Photo empruntée sur Google, appartenant au site arte.tv
de Bob Clark. 1974. Canada. 1h38. Avec Olivia Hussey, Keir Dullea, Margot Kidder, John Saxon, Andrea Martin, Marian Waldman.
Sortie salles Canada: 11 Octobre 1974. U.S: 20 Décembre 1974 FILMOGRAPHIE SELECTIVE: Bob Clark est un réalisateur, scénariste, acteur et producteur américain, né le 5 Août 1941 à La Nouvelle-Orléans, en Louisiane (Etats-Unis), décédé le 4 Avril 2007 à Pacific Palisades, en Californie. 1966: The Emperor's New Clothes. 1967: She-Man. 1972: Children Shouldn't play with dead things. 1974: Le Mort-Vivant. 1974: Black Christmas. 1979: Meurtre par décret. 1980: Un Fils pour l'été. 1982: Porky's. 1983: Porky's 2. 1983: A Christmas Story. 1984: Rhinestone. 1985: Turk 182 ! 1987: From the Hip. 1990: Loose Cannons. 1995: Derby (télé-film). 1999: P'tits génies. 2004: SuperBabies.
"Le grenier aux murmures".
Pièce fondatrice du psycho-killer, Black Christmasdétourne les codes du genre horrifique avec une perspicacité peu commune, une mise en scène affûtée s’opposant aux conventions par son originalité et son sens de la dérision macabre.
Partant de ce simple postulat - des étudiantes d’une résidence harcelées au téléphone par un psychopathe et disparaissant une à une sous l’autorité perplexe de la police - Bob Clark érige son suspense de façon circonspecte, le laissant sourdre jusqu’à un crescendo suffocant. L’idée retorse, génialement exploitée, veut que le tueur se tapisse à l’endroit même où logent ses proies : une stratégie perfide pour mieux les piéger et accomplir impunément ses exactions. Planqué dans le grenier, après avoir massacré deux locataires, il ne cesse d’importuner ses proies au téléphone, attendant l’instant propice pour frapper à nouveau. Alors que police et badauds imaginent le meurtrier en maraude dans le blizzard, lui perpétue son rituel, ricanant à travers ses appels - divagations verbales d’une tonalité tantôt goguenarde, tantôt stridente, qui glacent le sang.
Ce harcèlement téléphonique, nouvelle trouvaille, Bob Clark l’exploite avec une ingéniosité diabolique pour distiller l’anxiété sans recourir aux artifices balisés. Qui plus est, la présence fantomatique du tueur, insinuée par la caméra subjective, exacerbe l’inquiétude et l’insécurité régnant au sein du huis clos. La manière dont il abat ses victimes sans jamais se faire prendre séduit par son comportement studieux, méthodique, insaisissable. Autre astuce macabre : la première victime, figée à une fenêtre du grenier, guette le monde de son œil de verre - et nul, parmi la police ou les passants, n’aura la curiosité de lever la tête !
Côté mise à mort, Clark innove sans esbroufe : il privilégie la concision, la stylisation, hérité du giallo — comme en témoigne la mise à mort onirique de Barbara, engloutie par le sommeil. Toujours prêt à briser ses propres codes, il parsème l’horreur de séquences délicieusement pittoresques : ainsi ce duo de flics pris d’un fou rire, raillant un collègue incapable de saisir le mot « fellation ». Puis, de manière exponentielle, Clark culmine un final terrifiant où les rebondissements manipulent sans vergogne et nous laissent, hagards, à scruter le sort de la dernière survivante - et l’identité, pour toujours incertaine, du monstre tapi dans l’ombre.
"Le Sapin a les boules."
Précurseur de Halloween, Terreur sur la ligne et d’une kyrielle d’ersatz, Black Christmas transcende le psycho-killer par un sens du suspense méticuleux, à l’efficacité intacte. Chef-d’œuvre atypique, d’une modernité insoupçonnée dans sa mise en scène roublarde, il demeure un divertissement horrifique qui, un demi-siècle plus tard, n’a pas pris une ride. *Bruno 16.01.24 — 3èx. Vostfr
Récompense: Prix de la meilleure actrice pour Margot Kidder et meilleur montage son pour Kenneth Heeley-Ray, au Canadian Film Awards, 1975.
Photo empruntée sur Google, appartenant au site peoplearecrying.blogspot.com
de Jack Clayton. 1961. Angleterre. 1h40. Avec Deborah Kerr, Michael Redgrave, Peter Wyngarde, Megs Jenkins, Pamela Franklin.
Sortie salles France: 16 Mai 1962
FILMOGRAPHIE: Jack Clayton est un réalisateur, producteur et scénariste anglais, né le 1er mars 1921 à Brighton, décédé le 26 Février 1995 à Slough (Royaume-Uni). 1959: Les Chemins de la haute ville. 1961: Les Innocents. 1964: Le Mangeur de Citrouilles. 1967: Chaque soir à 9 heures. 1974: Gatsby le magnifique. 1983: La Foire des Ténèbres. 1987: The Lonely passion of Judith Hearne. 1992: Memento Mori (télé-film).
Le doute comme unique vérité.
Quintessence du cinéma fantastique pur et dur, dans ce qu’il a de plus éthéré et abrupt, Les Innocentsest un cauchemar sur pellicule que le cerveau encaisse comme une épreuve de force. Modèle d’écriture ciselée, entièrement vouée à la psychologie torturée de ses personnages, Les Innocents emprunte aux thèmes de la hantise, de la possession et de l’enfant maléfique avec une force de persuasion sans égale.
C’est dans le pouvoir de suggestion que Jack Clayton se surpasse pour orchestrer une histoire démoniaque, où deux enfants espiègles seront sévèrement réprimandés par leur nouvelle gouvernante. Persuadée qu’ils sont les vecteurs d’une malédiction invoquée par leur ancien valet de maison, elle apprend, par la nourrice, que ce dernier — prénommé Quint — a trouvé la mort dans un accident douteux lié à son ébriété. Plus troublant encore : Miss Jessel, ancienne gouvernante, est elle aussi décédée subitement après une liaison particulièrement licencieuse avec Quint.
