jeudi 31 juillet 2025

Le Démon des Femmes / The Legend of Lylah Clare de Robert Aldrich. 1968. U.S.A. 2h07.

                                                       
                             (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

Avant-propos
Très honnêtement, je ne sais pas exactement ce que je viens de voir pour la toute première fois… mais je sais que j’ai vécu une expérience de cinéma dont il me faudra des heures - peut-être des jours - pour la digérer, la comprendre, la décortiquer... et surtout, la survivre. Une chose est certaine : une trace indélébile s’est imprimée quelque part entre mon âme et mon encéphale. Une brûlure lente, trouble, persistante. Quelque chose qui ne s’efface pas.
                                                        

"Celluloïd schizophrène : l’ultime spectacle de Lylah".
Un cauchemar de celluloïd, un opéra décadent qui se referme comme un piège doré sur une marionnette sans volonté.

Dès les premières images, un malaise fluide s’infiltre dans les pores du spectateur. Tout y est moite, exagéré, figé dans une lumière blafarde. Ce n’est plus du cinéma : c’est une messe noire hollywoodienne. Elsa Brinkmann (Kim Novak), apparition fragile et vacillante, devient sans le vouloir la proie d’un démon aux traits de star défunte - Lylah Clare, chimère sexuelle, ange déchu des studios.

Lylah n’est jamais là, mais partout à la fois. Elle rôde. Elle griffe. Elle avale Elsa par effraction mentale, jusqu’à la remplacer totalement, à la manière d’un virus psychique. Les personnages qui l’entourent - metteur en scène veule, producteur cynique, journalistes charognards - suintent l’arrogance satisfaite des ogres repus. Ils n’aiment pas Elsa : ils l’exploitent, la pressent, la sacrifient sur l’autel d’un cinéma qui ne cache même plus son sadisme.


Le baroque ici n’est pas seulement esthétique : il est pathologique. L’univers que filme Aldrich n’a plus de morale ni d’émotion humaine. C’est une usine à fantasmes nécrophiles, où les vivants sont façonnés à l’image des morts pour continuer à vendre du rêve frelaté. Elsa, marionnette désarticulée, y devient lentement une sorte de Golem habité par un fantôme schizophrène, dont la voix rocailleuse semble monter d’un caveau de pellicule.

Ce n’est pas une descente aux enfers : c’est un enchaînement clinique de possessions, une longue spirale où les rires deviennent des cris, et où chaque plan semble filmé depuis l’intérieur d’un miroir fissuré.

Le final - mon Dieu, ce final - est d’une tension insoutenable, presque insupportable. Une scène de tournage surréaliste (cirque du délire), qui bascule dans le snuff movie déguisé, où Elsa/Lylah est définitivement effacée, dans un silence presque religieux. Les caméras tournent, l’œil froid du projecteur ne cligne pas. La mort devient spectacle, chair à profits. Un sourire se fige. Rideau. Et dans les coulisses, les vautours ricanent déjà, prêts à lancer une nouvelle campagne promotionnelle (avant cette risible pub canine).


Robert Aldrich signe ici son film le plus malade, le plus mal-aimé aussi. On comprend que le public ait fui ce miroir trop sale, trop vrai sous l'impulsion de ces margoulins antipathiques. Hollywood est un abattoir sacré, et il le filme sans la moindre pudeur, sans le moindre fard. Ce n’est pas seulement une dénonciation : c’est un crucifiement, une dissection de l’âme vendue au plus offrant.

Un film rare, poisseux, trouble, halluciné, où la folie se confond avec le jeu, et où le cinéma lui-même devient un acte de violence.

Je pense qu'un avertissement s’impose quand même: ce film s’adresse à un public averti - non pour une quelconque violence graphique (quasi absente), mais pour sa violence morale, insidieuse, perverse, aliénante, qui s’infiltre lentement jusqu’à devenir presque insoutenable. Un dernier quart d’heure impensable, où la fiction franchit un seuil interdit, laissant le spectateur hébété, pris au piège d’un spectacle qui ne devrait pas exister.


Rideau... Tout n'était qu'illusion (?).

— le cinéphile du cœur noir

mercredi 30 juillet 2025

Life of Chuck de Mike Flanagan. 2025. U.S.A. 1h51.

                                                    
                              (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

Tu es merveilleux car tu vas changer ta vie.

Trois actes. Une vie.
Un battement de cœur suspendu dans l’invisible.
Chuck ne fuit pas l’ombre qui s’avance -
il la salue, lui tend un verre,
et lui demande une dernière danse.

Il avait dans la poitrine un tambour de pluie,
et des constellations dans le blanc des yeux.
Un feu d’artifice sans bruit,
une lumière qui refusait de mourir dans l’oubli.
Il savait.
Il savait que la fin n’avait pas d’horaires,
qu’elle pouvait surgir dans le rire,
dans le café du matin,
dans l’ennui des embouteillages.

Mais au lieu de se taire,
il a crié oui à la vie.
Il a ri sous la pluie,
il a aimé plus haut que lui,
il a embrassé une fille immense -
une géante d’émotion -
et jamais il n’a détourné le regard.

Chuck, c’est l’homme qui défie le sablier.
Qui transforme chaque seconde en banquet.
Qui fait de la mort une servante muette,
et de la peur un trampoline vers le rêve.

On est tous Chuck.
Petits dieux fragiles,
oubliant que le temps fuit comme du sang.
Mais lui,
il se souvenait.
Et dans chaque souffle,
il mordait la lumière.

Alors vis.
Aime celle qui te dépasse.
Chante trop fort, même faux.
Fais de ta vie une salle de bal avant l’effondrement.
Le ciel s’éteint ?
Sois l’étincelle.

Tu ne sais pas quand tout s’arrête.
Mais en attendant -
sois vivant.
Sois vibrant.
Sois Chuck.

Tu es merveilleux car tu vas changer la vie d'autrui.

Récompense: People's Choice Award au Festival international du film de Toronto 2024. 

mardi 29 juillet 2025

28 ans plus tard / 28 Years Later de Danny Boyle. 2025. U.S.A. Angleterre. 1h55.

