vendredi 27 juin 2025

Dune, première partie de Dennis Villeneuve. 2021. U.S.A/Canada. 2h35.

                       (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

                                                             (Mea culpa à la 3è révision)

L’éveil d’un mythe.
Avec Dune, Denis Villeneuve convoque les forces du cosmos et fait résonner le fracas des étoiles dans un opéra de sable et de sang. Portée par un souffle épique d’une densité rare, cette première partie embrasse le romanesque à bras-le-corps, et l’élève au rang d’épopée mystique. Chaque plan est une fresque - foudroyante, minérale, presque sacrée - où les FX d’un réalisme sidérant (les bras m'en tombent pour son identité numérique) se fondent dans des décors dantesques aux allures de cathédrales écrasées par le vent. On avance à l’aveugle, brûlé par le soleil d’Arrakis, le cœur saisi par cette ambiance baroque, capiteuse, où les silences pèsent autant que les explosions, et où la moindre respiration semble dictée par les sables mouvants du destin.

La distribution, d’une justesse habitée, donne chair et âme à ces figures écrasées par l’héritage, rongées par la prophétie, lancées malgré elles dans le tumulte d’une guerre antique. Timothée Chalamet incarne Paul comme un funambule en pleine transfiguration : fragile et incandescent, traversé de visions fiévreuses, il devient peu à peu le vaisseau d’un dépassement de soi où se mêlent sacrifice, courage et douleur au moment même de prendre la place de son père. 

Dune, c’est aussi cela : une lente combustion intérieure, un récit de résistance, de transmission, de fardeau accepté. Villeneuve en fait une œuvre de feu, de poussière et de rédemption, où l’homme affronte sa propre légende à la lumière d'un crépuscule prophétique. Et lorsque l’Empereur paraît, et que le Ver surgit de sa tanière - immenses, délétères, souverains et fauves - il ne reste plus qu’à se taire... et frémir. De bonheur, de stupeur, d’évasion immaculée.

Spectacle ultime, d’une ampleur inouïe et d’une maîtrise à faire ployer les sens, Dune fera date, balise lumineuse dans l’histoire du genre. En attendant la suite, promise comme l’aube après la tempête.
C’est dans ces instants-là qu’on se souvient pourquoi le cinéma nous est vital, pourquoi il brûle en nous comme une nécessité.

*Bruno
4K. Vostf

Distribution: Timothée Chalamet, Rebecca Ferguson, Oscar Isaac, Jason Momoa, Stellan Skarsgård, Stephen McKinley Henderson, Josh Brolin, Javier Bardem.

Sortie salles France: 15 Septembre 2021

FILMOGRAPHIE: Denis Villeneuve est un scénariste et réalisateur québécois, né le 3 octobre 1967 à Trois-Rivières. 1996: Cosmos. 1998: Un 32 Août sur terre. 2000: Maelström. 2009: Polytechnique. 2010: Incendies. 2013: An Enemy. 2013: Prisoners. 2015 : Sicario. 2016 : Premier Contact. 2017: Blade Runner 2049. 2021: Dune, 1ère partie. 

jeudi 26 juin 2025

Parthenope de Paolo Sorrentino. 2024. France/Italie. 2h17.

                   (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).
       
                                                                 Top 2025 franc-tireur. 

"Parthenope - La vie comme une mer trop calme, ou chant funèbre pour les amours manqués".

Il est des expériences cinématographiques qui laissent bouche bée, sans qu’on saisisse vraiment ce à quoi l’on vient de prendre part - tant Paolo Sorrentino se refuse à livrer les clefs de lecture. Parthenope fait partie de ces œuvres rares, complexes, délicates, profondes et graciles que l’on contemple comme un rêve suspendu, soufflant le tiède et le froid.

Inscrit dans une mélancolie à la fois tendre, sensuelle et existentielle, ce film joue les ascenseurs émotionnels (attention : les ruptures de ton risquent d’en désarçonner plus d’un). Parthenope nous fait traverser 73 ans d’existence aux côtés d’une sirène charnelle qui ne parvient jamais à habiter sa propre vie. Alors que Naples (corruptible) l’entoure de désirs jusqu’à l’obsession, elle observe ce monde baroque - tour à tour cruel, chaleureux, désenchanté - avec une tendresse de plus en plus affectée, au fil de ses expériences amoureuses et de son éveil intellectuel. 

Dans sa plénitude innée, la jeune actrice Celeste Dalla Porta irradie l'écran auprès de sa sensualité tranquille, sa sérénité rassurante, sa sensualité naturelle d'un calme (faussement) épanoui. 
Transpirant la nonchalance d’un amour éperdu, au fil de rencontres parfois lunaires qui désarçonnent autant l’héroïne que le spectateur, ce mélo existentiel inconsolable, sublimé par ses chansons italiennes, nous écorche le cœur à vif. Sa sève philosophique, métaphysique suinte à travers Parthenope et ses proches les plus cérébraux jusqu'à nous perdre dans la déraison, l'interrogation, le bouleversement moral, la foi amoureuse que l'on ne peut maîtriser. 

Et nous, spectateurs, quittons difficilement des yeux l’écran - comme elle, perdue dans ses pensées, dans la beauté de ses souvenirs, alors que s’annonce le générique - d’avoir vécu, deux heures dix-sept durant, une expérience émotive aussi trouble que bouleversante. Comme une fleur finalement fragile se rendant soudain compte qu’elle s’est fanée avec le temps. 

Sa vie est une énigme, et se souvenir devient une forme d’art. Le film lui-même peine à la cerner, comme si elle était toujours ailleurs – au bord du réel, au bord d’elle-même.

"Sous les paupières de Parthenope".
Sensiblement envoûtant sans jamais rien pouvoir contrôler, Parthenope est un chef-d’œuvre lyrique, audacieux, provocateur et hétérodoxe que le réalisateur italien Paolo Sorrentino nous livre sans anesthésie, avec la maîtrise des sentiments les plus sobres et la pudeur étouffée d’une émotion sans emphase.

Mais attention aux déchirants adieux que suscite la fin : quitter Parthenope, c’est perdre une amie, une femme, une muse, une maîtresse - insaisissable et aimée - que l’on n’a pas su retenir, glissant à travers les doigts comme une mémoire qui s’efface. 

Viva il cinema italiano 💖

Gratitude Jean-Marc Micciche pour l'influence involontaire.

