(Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).
Avant-propos:
Très honnêtement, je ne sais pas exactement ce que je viens de voir pour la toute première fois… mais je sais que j’ai vécu une expérience de cinéma dont il me faudra des heures - peut-être des jours - pour la digérer, la comprendre, la décortiquer... et surtout, la survivre. Une chose est certaine : une trace indélébile s’est imprimée quelque part entre mon âme et mon encéphale. Une brûlure lente, trouble, persistante. Quelque chose qui ne s’efface pas.
"Celluloïd schizophrène : l’ultime spectacle de Lylah".
Un cauchemar de celluloïd, un opéra décadent qui se referme comme un piège doré sur une marionnette sans volonté.
Dès les premières images, un malaise fluide s’infiltre dans les pores du spectateur. Tout y est moite, exagéré, figé dans une lumière blafarde. Ce n’est plus du cinéma : c’est une messe noire hollywoodienne. Elsa Brinkmann (Kim Novak), apparition fragile et vacillante, devient sans le vouloir la proie d’un démon aux traits de star défunte - Lylah Clare, chimère sexuelle, ange déchu des studios.
Lylah n’est jamais là, mais partout à la fois. Elle rôde. Elle griffe. Elle avale Elsa par effraction mentale, jusqu’à la remplacer totalement, à la manière d’un virus psychique. Les personnages qui l’entourent - metteur en scène veule, producteur cynique, journalistes charognards - suintent l’arrogance satisfaite des ogres repus. Ils n’aiment pas Elsa : ils l’exploitent, la pressent, la sacrifient sur l’autel d’un cinéma qui ne cache même plus son sadisme.
Le baroque ici n’est pas seulement esthétique : il est pathologique. L’univers que filme Aldrich n’a plus de morale ni d’émotion humaine. C’est une usine à fantasmes nécrophiles, où les vivants sont façonnés à l’image des morts pour continuer à vendre du rêve frelaté. Elsa, marionnette désarticulée, y devient lentement une sorte de Golem habité par un fantôme schizophrène, dont la voix rocailleuse semble monter d’un caveau de pellicule.
Ce n’est pas une descente aux enfers : c’est un enchaînement clinique de possessions, une longue spirale où les rires deviennent des cris, et où chaque plan semble filmé depuis l’intérieur d’un miroir fissuré.
Le final - mon Dieu, ce final - est d’une tension insoutenable, presque insupportable. Une scène de tournage surréaliste (cirque du délire), qui bascule dans le snuff movie déguisé, où Elsa/Lylah est définitivement effacée, dans un silence presque religieux. Les caméras tournent, l’œil froid du projecteur ne cligne pas. La mort devient spectacle, chair à profits. Un sourire se fige. Rideau. Et dans les coulisses, les vautours ricanent déjà, prêts à lancer une nouvelle campagne promotionnelle (avant cette risible pub canine).
Robert Aldrich signe ici son film le plus malade, le plus mal-aimé aussi. On comprend que le public ait fui ce miroir trop sale, trop vrai sous l'impulsion de ces margoulins antipathiques. Hollywood est un abattoir sacré, et il le filme sans la moindre pudeur, sans le moindre fard. Ce n’est pas seulement une dénonciation : c’est un crucifiement, une dissection de l’âme vendue au plus offrant.
Un film rare, poisseux, trouble, halluciné, où la folie se confond avec le jeu, et où le cinéma lui-même devient un acte de violence.
Je pense qu'un avertissement s’impose quand même: ce film s’adresse à un public averti - non pour une quelconque violence graphique (quasi absente), mais pour sa violence morale, insidieuse, perverse, aliénante, qui s’infiltre lentement jusqu’à devenir presque insoutenable. Un dernier quart d’heure impensable, où la fiction franchit un seuil interdit, laissant le spectateur hébété, pris au piège d’un spectacle qui ne devrait pas exister.
Rideau... Tout n'était qu'illusion (?).
— le cinéphile du cœur noir
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