévote, psalmodiant mécaniquement ses versets sacrés avec une ferveur aussi morbide que glaçante.
Un film d’horreur qui fait pleurer, une fois n’est pas coutume. Sublimé par le score envoûtant de Pino Donaggio et la présence gracile, quasi spectrale, de Sissy Spacek, Carrie s’impose comme la quintessence du fantastique contemporain : fusion bouleversante d’émotion meurtrie et d’horreur incandescente, sous le voile d’un fanatisme religieux. Métaphore de la puberté foudroyée, tableau cruel de l’adolescence suppliciée, cette tragédie funèbre s’élève grâce à une mise en scène virtuose, d’une précision hitchcockienne. L’anthologique "bal maudit", en particulier, convoque toute la science du suspense de De Palma, exacerbée par la technique binaire du split screen.
* Bruno 05.03.13. 5èx
Récompense: Grand Prix à Avoriaz et Mention Spéciale pour Sissy Spacek en 1977
de Rachid Bouchareb. 2012. France / Angleterre. 1h46. Avec Sienna Miller, Golshifteh Farahani, Bahar Soomekh, Tim Guinee, Roschdy Zem, Chafia Boudraa.
Récompense: Prix d'interprétation Féminine pour Sienna Miller et Golshifteh Farahani au Festival de la Fiction TV de La Rochelle.
Diffusé le 14 Décembre 2012 sur Arte
FILMOGRAPHIE: Rachid Bouchared est un réalisateur et producteur franco-algérien, né le 1er Septembre 1953 à Paris.
Longs métrages / 1985: Bâton Rouge. 1991: Cheb. 1994: Poussières de vie. 2001: Little Senegal. 2006: Indigènes. 2009: London River. 2010: Hors la loi
Télé-films / 1992: Des Années déchirées. 1997: l'Honneur de ma famille. 2012: Just like a woman.
Deux amies désespérées, l'une américaine, l'autre arabe, décident de quitter leur foyer conjugal pour partir à l'aventure, vers les contrées isolées des Etats-Unis proches de la frontière indienne. Durant leur itinéraire semé de rencontres impromptues, elle vont devoir faire face à l'intolérance et au racisme d'une Amérique puritaine, réfractaire à la religion musulmane. Soudées aux valeurs de l'amitié et de la solidarité, elles décident de rester ensemble pour tenter leur chance vers d'autres horizons.
Un road movie naturaliste transcendé par le talent de deux actrices touchées par la grâce (Sienna Miller et Golshifteh Farahani). De jeunes épouses désemparées au bord du marasme, débordantes de fragilité humaine mais aussi de persévérance dans leur envie de vaincre. La filiation avec Thelma et Louise est évidente (elles sillonnent les routes des Etats-Unis parce que l'une est accusée de meurtre alors que l'autre est trahie par son mari infidèle) mais le réalisateur ne le plagie à aucun moment tant le parcours des héroïnes diffère dans leur requête professionnelle. Illustrant l'amertume de ses aventurières remplies d'humilité, couramment jugées et incriminées par des quidams machistes ou xénophobes, Rachid Bouchareb délivre un superbe portrait de femmes stimulées par la danse orientale. Mais derrière cette fuite en avant, il dresse également un tableau peu reluisant d'une Amérique indépendante engluée dans l'orgueil et l'égoïsme sous le témoignage pacifiste des amérindiens. Les blancs préférant juger l'apparence des étrangers que d'accepter la tolérance pour leur différence culturelle.
Un drame social profondément humain et désenchanté mais aussi une aventure pleine d'espoir pour la postérité de ces femmes soumises, tributaires de mentalités réactionnaires au sein d'un monde en crise identitaire. Préparez vos mouchoirs pour l'épilogue bouleversant, sa conclusion éludant habilement le défaitisme dans la bravoure d'oser défier ces propres responsabilités. Bruno Matéï 02.03.13
Photo empruntée sur Google, appartenant au site space1970.blogspot.com
Télé-film "pilote" de Lee H. Katzin. 1977. U.S.A. 1h32. Avec Patrick Duffy, Belinda Montgomery,Victor Buono, Alan Fudge, Jean Marie Hon, J. Victor Lopez, Robert Lussier, Dick Anthony Williams.