*Bruno

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"Parthenope - Naître au monde sans y appartenir"

Elle naît de la mer comme une apparition. Parthenope, sirène napolitaine, femme sans ancrage, silhouette toujours en décalage avec le monde. Sorrentino ne la filme pas comme un personnage, mais comme une vibration : le souvenir d’un été, l’ombre d’un amour, le battement sourd d’un regret.

Il y a dans ce film une beauté hypnotique, comme si chaque plan retenait son souffle. Et pourtant, derrière les dorures, la mer bleue et les visages d’hommes éblouis, Parthenope raconte une solitude indicible – celle d’une femme qui traverse l’existence sans jamais y trouver de prise.

Son malaise est discret, mais profond. Il suinte dans les silences, dans les regards qu’elle ne soutient pas, dans ses gestes suspendus. Elle vit, oui – mais à la manière d’un fantôme bienveillant. Ni colère, ni cris. Juste l’impression persistante que la vie se déroule à côté d’elle.

Ses amours ? Des esquisses. Des élans retenus. Elle attire, fascine, mais ne s’abandonne jamais tout à fait. Comme si l’amour lui était interdit, ou trop fragile pour s’y laisser prendre. Un frère trop proche, un amant disparu, un enfant qu’elle n’a pas gardé… Chaque rencontre semble échouer sur le rivage d’un impossible.

Et lorsqu’elle vieillit, que les mots deviennent des outils, que l’intellect tente de contenir ce qui lui a échappé, il est déjà trop tard. Reste la mémoire. Mais même celle-ci semble fuyante, noyée dans une mélancolie douce.

Parthenope, c’est l’histoire d’une femme qui ne parvient jamais à habiter sa propre vie. Une femme belle jusqu’à l’irréel, que le monde regarde mais ne comprend pas. Et que le film lui-même peine à cerner, comme si elle était toujours ailleurs – au bord du réel, au bord d’elle-même.

C’est aussi un chant funèbre pour les amours manqués, les décisions non prises, les instants qu’on n’a pas su retenir. Un poème en forme de vague, lent, somptueux, troublant. Il ne faut pas attendre de ce film un récit, mais une sensation : celle d’avoir frôlé quelque chose d’immense et de vide à la fois.

*Aurélie.

Sortie salles France: 12 Mars 2025

DistributionCeleste Dalla Porta, Daniele Rienzo, Dario Aita, Silvio Orlando, Gary Oldman

mercredi 25 juin 2025

Amer de Hélène Cattet et Bruno Forzani. 2009. France. 1h30.

                         (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).
 
"Symphonie sensorielle en trois temps".
Expérience unique brouillant nos repères entre réalité et illusion, Amer se décline en néo-giallo atypique, à la virtuosité technique qui laisse pantelant. Si bien que, dans ce paysage cinématographique souvent estampillé sous-genre, le duo Hélène Cattet / Bruno Forzani l'adopte au premier degré auteurisant, avec une richesse métaphorique aussi déroutante que fascinante.

Une proposition infiniment ambitieuse, délibérément conçue pour nous extirper de notre zone de confort, avec un art consommé du stylisme à la fois sensoriel, olfactif, auditif, viscéral. Pour ce faire, ils misent sur un brio technique extrêmement chiadé, composant des cadrages alambiqués sur les corps, les statues, les visages filmés en plans serrés, afin de nous faire ressentir les émotions charnelles des personnages - particulièrement Ana, à la fois curieuse, craintive et susceptible.
 

Découpé en trois parties retraçant son enfance, son adolescence puis sa vie adulte, Amer narre la perte d’innocence d’Ana, depuis la mort de son grand-père jusqu’à son bouleversement émotif dans un corps de femme ; sa hantise du désir, sa peur de la mort, notamment en renouant avec un passé funéraire devenu labyrinthe.
 
Expérience hallucinatoire, à la fois psychédélique et fantasmatique, baignée dans un onirisme ultra-sensuel ou brutal (avec un meurtre à couper au rasoir - euphémisme !), Amer nous plaque au siège, nous hypnotise la vue, si bien que l’écran s’efface peu à peu, laissant place à un rêve éveillé que l’on perçoit sans plus rien contrôler.
 
 
Et si rien ne nous passionne rationnellement dans ce délire érotique subtilement expressif, on reste irrémédiablement captivé, fasciné, curieux, attiré par la beauté - que dis-je - la puissance de ses images charnelles, d’une fulgurance émotive aussi déconcertante que séduisante. Une fulgurance gothique puis solaire, à damner un saint, renforcée par sa photo sépia en format scope en bonne et due forme.
Entièrement voué à cette imagerie baroque, extrêmement travaillée et d’une inventivité à couper le souffle (chaque plan est un travail d’orfèvre qui subjugue les mirettes), le duo Cattet / Forzani accorde peu de place aux dialogues - d’autant plus rares qu’on pourrait aisément les occulter, tant le travail sur le son, la partition italienne épurée et l’image prédominent, monopolisant l’écran avec un art pictural jamais vu jusqu’ici.

"Le Giallo mis à nu".
Ovni sensoriel d’une vigueur érotique vertigineuse qu’aucun concurrent ne saurait émuler, Amer est une expérimentation psychédélique d’une modernité autonome, qui ne plaira pas à tout un chacun. Or, la proposition circonspecte que nous offre le duo français relève du jamais vu, en matière de (néo) Giallo expressif. Il ne cesse d’intriguer, d’interroger, de fasciner au fil des révisions, avec un pouvoir émotif aussi trouble qu’incontrôlable.
 
*Bruno
4èx 
 

Récompenses:
    2010 : Grand prix du nouveau talent à CPH:PIX
    2010 : Mention spéciale du prix de la critique, festival de Gérardmer
    2009 : Prix du public, festival du Nouveau Cinéma
    2009 : Meilleurs réalisateurs, festival du cinéma fantastique de l’université de Málaga
    2009 : Prix Noves Visions, festival international du film de Catalogne

lundi 23 juin 2025

Le Rideau de Brume / Seance on a Wet Afternoon de Bryan Forbes. 1964. Angleterre. 1h56.

                                                      
           (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Fantômes d’un foyer perdu".
Méfiez-vous des apparences, car sous ses atours de thriller à suspense, porté avec une intensité rare par le duo Kim Stanley / Richard Attenborough, se tapit un drame maternel bouleversant : l’histoire d’une médium et de son époux qui décident d’enlever une fillette pour obtenir la célébrité.

