lundi 27 octobre 2025

Golem: le tueur de Londres / The Limehouse Golem de Juan Carlos Medina. 2016.

                      (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site Imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives) 

"Le théâtre du sang et des larmes."

Dans le brouillard jaune de Londres, la peur s’infiltre dans les ruelles comme une vapeur acide. Le sang, les cris, la scène et la potence. 

Formidable thriller horrifique au suspense exponentiel, Golem: le tueur de Londres s’annonce d’abord comme une simple enquête victorienne, mais rapidement s'élève, se déploie, s'y tord une véritable tragédie humaine que nul ne pouvait prédire. 

Au cœur de cette mécanique parfaitement huilée : Lizzie Cree, interprétée avec une intensité naturelle par Olivia Cooke (Bates Motel). Elle prend vie dans une douce affirmation. Elle magnétise délicatement. Or, derrière ses yeux, un abîme - celui d’une femme broyée par le mépris des hommes, par la faim de reconnaissance, par l’illusion de la célébrité. On éprouve pour elle une empathie profonde, dérangeante : enfant maltraitée, femme humiliée, marionnette du patriarcat victorien. Une longue asphyxie sociale et intime où moult suspects nous interrogent par leurs actions déplacées. 

Le film se nourrit de cette tension psychologique, fiévreuse, entre Lizzie et l’inspecteur Kildare (un Bill Nighy d’une retenue poignante comme le souligne l'incroyable final dramatique). Deux âmes solitaires : lui cherche la vérité comme on cherche Dieu en guise de justice et de loyauté, elle cherche l’amour comme on mendie la lumière. Chacun est hanté par son propre masque. L’enquête devient alors un duel silencieux, un ballet d’ombres et de regards où les confessions se font par ricochet au fil d'un suspense toujours plus délétère. 

Juan Carlos Medina filme ce labyrinthe mental avec une élégance froide, théâtrale - les rideaux rouges du music-hall deviennent le rideau de scène du crime passés les numéros comiques. Le théâtre, la presse, la morale : tout se confond dans un carnaval de faux-semblants où la société elle-même devient coupable, victime et ignorante de ce qui se trame.

Et quand vient la révélation, c’est un vertige émotionnel qui affecte la gravité. Non pas le triomphe d’un twist, mais l’effondrement d’une âme, faute d'un dilemme moral terriblement ambigu. 
Le Golem n’est plus un tueur dans la nuit - c’est la créature que le monde narcissique fabrique lors de mises en scène ludiques. Une mise en abyme aussi fantasque que dramatique. 

Visuellement somptueux, étonnamment cruel, tant d'un point de vue graphique que psychologique, Golem le tueur de Londres est d’une intelligence émotionnelle dans sa disparité des genres qu'unissent le drame, la romance, le policier et l'horreur mutuellement confinés dans une tragédie humaine. Le cœur y bat davantage sous le vernis des costumes, dans la solitude, dans ce besoin désespéré d’être regardée - même pour ses crimes.

Or, à travers cette vendetta victorienne impeccablement reconstituée, rien ne laissait présager la valeur des sentiments qui se détache de ce conte macabre, aussi stylisé que psychologiquement éprouvant. Si bien que l'on en sort taiseux, amer et démuni.

— le cinéphile du cœur noir
2èx. Vostf 

Tron: Ares de Joachim Rønning. 2025. U.S.A. 1h59.

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"L’Évêque des batailles.

"Par tous les croms ! Mais quel spectacle de fou !
Tron: Ares n’est pas qu’une suite tardive ou un reboot conçu pour plaire à la nouvelle génération : c’est un rite de passage, une immersion totale dans le cœur vibrant d’un univers où la lumière épouse la chair. Joachim Ronning signe un film d’une pure beauté visuelle, un trip électro aux pulsations presque mystiques, où chaque plan fusionne avec la musique pour former un gigantesque clip cosmique - une messe dédiée à l’image et au son j'vous dis.

Et sous son apparente simplicité, le scénario cache en filigrane une réflexion mélancolique - à juste dose épurée - sur la fatalité et l’acceptation de la mort, sur la fragilité de l’humain face à ses créations faute de sa mégalomanie, sa soif d'autorité intolérante. Ici, l’intelligence artificielle n’est pas un monstre apocalyptique mais un nouveau-né, un miroir, une éventuelle promesse : celle d’un outil capable de sauver, de nourrir, de guérir - à condition qu’on lui insuffle une conscience de bon sens et qu'on l'utilise à bon escient.
 
 
Truffé de clins d'oeil et de détails rétros, Ronning déclare par la même occasion générationnelle son amour aux années 80 avec une touchante sincérité. Le film originel est respecté, honoré, reconditionné lors de la dernière partie : l’action se déplace au cœur du jeu vidéo, temple de néons et de vitesses, où les circuits numériques se mêlent à la matière urbaine. Les effets spéciaux, d’une précision tactile, s’intègrent parfaitement dans ce monde hybride où le virtuel infiltre le réel avec une douceur troublante proche de l'émerveillement. On est à l'intérieur de l'écran ! On croit à ce que l'on voit ! On vit ce que l'on voit, tel un rêve sensoriel échappé de notre mémoire.
 
Chaque séquence d’action, lisible, chorégraphiée avec une élégance stylée, sert le récit et non l’inverse. La photographie, rutilante comme une armure de verre, capte la lumière des pixels et la transforme en émotion pure. Les acteurs familiers, formidablement impliqués, donnent chair à leurs caractères et à leur programmes en éveil existentiel. Leur empathie, palpable, irrigue le film d’une tendresse inattendue : la relation entre Ares et Eve par exemple devient le coeur battant du récit, un lien amical fragile et humain, promesse de paix intérieure et d’avenir possible entre deux voix humanoïdes.
 