Diffusion d'origine: 4 Mars 1977 - 6 Juin 1978. 1ère diffusion en France: 29 Janvier 1979 FILMOGRAPHIE SELECTIVE: Lee H. Katzin est un réalisateur américain né le 12 Avril 1935 à Détroit, Michigan (Etats-Unis), décédé le 30 Octobre 2002 à Beverly Hills (Californie).
1959: Bonanza (série). 1965: Le Proscrit (série). 1965: Les Mystères de l'Ouest (série). 1966: Brigade Criminelle (série). 1968: Opération vol (série). 1969: Qu'est-il arrivé à tante Alice. 1970: Along came a spider (télé-film). 1971: Le Mans. 1973: Police Story (série). 1974: Chasse Tragique (télé-film). 1976: Alien Attack (télé-film). 1976: The Quest (télé-film). 1977: L'Homme de l'Atlantide (télé-film / Série TV). 1977: Chips (série). 1982: Chicago Story (série). 1984: Deux Flics à Miami (sais 1. Epis 4 et 7). 1985: MacGyver (série. Sais 1, Epis 3/4/5). 1987: Les 12 Salopards, mission suicide (télé-film). 1992: Raven (série). 1992: Le Rebelle (série). 1999! Restraining Order.
Série culte pour toute une génération de spectateurs alors qu'elle fut boudé outre-atlantique, L'Homme de l'Atlantide bénéficia d'une seule saison de 13 épisodes précédée de 4 télé-films.
Mélange de science-fiction et de fantastique militant pour l'écologie, ce feuilleton créé par Herbert F. Solow doit sa réussite à un argument plutôt original, la découverte du dernier homme de l'atlantide ! Des experts en océanographie découvrent sur une plage un homme agonisant qu'ils réussissent à sauver d'une mort certaine. Après l'avoir étudié, il s'agirait d'un humanoïde aquatique pourvu de mains palmés et de yeux fluorescents afin de vivre sous l'eau. Le gouvernement décide de l'exploiter pour une mission de sauvetage. C'est à dire retrouver un appareil de plongée et ses deux occupants ayant disparu du fond de l'océan.
Pour ce premier télé-film, l'Homme de l'Atlantide attise sans peine la sympathie et la curiosité dans sa sobre habileté à nous convaincre que le dernier survivant d'une île mythologique a réussi à survivre depuis des millénaires. Ce qui frappe d'emblée quand on revoit ce pilote (diffusé pour la 1ère fois dans le cadre de la célèbre émission "l'avenir du futur!), c'est l'intégrité à laquelle le réalisateur s'emploie pour nous concocter une intrigue d'espionnage et de science-fiction fertile en suspense et péripéties. En prime, le soin octroyé aux effets spéciaux simplistes (les fameux doigts palmés, la couleur de ses yeux, sa rapidité à nager sous l'eau) s'avèrent crédibles et aussi efficaces que sa structure narrative.