                                   (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Au bout du souffle, l’amour".
Après dix-huit ans d’attente et d’espoir messianique, comment ne pas s’incliner devant le résultat flambant neuf que symbolise cette œuvre pléthorique, signée de la main de son initiateur : Danny Boyle ?
Tantôt infiniment ambitieux, inspiré, circonspect, et surtout en pleine possession de ses moyens, Boyle réinvente le cinéma comme une matière vivante, revisitée ici à travers le prisme du genre horrifique, que les deux premiers opus avaient déjà sublimé dans l’ombre d’une anticipation post-apocalyptique.

Le pitch est simple - un adolescent tente de retrouver un médecin au cœur d’une nature sauvage et inexplorée afin de sauver sa mère gravement malade - mais d’une redoutable efficacité, notamment dans ses séquences d’action bondissantes, où chaque obstacle devient un rite de passage pour ce jeune héros en pleine initiation de survie.
Sacrée gageure que d’avoir osé confier le premier rôle à un gamin dont le talent prend valeur de sacerdoce. Alfie Williams livre un jeu d’une sobriété expressive saisissante, incarnant un héroïsme en herbe, à la fois fébrile et bouleversant. Son courage imparfait, tiraillé entre crainte et désir de victoire, suscite une profonde empathie - tant il avance en posture réservée, le cœur au bord du vide.


Véritable leçon de vie, de maturité et d’amour maternel, 28 ans plus tard se révèle une fresque capiteuse, à la fois humaine, épique, cauchemardesque et onirique. Sa puissance dramatique et ses instants d’effroi se chevauchent au rythme d’un récit sinueux, fureteur, constamment incertain. On ne sait jamais ce que la séquence suivante nous réserve, dans cette odyssée humaine imprégnée de valeurs existentielles et spirituelles. Vie, mort : ces thèmes indissociables tissent en silence une mémoire à ne pas oublier, pour mieux apprendre à tolérer l’injustice.

La photographie, d’un lyrisme mélancolique saisissant, sublime une nature presque mystique. Le brio technique de Boyle explose à travers des mouvements de caméra inédits, des cadrages consciencieux - jusqu’à ces séquences sanglantes suspendues dans un arrêt sur image avant de s’émanciper brutalement dans la demi-seconde suivante.
La musique, dépouillée, laisse respirer un monde post-apo entièrement réinventé, pictural, jamais vu auparavant.
 
Au coeur de cette expérience sensorielle s'affiche une épreuve de force quand la fin devient origine. Un parcours du combattant primal qu’un adolescent tente de relever avec un humanisme désarmant de loyauté et de sagesse.
 

Constamment inventif dans sa scénographie de renaissance écolo, dans ses figures iconiques ou ses créatures cannibales mises à nu, dans sa réalisation ultra chiadée, dans sa photo en poème naturaliste métronome, 28 ans plus tard nous ramène à l’aube de l’humanité - dans un cauchemar tissé de symboles tribaux, d’élans archaïques, d’échos philosophiques (memento mori) qui nous rappellent d’où nous venons et l’urgence d’aimer, juste avant de trépasser.

Une fable existentielle magnifique, touchée par la grâce de nobles sentiments, que Danny Boyle place au cœur du souffle - haletant, sincère, bouleversant - de son ultime périple. 

— le cinéphile du cœur noir

lundi 28 juillet 2025

Les Proies / El rey de la montaña de Gonzalo López-Gallego. 2007. Espagne. 1h28.

                    (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).
                                                       
                                                      Révision d'une gifle sans délivrance. 

"Les Proies : anatomie d’un échec humain".
Un survival remarquable par sa sobre capacité à exploiter une chasse à l’homme aussi endiablée que désespérée.
Par l’expressivité haletée et contrariée de ses interprètes, par ce climat naturel lourd, mutique, glaçant, traversé d’une nappe musicale mélancolique qui infiltre en nous un inconfort diffus - entre angoisse, appréhension, et insécurité sans recours.

Gonzalo López-Gallego joue avec nos nerfs là où on ne l’attend pas. Notamment parce que son final, rigoureusement déprimant et écœurant, nous laisse seul face à l’écran, la mine sentencieuse, inconsolable.

Ce sentiment d’échec, de dégoût, d'isolement, à travers les thèmes de la lâcheté, de la bravoure, et de l’éducation, prend tout son sens dans un ultime rebondissement - aussi détonnant que tristement actuel - sur cette humanité engluée dans une réalité virtuelle sans repères ni raison.


Il en émane un survival au suspense ciselé, sans temps mort, mais jamais vain : car même dans ses rares accalmies, une densité humaine, une empathie sourde s’installent pour ne jamais nous quitter. On aime ces amants maudits. Comme eux, on est frileux, on est désorienté au coeur de ces vastes étendues rocailleuses, on a peur, on a comme un goût rance dans le bouche. 
Puis surgissent à nouveau, d’un coup, des éclairs de violence qui déchirent le vent avec un réalisme âpre, poisseux.

Une œuvre dure. Acrimonieuse. 
Un malaise palpable, plus épineux encore si l’on considère l’évolution morale des personnages, tous happés par la tourmente d’une vendetta aveugle, putassière - cette violence gratuite, dénuée de sens, sans rédemption. Jusqu'au générique mortifère teinté de pudeur fragile. 

Dépressifs s’abstenir.

— le cinéphile du cœur noir 🖤
2èx


DISTRIBUTION: Leonardo Sbaraglia, María Valverde, Manuel Sánchez Ramos, Pablo Menasanch, Francisco Olmo, Thomas Riordan, Andrés Juste.

FILMOGRAPHIE: Gonzalo López-Gallego est un réalisateur de cinéma espagnol né le 17 mars 1978 à Madrid. 1998 : Musas. 2001 : Nómadas. 2006 : Thumbs Up (court). 2007 : Les Proies (El Rey de la montaña). 2010 : La piel azul (2 épisodes). 2010 : Ángel o demonio (1 épisode). 2011 : Apollo 18
2013 : Open Grave. 2016 : Desert Gun (The Hollow Point). 2019 : Backdraft 2. 2024 : American Star

mardi 22 juillet 2025

Dangerous Animals de Sean Byrne. 2025. Australie/U.S.A. 1h38.

                   (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).
 
                                                                             Top 2025. 