Tron: Ares est une expérience de cinéma généreuse - sensorielle, enivrante, hypnotique, belle jusqu'à l'ivresse de l'amour car quand on aime, on aime toujours trop. Un vertige rétrofuturiste où la nostalgie communique avec l’avenir, où l’émerveillement l’emporte sur le cynisme. L’univers de jeu devient cathédrale du divertissement optimal, et Ronning, son évêque des batailles, y célèbre la fusion sacrée de l’homme et de la machine dans un concerto électro extrêmement entrainant.
 
Un coup de cœur ? Disons plutôt une onde de choc thermique, brève mais persistante, dans la mémoire du rêve. Mais rêver, c’est aussi croire que le cinéma peut sauver le monde.

— le cinéphile du cœur noir

Le Règne animal de Thomas Calley. 2023. France. 2h07.

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"Un chant d'amour et de désespoir pour le devenir de l'humanité."

De manière prude et posée, et dans l'art du storytelling, Le Règne animal s’avance comme une fable organique où le fantastique naît de la chair, du souffle et de la forêt sous l'impulsion d'effets spéciaux bluffant de réalisme viscéral. Thomas Cailley y orchestre la métamorphose d’un monde et d’un fils, Émile, adolescent en dérive, dont le corps se fissure à mesure que l’humanité chancelle. Le film respire la peur et la tendresse, la sauvagerie et la douceur mêlées. Sous ses dehors de récit initiatique, il murmure une vérité essentielle : celle du droit à la différence, de l’acceptation de ce qui échappe, et du retour à la nature comme refuge ultime.

 
Dans la forêt, le film s’abandonne à un onirisme naturaliste d’une beauté rare dans le paysage du cinéma Français, en toute sobriété. L’amitié entre Émile et l’homme-oiseau y atteint une grâce silencieuse, presque spirituelle. Leurs gestes, leurs regards, leurs tentatives de vol sont autant d’élans vers la liberté, d’appels à la lumière, de cri d'alarme pour le droit d'exister en toute autonomie. La musique, subtile, un peu discrète et lyrique, accompagne ces instants suspendus avec une justesse qui caresse le coeur. 

Et puis il y a Nina - cette romance impossible, douce comme une blessure tacite. Cailley en saisit la fugacité, la pudeur, l’éclat fragile d’un sentiment condamné avant d’avoir vraiment vécu.
 
 
Romain Duris, Paul Kircher, Adèle Exarchopoulos - trois âmes vibrantes suspendues entre amour, questionnements, et perte. Thomas Cailley filme leurs visages comme des paysages à l’orée du désastre. L’émotion circule, nue, fragile, bouleversante, jusqu’à ce final d’adieux qui étreint le cœur et le laisse battre à vif. Le générique défile, on reste bouche bée, muré dans un silence pesant. 

Métaphore du passage de l'adolescence à l'âge adulte dans une  émancipation primitive renouant avec notre instinct animal, hymne à l’altérité, cri écologique pour la cause animale et poème d’amour aux métamorphoses du vivant, Le Règne animal s’impose comme l’un des plus beaux films fantastiques contemporains - une œuvre de tendresse somme toute sensible par son humanité déchirante inscrite dans le non-dit, dont on ne ressort pas indemne. 
 

On pleure en guise d’exutoire, d’échappatoire, face à un monde en crise qui échappe un peu plus chaque jour à notre raison et à notre compréhension.

— le cinéphile du cœur noir

mercredi 22 octobre 2025

Dead of Winter de Brian Kirk. 2025. U.S.A. 1h38 (1h33).

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"La blancheur des spectres."

Excellent thriller à l’ancienne, impeccablement interprété par un quatuor de comédiens à l’expressivité forcenée, Dead of Winter s’élève grâce à la présence d’Emma Thompson, bouleversante septuagénaire mélancolique en quête d’un havre de paix. Le réalisateur tisse peu à peu les fils de son passé familial à travers des flash-backs habilement insérés entre deux rebondissements incertains, entre deux frissons d’angoisse.

Si la première demi-heure évoque un peu Fargo des frères Coen - par cette opposition malencontreuse entre un couple véreux et une veuve en quête de repos, s’entraînant dans une chasse sans répit - Dead of Winter relance sans cesse son intrigue échevelée, sculptant un suspense retors tout en approfondissant la psychologie des personnages au seuil de la mort.
 

On peut saluer la qualité technique d’une mise en scène pleinement investie dans ce qu’elle filme : le cadre enneigé s’y déploie en panoramiques oniriques, en sentiers boisés, en cabanes délabrées où les personnages errent avec une ironie tacite, se disputant tour à tour les espaces clos comme autant de refuges précaires, guidés par une soif de survie à la fois éreintante et palpitante.

Par son intensité psychologique, finement développée tant chez les bourreaux que chez les victimes - tous unis par la peur de la mort et le désir de la gagne - Dead of Winter dresse un constat pathétique sur la nature humaine confrontée au spectre de sa finitude. Sous un vernis de cruauté individualiste, Brian Kirk ose offrir à une septuagénaire un rôle d’une belle densité, qu’Emma Thompson habite avec une justesse poignante : héroïne de fortune, mère en quête de rédemption, âme blessée cherchant encore la chaleur d’un foyer auprès d'un lac symbole.
 