Porté à bout de bras par l'interprétation de Patrick Duffy pour le rôle titre, l'acteur insuffle aisément une présence mutique aussi étrange que réellement attachante. Sa capacité à pouvoir respirer dans l'eau, sa manière de nager comparable à celle du dauphin, son acuité visuelle à pouvoir pénétrer l'obscurité, ainsi que sa force agile nous fascinent de ces exploits surnaturels. A contrario, s'il s'expose plus de 12 heures hors de l'eau, des signes de détérioration apparaissent comme la coloration bleue de l'épiderme. Pire encore, s'il reste entre 12 et 20 heures éloigné de tout environnement aquatique, il souffrira de craquèlement de la peau, d'insuffisance pulmonaire et enfin d'arrêt cardiaque l'entraînant vers l'inéluctable ! Tous ces détails richement documentés par nos scientifiques renforcent donc le caractère crédible du personnage, peu à peu épris d'altruisme pour les êtres humains. En fin de mission, le réalisateur aborde d'ailleurs une réflexion sur la mémoire, notre rapport émotif aux réminiscences et à l'amitié. Mark Harris souffrant d'une légère amnésie va réussir à éprouver de l'empathie puis davantage s'humaniser en se remémorant ces souvenirs les plus intenses par le biais d'une femme attristée de son départ.
Dans le rôle du médecin pacifiste éprise de sentiments pour Mark, le charme docile de Belinda Montgomery ajoute un cachet romanesque à l'aventure même si l'actrice cède parfois à un sentimentalisme un peu trop appuyé dans un final néanmoins émouvant. Enfin, qui pourrait oublier la mémorable apparition de Victor Buono dans celui du savant Schubert. En héritier du capitaine Nemo, l'acteur bedonnant campe avec ironie sardonique un utopiste mégalo planqué à l'intérieur d'un sous-marin pour s'entreprendre d'annihiler la terre. Avec esprit d'arrogance, le comédien éprouve un malin plaisir à s'exclamer de manière mesquine dans une posture totalitaire.
Renouer aujourd'hui avec les aventures de l'Homme de l'atlantide, ne serait-ce que pour distinguer l'implication sincère de ce télé-film pilote, prouve à quel point certaines séries des seventies possédaient cette alchimie à nous faire rêver en toute modestie. L'efficacité de son intrigue habilement troussée, la caractérisation attachante des personnages et surtout la présence magnétique de Patrick Duffy dégagent un charme vintage aussi naïf que mélancolique. A l'écoute de son paisible score musical concocté par Fred Karlin.
Photo empruntée sur Google, appartenant au site torrentbutler.eu
de Larry Cohen. 1976. U.S.A. 1h30. Avec Tony Lo Bianco, Deborah Raffin, Sandy Dennis, Sylvia Sidney, Sam Levene, Robert Drivas, Mike Kellin, Richard Lynch.
Sortie salles France: 11 Juillet 1979. U.S: Novembre 1976
Distinction: Prix Spécial du Jury à Avoriaz en 1977 FILMOGRAPHIE: Larry Cohen est un réalisateur, producteur et scénariste américain né le 15 Juillet 1941. Il est le créateur de la célèbre série TV, Les Envahisseurs.
1972: Bone, 1973: Black Caesar, Hell Up in Harlem, 1974: Le Monstre est vivant, 1976: Meurtres sous contrôle, 1979: Les Monstres sont toujours vivants, 1982: Epouvante sur New-York, 1985: The Stuff, 1987: La Vengeance des Monstres, Les Enfants de Salem, 1990: l'Ambulance.
- Comme Producteur: Maniac Cop 1/2/3.
- Comme Scénariste: Cellular, Phone Game, 3 épisodes de Columbo.
Deux ans après son cultissime Le monstre est Vivant, Larry Cohen continue d'ébranler le public avec beaucoup plus d'impertinence et de provocation dans Meurtres sous contrôle, couronné lui aussi du Prix Spécial du Juryà Avoriaz. Partant d'un pitch scabreux ciblant les doctrines religieuses, cette série B filmée à la manière d'un reportage puise sa force dans l'originalité d'un scénario d'une audace inouïe ! En pleine agglomération new-yorkaise, une multitude d'assassinats gratuits sont commis sur des piétons par des tireurs isolés ! Ces tueurs déterminés ont tous comme point commun d'avoir perpétré leurs actes sous l'allégeance d'une divinité. Puisqu'au moment de leur interpellation, chacun s'est contenté de déclarer: Dieu me l'a ordonné ! Enquêtant sur cette vague de crimes incontrôlés, le lieutenant Peter J. Nicholas part à la découverte d'une horrible révélation !