"Sadisme au large, terreur à fleur de chair".
Cela aurait pu également s’intituler Terreur en haute mer, tant le réalisateur australien Sean Byrne maîtrise avec un art consommé un suspense affûté, d’une intensité sans cesse plus rigoureuse au fil d’un récit alerte, ne laissant que peu de répit à la précarité de ses victimes en instance de survie. Véritable modèle du genre, en mode huis-clos aqueux, Dangerous Animals redore la série B du samedi soir, porté par la présence mastard de Jai Courtney, tétanisant de force tranquille et de sûreté dans sa fonction fangeuse de serial killer primal. Le public, cramponné à son siège, n’aura de répit durant 1h33 - générique exclu.

C’est bien connu : « plus le méchant est réussi, meilleur le film sera ». Cette maxime hitchcockienne, Sean Byrne l’applique à la lettre, et l’on éprouve une haine viscérale, exponentielle, pour la lâcheté de ce tueur des mers que Jai Courtney incarne avec un sens du sadisme fielleux et d’une perversité poisseuse.
Par la densité d’un récit remarquablement charpenté et la motivation résignée de ses personnages - proies comme prédateur -, tous livrés à une confrontation morale puis physique avec une stoïcité éreintante, Dangerous Animals devient un jubilatoire jeu de massacre. Mention spéciale au rôle secondaire tant mis en avant sur l’affiche : le squale, réduit malgré lui à une complicité criminelle impromptue, que notre tueur s’amuse à exploiter pour parfaire ses exactions méthodiques. On peut y déceler, toutes proportions gardées, un clin d’œil à Henry, portrait d’un serial killer de John McNaughton, dans le voyeurisme audiovisuel distillé par Byrne.


Animée d’une rage viscérale aussi jouissive qu’épeurante dans son parcours de combattante, l’actrice Hassie Harrison se fond dans le corps d’une victime rebelle avec une bravoure sidérante (euphémisme), qui rappellera un certain classique du torture porn, sans jamais tomber dans l’outrance héroïque triviale - même si l’on pourra tiquer sur une incohérence un peu facile (qui plus est elliptique) lors du règlement de comptes final, qu’elle brave néanmoins avec panache.

Porté par une photographie naturelle exceptionnelle et une réalisation nerveuse, sans temps mort, Dangerous Animals distille une tension horrifique de plus en plus percutante, multipliant les rebondissements imprévisibles. Un autre léger couac narratif surgit toutefois avec l’apparition d’un personnage redresseur de torts, découvrant une planque avec une facilité douteuse. Mais Sean Byrne s’amuse à compiler ces coups de théâtre avec une cruauté perfide, insidieuse, et presque dénuée de modération. Ou alors si peu, à en juger par une conclusion habilement concise, qui va droit à l’essentiel sans sombrer dans le cliché démonstratif.

Après le génial The Loved Ones et l’excellent Devil’s Candy, Sean Byrne revient, dix ans plus tard, avec cette perle du genre au concept prodigieux et au message écolo (au niveau de la maltraitance de l'appât), dont l’efficacité glaciale nous donne des sueurs - aussi jouissives qu’intolérables. 

Vive le cinéma australien, brut, ultra tendu, sauvage, irrespirable, incandescent.

— le cinéphile du cœur noir

lundi 21 juillet 2025

Underworld Evolution (2006) / Underworld Awakening (2012).

                                 (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Sang pour sang samedi soir".

Nous avons affaire ici à deux séries B idoines du samedi soir. Deux super divertissements à la narration linéaire mais redoutablement efficaces, où l’action rebondit sans cesse avec une sincérité attentionnée. Une mise en scène nerveuse, bardée d’effets spéciaux numériques souvent soignés - même si parfois un peu brinquebalants, il faut bien l’avouer.

Underworld: Evolution (le second opus) s’ouvre sur un prologue épique, dans un décor enneigé baigné de violence ancestrale, avant de nous entraîner dans une course-poursuite infernale à bord d’un camion, traqué par une immense chauve-souris humanoïde - vampire bestial à la férocité déchaînée, qui pourchasse Sélène et Michael avec une rage quasi mythologique.

Underworld: Awakening (le quatrième volet, Une nouvelle ère) se révèle tout aussi attachant, notamment grâce à la nouvelle venue : la fillette de Sélène, le sujet 2, tout à fait convaincante dans son rôle à la fois fragile et inquiétant. À ses côtés, tous les seconds rôles, solidement campés, se prêtent au jeu de l’action avec une implication héroïque réjouissante.

Kate Beckinsale, quant à elle, est toujours aussi sexy, fébrile et sérieuse dans son rôle de guerrière invincible. Son charisme glacial électrise l’écran, tandis que la photographie crépusculaire, teinte de bleu métallique, épouse parfaitement les contours néo-gothiques de cet univers ténébreux, où s’affrontent sans relâche vampires et lycans. Des créatures littéralement fascinantes, impressionnantes de voracité et de puissance brute.

Quant à savoir lequel est le meilleur, difficile à dire : les deux films se répondent en complicité sans jamais se singer. En tout cas, on tient ici sans doute les meilleurs opus d’une saga inégale - seuls le troisième et le cinquième me semblent, à vrai dire, parfaitement dispensables. Ces deux chapitres-là sont redoutablement bonnards, franchement jouissifs, portés par une formalité gothico-fantastique à la fois crédible, contrastée et dépaysante, qui assume avec panache ses codes de série B et son goût pour l’imagerie ténébreuse.

Deux petits films d’action allant droit à l'essentiel, donc, furieusement impactants, qui font le bonheur aussi bien du cinéphile joueur du plaisir innocent que du grand public complice, prêt à plonger dans la déconnade furibarde avec un sourire de gosse retrouvé.

Du pop corn noir pour ces lycans en furie, - Underworld 2 / 4 - même combat - Des séries B Fantastiques dans ce qu’elles ont de plus noble, de plus simple et de plus généreuse.

— le cinéphile du cœur noir 

dimanche 20 juillet 2025

Une bougie pour le Diable / Una vela para el diablo de Eugenio Martin. 1973. Espagne.

                                                     


"Sous la jupe, la sentence".