Énoncé ainsi, le pitch a de quoi laisser dubitatif l’amateur de polar tiré par les cheveux — d’autant qu’ici, l’intrigue s’infiltre de suggestion surnaturelle : Mr et Mme Savage ourdissent ce stratagème médiumnique pour étouffer la douleur de la perte de leur fils Arthur.
 

Attenborough, en mari veule rongé par le doute, communique d’instinct une empathie bouleversante, traînant sa bravoure pathétique à esquiver la police et à livrer une rançon à l’instant décisif. Face à lui, Kim Stanley dévore l’écran, autoritaire et insidieuse, manipulant son homme au nom d’un pacte amoureux vicié. À eux deux, ils forment un couple vénéneux, prêt à tout pour ressusciter l’illusion d’un foyer perdu.

Suspense hitchcockien, tantôt haletant, tantôt douloureux, "Le Rideau de Brume" distille une tension nerveuse, notamment lors de la traversée urbaine de Billy, traqué jusqu’au dernier souffle, et dans ce final insoutenable qui interroge la survie de l’enfant. Sous couvert de thriller captivant, le film gagne en émotion tremblante, s’épaissit en drame maternel d’une profondeur psychologique saisissante - et sa dernière demi-heure nous étreint d’une angoisse grave et résignée, culminant en un dénouement faussement prévisible, mais déchirant de vérité nue.

- Le cinéphile du coeur noir. 
 
 
Récompenses
Prix de la BAFTA 1965 du meilleur acteur britannique, pour Richard Attenborough ;
Prix Edgar-Allan-Poe, Edgar 1965 du meilleur film étranger, pour Bryan Forbes ;
Prix Laurel 1965 Laurel d'or, 3e place pour la meilleure actrice, Kim Stanley ;
Prix du National Board of Review (USA) de la meilleure actrice, pour Kim Stanley ;
Prix de la critique newyorkaise 1964 de la meilleure actrice, pour Kim Stanley ;
Prix du meilleur acteur du festival de San Sebastián 1964, pour Richard Attenborough (ex aequo avec Maurice Biraud) ;
Prix de la Writers' Guild of Great Britain du meilleur scénario d'un film dramatique britannique, pour Bryan Forbes.

Distribution: Kim Stanley, Richard Attenborough, Godfrey James, Nanette Newman

France : 18 janvier 1967

Ghost Story de Stephen Weeks. 1974. Angleterre. 1h23.

                 (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Ghost Story : la hantise oubliée".
S’il est un film injustement oublié, méconnu - parfois même méprisé - c’est bien celui-ci. Stephen Weeks, déjà signataire de l’excellente variation de Jekyll et Hyde "Je suis un monstre", nous offre ici un conte gothique délicieusement envoûtant, porté par un esthétisme à la fois solaire et opaque, dont les extérieurs furent d’ailleurs captés en Inde (!). Une photographie admirable, magnifiant ses modestes décors domestiques et naturels avec un soin stylisé qui force le respect. Tout, dans Ghost Story, attire l’œil de l’amateur d’histoires de revenants, étranges et précieusement contées, avec une scrupuleuse attention psychologique.

Cette Ghost Story, toute personnelle, milite pour la suggestion : son art du récit se déploie sans effets sanglants, distillant une étrangeté diffuse qui nimbe chaque plan et esquisse ses personnages - des aristocrates altiers, anciens camarades de lycée réunis dans un manoir reculé pour y perpétrer la chasse.

On est immédiatement captivé par le jeu délicieusement étrange de ce trio maniéré, leurs échanges verbaux d’un autre âge conférant au drame une saveur théâtrale singulière. Deux d’entre eux, incarnés par Murray Melvin et Vivian MacKerrell, se révèlent irrésistiblement irritants, se gaussant de leur camarade Talbot, que l’on plaint aussitôt pour ses hallucinations fantomatiques -annonciatrices du destin funeste de Sophy Kwykwer, injustement internée par son époux. L'acteur Larry Dann, unique personnage empathique, campe ce souffre-douleur timoré, égaré dans l’incompréhension et l’effroi, prisonnier de visions qu’aucune nuit ne saurait apaiser.

Irrésistiblement inquiétant, lugubre, et subtilement insécure sans jamais céder à la surenchère, Ghost Story ressuscite le charme british de ces hantises horrifiques qu’on se murmure au coin du feu. Stephen Weeks y imprime sa signature : un film opaque, insidieusement ensorcelant, hanté d’un score musical dissonant, presque dérangeant lorsque la tension se fait suffocante. Témoin, cette séquence où Talbot est tiré par la main par une poupée soudain animée, fillette victorienne surgie d’un cauchemar. Ou ces scènes malsaines dans l’asile psychiatrique, où les internés se livrent à une folie communautaire.

On se laisse happer, interloqué, jusqu’à ce final, cruel, inattendu - et peut-être même déroutant - qui clôture cette ghost story dans un souffle d’injustice abrupte. Une étreinte nocturne, qu’on n’oublie pas, ad vitam aeternam. 

"Fantômes au manoir : l’élégance du trouble".
Une œuvre maudite, donc, où le trouble règne en maître - aussi puissante et envoûtante que Le Fantôme de Milburn, mais travaillée ici dans une épure baroque et une équivoque délicieusement vénéneuse. Autant par la psychologie interlope de ses protagonistes anachroniques que par ce climat de mystère feutré, unique, qui n’appartient qu’à Stephen Weeks et à sa hantise souveraine.

*Bruno

vendredi 20 juin 2025

Il reste encore demain / C'è ancora domani de et avec Paola Cortellesi. 2023. Italie. 1h58.

                          (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"En Italie, le Dimanche 2 juin et le Lundi 3 Juin 1946 ont eu lieu les premières élections politiques avec le droit de vote pour les femmes. 89% d'entre eux se sont précipités aux urnes. De 25 millions d'électeurs, 13 millions étaient des femmes. Nous avons serré nos bulletins de vote comme des mots d'amour." Anna Garofalo (journaliste et suffragette italienne).
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"Il reste demain : un cri muet au cœur du noir et blanc".
Il y a des films qui divertissent et parfois même font réfléchir… Mais il en est, plus rares, qui vous emportent sans prévenir dans un vertige d’émotions incontrôlables. C’est d’autant plus percutant quand la réalisatrice (et actrice) n’a rien prémédité de ce séisme émotif : on ne voit rien venir dans cette trajectoire familiale, à la fois tendre, volcanique et dérisoire. Cette œuvre modeste nous cueille à nu, à travers le quotidien en perdition d’une famille précaire à la fin de la Seconde Guerre mondiale.