Film choc à l'atmosphère glauque et dérangeante, Meurtres sous contrôle et le genre d'ovni hybride habité par une entité malfaisante. Pour renforcer son climat de malaise anxiogène, la mise en scène très réaliste exploite judicieusement ses décors urbains pour nous plonger dans les bas fonds new-yorkais peuplé de marginaux et d'individus névrosés ! D'ailleurs, les premiers massacres imposés par les tueurs fous frappent le spectateur, épris de stupeur par son réalisme cinglant pris sur le vif ! Culpabilisant méthodiquement la responsabilité de ces meurtres à Dieu, un sentiment d'inquiétude commence à s'insinuer lentement dans notre esprit au fil de l'investigation policière du lieutenant pratiquant. Sa détermination à daigner découvrir la vérité sur une potentielle conjuration évangélique va notamment lui permettre de renouer avec son étrange passé. Une quête identitaire en somme auquel son enquête va peu à peu remettre en doute sa foi suprême pour l'existence de Dieu. En réalisateur frondeur, Larry Cohen remet donc en cause les croyances religieuses et aborde une réflexion métaphysique sur l'origine de l'existence, le fanatisme ainsi que l'idéologie du bien et du mal. Jalonné de revirements effrayants et de visions oniriques infernales, Meurtres sous contrôle illustrede manière âpre la descente aux enfers d'un homme discrédité de sa véritable identité, car soudainement confronté à une destinée athée.
Habité par la prestance transie d'émoi du méconnu Tony Lo Bianco, Meurtres sous contrôle est un bad trip agnostique auquel le spectateur semble, comme son protagoniste, le cobaye d'une révélation mystique régie par le mal. Dérangeant, malsain et véritablement troublant, ce film culte n'a rien perdu de sa puissance évocatrice, d'autant plus que son thème religieux se révèle plus que d'actualité dans ces moments de discorde obscurantiste. 28.02.13. 3èx Bruno Matéï
Photo empruntée sur Google, appartenant au site archives.hauts-de-seine.net
d'Henri Verneuil. 1974. France/Italie. 2h04. Avec Jean Paul Belmondo, Charles Denner, Adalberto Maria Merli, Jean Martin, Lea Massari, Rosy Varte, Catherine Morin, Jean-François Balmer, Roland Dubillard.
Sortie salles France: 9 Avril 1975 FILMOGRAPHIE: Henry Verneuil (de son vrai nom Achod Malakian) est un réalisateur et scénariste français d'origine arménienne, né le 15 Octobre 1920 à Rodosto, décédé le 11 Janvier 2002 à Bagnolet.
1951: La Table aux crevés. 1952: Le Fruit Défendu. 1952: Brelan d'As. 1953: Le Boulanger de Valorgue. 1953: Carnaval. 1953: l'Ennemi public numéro 1. 1954: Le Mouton a 5 pattes. 1955: Les Amants du Tage. 1955: Des Gens sans importance. 1956: Paris, palace Hôtel. 1957: Une Manche et la belle. 1958: Maxime. 1959: Le Grand Chef. 1959: La Vache et le Prisonnier. 1960: l'Affaire d'une Nuit. 1961: Le Président. 1961: Les Lions sont lâchés. 1962: Un Singe en Hiver. 1963: Mélodie en sous-sol. 1963: 100 000 Dollars au Soleil. 1964: Week-end à Zuydcoote. 1966: La 25è Heure. 1967: La Bataille de San Sebastian. 1969: Le Clan des Siciliens. 1971: Le Casse. 1972: Le Serpent. 1975: Peur sur la ville. 1976: Le Corps de mon ennemi. 1979: I comme Icare. 1982: Mille Milliards de Dollars. 1984: Les Morfalous. 1991: Mayrig. 1992: 588, rue du Paradis.