Un drame psychologique grave et intense, transplanté dans le cadre d’une horreur sociale comparable à Cannibal Man (La semaine d’un assassin) d’Eloy de la Iglesia, réalisé un an plus tôt. Une bougie pour le diable (Una vela para el diablo, 1973), signé Eugenio Martín, adopte une horreur adulte, au premier degré, à travers les portraits glaçants de deux aubergistes profondément catholiques et puritaines, exerçant leurs exactions meurtrières dans un petit village figé, recroquevillé au cœur des montagnes.

Leur cible : des touristes féminines, jeunes, jolies, libérées, dont les tenues légères et les élans de désir choquent une morale engoncée dans la répression. Ivres d’émancipation, ces étrangères incarnent une liberté sexuelle en pleine effervescence - que Marta et Verónica, dans leur frustration contenue, ne peuvent tolérer. Leur propre sexualité refoulée, corsetée par le dogme, s’exprime alors dans une violence croissante. Victimes invisibles du franquisme, les deux sœurs glissent dans une spirale meurtrière, une descente aux enfers criminelle nourrie par le dégoût, la honte et le besoin d’expiation.

Le suspense monte crescendo, notamment autour du sort d’une touriste plus perspicace, prête à témoigner des mystérieuses disparitions qui s’accumulent.

Une œuvre fétide remarquable, notamment par sa dimension psychologique finement dessinée - et sublimée par les interprétations incendiaires d’Aurora Bautista et Esperanza Roy, qui incarnent avec un charisme insidieux cette foi malade en complicité désespérée, ce fanatisme religieux empreint d’obscurantisme, de châtiment et d’autopunition.

Un cauchemar impudique aux allures de documentaire clinique dont on ne sort pas indemne.

Gratitude Criterion.

— le cinéphile du cœur noir

samedi 19 juillet 2025

Le cinéma Fantastique des années 80: mode d'emploi.

 
                                                       "Les rêves fiévreux des années 80."

Le cinéma fantastique et d’horreur des années 80 possédait un cœur. Un cœur battant, généreux, palpitant d’idées folles, de visions enflammées, d’une tendresse presque enfantine pour ses monstres, ses freaks, ses damnés. Ces films transpiraient la sincérité. On sentait, sous le latex et les hectolitres de sang, une humanité profonde, une chaleur singulière, un amour farouche du cinéma. Ils voulaient nous raconter quelque chose - surtout dans les cauchemars.

Il y avait une foi. Une foi aveugle, belle, dans ce qu’on filmait. Et comme les cinéastes y croyaient, nous aussi. On rêvait avec eux, parce qu’ils rêvaient pour de bon, et non pour vendre du rêve. Il y avait de l’âme, du feu, du bricolage génial. Des effets spéciaux faits main, charnels, mécaniques, pleins de tripes et de texture. Du sang qui collait, de la chair qui palpitait, des visages qui fondaient vraiment.

Des films comme Bad Taste, Re-Animator, Frères de sang, l'Au-delà, Maniac, Carnage, Cauchemar à Daytona Beach, Evil Dead… c’était une révolution faite à la scie sauteuse, à la giclée rouge et au rire nerveux. Mais derrière la sauvagerie, il y avait toujours un regard. Quelque chose d’intime, de tangible. On tenait à ces personnages, si humains dans leur désespoir ou leur maladresse. Même les pires déviances gardaient cette étrange aura d’amour inavoué.

Et puis, il y avait cette ambiance… Ces lumières bleutées, ces brumes épaisses, cette manière d'envelopper le spectateur dans un monde parallèle. Les musiques étaient entêtantes, ensorcelantes, ciselées avec soin - elles vibraient longtemps après le générique. On n’écoutait pas que des synthés : on écoutait un souffle, une incantation. Quelque chose qui hantait et berçait à la fois.

Le cinéma fantastique des années 80 était un cinéma d’artisans possédés, de fous doux, de poètes gore. Il était fait de bouts de ficelle, de nerfs à vif et de tendresse. Il avait ce lyrisme naïf, cette chaleurosité (oui, ce mot inventé lui va bien) qu’on ne retrouve plus. Et même si tout partait en vrille, même si la réalité s’effondrait, il restait une lueur d’espoir. Une lumière étrange, vacillante, mais fidèle.

C’est peut-être pour ça qu’on y revient toujours. Parce qu’on y sent quelque chose de vrai, de pur, de sacré. Parce qu'on se sent bien avec eux, parce qu'on les aime. Toujours. 

Car quand on aime, on aime toujours trop.
 
 — le cinéphile du cœur noir
 

La Zone d'intérêt / The Zone of Interest de Jonathan Glazer. 2023. Royaume-Uni/Pologne/U.S.A.

                             (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).
 
La Zone d'intérêt m’a laissé dans un trouble sourd.
J’y reviens, un peu moins fermé qu’au premier contact. Quelque chose, malgré la rugosité du geste, s’impose. Le film reste difficile, particulier dans son traitement à la fois froidement auteurisant, presque expérimental, et pourtant inscrit dans une trivialité dérangeante. Il y a là une forme d’hermétisme, d’austérité. Un refus du spectaculaire, qui pousse à bout le malaise.

Tout est glaçant. Antipathique au possible. Et c’est sans doute là toute sa force.

Le parti-pris est saisissant : épouser le quotidien fade et méthodique d’une famille nazie, aux portes de l’horreur, sans jamais y entrer frontalement. Ce déni de regard crée un vide, un abîme. Un récit âpre, ancré dans la désillusion. Une manière de dire qu’il n’y a rien à sauver. Ces monstres, ces gens ordinaires devenus rouages de la mort, sont irrécupérables.

C’est un film qui ne cherche pas à faire comprendre, encore moins à pardonner. Juste à montrer, frontalement mais sans fracas, l’effrayante banalité du mal.

Et cela suffit à glacer l’âme.
 
— le cinéphile du cœur noir 
 
Durée du film: 1h45. 

vendredi 18 juillet 2025

Holiday de Isabella Eklöf. 2018. Danemark/Suède/Pays-Bas. 1h33.

                                                     
                               (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).
                                                                           
                                                                              Top 2025 
 
Avant-propos: 
Frères et sœurs du grand écran, abandonnez toute morale - car Holiday ouvre ses bras lascifs sur un royaume où la lumière ment et où le silence saigne.