Tourné dans un splendide noir et blanc -- d’abord en 4/3 pour huit minutes, avant d’embrasser le 16/9 en hommage au néo-réalisme italien -- "Il reste encore demain" déclare sa flamme à la femme dans toute sa grâce, sa fragilité, sa pureté. Un portrait terrible et bouleversant du destin insoumis d’une femme battue que Paola Cortellesi incarne avec une pudeur à vif, presque insoutenable.

Sans sombrer dans un misérabilisme de pacotille, elle écarte d’instinct les clichés pour évoquer, avec une liberté de ton parfois inattendue, la violence conjugale. Les coups deviennent ballet, les humiliations chorégraphie : la douleur se travestit en poésie grinçante qui gifle en douceur le spectateur. Nous voilà pris dans ce périple humaniste où Délia, prisonnière du patriarcat, s’enlise dans la morne routine dictée par un mari brutal et sans dignité. Et quand sa fille aînée semble prête à répéter le même schéma amoureux, Délia pourrait bien, enfin, fissurer ses chaînes et réinventer sa propre survie.


Parsemé d’éclats d’humour et de tendresse, pensé avec cette verve mordante qui n’appartient qu’à l’Italie, "Il reste encore demain" se referme sur un final faussement prévisible : un suspense bicéphale, porté par deux enjeux brûlants et une idéologie politique libératrice. À mes yeux, il offre l’une des plus belles séquences qu’il m’ait été donné de contempler : un échange de regards féminins, muet mais inondé de musique, d’une émotion à déchirer la chair. Dans ce souffle, l’intrigue bascule vers une fantasmagorie onirique, portée par une chanson italienne qui enlace hier et aujourd’hui. D’où cette intemporalité qui palpite dans la pellicule monochrome, mémoire vivante d’une époque sombre.

Beau à en pleurer -- à chaudes larmes, pour son bouquet final inoubliable -- et grave à éprouver jusqu’à la colère devant l’obscénité d’une violence ordinaire, "Il reste encore demain" frappe en plein cœur sans crier gare pour son humble témoignage imputé à l'émancipation féminine. Paola Cortellesi, dont il s'agit de son 1er essai en tant que réalisatrice, y révèle une foi, une sincérité, une humilité brûlantes qui forcent le respect et le silence. 


Vive le cinéma italien, à nouveau roboratif, même drapé dans la simplicité d’un noir et blanc modeste mais (si) expressif. 

Un grand merci Jérôme.

*Bruno

Récompenses:
Festival du Film de Rome 2023 :
Prix spécial du jury
Meilleur premier film BNL BNP Paribas – Mention spéciale
Prix du public
David di Donatello 2024:
Meilleur réalisateur débutant
Meilleure actrice pour Paola Cortellesi
Meilleure actrice dans un second rôle pour Emanuela Fanelli
Meilleur scénario original
David Jeunes
David des spectateurs

Paola Cortellesi est une présentatrice, humoriste, chanteuse, actrice et réalisatrice italienne, née le 24 novembre 1973 à Rome.

Sortie salles France: 13 Mars 2024

Distribution: Paola Cortellesi, Valerio Mastandrea, Romana Maggiora Vergano, Giorgio Colangeli, Emanuela Fanelli 

jeudi 19 juin 2025

Black Journal / Gran Bollito de Mauro Bolognini. 1977. Italie.

                              (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

Troisième révision, mais aujourd’hui je ne sais toujours pas quoi en penser. L’ambiance domestique, gothique, génialement atmosphérique, est d’une expressivité rare ; les acteurs sont excellents (Max von Sydow en travelo — il fallait oser), Shelley Winters, renversante, habitée, au sens large. 

Mais alors, l’histoire et les postures lunaires de ces personnages (et après m’être renseigné, j’ai été rassuré de voir que je n’étais pas le seul à rester dubitatif) : on ne saisit pas bien où ils vont, ni ce que ça raconte, en s’inspirant d’un fait divers criminel assez incongru, qui avait défrayé la chronique durant la Seconde Guerre.

Quoi qu’il en soit, Black Journal ne laisse pas indifférent — malgré quelques longueurs dans sa version uncut, et imprime la mémoire d’une comédie italienne inusitée, farce macabre et satire caustique de l’aliénation maternelle, où l’émotion, soudain, perce dans une conclusion frappée de tendresse élégiaque.
 
Un drôle de film, vraiment.
 
*Bruno
3èx. Vf 

mardi 17 juin 2025

Destination Finale Bloodlines / Final Destination Bloodlines de Zach Lipovsky et Adam B. Stein. 2025. U.S.A. 1h49.

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Révision. Mea culpa. 

"L’échiquier fatal de Bloodlines".

Avec un scénario plus charpenté que les précédents opus, sous une mainmise filiale, Destination Finale : Bloodlines redouble d’efficacité pour préméditer ses mises à mort, cultivant l’art exquis de l’expectative. Plutôt que de miser sur la prévisibilité des victimes désignées, Zach Lipovsky et Adam B. Stein s’amusent à brouiller les pistes, jonglant avec simulacre et subterfuge pour mieux nous prendre à revers.

La Mort, invisible, n’aura jamais aussi magistralement réglé ses comptes : ses proies juvéniles s’empêtrent dans ses filets au moment le plus inopportun.

Quant aux gerbes sanglantes qui éclaboussent le récit, leur aspect cartoonesque et numérisé n’est point un défaut : il démultiplie le plaisir innocent de ces situations débridées, ourlées d’une cruauté sardonique, délicieusement vicieuse et sans concession.

Constamment inventif et aimablement anxiogène, porté par l’angoisse sourde d’une famille indécise, peu à peu fauchée par le sort, Destination Finale : Bloodlines enchaîne ses catastrophes avec une frénésie implacable et toujours justifiée.

Les personnages, pour la plupart gogos et affligés, manient une dérision tacite pour digérer leurs actes absurdes ou trop couillus, mais jouissifs, et affichent une stoïcité de survie qui arrache le rictus.