Le film, rapide, dur et radical, offre un regard poignant sur la vieillesse et le sens de la fidélité. Il s'achève d'ailleurs sur un final aussi surprenant qu’émouvant, célébrant les valeurs familiales avec une pudeur dépouillée qui force le respect.

— le cinéphile du cœur noir

mardi 21 octobre 2025

Marche ou crève / The Long Walk de Francis Lauwrence. 2025. U.S.A. 1h48 (1h42).

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"La marche des Damnés."
Déconcertant, un tantinet difficile d’accès, Marche ou crève s’impose d’abord par son climat nonchalant et son absurdité morale un peu difficile à contempler. Durant 1h42, on observe ces jeunes volontaires se laisser dériver vers la déchéance - physique et cérébrale - au prix d’une misérable victoire élitiste. Marche ou crève est un uppercut émotionnel dont on ne ressort pas indemne.
 

Une œuvre grave, dure, trop cruelle mais d’utilité publique, au point de craindre qu’un jour prochain, cette compétition criminelle puisse réellement voir le jour sous l’égide d’un État fasciste.

On peut d’ailleurs y lire une résonance politique : durant la Seconde Guerre mondiale, les nazis infligeaient aux prisonniers des camps de concentration les marches de la mort. Ils étaient contraints de parcourir des centaines de kilomètres sans nourriture, sans repos, dans le froid. Et comme dans le film, quiconque s’arrêtait était abattu sur place, sous le regard des autres.
 

On retrouve donc dans cette œuvre dépressive, qui ne cherche jamais à se faire aimer, la même logique de domination et d’obéissance, la même déshumanisation, la même fascination morbide pour la souffrance d’autrui au nom du divertissement. Une jeunesse suicidaire, car désoeuvrée, aux valeurs perdues, sacrifiée sur l’autel d’une société du spectacle.

Dépeignant une société dystopique à travers cette marche de longue haleine - euphémisme s’il en est - Marche ou crève est autant une épreuve de force qu’un chemin de croix sans illusion, où cinquante participants marchent - presque comme des zombies agités - pour un butin dérisoire.

D’une violence crue, les exécutions sommaires filmées face caméra nous ébranlent jusqu’à l’écœurement. Elles laissent un goût amer d’impuissance et de révolte face à cette dictature militaire dénuée de toute vergogne. Pendant ce temps, le public, lobotomisé par la perte des valeurs et du sens moral, contemple à peine ce massacre, à distance, avec une lassitude impassible.
 

D’une intensité dramatique éprouvante, presque insupportable, le film nous entraîne sur une route exténuante et démotivante, jusqu’à nous désarmer de toute illusion. Il nous renvoie à notre propre conscience morale, asservie par nos sociétés contemporaines liberticides et ultra-conservatrices où la parole contradictoire est davantage perçue comme une menace à endiguer.

Réservé à un public préparé, notamment en raison de son rythme sciemment larvé et langoureux, Marche ou crève justifie pleinement son interdiction aux moins de 16 ans. Encore faudrait-il que les adolescents à la capacité de réflexion et au bagage culturel s’y confrontent, en espérant qu'ils ne connaitront jamais ce pouvoir totalitaire.

— le cinéphile du cœur noir
 
 
FILMOGRAPHIE: Francis Lawrence est un réalisateur américain né le 26 mars 1971 à Vienne, en Autriche. 2005 : Constantine. 2007 : Je suis une Légende. 2011 : De l'eau pour les éléphants. 2013 : Hunger Games : L'Embrasement. 2014 : Hunger Games : La Révolte, partie 1. 2015 : Hunger Games : La Révolte, partie 2. 2018 : Red Sparrow. 2022 : La Petite Nemo et le Monde des rêves. 2023 : Hunger Games : La Ballade du serpent et de l'oiseau chanteur. 2025 : Marche ou crève. 

lundi 20 octobre 2025

Le Pacte des Loups de Christophe Gans. 2001. France. 2h30.

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"Christophe Gans ou la furie du romanesque."

Héritier flamboyant du cinéma d’aventures d’antan, Le Pacte des loups ressuscite l’esprit bisseux des années 60, celui des cinémas de quartier où l’imaginaire vibrait à pleins poumons. Christophe Gans y convoque un univers baroque et ésotérique, un kaléidoscope de genres - horreur, fantastique, romance, aventure et film en costume - qu’il mêle avec une maîtrise visuelle éblouissante. Saturé de couleurs flamboyantes, le film s’impose comme un opéra d’images, un festin sensoriel où chaque plan semble ciselé à la lame.


L’impact sonore des scènes d’action, magnifiquement chorégraphiées, participe de cette démesure spectaculaire : chaque coup, chaque souffle, chaque cri semble jaillir de l’écran avec une intensité tellurique dans une édition 4K qui laisse pantois. Les séquences d’arts martiaux, portées par la grâce fauve de Mark Dacascos, possèdent un souffle épique rare, entre élégance et sauvagerie pure. Le corps devient danse, la violence un rituel. Et quand l’horreur s’invite, elle lacère sans détour : les scènes sanglantes, d’une brutalité inouïe, rappellent combien Gans aime repousser les limites du spectaculaire pour mieux raviver le frisson d’un cinéma total, généreux, forcené, démesuré.