Avertissement: contient une scène à caractère sexuel explicite (classée X). Public averti.
                                                     

"Chair de luxe, violence sous vide".
Produit entre la Suède, le Danemark et les Pays-Bas en 2018, Holiday demeure une œuvre indépendante encore inédite en salles chez nous, tout comme en support physique DVD/Blu-ray, en dépit des récompenses glanées au Danemark (Meilleur Film, Meilleure Actrice pour Vic Carmen Sonne, Meilleur Second Rôle Masculin pour Lai Yde, Meilleure Photographie) et au Texas (Meilleur Film, Meilleure Photo au Fantastic Fest).

Relatant la quotidienneté luxueuse d'une jeune prostituée au service d’un parrain mafieux, Holiday est un objet sulfureux, profondément dérangeant, au malaise persistant. Sa scénographie pailletée joue avec brio du non-dit, du hors-champ - de la suggestion - malgré deux séquences extrêmes, quasi insoutenables. Deux exactions relevant d’une pornographie brute, sans plan serré, et d’une ultra-violence concise, évoquant le réalisme cru d’Irréversible ou les uppercuts glacés du cinéma de Haneke.

Hypnotique et passionnant, Holiday tient en haleine 1h30 durant, à travers cette banalité insouciante magnifiée par une mise en scène stylisée (photo léchée à l’appui), à la fois personnelle et expérimentale. Le film se concentre sur le profil d’une jeune prostituée incarnée par Victoria Carmen Sonne, bouleversante de naturel, de candeur irresponsable et d’ambivalence morale. Une actrice méconnue, fascinante dans sa passivité docile, subissant la domination d’un amant tortionnaire à la masculinité primitive, dénuée de toute vergogne. Or, une rencontre fortuite avec une vieille connaissance (un touriste néerlandais) mettra Sascha face à sa propre moralité, jusque-là refoulée, prête à jaillir au moment le plus imprévisible.

Malsain dans ses sous-entendus, ses jeux de regard viciés et ses complaisances sexuelles, Holiday dépeint une femme réduite à la consommation de chair dans un cocon domestique luxueux, mais nécrosé. Le film distille une aura vénéneuse, ancrée dans une confrontation psychologique (bourreau/victime) où les rôles, peut-être, pourraient s’inverser sous l'effet d’un sursaut rancunier inéquitable.


Jusqu’au-boutiste et sans fard pour nous extraire de notre zone de confort, le film nous confronte à des figures antipathiques, détestables, dont la scénographie trompeusement apaisée, faussement séduisante, exsude une contagion insidieuse. Holiday cultive un climat d’insécurité rampante, délétère pour le spectateur comme pour sa jeune prisonnière, jusqu’à une conclusion glaçante - amorale, sans illusion - dont on ne ressort pas indemne.

Une œuvre-choc, d’une rigueur dramatique implacable, impeccablement interprétée, brillamment réalisée (gratitude pour Isabella Eklöf alors qu'il s'agit de son 1er essai), avec ce tact perfide qui fait chanceler tout repère dans ce jeu de séduction aux doux relents mortifères.

— le cinéphile du cœur noir

 
Récompenses: Le film a été nommé pour six Bodil et en a remporté quatre : meilleur film, meilleure actrice pour Vic Carmen Sonne, meilleur second rôle masculin pour Lai Yde et meilleure photographie.
 
Les Bodil (Bodilprisen) sont les premières et plus anciennes récompenses cinématographiques danoises, décernées par le Danske Filmkritikere chaque année depuis 1948.
 
FILMOGRAPHIE: Isabella Eklöf (née le 10 février 1978) est une scénariste et réalisatrice suédoise. 
2009 : Willkommen in Barbaristan (court métrage). 2011 : Noter fra kælderen (court métrage). 2018 : Holiday. 2023 : Kalak. 

mercredi 16 juillet 2025

Black Dog

                              (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

                                                                            Top 2025.
"Des ruines jaillit l’animal".
Il est des films indépendants, sortis discrètement en salles - et ce, malgré un Prix Un Certain Regard à Cannes et ses 264 700 entrées en France - qui s’éveillent en nous sans qu’on perçoive immédiatement leur pouvoir d’attraction. C’est dire si le réalisateur chinois Guan Hu maîtrise son matériau avec une intelligence souterraine, au point de faire voler en éclats les clichés. Tant dans son refus du sentimentalisme et des bons sentiments que dans sa manière imprévisible de narrer cette histoire d’amitié entre un homme et un chien, au cœur d’un contexte urbain aux doux airs de fin du monde.

Le pitch : libéré après dix ans de détention pour meurtre, Lang retrouve son village natal, en lisière du désert de Gobi, au moment même où les habitants tentent de se débarrasser des chiens errants qui hantent les ruines. Mais après une confrontation houleuse avec un chien noir, Lang finit par se lier à lui. Il l’adopte. Contre l’avis de tous.
 

Aventure intimiste et parcours initiatique, Black Dog suit cet homme et son chien à travers un village en décomposition, aux allures de western figé dans un no man’s land. Le scope magnifie les paysages que Lang traverse en mobylette, comme en errance silencieuse. Le film touche à la rédemption, à l’exclusion, à la loyauté, à l’amitié. Il pose en creux une idéologie existentielle : penser une nouvelle façon de vivre avec l’animal, dans l’apprentissage du respect et d’un langage commun.
Un paradoxe amer, presque insoutenable, lorsqu’on sait qu’en certaines régions de Chine, la viande canine se consomme encore quotidiennement - et que certaines pratiques, notamment celles du festival de Yulin, relèvent de l’innommable.

Prenant son temps, Guan Hu dépeint un monde lentement effondré, peuplé de marginaux en perte d’humanité. Il brode un récit inattendu de tolérance, qui émerge au fil de la mue morale de ce solitaire laconique, adoptant peu à peu un regard neuf sur l’animal, qu’il croyait sauvage. Constamment transcendé par des images naturelles - solaires ou crépusculaires - entre urbanité de pierre et désert de poussière, Black Dog éclaire la faune animale d’un œil doux, presque fureteur, tendu vers l’humain.
 