Gros succès populaire de l'époque, (près de 4 millions d'entrées dans l'hexagone !), Peur sur la Ville est un thriller vertigineux sublimé par la présence de notre Bebel national. L'acteur pugnace multipliant des risques inconsidérés pour l'entreprise de ces cascades non doublées. Opposé à la présence charismatique de l'acteur interlope Adalberto Maria Merli en maniaque borgne, leur confrontation s'avère une incessante course poursuite à travers l'urbanisation de la banlieue parisienne. Produit entre la France et l'Italie, on sent l'inspiration giallesque de son intrigue criminelle illustrant les exactions d'un tueur ganté sexuellement refoulé, et donc délibéré à supprimer les femmes émancipées. Sous couvert de sa pathologie misogyne, Henry Verneuil en profite pour dresser un regard social sur la liberté sexuelle de l'époque lorsque les films pornographiques en ascension envahissaient certaines salles de cinéma.
Pour corser l'investigation policière menée par le commissaire Letellier et épaulé de son bras droit Moissac (Charles Denner, parfait de sobriété en inspecteur flegme), une autre traque leur ait notamment imposée afin d'alpaguer un dangereux braqueur en fuite. A ce titre, l'interminable poursuite échevelée amorcée par nos flicards à travers les ruelles parisiennes bondées d'automobilistes et de piétons demeure un modèle d'efficacité ! Car tentant d'interpeller successivement deux individus en fuite au même instant, l'action redouble d'intensité pour compromettre à nos héros deux itinéraires contradictoires. Un dilemme inespéré jusqu'au moment où Letellier, épris de vengeance, décide de se rétracter pour finalement interpeller le braqueur criminel ! En casse-cou stoïque, Jean Paul Belmondo s'élance également sur les toitures des immeubles, accourt à travers les galeries marchandes et bondit sur les rames de métro avec une persuasion suicidaire ! Passé ce florilège de séquences vertigineuses réalisées avec souci de réalisme et extrême rigueur, Henry Verneuil continue de susciter une angoisse sous-jacente sous le mode opératoire du suspense progressif afin de parfaire les inévitables provocations délétères d'un tueur plutôt finaud.
Rythmé du score haletant d'Ennio Morricone et déployant avec une rare efficacité nombre de péripéties cinglantes lors d'une mise en scène avisée, Peur sur la Ville constitue un classique du thriller et du polar. Un concentré d'action, de suspense et d'angoisse réfutant l'esbroufe gratuite et redoublant d'intensité de par son réalisme inflexible. Enfin, Henri Verneuil n'oublie pas pour autant d'ajouter une certaine dérision chez la verve du duo formé par Bebel et Denner auquel les dialogues ciselés de Francis Veber font mouche.
Photo empruntée sur Google, appartenant au site board.bloodsuckerz.net
de Gilles Béhat. 1984. France. 1h47. Avec Bernard Giraudeau, Christine Boisson, Bernard-Pierre Donnadieu, Michel Auclair, Jean Pierre Kalfon, Corinne Dacla, Nathalie Courval, Jean Pierre Sentier, Jean Claude Dreyfus, Jean-Claude Dreyfus, Jean-Claude Van Damme (figurant, scène d'arrivée dans la police).
Sortie salles France: 4 Janvier 1984
FILMOGRAPHIE: Gilles Béhat (Gilles Marc Béat) est un réalisateur et acteur français, né le 3 Septembre 1949 à Lille (Nord).
1978: Haro. 1981: Putain d'histoire d'amour. 1984: Rue Barbare. 1985: Urgence. 1986: Charlie Dingo. 1986: Les Longs Manteaux. 1988: Le Manteau de Saint-Martin. 1990: Dancing Machine. 1994: Le Cavalier des nuages. 1997: Un Enfant au soleil. 2000: Une Mère en colère. 2009: Diamant 13.