Au cœur du tumulte, la romance entre Samuel Le Bihan et Émilie Dequenne se tisse en filigrane, douce parenthèse d’humanité dans un monde de complots et de griffes. Leurs regards échangés au milieu des tempêtes confèrent au film une mélancolie presque mythologique, à l'instar de sa magnifique conclusion non dénuée d'émotions mélancoliques. Le choc des générations d’acteurs - anciens visages et jeunes recrues - nourrit cette alchimie singulière, entre tradition et modernité. Le Bihan, viril et ténébreux, s’impose en chevalier preux, habité d’une ferveur intérieure. Dacascos, taiseux et hiératique, incarne la noblesse du geste, le dévouement muet du guerrier. À l’inverse, Vincent Cassel, en traître arrogant et sans vergogne, livre une composition détestable - dans le meilleur sens du terme -, son vice rongeant l’écran à chaque apparition.


La musique envoûtante parachève cette démesure : elle retrouve la majesté des grands spectacles populaires d’autrefois, où l’orchestre et la passion s’unissaient pour exalter le mythe. Christophe Gans, artisan habité par l’amour du travail bien fait, tisse deux heures trente de pur divertissement sans jamais trahir l’élégance du cinéma. Son art du référentiel digéré, sa science du cadre et du rythme, font de Le Pacte des loups un bijou de stylisme et de générosité.


Un film fun, jouissif, démesuré, qui nous laisse ivres de cinéma renouant avec son essence essentielle: divertir dans l'artisanat. Si bien que rarement le divertissement français aura atteint un tel sommet de virtuosité et de ferveur visuelle. Un chef-d’œuvre du genre, oui, précieux parce que trop rare, voir aussi digne pour son discours émouvant sur la protection des loups et la maltraitance animale. Or, à travers cette cause essentielle, son éclat baroque et ses vertiges d’action, Le Pacte des loups y dévoile la face sombre du fanatisme religieux, ce pouvoir criminel drapé de foi, où le clergé manipule la peur pour régner sur les âmes. Une lutte des pouvoirs où la bête véritable n’est pas celle qu’on traque au fond des bois, mais celle qui sommeille dans le cœur des hommes.


A revoir d'urgence, de préférence dans son édition 4K insensée.

— le cinéphile du cœur noir
3èx

Dracula de Tod Browning. 1931. U.S.A. 1h14.

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"Dracula : la première nuit du fantastique."

Chef-d’œuvre absolu âgé de quatre-vingt-quatorze printemps, Dracula de Tod Browning prouve, à chaque nouvelle vision, que la magie de la première fois se régénère indéfiniment. Le film lui-même, vampirisé par l’entreprise de son auteur et de la présence archétypale de son acteur, accède ainsi à l’immortalité après s’être nourri du roman de Bram Stoker. Cette fraîcheur originelle, gravée sur pellicule monochrome, confère à l’histoire - pourtant mille fois revisitée - une singularité intacte, que Browning cisèle avec un soin formel hallucinatoire.

Tout concourt à cette envoûtante perfection : la nature environnante imprégnée d’un onirisme crépusculaire, les intérieurs du château drapés d’immenses toiles d’araignées, son escalier en colimaçon s’étirant jusqu’au vertige, les extérieurs noyés de brume, ou encore la demeure familiale où les héros cherchent refuge. Et comment oublier les apparitions spectrales et sensuelles du trio de femmes vampires, voilées de soie, déambulant au seuil du désir et de la mort dans les sous-sols décrépis.

Tout, dans Dracula, transpire un gothisme charnel et sépulcral, un sang du rêve, sublimé par un noir et blanc granuleux à damner un saint. Et Bela Lugosi, de sa prestance hiératique, snobée, maléfique, hante chaque plan, agrippe le regard, fige le temps - jusqu’à devenir, à lui seul, la pulsation nocturne du mythe.

Voilà sans doute ici la sève du cinéma fantastique le plus noble et le plus cher : abolir la poussière du temps, ranimer les spectres séculaires pour nous faire croire, l’espace d’une oeuvre, que l’éternité existe.

— le cinéphile du cœur noir
5èx. Vostf

jeudi 16 octobre 2025

The Slumber party massacre de Amy Holden Jones. 1982. U.S.A. 1h17.

                                                       
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"La nuit où les filles prirent la parole."

Fleurant bon le parfum des années 80 - alors qu’à l’époque je le tenais pour un semi-nanar, semi-navet - The Slumber Party Massacre se révèle aujourd’hui un sympathique psycho-killer, agréable à suivre, ludique et même rigolo, grâce à sa facture semi-parodique que la réalisatrice Amy Holden Jones exploite avec sobriété, sans jamais se railler du genre.

Réservé sans doute aux inconditionnels, ce massacre diurne met davantage en valeur la gente féminine que masculine : ici, point de potiches décervelées aux seins siliconés. Les filles conversent plus que les mecs, se défendent à plusieurs lors du final musclé avec un certain acharnement, parlent sans complexe de sexe, de drogue, d’alcool… et s’accordent même quelques traits d’humour macabre - il fallait oser la dégustation de pizza sur un cadavre encore tiède. Le rythme s’emballe peu à peu, les meurtres s’enchaînent à renfort de gore rutilant jusqu’au carnage final sans final girl éprouvé, étonnamment bien maîtrisé par une mise en scène soignée, soutenue par une splendide photographie contrastée (à redécouvrir absolument dans son incroyable écrin 4K).
 