Un vrai régal, ce chapitre diablotin, ourdissant plus retors que jamais un puzzle machiavélique autour d’une famille condamnée à ruser contre la plus perfide des fatalités — malgré les jokers funestes que leur glisse, entre deux rires noirs, un (regretté) Tony Todd toujours aussi faucheur d’espoirs.

Ordre de préférence de la saga: 1 - 2 - 6 - 5 - 3 - 4.

*Bruno
2èx. Vost. 4K.


Distribution: Kaitlyn Santa Juana, Teo Briones, Richard Harmon.

Sortie salles France: 14 Mai 2025 (- 12 ans avec Avertissement)

Budget: 50 000 000 Dollars

lundi 16 juin 2025

Prom Queen de Matt Palmer. 2025. U.S.A. 1h30. Avec India Fowler, Suzanna Son, Fina Strazzai.

                                                 
                           (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

Diffusé sur Netflix le 23 Mai 2025.

"Clichés, giclées et tendresse VHS : Prom Queen ressuscite. Pourquoi tant de haine ?"

Dilacéré aux quatre coins du globe, j’ai sciemment patienté quelques semaines avant de me lancer, histoire de laisser retomber le soufflet d’un bashing impitoyable.

Alors que je m’apprêtais à stopper la VHS après quinze minutes, quelle ne fut pas ma surprise — dès le générique extra-diégétique, dès ce prologue sardonique — de me laisser happer par ces clichés chers aux psycho-killers, vaguement ou franchement bonnards, qui pullulaient dans la sacro-sainte décennie 80.

Pur hommage aux modestes psycho-killers (moins aux chefs-d’œuvre notoires, au risque d’être déçu), Prom Queen se contente avant tout de chérir son amour pour ces séries B innocemment ludiques qui tapissaient nos murs de chambre et les étagères des vidéoclubs. On pense, entre autres joyaux plus ou moins obscurs, à Le Monstre du Train, Le Bal de l’Horreur, Happy Birthday, Les Yeux de la Terreur, Week-end de Terreur, Meurtres à la Saint-Valentin, Vendredi 13, Carnages, Humongous, Vœux Sanglants, Massacre au camp d'été et consorts.

Matt Palmer (déjà remarqué pour l’excellent Calibre en 2018) façonne ici un pur divertissement trivial, s’amusant des clichés avec une fantaisie et une désinvolture désarmantes de naïveté assumée. Et si les personnages gogos, notre héroïne un brin cruche, se contentent du minimum syndical pour une psychologie superficielle, leur comportement crétin, leur pointe d’humanisme candide réveillent la nostalgie de ces bobines horrifiques bâties sur l’exploitation de leur sort morbide. À ce niveau, Prom Queen ne déçoit pas : il bannit presque tout effet numérique au profit de maquillages mécaniques du plus bel effet sanglant. Même si le récit ne fait pas vraiment peur, l’ambiance anxiogène ou inquiétante, son petit charisme visuel, opèrent leur charme de fascination. Porté par un montage nerveux, le tout intensifie les actions furibardes pour un plaisir de fun immédiat.

Criant son amour aux années 80 sous entêtante impulsion électro, la bande-son pop qui résonne au bal maudit sert de juke-box exaltant pour une génération projetée d’un coup dans son insouciance — quand un tueur encapuchonné rôde dans l’ombre des couloirs avant de frapper, armé des lames (et outils électriques) les plus divers et improbables. Émaillé de clins d’œil tous azimuts — jusque dans les posters punaisés aux murs des chambres adolescentes — Prom Queen distille en filigrane, parfois avec ostentation, un humour noir qui rappelle que ce jeu de massacre se savoure au second degré.

Quant au final paroxystique, il régale les mirettes d’un carnage festif, directement inspiré de Carrie, avec en prime une série de rebondissements sur l’identité et les mobiles du présumé coupable. Un dénouement aussi jubilatoire que sciemment semi-parodique, porté par une inventivité narrative plutôt cohérente au regard de ses illustres aînés du psycho-killer bonnard.

"Prom Queen : un bal maudit pour nostalgiques gogos".
Attachant comme un vieux fanzine froissé, fun et jamais ennuyeux, Prom Queen exhale ce parfum VHS fichtrement sympatoche — pour quiconque chérit encore ces psycho-killers de fond de vidéoclub et n’a jamais vraiment rangé son cerveau d’ado au placard.

Alors, à quoi bon bouder ce plaisir de gentil sale gosse ?

*Bruno

Vostf.



samedi 14 juin 2025

Les Sorcières du bord du lac / Il delitto del diavolo de Tonino Cervi. 1970. Italie/France. 1h28.


"Rêve sépia d’un sabbat solaire".
Un lac, un ventre d’eau où se reflète la lune malade. Trois soeurs — nues, mielleuses, carnassières — se glissent dans la nuque de David comme des vipères de soie. Il croyait s’allonger sur l’herbe et baiser la liberté ; il se couche dans le piège, il s’offre à un bois moisi, un lit de racines tordues.

Tout est faux, tout est vrai : elles rient, elles dansent, elles l’aspirent. La chair s’échauffe, puis le sang appelle le sang. Le film se dépouille de son voile libertin, crache ses crocs de sorcières ancestrales. La forêt s’en souvient, la nuit l’avale. David n’aura pas de lendemain, pas de révolution, pas de baiser au soleil levant.

On reluque à plusieurs reprises ce hiboux observer David au bord de l’eau figée. Le conte n’a jamais promis de salut — seulement l’orgasme et la mort, mêlés dans un même soupir. Les sorcières au bord du lac gardent leurs secrets sous la vase, et quiconque vient troubler la surface y laisse sa peau.

Ce film, c’est une caresse tendre qui suinte pourtant le poison : un poème païen étouffé sous la mousse, un avertissement que la nature, parfois, n’a pas de morale — seulement une faim, un pouvoir, une autorité suprême.

Et moi, spectateur, j’en ressors capiteux, trempé de boue, de doute, d'amour et de désir. Avec au fond de la gorge un goût de sang, de miel et de nuit. Pour une fois j'aurai tant aimé une autre fin. Mais c'est ainsi et c'est ce qui fait la force escarpée de cet écrin transalpin plaisamment aguicheur au point d'y éveiller un soupçon de félicité le temps d'1h20.