Hommage aux exclus, aux laissés-pour-compte d’un monde en ruines, Black Dog fait peu à peu du chien l’égal de l’homme, face à notre regard contemplatif, épris d’une émotion soudaine, incontrôlée. Le film traite la cause animale comme un sujet moral, avec un tact rare, une pudeur bouleversante. Sa mise en scène, rigoureuse et formaliste, ne laisse rien au hasard ; elle respire l’authenticité. Et dans son final onirique, transfiguré par la nappe tranquille de Pink Floyd, c’est une délivrance qui nous arrache les larmes.

Une œuvre digne d'autant plus salutaire, qui laisse des traces profondes dans la mémoire - et sème en nous un espoir discret, réservé, quant à la tendresse nouvelle que l’homme pourrait enfin accorder au vivant.

— le cinéphile du cœur noir

Forbidden Zone de Richard Elfman. 1982. U.S.A. 1h13.

                                                            
                                         (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).
 
"Bienvenue en Sixième Démence".
Film culte peut-être moins connu que Rocky Horror Picture Show ou Phantom of the Paradise, pour citer ses cousins lunaires les plus symptomatiques, Forbidden Zone n’a pourtant rien à leur envier. Il s’affiche sans complexe en électron libre, aussi mémorable qu’autonome.
 
Car si cette comédie musicale indépendante pâtit d’un budget exigu, l’inventivité en roue libre que se permet Richard Elfman - et surtout la liberté de ton galvanisante qu’il insuffle au spectateur capiteux - achève de rendre l’œuvre rigoureusement sympathique, jubilatoire, exaltante par son insolence dévergondée.
 
L’histoire, génialement improbable, a beau être étique et parfois décousue, on plonge à corps perdu dans ce délire monochrome où une famille de pieds nickelés se retrouve projetée dans la Sixième Dimension après avoir découvert un passage secret dans leur cave. La famille Hercules est à la recherche de Susan B. "Frenchy" Hercules, retenue prisonnière par un roi nain et une princesse tyrannique.
 
 
Influencé par le cinéma muet, les Marx Brothers et Tim Burton, Richard Elfman ose tout - et parfois n’importe quoi - pour nous entraîner dans un tourbillon de séquences musicales et de morceaux chantés par des protagonistes tous plus déments les uns que les autres. Parfois irritant, mais fréquemment transcendé par la scène suivante, encore plus entêtante et folingue, Forbidden Zone distille une attraction irrésistible à travers son univers fantasque bourré d’invention : décors en carton-pâte, séquences animées, costumes baroques, travestis, noirs en choral gospel et nymphettes sexys déchaînées.
 
C’est un véritable festival de pitreries, d’humour sciemment potache et de non-sens bigarré, génialement dépaysant, que nous offre Richard Elfman, jamais à court de carburant. Si bien qu’1h13 suffit largement à nous étourdir tant ce concentré de délire masochiste inspire à la fois ivresse et sentiment de satiété, porté par des comédiens grimés en pleine fête.
 
"Opéra Barjot en Carton-Pâte".
Indispensable pour tous les amateurs éclairés de bizarrerie singulière, avides de curiosité viciée, Forbidden Zone est un spectacle euphorisant de chaque instant - qu’on aurait tort de bouder, en dépit de son rythme infernal parfois éreintant.
 
A noter qu'il existe une version colorisée.  
 
— le cinéphile du cœur noir
2èx. Vostfr 

lundi 14 juillet 2025

Jean Pierre Putters 1946 / 2025. Fondateur de la revue Mad Movies, 1972.


J’ai perdu un père aujourd’hui.
Et je crois bien que nous, fantasticophiles, sommes nombreux à l’avoir considéré comme tel.

Jean-Pierre a été ce père d’ombre et de feu qui m’a tenu la main à 12 ans à travers l’écran et les pages. 
Cet homme qui a nourri nos nuits de monstres et de merveilles,
ce passeur d’ombres lumineuses,
ce conteur fou qui nous a appris que le bizarre, le mystère, le sanglant, le viscéral
avaient une âme, un cœur, une intelligence.

Celui qui m’a appris qu’aimer le cinéma, ce n’était pas seulement aimer les chefs-d’œuvre,
mais aussi les créatures visqueuses, les cris muets, le sang factice qui disait parfois plus vrai que la réalité.

Je pleure aujourd’hui.
De tristesse, de tendresse… et de respect.

Ce n’est pas seulement un homme qui s’éteint,
c’est une flamme.
Celle qui brûlait dans les pages de Mad Movies,
dans les salles obscures du Grand-Guignol, ces églises du délire,
dans nos cœurs adolescents qui trouvaient enfin une tribu parmi les monstres.

Putters, c’était l’érudit déglingué d'une pudeur inouïe, d'une discrétion timorée,
le passionné réservé non blasé,
le grand frère gothique qui n’avait pas peur du mauvais goût,
parce qu’il savait que derrière le latex et les hurlements,
il y avait des vérités, de la beauté, de l’humanité, de la sensibilité.

Il nous a appris à aimer autrement.
À ne pas avoir honte de nos passions souvent ciblées comme "déviantes".
À faire du bizarre une maison. Du cinéma de genre, une langue maternelle.

Jean-Pierre Putters est mort.

Et nous, ses enfants de celluloïd,
on continue de rêver, de frissonner, de hurler…
parce qu’il nous l’a appris. Et que ça ne s’oublie pas.

Je t'aime Jean-Pïerre ❤️‍🩹

Bruno








La Dernière Cavale / Truth or Consequences, N.M. de Kiefer Sutherland. 1997. 1h46.

                                  (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Derniers virages pour cœurs cabossés".
La Dernière Cavale, réalisé par Kiefer Sutherland (qui en endosse aussi l’un des rôles principaux), a des allures de série B influencée jusqu’à l’os par True Romance et ses cousins. Mais derrière ses clichés, ses situations éculées, ses méchants un brin caricaturaux - sauvés in extremis par des comédiens habités -, il y a une vraie tendresse, une sincérité brute qui finit par percer.

Sutherland soigne sa mise en scène. Il n’invente rien, mais il regarde ses personnages avec une attention sincère, presque inquiète. Cette bande de bras cassés, paumés magnifiques, cumule les bourdes avec la maladresse d’un humanisme déboussolé, une contrariété désespérée, une incapacité viscérale à s’extraire de la marginalité criminelle faute d’y avoir trop cru, trop vécu, trop sombré. Et l’on s’y attache. Vraiment. Franchement.