Face à l’insolence croissante des enfants et à leur comportement interlope, Miss Giddens, la nouvelle maîtresse de maison, est convaincue qu’ils sont possédés par les fantômes des deux amants. Ses soupçons se cristallisent dès l’instant où elle aperçoit à plusieurs reprises leurs silhouettes tapies dans la maison ou rôdant près du parc…
Ce scénario charpenté, Jack Clayton le maîtrise avec une rare subtilité, distillant une angoisse tangible, un malaise diffus qui ne laisse jamais le spectateur en paix.
Épaulé par la photographie en clair-obscur du grand Freddie Francis, les jeux d’ombre et de lumière accentuent le sentiment d’insécurité latente, enfouie dans les murs mêmes de cette demeure victorienne.
En jouant sur le gothique intimiste des pièces closes et sur le regard angélique de bambins prétendument innocents, le réalisateur installe un climat malsain, suffocant, à mesure que la gouvernante s’abandonne à la certitude qu’une force obscure s’est emparée de leurs âmes.
Mais la grande force du récit réside dans sa manière de faire vaciller notre propre perception. Miss Giddens, femme noble issue d’une éducation puritaine, est aussi le miroir d’une subjectivité névrosée, où la sensibilité se mue peut-être en délire de persécution. Faute de preuves tangibles, faute de ce comportement trop maîtrisé des enfants, et face aux visions spectrales qui colonisent son esprit, elle pourrait n’être que la victime de son autosuggestion… Une fanatique, prête à purifier ces êtres prétendument souillés par la perversion.
L’innocence est un mensonge.
Dérangeant, anxiogène, perturbant, Les Innocents est un cauchemar implacable, d’une puissance émotionnelle trouble, d’une cruauté tragique, dont le point d’orgue nihiliste confine au traumatisme — pour mieux hanter notre mémoire par son irrésolution.
Son climat est d’autant plus déstabilisant qu’il pervertit la candeur enfantine et fissure la conviction d’une gouvernante (Deborah Kerr, bouleversante, transie d’émoi, le regard exorbité), rongée par la paranoïa… ou peut-être par un refoulement sexuel larvé.
Un joyau d’une noirceur insondable, si bien que la vérité ne nous sera jamais offerte. Henry James lui-même refusa d’éclairer le moindre indice, interdisant à jamais la démystification — qu’il s’agisse de Miss Giddens, des enfants, ou des amants d’outre-tombe. Génuflexion.
*Bruno
3èx
Récompense: Prix Edgar-Allan-Poe du Meilleur scénario
Photo empruntée sur Google, appartenant au site Notrecinema.com
de James Gray. 2013. U.S.A. 1h57. Avec Joaquin Phoenix, Marion Cotillard, Jeremy Renner, Dagmara Dominczyk, Angela Sarafyan, Antoni Corone.
Sortie salles France: 27 Novembre 2013
FILMOGRAPHIE: James Gray est un réalisateur, scénariste et producteur américain, né en 1969 à New-York.
1994: Little Odessa. 2000: The Yards. 2007: La Nuit nous appartient. 2008. Two overs. 2013: The Immigrant.
Cinq ans après Two Lovers, James Gray renoue avec le mélo afin de transposer The Immigrant, l'histoire douloureuse de deux soeurs polonaises fuyant leur pays pour accomplir le rêve américain après la première guerre mondiale. Arrivée à New-York, l'une d'elles est arrêtée par la police à cause de sa tuberculose et se voit admise dans un hôpital. Mais le jour de leur arrivée, l'aînée rencontre un gentleman affable décidé à lui venir en aide. En attente d'être prochainement expulsées, Ewa tente de trouver l'argent nécessaire pour sauver sa soeur mais se retrouve embarquée dans un réseau de prostitution.
Drame romantique dominé par la présence divine de Marion Cotillard, The Immigrant tire parti de son interprétation et des rapports équivoques qu'entretiennent le couple Ewa et Bruno, ce dernier s'avérant un insidieux maquereau. Si de prime abord, Ewa n'éprouve que du dégoût pour ce personnage sans scrupule et pour sa condition de prostituée, leur relation va peu à peu évoluer depuis que Bruno osera avouer ses sentiments. Avec l'intrusion du cousin Orlando, magicien de cabaret beaucoup plus intègre et tout aussi décidé à conquérir le coeur d'Ewa, on imagine que l'intrigue s'articulera autour d'un triangle amoureux, quand bien même un évènement inopiné va remettre en cause notre hypothèse. A travers cette liaison romantique inappropriée, James Gray brosse le portrait d'un anti-héros rongé par ses démons et sa médiocrité, mais rattrapé par une prise de conscience en quête de rédemption. Face à l'autorité de ce maître chanteur, Ewa nous retransmet son désarroi d'une femme humiliée gagnée par la honte et partagée entre le dilemme de deux hommes aux moralités contradictoires. Avec fragilité humaine, Mario Cotillard livre une fois de plus une interprétation magistrale pour incarner une immigrante timorée à la noble dignité lorsqu'il s'agit de s'opposer à l'injustice afin de sauvegarder l'existence de sa soeur.
Si l'intrigue manque inévitablement d'intensité émotionnelle dans sa dramaturgie imposée et dans la caractérisation de certains personnages (les rapports de force qu'entretiennent Bruno et Orlando ne s'avèrent pas très convaincants dans leur conflit d'autorité), la réalisation s'avère suffisamment compétente et soignée (la reconstitution d'époque est criante de vérité et la photo ocre illumine sa scénographie séculaire !) pour s'y laisser convaincre. Porté à bout de bras par le talent sobre de Marion Cotillard mais secondé par la présence cabotine de Joaquin Phoenix (sa confession finale invoquée à Ewa inspire l'outrance), The Immigrant réussit tout de même à nous séduire afin de nous impliquer dans leur idylle impossible.