Enorme succès (surprise !) à sa sortie (4,5 millions d'entrées en France !), Rue Barbare provoqua un tollé de la part des critiques bien pensantes, n'y voyant (comme de coutume) qu'un pseudo film d'action se complaisant dans une violence putassière en règle. D'après un roman de David Goodis, Gilles Béhat ne cache pas son inspiration au film de Beinex, la Lune dans le Caniveau, pour transcender le climat insolite d'une banlieue crépusculaire fréquentée par des voyous sans vergogne. Ce qui frappe d'emblée quand on revoit aujourd'hui Rue Barbare, c'est l'onirisme stylisé qui émane d'un quartier glauque totalement livré à la délinquance criminelle. Une véritable faune de rockers délurés occupant les sous-sols des immeubles ou scrutant les ruelles borgnes pour agresser, violer, assassiner les plus démunis sous l'allégeance du leader Matt. Au coeur de cette jungle urbaine en décrépitude, un ancien voyou aujourd'hui reconverti décide de porter secours à une jeune asiatique molestée. Son assistance va sévèrement contrarier son ex ami Matt qui eut envisagé de kidnapper la gamine.
La grandiloquence théâtrale des dialogues, le comportement erratique des marginaux et l'atmosphère fantasmatique qui imprègne le récit nous désarçonnent par son ton résolument décalé, pour ne pas dire atypique. Ainsi, grâce au naturel décomplexé des interprètes, Rue Barbare attise un pouvoir de fascination irrémédiable ainsi qu'une empathie octroyée à l'errance désenchantée d'un ancien rebelle contrarié par la repentance et la vengeance. Un homme solitaire co-habitant parmi la présence de sa famille et de son épouse au sein d'un appartement sordide, mais épris d'affection pour une ancienne idylle corrompue. Pour incarner ce rôle, Bernard Giraudeau réussit admirablement à insuffler une densité humaine mêlée de désespoir lors de ses décisions indécises à prémunir son honneur et sa tendresse impartie aux deux femmes. En compagne esseulée assujettie à l'autorité de Matt, Christine Boisson incarne un superbe portrait de femme versatile au caractère bien trempé, notamment auprès d'une sensualité torride à travers sa silhouette longiligne. En mafieux corrompu par sa haine orgueilleuse, l'imposant Jean Pierre Donnadieu magnétise l'écran d'une manière insidieuse afin d'imposer son autorité déloyale à ses sbires désoeuvrés. Tous les autres seconds rôles qui jalonnent le récit accordent autant de crédit et adoptent également une posture extravagante (parfois caricaturale aussi !) dans leur condition dépravée de délinquants en perdition. Pour parachever, un dernier mot sur l'ultime confrontation physique allouée aux deux antagonistes qui aura fait couler tant d'encre à l'époque de sa sortie. Un combat de corps à corps d'une sauvagerie inouïe car perpétré à mains nues, coup de chaîne, barre de fer et poing américain ! Point d'orgue chorégraphique de violence barbare à l'intensité plutôt crue et sanguinolente ! (les visages tuméfiés transpirent de sang et de sueur).
Soutenu de la musique envoûtante de Bernard Lavilliers, Rue Barbare est un film inclassable illustrant d'une manière toute personnelle l'insécurité envahissante des quartiers défavorisés, là où toute présence policière demeure illusoire. Son onirisme poétique et l'ambiance insolite qui s'y dégagent préservent une oeuvre étrange ancrée dans les années 80 auquel son look rétro dégage un charme proprement singulier.
Photo empruntée sur Google, appartenant au site alapoursuitedu7emeart.over-blog.net
de Roar Uthaug. 2012. Norvège. 1h18. Avec Isabel Christine Andreasen, Ingrid Bolso Berdal, Milla Olin, Hallvard Holmen, Kristian Espedal.