Il faut dire que les interprètes y mettent du cœur. Kim Dickens, sexy sans surjouer, impose une séduction tout en fragilité, une douceur blessée qu’elle déploie sans forcer. À ses côtés, Grace Phillips, d’une sensualité prude, presque éthérée, hypnotise avec ses splendides yeux bleus d’innocente troublée. Et puis il y a Vincent Gallo, instinctif, magnétique, bad boy fracassé au grand cœur, qu’on croit sorti d’un rêve déglingué de cinéma indépendant. Il crève l’écran sans en faire trop, à fleur de nerfs, animal et poignant.

Le récit reste trop classique, trop balisé. On devine souvent les trajectoires, les ruptures, les élans. Mais parfois, une idée jaillit - comme cette planque perchée au-dessus du camping-car, improbable et presque poétique - et vient troubler l'attendu. La musique, rock et nerveuse, entrecroisée de nappes plus lyriques, ne laisse pas indifférent. Elle imprime un souffle, un rythme, une tension presque romanesque.

Les scènes d’action sont impeccablement tenues : sèches, spectaculaires, nerveuses sans esbroufe. Et le final - inattendu dans sa douceur blessée - parvient à toucher juste. Réellement. Il émeut, simplement, sans faire les malins.

La Dernière Cavale n’est pas un grand film, loin s’en faut. Mais c’est un film attachant. Une série B honnête, souvent touchante, parfois maladroite, qui aurait pu frapper plus fort si son scénario avait osé s’aventurer hors des sentiers rebattus. Il n’en reste pas moins une œuvre humaine, sincère, portée par l’élan généreux d’un cinéaste débutant qui regarde ses marginaux comme on regarde des frères perdus.

— le cinéphile du cœur noir
3èx. Vost

Birth / Rebirth de Laura Moss. 2023. U.S.A. 1h39.

                                                                 (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Naître, renaître, et ne plus jamais revenir".
Film de science trouble, Birth/Rebirth dissèque sans anesthésie le mythe de Frankenstein au féminin, sans fard, sans pathos, sans peur. Laura Moss déploie une œuvre austère, charnelle, presque clinique, où l’amour maternel devient matière organique, terrain d’expérimentation, espace de déraillement.

Les interprétations étranges - presque froides, presque antipathiques - de Marin Ireland et Judy Reyes fascinent autant qu’elles dérangent. Anti-manichéennes au possible, leurs présences nous déstabilisent, flirtent avec l’inhumanité sans jamais y sombrer. Deux corps, deux volontés entêtées, guidées par un instinct irréductible, qui ne se regardent ni ne s'excusent. Juste s'obstinent, jusqu'à l'obsession.

La mise en scène, sèche, resserrée, infuse un climat d’inconfort persistant. Images corporelles, sanitaires, sexuelles : tout suinte la matière malade, la chair disséquée, la vie trafiquée, exsangue et pourtant palpitante. Quelque chose de dérangeant naît de cette intimité forcée avec les fluides, les tissus, les gestes médicaux presque rituels - comme une danse entre le soin et la profanation.


La musique, évanescente, agit comme un poison doux. Nappes tranquilles, faussement rassurantes, qui rampent dans le silence, s’y logent comme un écho hanté. Elle nous enveloppe pour mieux nous aspirer, hypnotique, spectrale, jamais là pour soulager.

Le récit, inspiré librement du roman de Shelley, ne cherche pas la morale mais bien la faille. L’ambiguïté est reine. Ce n’est pas un conte d’épouvante, c’est une tentative désespérée de panser nos blessures maternelles, de combler un vide avec des gestes de sorcières, des actes sans retour. Le film ose aller au-delà du bien et du mal, et c’est là qu’il dérange. Et qu’il touche.

Je l’ai revu une seconde fois, et c’est là qu’il s’est imposé davantage. Sans être un grand film, c’est quand même bon - parfois même très bon. Ça laisse des marques. Ça ronge en silence.
On pourra certes être déçu par une conclusion précipitée, expédiée presque, mais je l’ai acceptée - car elle prolonge la logique interne du film : il n’y a pas de résolution, pas de paix, seulement des apprenties-sorcières, consumées par leurs excès, vouées à continuer. Sans répit. Sans fin.

— le cinéphile du cœur noir

samedi 12 juillet 2025

Rêves Sanglants / The Sender de Roger Christian. 1982. Angleterre. 1h32.


"Une transe douce et clinique, un cauchemar transmis par ondes mentales".
Il n’a pas de nom. On l’appelle John Doe #83. Un garçon éteint, échoué aux abords d’un monde qui n’est plus le sien. Il a tenté de disparaître dans un lac comme on cherche le néant dans un verre d’eau. Mais l’eau l’a recraché. Et nous avec.

Avec Rêves sanglants, Roger Christian glisse une lame fine sous la peau du fantastique. Pas de second degré, pas d’échappatoire, pas de clin d’œil au spectateur. Juste une horreur adulte, froide, troublée. Une douleur blanche, enveloppée dans la lumière blafarde d’un hôpital psychiatrique où l’on scrute la folie comme un phénomène biologique.

Ici, les terreurs ne sortent pas des murs ou des masques grotesques. Elles sortent d’un esprit. Elles s’infiltrent. Elles contaminent.
Car John n’est pas seulement un jeune homme perdu. Il est un émetteur : il projette ses cauchemars dans la tête des autres. Ce qu’il rêve, vous le vivez. Ce qu’il redoute, vous l’endurez. Et ce qu’il a vécu… vous le revivez, en boucle.


Et pourtant, Rêves sanglants n’est jamais vulgaire, jamais complaisant. Pas une goutte de sang inutile. Les visions sont terribles, mais jamais gratuites. Elles dérangent, elles vrillent, elles s’infiltrent comme une pensée intrusive qu’on n’arrive plus à expulser.
Une scène en particulier, d’un choc absurde et effrayant, vous laisse suspendu comme en apnée - l’horreur n’est plus une pulsion, c’est une maladie mentale, une contagion de l’invisible.