Quant au tueur sans masque, au visage banal - évoquant celui de Blood Feast de Herschell Gordon Lewis - il dégage une inquiétante étrangeté : même regard demeuré, même aura malsaine, amplifiée par une partition d’orgue délicieusement anachronique. Sa présence inspire tout à la fois la crainte, une légère appréhension, et un sourire complice devant son ustensile aussi phallique qu’incongru, brandi comme une déclaration d’amour tordue aux femmes.

Jouant avec les clichés du psycho-killer avec malice et une certaine habileté, The Slumber Party Massacre séduit par son esprit parodique discret, son ton badin et sa sincérité d’époque. Une série B bonnard, baignée dans la sainte lumière des années 80, que la réalisatrice ausculte avec un sens esthétique inattendu.
 
— le cinéphile du cœur noir 
2èx. 4K Vostf  
 
  
Ci-joint l'étonnante Filmographie de la réalisatrice: 
1982 : The slumber party massacre. 1984 : Love Letters. 1988 : Mystic Pizza. 1987 : L'apprentie domestique. 1991 : Saturday's (téléfilm). 1992 : Beethoven. 1992 : Indecency (téléfilm). 1993 : Proposition indécente. 1993 : Beethoven 2. 1994 : Guet-apens. 1996 : Sombres Soupçons. 1997 : Relic. 2000 : Beethoven 3. 2001 : Beethoven 4. 2003 : Beethoven et le Trésor perdu. 2007 : Indecent Proposal (court-métrage). 2010 : H.M.S.: White Coat (téléfilm). 2011 : Beethoven sauve Noël. 2014 : Black Box. 2014 : Beethoven et le Trésor des pirates. 2018 - 2023 : The Resident. 

lundi 13 octobre 2025

Good Boy de Ben Leonberg. 2025. U.S.A. 1h13.

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"Dans les yeux du chien, la peur a un visage."

Armé d’un concept aussi couillu que casse-gueule, Ben Leonberg parvient, avec autant d’habileté que d’ambition, à ne jamais le faire sombrer dans le ridicule.

Entièrement tourné du point de vue d’un chien réduit à la solitude dans une demeure potentiellement hantée, aux côtés d’un maître rongé par le cancer, Good Boy exploite à merveille chaque recoin de cette étrange bâtisse, avec une maîtrise technique terriblement inspirée - fréquemment à hauteur du chien. Par la force de cette mise en scène inventive, auscultant les réactions de stupeur et d’appréhension d’un simple animal, nous participons à une expérience horrifique comme nul autre film n’avait su l’oser.
Mais si Good Boy demeure si singulier, si dérangeant, si déstabilisant - c’est dans sa faculté sensorielle à nous confondre à la place du chien. Comme lui, nous ne comprenons jamais tout à fait ce que nous voyons, ni ce que nous subissons. Le réalisateur brouille les frontières entre rêve, hallucination et réalité, au gré de visions opaques d’une entité fangeuse, sournoise, pernicieuse - sans pitié.


À travers l’impuissance et la fragilité d’un simple canidé pris au piège d’une expérience surnaturelle bâtie sur l’incompréhension, l'impuissance et la cruauté, Good Boy nous enferme dans une double position inconfortable : celle du voyeur et de la victime. Une intensité émotionnelle que l’on ne voit jamais venir à travers son initiation héroïque doublée d'une une tension oppressante qui va délicatement crescendo. C’est là que réside la force, la véracité de cette hantise démoniale vue à travers les yeux d’un acteur canin d’une expressivité désarmante. Jusqu’à ce final subtilement émouvant par le non-dit qui refuse le happy-end attendu.

En matière d’horreur, si l’année 2025 ne déroge pas à la règle qualitative, Good Boy prouve qu’avec de l’ambition et l’intelligence de ne pas prendre le spectateur pour un ado ou un imbécile, il est encore possible d’offrir des œuvres qui s’impriment durablement en nous. Avec ce sentiment noble et rare d’avoir participé à quelque chose de neuf, de réellement novateur, au cœur du vieux thème de la maison hantée.

Une sacrée surprise donc, qui laisse derrière elle un frisson persistant, trouble et dérangeant, un souffle de hantise jamais vraiment éteint bien après le générique.

— le cinéphile du cœur noir

samedi 11 octobre 2025

Shiva Baby

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"Le sabbat des identités."
Quand on tombe, par pur hasard, ou plutôt par rendez-vous, sur une énorme surprise.
L’histoire, d’une simplicité désarmante, déroute d’emblée. On se demande à quoi rime cette réunion funéraire, et surtout où la réalisatrice veut nous embarquer dans ce huis clos faussement affable. 
Il ne se passe rien - ou presque - et pourtant tout vibre : une ambiance inquiétante, décalée, ironique, terriblement caustique, d’une intensité détonante.

Tout repose sur les regards, les non-dits, les postures hypocrites. Et surtout, grâce au jeu habité des comédiennes et à une mise en scène baroque, presque cartographique dans sa dimension horrifique, Shiva Baby devient une épreuve de force psychologique, impossible à effacer de la mémoire sitôt le générique clos.

Cette farce juive à base d'anxiété, de judaïsme, de bisexualité, d’une maîtrise chirurgicale, ne dure qu’une heure treize - et pourtant, on en ressort dépité, frustré de sa brièveté. 

Gratitude à Rachel Sennott, étudiante peu recommandable, au bord du chavirement, en pleine crise identitaire face à une assemblée bourgeoise rongée de névroses. Elle éclate l’écran, de la première à la dernière seconde. On voudrait ne jamais la quitter. Trop tard… le rideau est déjà tombé.

P.S: 12 récompenses à travers le monde sur 43 nominations.