FILMOGRAPHIE: Roar Uthaug est un réalisateur, scénariste et producteur norvégien, né le 25 Août 1973 à Lorenskog dans le comté d'Akershus en Norvège. 1994: En aften i det gronne. 1996: DX13036. 1998: A fistful of kebab. 2002: Regjeringen Martin. 2006: Cold Prey. 2009: Le secret de la Montagne Bleue. 2012: Flukt.
Uniquement connu dans l'hexagone pour son dyptique Cold Prey, excellents slashers norvégiens à l'ambiance réfrigérante, Roar Uthaug s'essaye au genre médiéval avec Flukt (en français: l'échappée). Film d'aventures épique sublimé par la splendeur de ces décors naturels dans une photo immaculée, le réalisateur emprunte à nouveau le schéma du survival pour retracer la traque impitoyable d'une orpheline poursuivie par une leader pugnace et ses sbires barbares. Le pitch: Après avoir massacré sous ses yeux sa famille qui tentait de fuir la peste noire, la guerrière Dagmar prend en otage son unique survivante, Signe, jeune fille de 19 ans. Avec l'aide du rejeton de la mégère, Signe réussit à se défaire de son cordage pour prendre communément la fuite à travers bois. Le début d'une traque sans relâche commence afin de retrouver en vie la petite Frigg et sacrifier la fugitive.
Ainsi, à travers un script entièrement consacré à la quête vengeresse, Roar Uthaug entreprend un film d'aventures haletant dont l'intensité émotionnelle s'avère l'une de ses qualités prégnantes. Car si l'histoire se révèle assez simpliste, la densité psychologique des personnages motivés par la haine et la rancune y apporte une dimension humaine ambivalente. Véritable réflexion sur la vengeance, Flukt demeure ainsi une odyssée homérique où les bons et les méchants ne font plus qu'un à travers leur psychisme tourmenté. Et si de prime abord, la prédatrice nous apparaît comme une guerrière barbare éludée de vergogne, son passé torturé nous permettra de mieux comprendre ses tenants et aboutissants actuels. Du point de vue de la jeune victime incessamment poursuivie, Signe empruntera le même cheminement vindicatif tout en préservant toutefois une humilité de par son humanisme déchu. Or, cette confrontation intense inscrite dans la tragédie convergera vers une traque palpitante jalonnée de sauvages altercations entre rivaux, mais aussi de moments intimistes pleins de pudeur. C'est dans cette relation amicale et maternelle entretenue avec Signe et Frigg que le réalisateur instaure une inévitable empathie pour ces filles démunies. Et donc, avec une émotion candide, les thèmes des valeurs familiales, de la solidarité, de la confiance et du respect d'autrui nous sont abordés du point de vue de l'innocence bafouée.
D'un réalisme âpre et d'une sauvagerie épique, Flukt est surtout une aventure humaine inscrite dans la dignité féminine pour le refus de subvenir à une barbarie régressive. L'intensité émotionnelle des personnages incessamment confrontés à la notion de bien et de mal parachevant un survival initiatique compromis à la fraternité et à la quête familiale.
"Squirm" de Jeff Lieberman. 1976. U.S.A. 1h33. Avec Don Scardino, Patricia Pearcy, R.A. Dow, Jean Sullivan, Peter MacLean, Fran Higgins.
FILMOGRAPHIE: Jeff Lieberman est un réalisateur et scénariste américain, né en 1947 à Brooklyn, New-York. 1972: The Ringer (court-métrage). 1976: Le Rayon Bleu. 1976: La Nuit des Vers géants. 1980: Doctor Franken (télé-film). 1981: Survivance. 1988: Meurtres en VHS. 1994: But... Seriously (télé-film). 1995: Sonny Liston: The Mysterious life and death of a champion (télé-film). 2004: Au service de Satan.