Le film se tient droit. Sérieux. Intègre. Froidement sincère.
Sa mise en scène, sobre et chirurgicale, refuse l’esbroufe. Chaque plan est cadré comme un soupçon. Chaque coupe, un fragment de conscience qui bascule. Ce monde est feutré, étouffant, comme si le cauchemar lui-même avait besoin de silence pour s’exprimer.

Et puis il y a Gail, la psychiatre. Incarnée par Kathryn Harrold, au regard doux et solide, elle traverse le film comme une lumière fragile. Ni héroïne, ni figure d’autorité. Juste une présence humaine, calme, rassurante - un point d’ancrage dans ce flux hallucinatoire. Elle tente de comprendre là où d’autres enferment. Elle écoute là où d’autres condamnent. Et c’est peut-être ça qui fait le plus peur : quand la normalité, la tendresse même, se voit contaminée par la psychose d’un autre.

Le film s’engloutit doucement dans un délire où le réel se plie sous la pression du rêve. L’hallucination devient notre nouvelle logique. Plus on approche du cœur du mystère, plus tout devient flou, fissuré, schizophrène. Est-ce que l’on rêve ? Est-ce que l’on est déjà mort ? Ou bien est-ce cela, vivre : subir les visions de ceux qu’on n’a pas su sauver ?


Rêves Sanglants est une œuvre unique, visionnaire, qui a le mérite immense de prendre son sujet au sérieux sans jamais en faire trop. Un pur film de genre à la gravité clinique, aux images inédites, aux frissons silencieux, aux scènes chocs atypiques. Un précurseur oublié, injustement noyé dans le flot des années 80 tapageuses. Il mérite d’être redécouvert. Et respecté.

Un cauchemar sans hurlement. Une onde mentale. Un rêve sanglant, mais sans éclaboussure.

Gratitude Rimini pour cet écrin précieux.

P.S: Fait notable, attesté par le livret de Marc Toullec : parmi tous les films d’horreur sortis en 1982, c’est celui-ci que Quentin Tarantino désigne comme son préféré.

— le cinéphile du cœur noir 🩸

18.05.17
12.07.25. Vost

"The Sender/Deadly Dreams" de Roger Christian. 1982. Angleterre. 1h22. Avec Kathryn Harrold, Željko Ivanek, Shirley Knight, Paul Freeman, Sean Hewitt.

Sortie salles U.S: 22 Octobre 1982.

FILMOGRAPHIE: Roger Christian est un réalisateur et scénariste britannique, né en 1944 à Londres. 1982 : Rêves sanglants. 1985 : Starship. 1994 : Nostradamus. 1995 : The Final Cut. 1996 : Underworld. 1997 : Masterminds. 1999 : Star Wars, épisode I : La Menace fantôme de George Lucas (réalisateur 2e équipe). 2000 : Battlefield Earth - Terre champ de bataille. 2004 : American Daylight. 2004 : Bandido. 2013 : La Malédiction de la pyramide (TV). 2013 : Intuition maternelle (Dangerous Intuition) (TV) . 2013 : Invasion sur la Lune.

vendredi 11 juillet 2025

On ira de Enya Baroux. 2025. France. 1h37.

                                                          (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).
                                                             
                                                                                         Top 2025 en tête de peloton. 

"On ira : partir en douceur, vivre en éclats".
Abordant la polémique - du moins chez nous - de l’euthanasie à travers le portrait d’une mamie moribonde, atteinte d’un cancer de stade 4 incurable, On ira emprunte le chemin de la comédie dramatique pour nous épargner la sinistrose avec une grâce que rien ne laissait présager.

Impeccablement porté par des comédiens méconnus ou discrets dans notre paysage cinématographique - à l’exception de l’épatant Pierre Lottin (En Fanfare), en second rôle altruiste au jeu tranquille, littéralement dépouillé - On ira est ce genre de pépite indépendante surgie de nulle part (il s’agit d’ailleurs de la première réalisation d’Enya Baroux) qui, in fine, se révèle aussi précieuse que lumineuse. Chacun des interprètes se glisse dans son rôle sans la moindre afféterie, avec un naturel désarmant de vérité humaine.

Mention spéciale à la jeune Juliette Gasquet, prix d’interprétation mérité à la clé, dont le tempérament explosif irradie l’écran avec une intensité brute, troublante de sincérité, jusqu'aux larmes.

Truffé d’humour corrosif, de bons sentiments exaltants et d’une tendresse infinie pour ses personnages aussi ordinaires que profondément bienveillants, On ira irrigue ce road movie détendu d’ondes positives… puis négatives, à mesure que les proches familiaux, au fil du périple, découvrent cette vérité funeste, difficile à accepter de prime abord.
 

Hymne à la vie, à la communion fraternelle et familiale - et surtout à la liberté de choisir sa fin dans la dignité - On ira nous foudroie d’une flèche en plein cœur, là où on ne l’attend jamais. Tant la réalisatrice, profondément investie, veille avec délicatesse sur l’évolution morale de ses protagonistes, moteurs d’un récit alarmiste qu’elle maîtrise avec une acuité rare. Elle saisit, avec pudeur et clarté, la contradiction des sentiments - entre le cocasse et le furibond - dans un dépouillement de ton qui force le respect.

On ira milite évidemment avec lucidité pour le droit à l’euthanasie, tout en questionnant le sens de la mort, que les proches apprennent à approcher puis à accepter, à travers une initiation douce à une maturité plus lumineuse.

Inévitablement bouleversant, puis déchirant, On ira s’élève dans un final anthologique, apothéose émotionnelle en feu d’artifice cathartique, ciselé dans une pudeur taiseuse. Le film laisse une empreinte terrible au cœur : celle d’avoir côtoyé - en un temps trop furtif - une famille humble, unie, d’une chaleur humaine bouleversante, jamais complaisante ni outrancière, dans le respect constant d’une thématique houleuse, ici abordée avec un tact et une finesse d’âme que l’actrice Hélène Vincent transcende également de sa fragilité stoïque.

"Et si c'était ça, mourir ? !"
Un des plus beaux films français de 2025.
À moins qu’il ne s’agisse du plus grand, dans une simplicité autonome. 

— le cinéphile du cœur noir

Récompenses: Prix d'interprétation féminine pour Hélène Vincent et Juliette Gasquet au Festival international du film de comédie de l'Alpe d'Huez 2025.