— le cinéphile du cœur noir

jeudi 9 octobre 2025

En première ligne / Heldin de Petra Biondina Volpe. 2025. Suisse/Allemagne. 1h33.

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"Le souffle des épuisés."

Avant-propos: "D’ici à 2030, il manquera en Suisse 30 000 membres du personnel infirmier. 36 % du personnel infirmier démissionne quatre ans après sa formation. La pénurie de soignants dans le monde est une crise sanitaire planétaire. L’OMS estime qu’il manquera 13 millions de soignants d’ici à 2030."

Production germano-suisse, En première ligne suit le quotidien d’une infirmière, Floria Lind, dans un hôpital suisse en sous-effectif chronique. Par son réalisme clinique et son immersion sensorielle, le film capte d’emblée l’essence du réel : celui d’un monde épuisé, au bord de la rupture. Soutenu par le jeu d’acteurs d’une vérité presque documentaire - notamment celui, habité, de l’Allemande Leonie Benesch -, En première ligne impose une humanité brute, charnelle, portée par une lumière laiteuse, bleutée, d’une froideur presque anesthésiante.

                                             
 
De sa démarche alourdie à son regard inlassablement tourné vers l’autre, Leonie Benesch incarne une femme pugnace, ancrée dans la sollicitude et la résistance tranquille. Malgré la fatigue qui ronge, la lassitude qui creuse, elle avance - droite, entière, traversant cette journée harassante faite de gestes répétés, de douleurs reçues, d’espoirs infimes. Ses rencontres, souvent âpres - patients irrévérencieux, égoïstes, parfois enfantins - révèlent peu à peu des éclats de bonté, de fragilité, d’altruisme. Sous la provocation affleure la peur ; sous l’amertume, un sursaut de conscience.

À travers ces visages abîmés par la maladie, En première ligne bouleverse sans prévenir. Il montre comment, dans la détresse, certains retrouvent encore la lumière - celle qu’une infirmière courageuse allume par sa seule présence, son abnégation, son humanité intacte. Vibrant, sans jamais sombrer dans le misérabilisme ou la sinistrose, le film dresse un témoignage d’une rare justesse sur la fatigue morale du corps infirmier, dans une société exsangue, vidée de compassion, d'ambition et d’effectifs. 

Porté par une mise en scène d’une intensité dramatique maîtrisée - caméra fluide, mouvements circulaires d’une précision organique -, Petra Volpe signe une œuvre profondément habitée, entre docu-vérité et drame viscéral. En première ligne ébranle nos émotions, ravive notre empathie, et nous confronte à une évidence : derrière chaque blouse blanche se cache une âme au bord du gouffre, mais debout encore, par devoir d’aimer, par nécessité de soigner. Bouleversant, comme le suggère en douceur cet ultime plan d’une solidarité féminine, pudique et tendre, qui nous laisse sans voix. 

— le cinéphile du cœur noir

mercredi 8 octobre 2025

Monster: Ed Gein. 2025. U.S.A. 8 épisodes.

                 (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site Imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives)

"Larmes sur un visage de cuir."

Tout bien considéré, que penser de cette série scindée en huit épisodes à la fois troubles, malaisants, équivoques, expérimentaux, voire bouleversants - si je me réfère au dernier, déchirant, à ma grande stupeur ? Car je n’ai jamais ressenti de véritable empathie durant ces sept premiers épisodes inégaux, où je ne savais trop où les créateurs souhaitaient nous mener. Est-ce un portrait psychologique ? Un commentaire culturel ? Un hommage à la starification des serial killers, confondant admirablement fiction et réalité - avec ces scènes de tournage de Massacre à la Tronçonneuse et Psychose ?

Pourtant, l’épisode final m’a tétanisé. Une émotion brute, à vif. Jamais, dans ma vie de cinéphile, un tueur en série n’avait su me faire pleurer - par la force tragique de son humanité. Les créateurs prétendent l’humaniser tout en persévérant dans l’extravagance de ses hallucinations morbides, où Ed Gein se starifie auprès des pires monstres de l’histoire, par absence d’amour, de soutien, de réconfort - dans une société normalisée, incapable de concevoir que, parfois, derrière un monstre, se cache une part d’homme.


Ed Gein est bel et bien une victime : des sermons de sa mère bigote, de sa misanthropie - autant de haine pour l’homme que pour la femme - et d’une solitude qui ne trouve refuge que dans les délires fuyants d’une nécrophilie galopante passée sa fascination pour le génocide juif. Le contenu de cette série hors norme bouscule nos habitudes : déstabilisante, rarement immersive (en dépit d’un final cathartique flirtant avec le chef-d’œuvre élégiaque), elle conjugue - avec un soin formel et une efficacité technique remarquables - scènes psychologiques, horreurs sardoniques et mythologie du mal, de façon volontairement incohérente.

La plupart des épisodes fascinent autant qu’ils empêchent toute immersion, nous laissant perplexes devant le sens de ce que nous voyons et subissons - notamment dans le partage quelque peu commun, dans cette relation romanesque entre Eddie et une jeune fille à la nécrophilie refoulée (superbement incarnée par la force de vérité naturelle de Suzanna Son). Le rythme, parfois langoureux, détaché, effleure l’émotion sans l’étreindre. Et pourtant, impossible de détourner le regard : Charlie Hunnam, habité, transperce l’écran, jusqu’à m’arracher les larmes d’une délivrance, lors d’un adieu inoubliable.
 