Plutôt discret et peu lucratif, Jeff Lieberman aura tout de même marqué une génération de cinéphiles avec trois séries B mineures mais plutôt originales, attachantes, captivantes, immersives, dépaysantes. Et si Survivance reste à ce jour son film le plus convaincant (en priorité au niveau de son ambiance anxiogène littéralement magnétique), notre petit maître du fantastique eut entrepris en 1976 (la même année que l'étonnant leRayon Bleu), une production fauchée au concept délirant. Imaginez un peu une invasion de vers gluants (le titre français est tout à fait trompeur pour laisser sous entendre qu'ils sont atteints d'une taille irréelle !) après qu'un orage eut entraîné une panne d'électricité dans une bourgade champêtre. Plusieurs pylônes ayant été saccagés par la violence de la tempête, certains câbles s'y sont détachés pour extraire des décharges électriques sur le sol terreux. Dès lors, les vers sont atteints de folie meurtrière ! Mais bien avant cette inévitable invasion, un jeune couple sera témoin d'étranges évènements en lien direct avec les vers ! Avec un pitch aussi improbable que saugrenu, la Nuit des vers géants joue la carte de la pantalonnade grand guignolesque avec une conviction pittoresque (et c'est d'ailleurs parfois même délibéré !). La psychologie sommaire des comédiens déversant des tirades incohérentes laisse souvent place à un humour involontaire particulièrement attrayant. Tels ses multiples entretiens que nos deux héros sont contraints d'établir avec le shérif du coin pour tenter de le convaincre que les morts inexpliqués sont bien la cause d'une attaque de lombrics !
Un cliché éculé qui fonctionne encore au second degré grâce au surjeu des acteurs franchement (et étonnamment) attachants. Il y a aussi l'apparition grotesque d'un troisième personnage, un paysan déficient empli de jalousie maladive pour la compagne du héros. Un élément perturbateur finalement véreux occasionnant des conflits puérils impartis au triangle amoureux. Entre une conquête amoureuse et la découverte macabre de cadavres décharnés, il faut avouer qu'il ne s'y passe pas grand chose, nos trois témoins déambulant dans une campagne hostile durant une journée solaire. Pour autant, on ne s'ennuie jamais grâce à la bonhomie de ces protagonistes se prêtant au jeu du délire outré avec une conviction avenante lors de leur investigation fantaisiste bâti sur l'amateurisme. Il faudra ainsi attendre la nuit pour que l'attaque escomptée ait enfin lieu (les vers ne supportant pas la lumière du jour !) lors d'un final de 30 minutes aussi jouissif que très impressionnant ! Mais bien avant ces bravoures anthologiques résolument visqueuses, quelques estocades horrifiantes retiennent l'attention comme cette séquence explicite illustrant en mode focale des vers s'infiltrant sous la peau du visage de l'arriéré du village ! Un effet viscéral très efficace auquel les maquillages supervisés par Rick Backer s'avèrent particulièrement spectaculaires de par son réalisme épidermique. Et pour renforcer le caractère crédible de cette répugnante invasion, le réalisateur n'hésitera pas à utiliser de véritables invertébrés déployés en masse afin d'y provoquer une stupeur viscérale chez le spectateur. Ainsi, et j'insiste à nouveau, l'ultime demi-heure échevelée illustrant des milliers de lombrics s'infiltrant dans les parois des maisons et du bar du coin demeure infiniment fascinante à travers ses visions cauchemardesques vues nulle part ailleurs ! Effet répugnant garanti !
Les vers étaient gluants cette nuit-là ! Maladroit, naïf et sciemment simpliste à travers son parti-pris de B movie du samedi soir, mais irrésistiblement attachant et bougrement bonnard pour les cintrés de nanar débridé, La nuit des vers géants constitue une perle du genre auquel certaines séquences couillues ne manquent pas d'y provoquer une véritable révulsion viscérale ! Très fun, voir jouissif donc si bien qu'à la revoyure la Nuit des vers géants s'avère encore plus charmeur qu'à l'époque de sa location VHS. Qu'on s'le dise !