Photo empruntée sur Google, appartenant au site Notrecinema.com
de Bong Joon-ho. 2013. France/Etats-Unis/Corée du Sud. 2h06. Avec Chris Evans, Song Kang-ho, Ed Harris, John Hurt, Tilda Swinton, Jamie Bell, Octavia Spencer, Ewen Bremner.
Sortie salles France: 30 Octobre 2013. Corée du Sud: 1er Août 2013
FILMOGRAPHIE: Bong Joon-ho est un réalisateur et scénariste sud-coréen, né le 14 Septembre 1969 à Séoul.
2000: Barking Dog. 2003: Memories of Murders. 2006: The Host. 2009: Mother. 2013: Le Transperceneige.
Tiré d'une bande dessinée française, Snowpiercer renouvelle le film d'action avec une originalité sans égale, le réalisateur exploitant le décor d'un train avec autant de créativité (sa configuration hybride) que d'intelligence pour la peinture de son microcosme où l'inégalité des classes va imploser. En 2031, après le réchauffement climatique de la planète qui aura provoqué un cataclysme, l'humanité est devenue un glacier de désolation. Seuls, une poignée de survivants réfugiés à bord d'un train sont contraints de faire le tour du monde pour sauvegarder leur vie et entretenir le fonctionnement du convoi. Alors que les plus riches, installés dans les premiers compartiments, mènent une existence édénique, les pauvres sont parqués dans les dernières cabines insalubres pour être réduits à l'esclavage et la malnutrition. Mais leur leader Curtis et ses acolytes sont prêts à mener une sédition afin de pouvoir accéder à la "machine" gérée par le dictateur Wilford.
Réflexion écolo sur le réchauffement climatique, pamphlet sur l'inégalité des classes sociales auquel les riches exploitent les plus faibles afin de mener une existence prospère, Snowpiercerredore le blason du film d'action avec méditation, épaulé du charisme buriné (ou excentrique !) de personnages opiniâtres. Alternant moments de bastonnades et gunfights stylisés (ralenti à l'appui !) aussi cinglants que barbares, ce survival réfrigérant tire parti de son décor ferroviaire avec un sens esthétique confinant parfois à la féerie (l'aquarium géant, le jardin des plantes, la piscine). Chaque compartiment du train révélant aux yeux de nos héros un nouveau décor insolite quand bien même une frange de population y cohabite en harmonie. A l'instar d'un jeu-video, nos héros sont donc contraints d'avancer avec prudence vers une nouvelle cabine pour déjouer l'hostilité de tueurs intraitables. Sans jamais se répéter et se laisser piéger par l'esbroufe, le réalisateur improvise ses scènes d'action avec intensité et refus de concession pour la survie de nos héros (n'importe lequel d'entre eux pouvant trépasser à tous moments !). C'est donc un véritable parcours du combattant que vont devoir affaire Curtis et sa troupe avec un sens du courage déterminé. Outre le caractère spectaculaires des offensives déloyales (nombre de stratégies perfides leur sont souscrits), Bong Joon-ho accorde autant d'intérêt à la dimension humaine de ces protagonistes (leur épreuve de force pour la survie et celle de la liberté, la remise en cause du héros) qu'à sa progression narrative incessamment surprenante (rebondissements en diable et intrusion inopinée de nouveaux antagonistes avant la confrontation attendue avec Wilford). Qui plus est, avec une amertume désespérée où l'être humain est assigné à reproduire les mêmes erreurs dans sa cupidité et son profit, le réalisateur transcende la destinée d'un héros ordinaire profondément fragilisé de sa condition d'opprimé. Enfin, Snowpiercer est notamment une réussite formelle dans la retranscription d'un univers post-apo où les effets spéciaux numérisés s'avèrent souvent stupéfiants de réalisme (je tairais d'ailleurs le caractère dantesque de son épilogue à bout de souffle !).
Généreux en diable, violent, intense, original et furieusement excitant, Snowpiecer transcende le mode du film d'action en accordant autant de place au facteur humain des enjeux dramatiques qu'au caractère spectaculaire des affrontements aléatoires. Avec une belle densité psychologique, il ne manque pas de nous interpeller sur sa condition sociale d'un régime despotique où l'enfant martyr paye une fois de plus le lourd tribut de la barbarie de l'homme. Celle de l'indépendance liée à la loi du plus fort, vecteur de survie pour accéder à la première place. Une référence du film d'action et un classique à en devenir !
Bruno Matéï
La critique de Yannick Dahan: https://www.youtube.com/watch?v=vZedrpiWGIk
Récompenses:
Grand Bell Awards 2013: Meilleur décorateur (Ondrej Nekvasil), Meilleur monteur (Choi Min-yeong et Kim Chang-joo).
Korean Association of Film Critics Awards 2013: Meilleur film, Meilleure réalisateur (Bong Joon-ho)
Meilleur directeur de la photographie (Hong Kyung-pyo).
Blue Dragon Film Awards 2013: Meilleur réalisateur (Bong Joon-ho), Meilleur décorateur (Ondrej Nekvasil).
Photo empruntée sur Google, appartenant au site zombiehamster.com
de Paul Hyett. 2012. Angleterre. 1h33. Avec Rosie Day, Anna Walton, Jemma Powell, Kevin Howarth, Sean Pertwee, David Lemberg.
Inédit en salles en France.
FILMOGRAPHIE: Paul Hyett est un réalisateur, maquilleur, acteur et scénariste anglais.
2012: The Seasoning House. 2014: Heretiks. 2014: Howl.
Précédé d'une certaine réputation sulfureuse, faute de séquences gores d'un raffinement putassier, The Seasoning House joue la carte du film d'exploitation lancé par la franchise Hostel, Saw et consorts. Sur le modèle du Tortur'porn et du Rape and revenge, le britannique Paul Hyett s'essayant aux genres avec autant de maladresse que de complaisance. Prisonnière d'un réseau clandestin de prostitution en ex-yougoslavie, une sourde muette prépare son évasion afin de s'épargner une existence miséreuse où viols et sévices sont quotidiennement perpétrées sur d'innocentes esclaves. Par l'entremise d'un bref flash-back, nous apprendrons que ces jeunes filles ont été soutirées de leurs parents (souvent assassinés sous leur yeux !) par des militaires durant la guerre pour être exploitées à la prostitution et donc livrées à une gente misogyne dans un bordel miteux.