 
La série interroge notre instinct voyeuriste, la fascination pour ces monstres que la société a engendrés, l’héritage d’une violence perverse et sadique, sans cesse reproduite, jusque dans l'ombre, le spectre du nazisme, la starification du crime que le cinéma érige en mythe. Ed Gein, lui, nous désarme dans sa condition de victime criminelle, recluse, incomprise, consumée par sa schizophrénie maternelle.

Alors que penser de cette série malade, qui nous invite à sonder le monstre tapi en chacun de nous ? Que la valeur d’un homme se juge peut-être à la manière dont il affronte ce monstre enfoui. Quoi qu’on en dise, Ed Gein est à revoir : il ne laisse pas indifférent, nous extirpe de notre zone de confort sans anesthésie, bouleverse notre quotidien cinéphile de par son réalisme trouble, glauque (en mode léché) et équivoque. Une œuvre libre, décalée, putassière, d’un humanisme aussi torturé que désespéré. On en sort impassible, bien que miné, comme une tragédie moisie.

 
Quant à ceux et celles qui ont détesté, les raisons argumentées tiennent la route.

— le cinéphile du cœur noir
 

lundi 6 octobre 2025

Les Enquêtes du département V: Dossier 64 de Christoffer Boe. 2018. Danemark / Allemagne. 1h58.

                     (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site Imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives)

"Nete, la cicatrice du siècle."

Sans hésitation aucune, Dossier 64 marque, selon moi, le sommet de la saga du département V.
Dernière enquête de nos inspecteurs Carl Mørck et Assad, c’est un film d’une intensité dramatique éprouvante à son diapason, qui manie avec une rare habileté l’art de la suggestion.
Inspiré d’un pan sombre de l’histoire danoise - les stérilisations forcées de 11 000 femmes entre 1934 et 1967 -, il laisse planer l’ombre du fascisme sur une affaire effroyable remontant à 1961. À cette époque, le docteur Curt Wad pratiquait sur des patientes marginales des abus sexuels suivis de stérilisations, au nom d’une idéologie malade.

Le récit s’ancre dans le regard d’une jeune femme, Nete, enceinte de son cousin, que Carl et Assad retrouvent en filigrane d’une enquête ouverte après la découverte macabre de trois squelettes dans un appartement abandonné. Tout ici glace le sang : les exactions sexuelles filmées hors champ, les patientes condamnées à avorter puis stérilisées au nom d’un héritage moral bâti sur l’épuration ethnique, la haine de la différence et de l’étranger.


Rigoureusement malaisant, tendu à l’extrême, Dossier 64 porte en lui une émotion bouleversante, celle d’une romance inconsolable que Nete traînera toute sa vie comme une cicatrice. Du côté de Carl et Assad, c’est une autre blessure : celle d’une amitié forgée dans le chaos, éprouvée par des revirements tragiques où la survie ne tient souvent qu’à un fil.

Implacable, impeccablement mené, ce récit fiévreux explore une corruption tentaculaire - bureaucratique, médicale, politique, policière - et s’impose comme une méditation sur la mémoire refoulée d’un pays. Il montre comment le mal se recycle, se perpétue, se dissimule dans les institutions les plus respectables.
 
Avec un réalisme aussi perturbant que bouleversant, et par la gravité de son sujet, on est pas loin du chef-d'oeuvre.

— le cinéphile du cœur noir
vf

dimanche 5 octobre 2025

Pris au piège / Caught Stealing de Darren Aronofsky. 2025. 1h47. U.S.A.

                          (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site Imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives)

"Pris au piège du coup de cœur."

Il y a des films, comme ça, dont on n’attend pas grand-chose, et qui, sitôt le générique clos, s’imposent comme un coup de cœur.

Car si Pris au piège n’est qu’une récréation en bonne et due forme, il demeure d’une sincérité rare : attachant, retors, enlevé, surprenant - un récit frétillant où humour et violence s’entrelacent pour mieux nous surprendre dans une rupture de ton aussi grave que bouleversée. On ne peut que lui vouer le respect.

Constamment fun et captivant, ce jeu de piste où des criminels lunaires se disputent un trésor compose, en creux, l’histoire initiatique d’un jeune serveur passionné de base-ball. Sa traque devient une quête de rédemption, même si son dénouement badin se moque bien du politiquement correct - alibi parfait d’une comédie noire que Darren Aronofsky met en scène avec un savoir-faire désarmant.

Outre sa galerie d’illustres acteurs délicieusement investis dans la déconnade, Pris au piège repose sur l’alchimie brûlante du duo Zoë Kravitz / Austin Butler. Et si ce dernier m’avait laissé de marbre dans The Bikeriders, il se révèle ici d’une humanité à fleur de peau, fébrile et fragile, émouvant dans la pudeur sans jamais forcer l’émotion. Kravitz, quant à elle, irradie d’un charme tranquille, d’une grâce mutine et affable : elle apaise là où tout vacille, ancre la folie du film dans un sourire, une caresse, un regard presque trop doux pour ce monde de violence froide et sournoise.

Excellente surprise, donc, que cette comédie policière rondement menée : Pris au piège (oubliez ce titre sans relief) renoue avec le divertissement du samedi soir, celui où l’intelligence, le peps et l’implication se font presque sacerdoce.

— le cinéphile du cœur noir

samedi 4 octobre 2025

The Lost Bus de Paul Greengrass. 2025. U.S.A. 2h09.

                          (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site Imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives)
 
"The Lost Bus : l’enfer forestier de l’âme et des flammes."
 