Les Sorcières du bord du lac est une œuvre méconnue, splendide par son onirisme, son charme fou, sa singularité de ton où perce la rupture, sa quiétude solaire et ses jouvencelles à qui l’on donnerait le bon Dieu sans confession — ou presque. Il faut dire que nos trois actrices (Haydée Politoff, Silvia Monti, Ida Galli) bien connues des cinéphiles crèvent littéralement l’écran, tandis que Ray Lovelock, en hippie débonnaire, s’abandonne à une inversion subtile des valeurs morales. Ici, l’on prêche le conservatisme, l’archaïsme triomphant monarchique, au mépris de la contestation et de la liberté la plus permissive.

Baignant dans un climat fantasmagorique, enivrant de désillusion, ourlé d’une photographie sépia quasi irréelle, Les Sorcières du bord du lac imprime ses traces dans l’encéphale comme le souvenir d’un rêve chimérique projeté à même la rétine — un songe captif, hanté par les forces d’un satanisme féministe, doux et vénéneux.

Un sacré morceau de péloche fantastique, dans ce qu’elle a de plus noble et furieusement libre, à l’image du cinéma d’exploitation des Seventies.

*Bruno
2èx. Vost

Echo Valley de Michael Pearce. 2025. U.S.A. 1h44.

                 (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Echo Valley : la morsure des liens sacrifiés".

Si la première demi-heure, plutôt convenue, augure un drame psychologique douloureux entre une mère débonnaire et sa fille toxico — porté à bout de bras par le duo fragile Julianne Moore / Sydney Sweeney — son intensité dramatique ne nous lâche pas d’une semelle jusqu’à ce qu’un rebondissement impromptu relance l’action sous la forme d’un thriller tendu, vicieux et inquiétant, que Michael Pearce (Beast, Encounter) orchestre avec une science du suspense admirable. Et ce, sans jamais précipiter une intrigue subtilement structurée autour d’un stratagème que nul n’avait vu venir.

Visuellement épuré, serti d’une splendide nature forestière bordant un lac, Echo Valley nous happe les mirettes sous l’impulsion d’une solidarité maternelle sévèrement mise à mal par une menace sournoise, qu’incarne de façon finement spectrale Domhnall Gleeson, savoureux en maître-chanteur aussi tortionnaire que pervers.

Excellente surprise que ce thriller (narrativement) solide, à l’humanisme meurtri mais résilient : Echo Valley n'oublie pas de s’ancrer dans la rigueur d’un drame psychologique éprouvant, épousant le combat d’une mère pugnace, prête à extirper sa fille de l’enfer jusqu’à cette ultime retrouvaille équivoque, aussi mémorable que bouleversante. 

À ne pas manquer.

*Bruno

jeudi 12 juin 2025

Buveurs de Sang / I drink your blood de David E. Durston. 1971. U.S.A. 1h28.

 
"Satan, tourte et rage au ventre".

Troisième révision d’un objet de déviance horrifico-folingue, symptôme halluciné des Seventies. À tel point que Quentin Tarantino s’en inspira pour affiner les contours de Planet Terror. Et ça déménage en diable.

Pur produit d’exploitation, Buveurs de sang (I Drink Your Blood), à l’instar de son générique Grindhouse, marche dans les traces sanglantes d’Herschell Gordon Lewis. Son pitch délirant (une secte de hippies satanistes contaminés par la rage après avoir dévoré des tourtes à la viande infectée), sa facture visuelle fanée frôlant un surréalisme poisseux, ses personnages décervelés en totale roue libre, et ses effets spéciaux bricolés à la va-comme-je-te-pousse (on jurerait un rayon promo chez Leroy Merlin), participent à sa folie pure.

Décomplexé, insensé, foncièrement cintré – tant par les postures déglinguées de ces hippies vampirisés par le vice que par les situations horrifiques, insolentes, dérangeantes –, Buveurs de sang nage dans un mauvais goût assumé avec l’art jubilatoire d’une émancipation ludique.

On s’émoustille devant ce carnaval crasseux d’un autre âge, aussi malpoli que délicieusement décalé, happé par l’atmosphère d’une bourgade rurale gangrenée, fascinante et répugnante à la fois, depuis l’irruption de ces illuminés enragés, possédés par des pulsions meurtrières.

Émaillé de séquences extrêmes, tantôt grotesques, tantôt crues, Buveurs de sang se décline en délire anarchique et imprévisible. Sa narration éclatée, son ambiance d’horreur réaliste teinte de sarcasmes semi-parodiques lui confèrent une saveur unique.

À condition, toutefois, de fuir comme la peste sa VF risible, qui tire vers la série Z la plus infréquentable.

P.S: Interdit aux moins de 18 ans lors de sa sortie, Buveurs de Sang est entré dans l'histoire comme le premier film classé X pour violences excessives.
 
*Bruno
3èx. Vost 
 
Sortie salles France: 27 septembre 1972(Alsace)

Budget: - de 100 000 Dollars

jeudi 5 juin 2025

Dernière Limite / Deep Cover de Bill Duke. 1992. U.S.A. 1h47. Avec Laurence Fishburne, Jeff Goldblum, Charles Martin Smith.

                                   (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Dernière Limite : Beauté du crime".
Troisième révision d’une référence du polar urbain des années 90, Dernière Limite semble probablement influencé par son aîné The King of New York, sorti deux ans plus tôt.

On y retrouve, toutes proportions gardées, cette même puissance formelle fascinatoire, ce sens du style qui irrigue les moindres pores de l’image, cette fascination pour la drogue et les armes, cette flamboyance sépulcrale imprimée aux charismes troubles de figures peu recommandables, engluées dans un univers de corruption aussi altier que décomplexé. Laurence Fishburne y campe un protagoniste anti-manichéen avec une aisance tranquille, bientôt rattrapée par la gravité de son évolution morale, asservie par les rouages d’un entourage mafieux. Une organisation du crime finement hiérarchisée, jusqu’aux plus hautes strates de l’autorité.

John Hull (Laurence Fishburne) flic novice, accepte in extremis d’infiltrer ce réseau de trafiquants pour le compte de la DEA, afin d’enrayer leur expansion programmée, vorace, sur un territoire rongé par l’argent facile, la toxicomanie et la prostitution. 
On connaît la musique, et Bill Duke excelle à nous plonger à corps perdu dans ce tourbillon de confrontations viriles, où l’autorité et le pouvoir se disputent dans une arrogance crasse, une lâcheté tapie, putassière.