Glauque et poisseux, The Seasoning house nous plonge dans un univers de claustration en interne d'une cabane poussiéreuse, où le sang, le sperme et la sueur imprègnent les draps de chaque chambre, quand bien même les jeunes filles violées sont soumises aux pires maltraitances. Avec une certaine efficacité, la première demi-heure réussit à distiller une ambiance malsaine dans son décor putride et à provoquer une certaine empathie pour le courage de l'héroïne contrainte de droguer ses amies pour le compte d'une clientèle SM. Mais dès qu'elle tente de sauver une de ses collègues, prise à parti avec la perversité d'un colosse, les invraisemblances et les situations éculées n'auront de cesse de desservir la vraisemblance du récit. A l'instar de l'agression sanglante interminable émise entre la muette et ce surhomme increvable, ou encore quand cette dernière tente de se faufiler à l'intérieur des parois de l'établissement, telle une souris rusée, afin d'échapper aux tueurs. Mis en scène avec peu d'habileté dans son montage approximatif et modestement interprété, The Seasoning House finit donc rapidement par accumuler les situations grotesques, d'autant plus que l'attitude malhabile des tueurs finit par nous lasser de leurs stratégies dérisoires à tenter d'appréhender la rebelle. Pour parachever dans le ridicule, le réalisateur enfonce le clou dans son dernier quart-d'heure quand l'héroïne se retrouve (comme par enchantement !) accueilli par la femme du tueur à l'intérieur de son foyer, mais aussi quand elle tente de s'extirper d'un entrepôt pour échapper à son assaillant (la manière dont ce dernier est désarmé est plutôt risible).
Pur produit de consommation voué à choquer le spectateur dans le sens le plus racoleur du terme et avec une facilité redondante, The Seasoning House tente de provoquer et d'impressionnerpar le biais d'une violence graphique crue et d'une action spectaculaire canonique. Ces deux éléments conformément associés finissant par nuire à sa crédibilité et à l'intensité procurée. Pour les amateurs indulgents d'horreur ludique, le film peut néanmoins procurer son petit effet révulsif, certaines séquences vomitives provoquant l'inévitable "haut-le-coeur". Bruno Matéï
Photo empruntée sur Google, appartenant au site movieberry.com
d'Arthur Penn. 1976. U.S.A. 2h06. Avec Jack Nicholson, Marlon Brando, Randy Quaid, Kathleen Lloyd, John McLiam, Frederic Forrest, Harry Dean Stanton.
Sortie salles U.S: 18 Mai 1976
FILMOGRAPHIE: Arthur Penn est un réalisateur américain, né le 27 Septembre 1922 à Philadelphie, décédé le 28 Septembre à Manhattan, New-york.
1958: Le Gaucher. 1962: Miracle en Alabama. 1965: Mickey One. 1966: La Poursuite Impitoyable. 1967: Bonnie and Clyde. 1969: Alice restaurant. 1970: Little big man. 1975: La Fugue. 1976: Missouri Breaks. 1981: Georgia. 1985: Target. 1987: Froid comme la mort. 1989: Penn and Teller get killed. 1995: Lumière et compagnie (segment).
Doux euphémisme que de songer qu'à l'époque de sa sortie, Missouri Breaks dérouta une bonne partie de son public, Arthur Penn bousculant ici nos habitudes avec un cynisme particulièrement insolent. Rien que la séquence d'ouverture inopinée, une cruelle pendaison particulièrement réaliste, place le spectateur dans un sentiment de stupeur inconfortable, quand bien même la population gênée de cette macabre mise en scène se morfond prudemment dans le mutisme ! Le réalisateur n'aura de cesse d'alterner les situations pittoresques (le jeu de provocation machiste invoqué entre Tom et Jane pour leur gestation amoureuse, l'arrivée précipitée des voleurs au bordel géré par une septuagénaire) ou grotesques (toutes les facéties excentriques du régulateur, à l'instar de son travestissement en grand-mère !) avec d'autres à la teneur dramatique plutôt cruelle ! (les exactions sanglantes qui empiètent l'intrigue quand bien même le dernier survivant se retrouve confronté à une désarmante remise en cause).
Western insolite au cheminement narratif imprévisible et ne possédant aucune ligne de conduite, Missouri Breaks affiche la marginalité d'anti-héros afin d'illustrer une chasse à l'homme dont un régulateur se portera volontaire pour éliminer des voleurs de bétail. Durant tout le récit, Arthur Penn prend soin de nous attacher à la familiarité de ces quatre malfrats alors que leur leader est épris d'une idylle avec la fille d'un riche éleveur. C'est d'ailleurs ce dernier qui décide de recruter Robert Lee Clayton, régulateur impertinent et goguenard, déterminé à assassiner un par un ces braconniers liés par l'amitié. Dans la peau d'un tueur sans vergogne empli de lâcheté, Marlon Brandon crève l'écran pour endosser un personnage antipathique passant son temps à se goinfrer de nourriture tout en bavassant avec ses ennemis avec hypocrisie narquoise. A la fois flegme et pugnace, Jack Nicholson lui tient tête par son assurance perspicace avant de sombrer malgré lui dans une vengeance expéditive. Entre temps, le réalisateur prend notamment soin de mettre en valeur sa complicité amoureuse partagée avec Jane et son éventuel désir de s'assagir afin de consolider cette relation.