Fans de récits catastrophistes adultes, humbles, et surtout intelligemment traités sans complaisance racoleuse, The Lost Bus a de quoi vous clouer au siège deux heures durant. Paul Greengrass, réalisateur émérite, nous immerge dans son enfer forestier en y imprimant sa signature auteurisante - un parti-pris déjà amorcé avec Bloody Sunday, Un 22 Juillet ou encore le traumatisant Vol 93. Caméra à l’épaule, au plus près des stratagèmes de pompiers et secouristes aussi interrogatifs que sur le qui-vive, il nous embarque tête baissée dans une descente aux enfers, inspirée de faits réels survenus en Californie en 2028.
 
Kevin, chauffeur de bus désargenté, accablé par la mort récente de son père et ses conflits incessants avec son fils, doit en prime s’occuper de sa mère grabataire. Lorsqu’un incendie ravage sa bourgade, il se heurte à un dilemme : rapatrier des enfants d’école pour les sauver, ou tenter de protéger sa mère et son fils bientôt pris dans l’étau du désastre. 
 

Ce pitch métaphorique développe, avec un humanisme à la fois torturé, fragile et stoïque, l’épreuve d’un père seul contre tous - épaulé seulement par une partenaire de survie improvisée. Dans sa lutte, Kevin cherche à conjurer son manque de confiance, sa perte identitaire, hérité d’un père démissionnaire, et à dépasser sa mauvaise réputation par la force du courage et de la détermination.

Le film marie attention psychologique et séquences de bravoure saisissantes, d’un réalisme cauchemardesque. La scénographie apocalyptique, où nos protagonistes se retrouvent reclus dans un bus saturé de fumée et d’angoisse, installe une tension suffocante, un état d’appréhension continue, soutenu par l’expressivité démunie mais combative des personnages. Hypnotique dans sa mise en scène proche du docu-fiction, The Lost Bus insuffle un suspense oppressant et une action improvisée, tant les flammes dévorent tous azimuts les forêts environnantes jusqu'à plus soif. 
 

Témoignage plein de pudeur et d’humilité sur les valeurs familiales vues à travers un père écorché vif en quête d’affirmation ; hymne à la vie auprès d’une jeune mère brutalement consciente de sa précarité existentielle ; mise en garde enfin contre l’irresponsabilité humaine qui engendre la déforestation par le feu : The Lost Bus redonne ses lettres de noblesse au cinéma catastrophe. Et Matthew McConaughey, bouleversant d’humanité désespérée, incarne cette rage contenue avec une pudeur émotive inscrite dans la réserve.
 
— le cinéphile du cœur noir

vendredi 3 octobre 2025

Les Enquêtes du département V: Miséricorde.

                                                          
                                                                                                 Photo empruntée sur Google, appartenant au site  Imdb.com

de Mikkel Nørgaard. 2013. Danemark/Norvège/Suède/Allemagne. 1h37. Avec Nikolaj Lie Kaas, Fares Fares, Sonja Richter, Mikkel Boe Følsgaard, Søren Pilmark, Peter Plaugborg, Lucas Lynggaard Tønnesen

Sortie en France en Vod le 27 Mars 2015 

FILMOGRAPHIE: Mikkel Nørgaard est un réalisateur et scénariste suédois. 2010: Klovn: The Movie. 2013: Les enquêtes du Département V: Miséricorde. 2014: Les enquêtes du Département V: Profanation. 2015: Klovn Forever. 2020: Klovn the Final. 

"Miséricorde sous pression."

Excellent thriller latent que cette première enquête danoise du Département V, d’après l’illustre roman de Jussi Adler-Olsen. Photo monochrome léchée, mise en scène studieuse, intrigue solide et substantielle : tout converge vers un climat malsain, où le huis clos exigu devient irrespirable. Le duo de flics, malgré leurs divergences de caractère, s’attache dans une solidarité rugueuse, empreinte de respect et de désir de vaincre hormis la sinistrose pesante de Karl.

Mikkel Nørgaard conte scrupuleusement son histoire vénéneuse, nourrie d’un réalisme blafard : celui d’une victime démunie, enfermée dans une chambre de pressurisation. Effet claustro garanti. Une caisse métallique hermétique qui la réduit peu à peu à une dégénérescence physique et morale, éprouvante autant pour elle que pour le spectateur, impuissant face à sa déchéance. Mais l’admiration naît de son stoïcisme, de sa rage à ne pas céder à l’agonie, malgré l’autorité intraitable d’un bourreau invisible, trafiquant sa voix derrière un micro.

Outre sa structure narrative captivante, rehaussée par la profondeur psychologique des inspecteurs résignés à résoudre l’affaire, on se laisse happer par la tension d’un final haletant, riche en altercations cruelles et en interrogations troublées. Les interprétations dépouillées, portées par des comédiens au charisme ordinaire, renforcent le réalisme de ce thriller danois qui n’oublie jamais l’émotion humaine des plus humbles. Tandis que le tueur, glacé de retenue, convoque l’aversion par sa lâcheté et son cynisme sans vergogne.
 
Une belle entrée en matière pour les fans de thriller adulte dénué d'humour, de fard et d'effets de manche. 

— le cinéphile du cœur noir

12/09/22. 608 V 
02.10.25. 2èx. Vost 
 
 
 
Récompenses
Bodil (Bodil Awards) 2014
Rasmus Thjellesen
Zulu Awards 2014
Meilleur Film ; Mikkel Nørgaard et Louise Vesth