Traversé d’éclairs de violence âpres sur fond de rap autonome, entrecoupé d’accalmies romantiques rythmées par la partition électrisante de Michel Colombier (compositeur français), Dernière Limite nous absorbe dans une odyssée criminelle crépusculaire. Sa cinématographie — sensuelle, charnelle, viscéralement émotive — est d’une inspiration rare, que Bill Duke transfigure avec un art consommé, frôlant la perfection. Sa dramaturgie, vénéneuse, hypnotique, presque toxique, dégage une atmosphère irréelle, peuplée de figures si imbus d’elles-mêmes qu’elles ne discernent plus le Bien du Mal, perdues dans une moralité nécrosée.

Bijou oublié des années 90, Dernière Limite (Deep Cover) mérite d’être redécouvert d’urgence, pour sa capacité alchimique à nous hypnotiser les sens, en nous familiarisant à cette confrérie mafieuse aussi séduisante que reptilienne, affranchie de toute morale, affamée de pouvoir. Jusqu'au point de non retour.

P.S: Evitez comme la peste sa VF hérétique.

*Bruno
05.06.25. Vost.

Sortie salles France: 7 Avril 1993. U.S: 15 Avril 1992

mardi 3 juin 2025

Manhunt / Rovdyr. 2008. 1h18. Norvège. Avec Henriette Bruusgaard, Jørn Bjørn Fuller Gee, Lasse Valdal.

                             (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Brûlure norvégienne".
Révision d’un survival des bois auquel je gardais un bon souvenir.
Et quelle surprise, en l’état, de l’avoir encore mieux apprécié aujourd’hui, tant l’implication porte ses fruits à suivre les vicissitudes d’une poignée de jeunes touristes harcelés par des rednecks psychotiques, assoiffés de haine, de vice et de violence.

En rendant un hommage appuyé aux bobines insalubres des seventies, Patrik Syversen s’y entend pour nous entraîner sur les pentes d’une impitoyable chasse à l’homme, au goût de soufre, de mort, de carcasses broyées — tant son réalisme cru évoque les exactions cinématographiques les plus poisseuses auxquelles il se réfère.

Cerise nostalgique : il suffit de contempler son générique liminaire, baigné d’insouciance estivale, de bonheur à vivre l’instant présent, bercé par une reprise suave de La Dernière Maison sur la Gauche, chantée par David Hess. Un générique touchant, presque candide, avant la plongée dans l’horreur.
Alors bien sûr, on n’échappe pas à quelques clichés qui font parfois tâche, ni à certaines facilités un brin improbables — et la maladresse de certains comédiens laisse à désirer, tant lors d'accalmies que dans les scènes les plus tendues. Le scénario, balisé, nous livre le strict minimum à travers l’éternel air connu du survival forestier : jeu du chat et de la souris, mené tambour battant (1h16 au compteur, autant dire qu’on ne voit pas venir le générique de fin).


Mais aussi perfectible soit-il, Manhunt emporte largement l’adhésion grâce à son intégrité, son attention, son goût pour un cinéma horrifique révolu que Patrik Syversen conçoit avec punch, motivation, désir de nous ébranler à coups de violence brute, sèche, sans jamais verser dans la complaisance. Le film fait peur, il terrifie, car on croit à la dangerosité d’une menace souvent invisible ; on croit à ses personnages — victimes épeurées ou bourreaux orgueilleux — galvanisés par une tension permanente, plutôt bien maîtrisée. Si bien qu’on se laisse embarquer par la main, avec une appréhension à la fois jouissive et malaisante. Les comédiens étant d'autant plus méconnus, l'identification n'en n'est que fructueuse. 

C’est cette contradiction des sentiments qui permet à Manhunt de s’imprimer dans la mémoire : série B méchamment efficace, sans pitié, bougrement viscérale et artisanale, notamment grâce à ses maquillages charnels, criants de crudité — le sang y est noir. Gratitude Patrick pour ton amour royal aux Seventies 💓

*Bruno
2èx. Vost

samedi 31 mai 2025

Amazing Stories 2020: La Cave / The Cellar de Chris Evans. 52'. Avec Dylan O'BrienVictoria PedrettiMicah Stock.

                                                       
                                           (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site IMDb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Quand la musique pleure en silence".

Ce matin, j’ai revu cette merveille d’élégie épurée, issue de la série Amazing Stories (2020), et intitulée "La Cave" de Chris Long.

Les amants maudits d’une romance inconsolable, pris au piège d’un cadre bicéphale où le voyage temporel s’invite avec un art consommé de la sensibilité à fleur de peau.

Un conte lyrique, où l’amour, la fragilité et la tendresse se chevauchent à corps perdu — dans une course contre la montre progressiste, fustigeant les bonnes mœurs d’une époque conservatrice, où la musique s’écoute clandestinement.

Une romance écorchée vive, où les larmes de la délivrance coulent au profit d’un hymne à la plénitude... et à la maternité.

Alors, quand les lumières se rallument, il devient houleux de renouer avec notre banalité quotidienne tant nos yeux embués n'ont nulle envie de les rouvrir.

*Bruno
2èx. Vost



Fear Street, partie 3 : 1666. de Leigh Janiak. 2021. U.S.A. 1h52. Avec Kiana Madeira Ashley Zukerman Gillian Jacobs

                                                     
                                                    (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site IMDb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).
 
"Que la Terre Se Souvienne".
Dernier acte d’une trilogie horrifique ambitieuse, Fear Street: 1666 troque le psycho-killer urbain pour l’horreur rurale, en nous plongeant au cœur d’un village puritain rongé par le fanatisme, le feu et le sang. Dans cette relecture de la malédiction originelle, Leigh Janiak revisite les sorcières et les bûchers pour mieux questionner les racines de la haine — celle qui condamne sans preuve, celle qui brûle au nom de Dieu. On y retrouve les visages familiers de Deena et ses compagnons, projetés dans les peaux de leurs ancêtres, comme pour boucler la boucle dans une boucle encore plus vaste : celle du temps, du trauma et de la répétition.
 