Une farce macabre gagnée par la défaite. En dépit d'une première heure relativement langoureuse par son rythme dispersé, Missouri Breaks détourne les codes avec une ironie caustique particulièrement dérangeante, à l'instar de ses dialogues ciselés et ses éclairs de violence qu'on ne voit jamais arriver. Qui plus est, son cheminement narratif indécis nous place dans une perpétuelle interrogation quand à l'issue réservée aux voleurs de bétail mais aussi au régulateur. On sera d'autant plus dérouté par son final malsain d'une grande violence, et donc épargnant le happy-end, SPOILER pour afficher l'amertume de protagonistes vaincus, contraints de renouer séparément avec un semblant de vie ! FIN DU SPOILER. Un western atypique dont l'ambiance cynique nous extériorise un sentiment de souffre dans la bouche, et auquel l'interprétation effrontée de Marlon Brandon mérite à elle seule le détour !
Photo empruntée sur Google, appartenant au site listal.com
de Joseph H. Lewis. 1950. U.S.A. 1h27. Avec Peggy Cummins, John Dall, Berry Kroeger, Morris Carnovsky, Annabel Shaw, Harry Lewis.
Sortie salles France: 20 Janvier 1950
FILMOGRAPHIE SELECTIVE: Joseph H. Lewis est un réalisateur américain, né le 6 Avril 1907 à New-York (Etats-Unis), décédé le 30 Août 2000 à Santa Monica (Californie).
1945: My name is Julia Ross. 1946: So dark the night. 1948: Le Manoir de la Haine. 1949: Le Maître du gang. 1950: Le Démon des Armes. 1950: La Dame sans passeport. 1952: Quatre jours d'angoisse. 1955: Man on a bus. 1955: Association Criminelle. 1955: Ville sans loi. 1958: Terreur au Texas.
Bien avant le chef-d'oeuvre d'Arthur Penn, un film noir s'était lui aussi inspiré des méfaits délinquants du couple meurtrier Bonnie and Clyde. Film noir d'une beauté diaphane, Le Démon des armes retrace avec réalisme (du moins pour l'époque !) l'équipée sauvage d'un couple d'amants, spécialiste des armes à feu et des braquages de banques. Au fil de leur périple infernal, ils vont s'attirer une triste renommée auprès des médias et des journaux au point de mobiliser toutes les polices de l'état qui finiront par leur soumettre une traque inlassable (l'haletante chasse à l'homme investie dans la forêt et en amont des marais reste ancrée dans les mémoires).
A travers cette course poursuite effrénée d'un couple de gangsters avides de liberté et de richesse, Joseph H. Lewis dresse un magnifique portrait de marginaux totalement tributaires de leur passion amoureuse autant que celle, indissociable, de leurs armes à feu. Des personnages burnés mais à la dimension humaine fragile et désespérée car entraînés malgré eux dans une virée criminelle toujours plus houleuse et irréversible. Par leurs exactions délinquantes, on sent bien que le réalisateur s'épanche sur la fascination des armes exercée envers le citoyen américain. Ici, c'est son côté perfide et malsain qui est mis en valeur par l'autorité d'un couple spécialiste du tir et des braquages. Le goût du risque, l'adrénaline et la détermination de leurs actes rebelles découlant d'une attirance semi-inconsciente pour une violence vénale ! (c'est ce que Bart avouera à sa compagne après avoir tenté de tuer un policier, alors que cette dernière est capable de braver l'acte par une peur irraisonnée !). Ce couple d'amants communément fous d'amour mais incapables de s'extirper de leur existence asociale est incarné à l'écran par des acteurs transis d'émoi ! Avec son charisme longiligne et son humanisme sentencieux, John Dall campe un gangster fasciné depuis l'enfance par sa passion des armes au point d'endosser finalement le rôle d'un gangster pour l'amour de sa compagne. Trouble et vénéneuse et beaucoup moins circonspecte, Peggy Cummins retransmet à merveille une criminelle toute aussi obsédée par le tir mais véritable instigatrice d'avoir impliqué son compagnon jusqu'au point de non retour. A eux deux, ils forment un duo aussi mythique que le couple Warren Beatty/Faye Dunaway recruté 17 ans plus tard dans Bonnie and Clyde, et doivent beaucoup à l'intensité furieuse et émotionnelle du récit.
Chef-d'oeuvre avant-coureur du film noir symbolisant les "amants criminels", Le Démon des Armes (titre français encore plus incisif et révélateur que son modèle !) est habité par l'exaltation amoureuse mais compromis par l'acte suicidaire d'un couple marginal pris dans l'engrenage de la violence.
Photo empruntée sur Google, appartenant au site horror-movies.ca
de Sabu. 2013. Japon. 1h25. Avec Ayaka Komatsu, Makoto Togashi, Riku Ohnishi, Takaya Yamauchi, Taro Suruga, Tateto Serizawa, Toru Tezuka. Récompense: Grand Prix à Gérardmer, 2013
FILMOGRAPHIE: Hiroyuki Tanaka (Sabu) est un réalisateur, acteur et scénariste japonais.
1996: Dangan ranna. 1997: Postman Blues. 1998: Anrakkî monkî. 2000: Monday. 2002: Drive. 2002: Kôfuku no kane. 2003: Hard Luck Hero. 2005: Hôrudo appu daun. 2005: Shissô. 2009: Kanikosen. 2010: Toraburuman. 2011: Usagi doroppu. 2013: Miss Zombie. 2015: Ten No Chasuke.
Pendant auteurisant de Fido en mode austère, Miss Zombie réexploite la domestication du mort-vivant par le biais d'une ménagère soumise aux exigences d'une snob famille. Après avoir reçu un colis contenant une morte-vivante, la tranquillité d'un foyer va subitement se détériorer au fil de leurs rapports intimes avec l'étrangère.
