dimanche 4 mai 2025

American Mary

                                                    
                                          Photo empruntée sur Google, appartenant au site Imdb.com

de Jen Soska et Sylvia Soska. 2012. Canada. 1h42. Avec Katharine Isabelle, Antonio Cupo, Tristan Risk, David Lovgren, Paula Lindberg, Clay St. Thomas.

FILMOGRAPHIE: American Mary est le premier long-métrage des soeurs Soska. 2019: Rage. 

                               American Mary — La chair triste se tend sous les attouchements. 

Il est des films comme des cicatrices : ils marquent, ils fascinent, ils déroutent, ils racontent au-delà de la douleur. American Mary, étrange orchidée noire poussée dans les recoins glauques de la chirurgie clandestine, est de ceux-là. Une œuvre signée des sœurs Soska, jumelles de l’ombre, qui filment avec un oeil chirurgical le parcours déroutant d’une jeune femme engloutie par les promesses toxiques de son propre talent.

Mary Mason, incarnée par une Katharine Isabelle magnétique, presque spectrale, est d’abord étudiante en médecine. Prometteuse, brillante, droite — mais la ligne de flottaison cède vite, et c’est dans un univers parallèle, fait de chairs refaçonnées et de corps déterritorialisés, qu’elle se métamorphose. Le scalpel devient pinceau, la clinique, théâtre. Et sous ses doigts, la monstruosité devient poétique.

La mise en scène, froide et fétichiste, épouse l’ambiguïté morale du récit sans jamais chercher à rassurer. Il n’y a pas ici de catharsis attendue, pas de leçon de morale. Juste une plongée dans l’abîme intime d’une femme qui reconquiert son corps et son pouvoir au prix de toute rédemption. C’est un conte baroque, sensuel, cruel, où la vengeance se confond avec l’art, où l’éthique se dissout dans l’esthétique.

Ce qui frappe, c’est la beauté presque irréelle de certaines scènes — tableaux vivants baignant dans une lumière glauque, comme si l’on filmait l’intérieur d’un rêve anesthésié. Les Soska, loin du sensationnalisme facile ou de la complaisance (même si parfois on l'effleure peut-être un tout petit peu), sculptent une mythologie féminine de la transgression. Leur regard est complice, précis, respectueux même dans l’horreur.

Katharine Isabelle incarne Mary avec une intensité troublante, presque hypnotique — un mélange de froideur clinique et de vulnérabilité muette. Elle traverse le film comme une ombre souveraine, tenant tête à l’horreur sans sombrer dans la caricature. Bien au contraire puisqu'elle hante au-delà du générique. Son jeu, tout en retenue et en regards lestement perçants, donne à Mary de la densité féministe : ni héroïne, ni victime, mais une énigme charnelle, sculptée par le trauma et la volonté de s'imposer. Elle est à la fois chirurgienne et œuvre d’art, prédatrice et martyre, et c’est cette dualité qui fait toute la force de son étrange interprétation.

American Mary est un cri mutique, un requiem pour les corps trop regardés, trop touchés, trop jugés. C’est aussi une ode au corps (érotisé ici avec une élégance charnelle) comme langage, comme affirmation, comme tragédie. Un rape and revenge sous bistouri qui blesse, déconcerte, interroge (notamment lors de son évolution narrative ambiguë de ne savoir dans quelle direction on nous dirige) et envoûte, où chaque point de suture semble refermer une vérité interdite. 
Une série B mal élevée, immorale érigée sous le moule de la farce, de la satire sardonique afin d'y brocarder les machistes égrillards.

11.04.13.
04/05/25. Vost

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