Mais si ce retour aux origines intrigue par son cadre crasseux et sa noirceur biblique, l’enchantement, la passion est, parfois, moins magnétique. Moins viscéral que 1994, moins funèbrement baroque que 1978, ce troisième opus ralentit, s’épure presque. L'accent porté sur le discours social et l’allégorie prend un peu le pas sur le vertige sensoriel des précédents volets. Or, sous la terre imbibée de sang et les prêches enragés, une fièvre couve toujours : celle de l’amour interdit, de la vengeance ancestrale, de la quête de vérité, de la mémoire qu’on refuse de laisser mourir.
 
 
La mise en scène, plus sobre, se pare d’ombres suffocantes, de clair-obscurs terreux, où les fantômes de l’Histoire — et de l’intolérance — rôdent, silencieux. Sarah Fier, enfin révélée, cesse d’être un mythe (et c'est là la surprise de cet ultime volet !) pour redevenir une jeune femme humiliée, trahie, déchue. Et c’est dans ce renversement que le film touche au cœur, renouant avec une émotion brute, presque rédemptrice. La seconde moitié — retour en 1994 — ressuscite enfin l’énergie première, le rythme battant, les idées retorses en crescendo et nous entraîne vers une conclusion cathartique, entre chaos coloré et éclats de vérité pour notre plus grand bonheur de cinéphile complice.
 
S’il me reste une préférence pour les deux premiers chapitres — plus enivrés, plus rageurs, plus imprégnés d’une nostalgie sanglante sans effets de manche — 1666 complète pourtant le cercle avec un regard plus grave, presque mélancolique. Car c’est aussi cela que scelle cette trilogie : l’impossible oubli, le refus de l’oubli. Une lutte pour briser les chaînes, pour hurler dans les ténèbres que la peur ne nous possédera pas éternellement.
 
Gratitude à vous, madame Leigh Janiak, pour avoir su faire saigner le passé à nouveau dans votre parti-pris féministe où l'émotion spontanée ne fut jamais occultée.
 
30.05.25.
Vost

jeudi 29 mai 2025

Sinners. 2025. de Ryan Coogler. U.S.A. 2h17. Avec Michael B. JordanMiles CatonSaul Williams.

                                (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site IMDb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Crocs contre cagoules : le blues vampirique en guerre contre le Klan".
Une célébration du blues par le truchement du vampirisme derrière un discours patent sur le racisme du Ku Klux Klan. 
Le film prend son temps à démarrer traversé de longueurs il est vrai — une heure dix pour planter le décor et esquisser ses personnages — mais l’attente en vaut la peine, tant suspense, tension et action s’entrelacent ensuite avec une intensité stylistique et épique qui vous plaque au siège. 

On lui pardonne un final expéditif, un peu bâclé, car demeurent en mémoire plusieurs séquences musicales anthologiques, dont une, notamment, où styles, tons et postures fusionnent dans une chorégraphie unique à la temporalité éclatée, traversée d’une énergie aussi capiteuse que galvanisante.

Les acteurs, pour la plupart afro-américains, sont profondément investis, luttant avec ardeur dans une trajectoire de survie menant à un héroïsme aussi flamboyant que sacrificiel. Les femmes ne sont pas en reste : tout aussi impliquées, elles s’imposent avec une puissance belliqueuse, tranchante, saillante.

Un excellent divertissement, donc, au stylisme parfois fulgurant, sous les atours d’une blaxploitation habitée, inspirée, rendant hommage à tout un pan du blues — à leurs racines, à leurs ancêtres, avec rage et ferveur. Le vampirisme ne sert que de toile de fond pour embraser cette musique incandescente, tiraillée entre la douleur des attaches et la délivrance de l’expression.

*Bruno

mardi 27 mai 2025

100 Feet. 2008. 1h36. U.S.A. Avec Famke Janssen, Bobby Cannavale, Ed Westwick.

                               (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site IMDb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Il croyait hanter sa mémoire. Elle l'exorcise à chaque pas, cent fois, cent pieds, jusqu'à l'ultime délivrance". 

Réalisé par l’habile faiseur Eric Red (Body Parts, Cohen and Tate, Bad Moon), 100 Feet exploite avec une malice narrative et une redoutable efficacité psychologique le concept pourtant éculé du fantôme revanchard. Ici, il devient métaphore de la survie et du dépassement de soi face à une maltraitance sexiste réitérée par le spectre d’un époux tyrannique.

Porté par le magnétisme de Famke Janssen, qui soutient l’intrigue à bout de bras avec une expressivité farouche et un aplomb oscillant entre vélocité et résignation, 100 Feet demeure l’un des plus puissants films de hantise des années 2000 (et au-delà), sous l’étendard d’une série B intensément violente et percutante.

Fort d’un script retors confiné dans une prison domestique — la victime piégée par un bracelet électronique empêchant sa fuite — 100 Feet joue autant avec les nerfs du spectateur que ceux de cette dernière, avec un art consommé du réalisme fulgurant.

Les agressions, d’une brutalité sèche et cuisante, renforcent la crédibilité de cet affrontement surnaturel, porté par le charisme terrifiant d’un fantôme abusif (probable hommage au Carnaval des Âmes) bien décidé à infliger ses ultimes châtiments à son ex-épouse, cloîtrée dans ses quatre murs.

Tour à tour intense, capiteux et angoissant, le film joue sur la mise en attente d’une agression imminente avant de basculer dans l’horreur pure, quand la menace surgit à l’instant le plus inattendu. 100 Feet carbure à l’adrénaline, entre mano a mano viscéraux et tension domestique palpable, grâce à un réalisme cru et sans fard.

Sans se vautrer dans la surenchère gorasse, Eric Red distille une seule séquence de violence graphique, mais ô combien marquante : une anthologie d’agonie fulgurante, où les vertèbres claquent et se retournent dans une symphonie de supplices à peine esquissés — la victime trop surprise pour hurler face à la soudaineté de sa fin.

"La hantise à hauteur de femme". 
Perle du genre, à marquer d’une pierre blanche (j’en suis à mon quatrième visionnage), 100 Feet redore le blason de la série B du samedi soir avec une intelligence, une vitalité et une implication insoupçonnées. Eric Red filme avec inventivité les recoins exigus de cette maison hantée, portée par une héroïne en voie de catharsis, déterminée à déjouer une dernière fois l’emprise de son mari défunt — spectre infect d’une animosité tenace. Et sur ce point, cet ectoplasme revanchard, étonnamment charismatique, fout réellement les jetons, en ravivant les braises d’une violence domestique aussi sournoise que putride.

*Bruno
Vf.

                       (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site IMDb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).