Tourné en noir et blanc dans un souci formel souvent stylisé (nature crépusculaire aux figures géométriques), Miss Zombie évoque la déshumanisation de nos sociétés modernes en quête d'affinité et notre instinct de supériorité à exploiter les plus faibles. A travers la condition d'esclave d'une femme zombie égarée dans sa solitude, le réalisateur traite son sujet avec originalité dans la manière d'illustrer sa quotidienneté avec ses proches, mais aussi ses instants d'intimité, à l'instar de son regard mélancolique plongé dans le reflet d'un miroir. Sujette aux railleries et agressions physiques envers des citadins familiers, Miss Zombie observe du coin de l'oeil ses cruelles humiliations sans toutefois exercer une quelconque riposte. Jusqu'au jour où le fils de la famille meurt noyé au bord d'un étang. Cet instant dramatique va lui permettre de renouer avec son instinct maternel, puisqu'à la demande de la défunte mère, elle réussira à sauvegarder l'enfant par l'infection d'une morsure. Si depuis cette résurrection, le père et le fils lui vouent une vraie considération affective, il n'en n'est pas de même pour la mère délaissée, éprise aujourd'hui d'une rancune tenace. A partir de ce moment, les rôles vont subitement s'inverser (chaque membre de la famille se morfond dans le désarroi et l'impuissance, alors qu'au contraire, Miss Zombie retrouve des parcelles de vitalité et d'émotion) pour laisser exprimer une vengeance infructueuse où la mort en sera la seule expiation ! Dans un climat d'étrangeté où les non-dits renforcent le caractère insolite de son environnement feutré, Miss Zombie épouse un point de vue iconoclaste pour mettre en valeur l'humanité du Zombie dans une quête éperdue pour la reconnaissance, quand bien même son entourage se blottit dans la banalité et l'ennui de leur quotidien !
Si Miss Zombie a de quoi laisser perplexe pour sa justification imposée au Grand Prix de Gérardmer, on ne peut nier l'ambition de son parti-pris formel et l'originalité de son sujet traité avec pudeur, intelligence et refus des conventions. Toutefois, il est préférable d'avertir le spectateur que la monotonie du rythme et l'aspect baroque de sa mise en scène risquent d'en déconcerter plus d'un. A privilégier en priorité aux amateurs de bizarrerie. Bruno Matéï
Photo empruntée sur Google, appartenant au site Notrecinema.com
de Martin Scorcese. 2013. U.S.A. 2h59. Avec Leonardo DiCaprio, Jonah Hill, Margot Robbie, Kyle Chandler, Rob Reiner, Jon Bernthal, Jon Favreau, Jean Dujardin, Cristin Milioti, Matthew McConaughey.
Sortie salles France: 25 Décembre 2013. U.S: 25 Décembre 2013
FILMOGRAPHIE: Martin Scorsese est un réalisateur américain né le 17 Novembre 1942 à Flushing (New-york).
1969: Who's That Knocking at my Door, 1970: Woodstock (assistant réalisateur), 1972: Bertha Boxcar, 1973: Mean Streets, 1974: Alice n'est plus ici, 1976: Taxi Driver, 1977: New-York, New-York, 1978: La Dernière Valse, 1980: Raging Bull, 1983: La Valse des Pantins, 1985: After Hours, 1986: La Couleur de l'Argent, 1988: La Dernière Tentation du Christ, 1990: Les Affranchis, 1991: Les Nerfs à vif, 1993: Le Temps de l'innocence, 1995: Un voyage avec Martin Scorsese à travers le cinéma américain, 1995: Casino, 1997: Kundun, 1999: Il Dolce cinema -prima partie, A Tombeau Ouvert, 2002: Gangs of New-York, 2003: Mon voyage en Italie (documentaire), 2004: Aviator, 2005: No Direction Home: Bob Dylan, 2006: Les Infiltrés, 2008: Shine a Light (documentaire), 2010: Shutter Island. 2011: Hugo Cabret. 2013: Le Loup de Wall Street.
Outrancier et foisonnant, vulgaire et dépravé (les orgies sexuelles qui empiètent tout le récit), délirant et hilarant (les hystéries comateuses de Jordan et Donnie après avoir ingéré une drogue frelatée, leur escapade nocturne en yacht sous un ouragan !), mais d'un intérêt limité dans son cheminement narratif, Le Loup de Wall Streetrelate la biographie d'un courtier en bourse, Jordan Belfort. Durant plus de 10 ans, il va monter son propre empire après avoir formé des financiers préalablement incompétents. Avec l'aide de ces comparses, il va multiplier les arnaques de vente tout en sombrant dans le trafic de drogue et le blanchiment d'argent. Ses délinquants financiers vont mener une belle vie de débauche à grand renfort de sexe et de coke avant qu'un agent du FBI ne vienne fouiner dans leurs transactions.
D'une durée de 3h00, cette fresque ambitieuse remarquablement interprétée (Leonardo DiCaprio est habité par la gagne pour transmettre à son équipe son savoir dans une posture de dandy cocaïné et obsédé sexuel !) se permet tous les excès afin de dresser un tableau dérisoire des requins de la finance réduits ici à des dégénérés assoiffés de gloire. Jusqu'au jour où toute cette jungle sans scrupule va se retrouver derrière les barreaux par la trahison de leur propre leader. Si la réalisation s'avère époustouflante de virtuosité avec un sens vertigineux du découpage et que les acteurs simiesques s'en donnent à coeur joie pour grimacer et gesticuler les grivoiseries, Martin Scorcese semble ici se répéter jusqu'à se parodier pour illustrer à nouveau un univers de corruption où des malfrats sont tributaires de leur cupidité, du sexe et de la drogue.
Un spectacle bordélique aussi désordonné qu'éreintant, car alternant le comique de situation et la dramaturgie du propos (même le chef d'équipe Scorcese et tous les acteurs semblent avoir pris de la Coke durant tout le tournage !), où sa verve frénétique et la putasserie qui en découle risquent de lasser une partie du public par son côté rébarbatif (sa ligne de conduite s'avère épuisante à suivre selon l'humeur ou la fatigue du jour). A découvrir de préférence entre amis éméchés avec pas mal de whisky, de call-girls et de drogues sous la main !
Photo empruntée sur Google, appartenant au site acesite.e-monsite.com
de William Friedkin. 1980. U.S.A. 1h42. Avec Al Pacino, Paul Sorvino, Karen Allen, Richard Cox, Don Scardino, Joe Spinell, Jay Acovone.
Sortie salles France: 24 Septembre 1980
FILMOGRAPHIE: William Friedkin est un réalisateur, scénariste et producteur de film américain, né le 29 août 1935 à Chicago (Illinois, États-Unis). Il débute sa carrière en 1967 avec une comédie musicale, Good Times. C'est en 1971 et 1973 qu'il connaîtra la consécration du public et de la critique avec French Connection et L'Exorciste, tous deux récompensés à la cérémonie des Oscars d'Hollywood. 1967: Good Times. 1968: l'Anniversaire. 1968: The Night they Raided Minsky's. 1970: Les Garçons de la bande. 1971: French Connection. 1973: l'Exorciste. 1977: Le Convoi de la peur. 1978: Têtes vides cherchent coffres pleins. 1980: The Cruising. 1983: Le Coup du Siècle. 1985: Police Fédérale Los Angeles. 1988: Le Sang du Châtiment. 1990: La Nurse. 1994: Blue Chips. 1995: Jade. 2000: l'Enfer du Devoir. 2003: Traqué. 2006: Bug. 2012: Killer Joe.
Ce film n'est pas un réquisitoire contre l'homosexualité. Il ne dépeint qu'une minorité, non représentative.
Film culte controversé, Cruising fut pointé du doigt par certaines ligues homosexuelles américaines pour l’image sordide qu’il infligerait à leur identité sexuelle. Pourtant, le film est avant tout une descente aux enfers, un voyage au bout de la nuit dans les marges SM du milieu gay new-yorkais. Depuis qu’un meurtre effroyable a été commis, un jeune flic est contraint d’infiltrer les clubs cuir pour traquer le tueur. Alors que deux nouveaux assassinats viennent d’être perpétrés, Steve Burns, à la dérive, oriente ses soupçons sur un jeune homosexuel et l’attire dans un piège. (Friedkin en profite au passage pour dénoncer les méthodes brutales de la police, prêtes à tout pour arracher des aveux.) Pendant ce temps, le véritable tueur continue d’observer, silencieux, en quête de sa prochaine proie.
Cruising est un film choc à plus d’un titre, dont l’aura de scandale a largement contribué à la légende. Mais c’est aussi une expérience sensorielle et émotionnelle atypique, tant nous sommes happés dans un univers suffocant, poisseux, aussi dérangeant qu’irrésistiblement fascinant. Rarement une caméra n’aura osé s’immiscer aussi frontalement dans le monde SM avec une telle précision documentaire. D’autant que la présence magnétique, ambivalente d’Al Pacino nous force à endosser malgré nous le rôle du voyeur. À travers ses errances nocturnes, nous pénétrons des lieux interlopes où se pratiquent des rituels sexuels défiant toute pudeur — rites qu’il devra parfois lui-même incarner.
Ainsi, par l’infiltration de ce flic indécis, William Friedkin orchestre l’introspection d’un hétérosexuel confronté à une communauté marginale, perçue comme déviante, et au risque de se perdre dans les méandres du Mal. Car à force de travestir son identité, de feindre un désir qui n’est pas le sien, Steve Burns se compromet, se fragmente, et s’engage dans un combat intérieur — traquant un tueur pour mieux échapper à ses propres démons. Pour reprendre une célèbre citation : « Celui qui combat des monstres doit prendre garde à ne pas devenir monstre lui-même. » Et lorsque le suspect est enfin interpellé, Friedkin pousse le malaise jusqu’à son paroxysme en instillant une ambiguïté glaciale sur la culpabilité réelle du héros.
D’un réalisme cru — aussi bien dans sa violence que dans sa représentation frontale du milieu SM — et d’une rigueur technique d’une rare maîtrise, Cruising réinvente le thriller noir sous une forme hypnotique, presque expérimentale. Un voyage au cœur des ténèbres que Pacino traverse avec une fragilité spectrale, comme aspiré par une fascination perverse. Et c’est justement cette opacité troublante qui nous interroge : jusqu’où le Mal s’infiltre-t-il en nous ?
Photo empruntée sur Google, appartenant au site Notrecinema.com
de Tom Shankland. 2008. Angleterre. 1h25. Avec Eva Birthistle, Stephen Campbell Moore, Hannah Tointon, Eva Sayer, William Howes, Rachel Shelley.
Sortie salles France: 21 Octobre 2009.Angleterre: 5 Décembre 2008
FILMOGRAPHIE: Tom Shankland est un réalisateur et scénariste anglais.
2006: No night is too long (télé-film). 2007: Waz. 2009: The Children
Après Waz, un excellent thriller passé inaperçu, Tom Shankland change de registre pour bifurquer vers l'horreur en empruntant la thématique de l'enfant tueur. Dans la lignée du Village des Damnés et plus précisément des Révoltés de l'an 2000, The Children relate la journée de cauchemar de deux familles anglaises réunis dans un cadre bucolique pour fêter le jour de l'an mais sévèrement pris à parti avec leurs propres enfants depuis qu'un éventuel virus s'est infiltré en eux ! Néanmoins, nous ne connaîtrons jamais l'origine de ce mal mystérieux jusqu'à sa conclusion nihiliste. A moins d'avoir sombré dans la démence, nous ne serons jamais ce qu'il en adviendra, d'autant plus que seuls les enfants en furent les principales victimes de cette étrange épidémie. Série B terriblement oppressante à la tension exponentielle, The Children joue dans la cour des grands afin d'y consolider un film d'horreur premier degré. C'est à dire adulte, intègre, froid, tranché, totalement éludé de fioriture, si ce n'est un humour noir terriblement grinçant. Passé l'intro nous présentant la convivialité de jeunes parents préparant les festivités au sein de leur chalet, un climat inquiétant va rapidement s'installer quand la caméra ausculte les regards équivoques de chacun des bambins.
Semblant épris d'un malaise aussi psychologique que viscéral, leur manière hostile d'observer leur famille provoque une gêne qui va doucement accroître au fil de leurs vicieuses stratégies. Car ce climat suspicieux particulièrement angoissant accroît son intensité lorsque le premier incident meurtrier nous sera dévoilé. Dès lors, le spectateur est pris à la gorge pour témoigner des exactions sanglantes d'assassins en culottes courtes éludés de moindre compassion pour leurs proches. Avec un réalisme cru et une brutalité peu commune, le réalisateur exacerbe des séquences chocs cinglantes nous provoquant un malaise palpable, d'autant plus que de simples enfants en sont ici les principaux tortionnaires ! Qui plus est, avec un esprit jusqu'au-boutiste, Tom Shankland poussera encore plus loin le bouchon de la tolérance en assassinant "brutalement" face écran trois des chérubins. Et si l'intrigue linéaire demeure sans surprise, le réalisateur se raccroche fort habilement à l'efficacité d'une succession d'évènements sanglants s'enchaînant sans répit pour y parfaire un survival brut de décoffrage. Déboussolés et pris de stupeur de par la gravité des incidents meurtriers, la plupart des adultes se refuse à admettre la culpabilité de leurs enfants et finissent donc par se rejeter la faute l'un sur l'autre avant de pointer du doigt la jeune adolescente Casey (l'unique témoin ayant compris le comportement assassin des enfants). Au décor réfrigérant d'une neige endeuillée, un sentiment de claustration s'y fait notamment ressentir quand les derniers survivants doivent s'isoler à l'intérieur de la maison pour tenter de s'y protéger. Des séquences tendues d'une intensité terrifiante parfois difficilement supportable psychologiquement parlant, notamment lorsque la violence intolérable des actes meurtriers s'y confondent entre adultes et enfants.
D'un réalisme brutal dans sa violence radicale, The Children met les nerfs à l'épreuve pour nous horrifier en provoquant un vrai malaise face à la responsabilité infantile de nos anges exterminateurs ! Il en résulte inévitablement un film-choc d'une redoutable efficacité, une référence confinée aux archives du genre, à ne pas mettre toutefois entre toutes les mains du fait de sa rigueur émotionnelle franchement éprouvante.
Bruno 3èx. Vostfr
Récompense: Mention spéciale du Jury lors du Festival européen du film fantastique de Strasbourg, 2009.
Photo empruntée sur Google, appartenant au site teaser-trailer.com
de Spike Jones. 2013. U.S.A. 2h00. Avec Joaquim Phoenix, Scarlett Johansson, Amy Adams, Rooney Mara, Olivia Wilde, Sam Jaeger, Luka Jones.
Sorties salles France: 19 Mars 2014. U.S: 18 Décembre 2013 FILMOGRAPHIE: Spike Jonze (né Adam Spiegel le 22octobre 1969 à Rockville, Maryland) est un réalisateur de vidéos clips et de cinéma ainsi qu'un producteur de télévision.
1999: Dans la peau de John Malkovich. 2003: Adaptation. 2009: Max et les maximonstres. 2013: Her.
Dans la veine de Simone et d'Electric Dreams, Her dépeint de manière expérimentale les comportements amoureux d'un écrivain avec une conscience informatique au sein d'une société futuriste. Au fil de leurs rapports intimes que Théodore entretient à l'aide d'une simple oreillette, Her renouvelle le concept amoureux par l'intonation d'une voix synthétique douée d'une grande intelligence et capable d'éprouver de réels sentiments. Leurs échanges de conversations finissent rapidement par déboucher sur une relation sentimentale intense que le spectateur ressent avec réelle compassion, et cela en dépit du caractère saugrenu d'un homme réduit à la matérialité de son ordinateur et sa solitude d'un récent divorce. Au fil de leurs entretiens qu'ils se livrent dans un jeu de confiance et de confidences mutuelles, nous nous surprenons à éprouver comme Théodore une véritable affection pour une voix artificielle dénuée de corps mais éprise d'émotions et de désir sexuel ! Ce qui donne lieu à des situations hors normes parfois déstabilisantes, pour ne pas dire dérangeantes (je pense au triolisme imposé par Samantha qui débouchera sur une sévère désillusion). Cette liaison atypique entièrement conçue sur le dialecte des personnages est notamment une occasion de dévoiler l'acuité des mots et leurs capacités à faire naître l'amour lorsqu'ils sont exprimés avec passion, intégrité et considération. Mais c'est également oublier les effets pervers de la passion dévorante, sa nature égoïste, son esprit possessif et sa jalousie rancunière, quand bien même l'infidélité en était la principale conséquence !
Drame romantique d'une sensibilité prude et désespérée auquel son climat austère reflète bien la déshumanisation de nos sociétés modernes, Spike Jones illustre un conte des plus anxiogènes sur l'individualité de l'être humain toujours plus capricieux car dépendant d'outils technologiques toujours plus performants. A travers la liaison artificielle que Théodore entretient avec une voix informatisée, le réalisateur décrypte donc l'étude comportementale de l'homme isolé dans sa propre prison, car ne sachant plus aimer dans une modeste simplicité et donc réduit à retrouver un semblant de liberté dans l'illusion du sommeil. Angoissant et déprimant, à l'instar de tous ces citadins radoteurs déambulant comme des automates au sein d'une urbanisation dénuée de communication, Her bouleverse les sens du spectateur car il ne cesse de nous alarmer sur la dégénérescence morale de notre civilisation noyée dans une course au progrès.
"L'amour commence par l'éblouissement d'une âme qui n'attendait rien et se clôt sur la déception d'un moi qui exige tout." Au rythme fragile d'une partition mélancolique, il en émane un constat alarmiste et déprimant sur le poids de la solitude et de l'incommunicabilité, non dépourvu de lueur d'espoir dans sa conclusion en demi-teinte, mais auquel sa dimension poétique ébranle le spectateur pour sa remise en question sur la notion de l'amour et notre dépendance à la matérialité. Bruno Matéï