lundi 16 juin 2025

Prom Queen de Matt Palmer. 2025. U.S.A. 1h30. Avec India Fowler, Suzanna Son, Fina Strazzai.

                                                 
                           (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

Diffusé sur Netflix le 23 Mai 2025.

"Clichés, giclées et tendresse VHS : Prom Queen ressuscite. Pourquoi tant de haine ?"

Dilacéré aux quatre coins du globe, j’ai sciemment patienté quelques semaines avant de me lancer, histoire de laisser retomber le soufflet d’un bashing impitoyable.

Alors que je m’apprêtais à stopper la VHS après quinze minutes, quelle ne fut pas ma surprise — dès le générique extra-diégétique, dès ce prologue sardonique — de me laisser happer par ces clichés chers aux psycho-killers, vaguement ou franchement bonnards, qui pullulaient dans la sacro-sainte décennie 80.

Pur hommage aux modestes psycho-killers (moins aux chefs-d’œuvre notoires, au risque d’être déçu), Prom Queen se contente avant tout de chérir son amour pour ces séries B innocemment ludiques qui tapissaient nos murs de chambre et les étagères des vidéoclubs. On pense, entre autres joyaux plus ou moins obscurs, à Le Monstre du Train, Le Bal de l’Horreur, Happy Birthday, Les Yeux de la Terreur, Week-end de Terreur, Meurtres à la Saint-Valentin, Vendredi 13, Carnages, Humongous, Vœux Sanglants, Massacre au camp d'été et consorts.

Matt Palmer (déjà remarqué pour l’excellent Calibre en 2018) façonne ici un pur divertissement trivial, s’amusant des clichés avec une fantaisie et une désinvolture désarmantes de naïveté assumée. Et si les personnages gogos, notre héroïne un brin cruche, se contentent du minimum syndical pour une psychologie superficielle, leur comportement crétin, leur pointe d’humanisme candide réveillent la nostalgie de ces bobines horrifiques bâties sur l’exploitation de leur sort morbide. À ce niveau, Prom Queen ne déçoit pas : il bannit presque tout effet numérique au profit de maquillages mécaniques du plus bel effet sanglant. Même si le récit ne fait pas vraiment peur, l’ambiance anxiogène ou inquiétante, son petit charisme visuel, opèrent leur charme de fascination. Porté par un montage nerveux, le tout intensifie les actions furibardes pour un plaisir de fun immédiat.

Criant son amour aux années 80 sous entêtante impulsion électro, la bande-son pop qui résonne au bal maudit sert de juke-box exaltant pour une génération projetée d’un coup dans son insouciance — quand un tueur encapuchonné rôde dans l’ombre des couloirs avant de frapper, armé des lames (et outils électriques) les plus divers et improbables. Émaillé de clins d’œil tous azimuts — jusque dans les posters punaisés aux murs des chambres adolescentes — Prom Queen distille en filigrane, parfois avec ostentation, un humour noir qui rappelle que ce jeu de massacre se savoure au second degré.

Quant au final paroxystique, il régale les mirettes d’un carnage festif, directement inspiré de Carrie, avec en prime une série de rebondissements sur l’identité et les mobiles du présumé coupable. Un dénouement aussi jubilatoire que sciemment semi-parodique, porté par une inventivité narrative plutôt cohérente au regard de ses illustres aînés du psycho-killer bonnard.

"Prom Queen : un bal maudit pour nostalgiques gogos".
Attachant comme un vieux fanzine froissé, fun et jamais ennuyeux, Prom Queen exhale ce parfum VHS fichtrement sympatoche — pour quiconque chérit encore ces psycho-killers de fond de vidéoclub et n’a jamais vraiment rangé son cerveau d’ado au placard.

Alors, à quoi bon bouder ce plaisir de gentil sale gosse ?

*Bruno

Vostf.



samedi 14 juin 2025

Les Sorcières du bord du lac / Il delitto del diavolo de Tonino Cervi. 1970. Italie/France. 1h28.


"Rêve sépia d’un sabbat solaire".
Un lac, un ventre d’eau où se reflète la lune malade. Trois soeurs — nues, mielleuses, carnassières — se glissent dans la nuque de David comme des vipères de soie. Il croyait s’allonger sur l’herbe et baiser la liberté ; il se couche dans le piège, il s’offre à un bois moisi, un lit de racines tordues.

Tout est faux, tout est vrai : elles rient, elles dansent, elles l’aspirent. La chair s’échauffe, puis le sang appelle le sang. Le film se dépouille de son voile libertin, crache ses crocs de sorcières ancestrales. La forêt s’en souvient, la nuit l’avale. David n’aura pas de lendemain, pas de révolution, pas de baiser au soleil levant.

On reluque à plusieurs reprises ce hiboux observer David au bord de l’eau figée. Le conte n’a jamais promis de salut — seulement l’orgasme et la mort, mêlés dans un même soupir. Les sorcières au bord du lac gardent leurs secrets sous la vase, et quiconque vient troubler la surface y laisse sa peau.

Ce film, c’est une caresse tendre qui suinte pourtant le poison : un poème païen étouffé sous la mousse, un avertissement que la nature, parfois, n’a pas de morale — seulement une faim, un pouvoir, une autorité suprême.

Et moi, spectateur, j’en ressors capiteux, trempé de boue, de doute, d'amour et de désir. Avec au fond de la gorge un goût de sang, de miel et de nuit. Pour une fois j'aurai tant aimé une autre fin. Mais c'est ainsi et c'est ce qui fait la force escarpée de cet écrin transalpin plaisamment aguicheur au point d'y éveiller un soupçon de félicité le temps d'1h20.

Les Sorcières du bord du lac est une œuvre méconnue, splendide par son onirisme, son charme fou, sa singularité de ton où perce la rupture, sa quiétude solaire et ses jouvencelles à qui l’on donnerait le bon Dieu sans confession — ou presque. Il faut dire que nos trois actrices (Haydée Politoff, Silvia Monti, Ida Galli) bien connues des cinéphiles crèvent littéralement l’écran, tandis que Ray Lovelock, en hippie débonnaire, s’abandonne à une inversion subtile des valeurs morales. Ici, l’on prêche le conservatisme, l’archaïsme triomphant monarchique, au mépris de la contestation et de la liberté la plus permissive.

Baignant dans un climat fantasmagorique, enivrant de désillusion, ourlé d’une photographie sépia quasi irréelle, Les Sorcières du bord du lac imprime ses traces dans l’encéphale comme le souvenir d’un rêve chimérique projeté à même la rétine — un songe captif, hanté par les forces d’un satanisme féministe, doux et vénéneux.

Un sacré morceau de péloche fantastique, dans ce qu’elle a de plus noble et furieusement libre, à l’image du cinéma d’exploitation des Seventies.

*Bruno
2èx. Vost

Echo Valley de Michael Pearce. 2025. U.S.A. 1h44.

                 (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Echo Valley : la morsure des liens sacrifiés".

Si la première demi-heure, plutôt convenue, augure un drame psychologique douloureux entre une mère débonnaire et sa fille toxico — porté à bout de bras par le duo fragile Julianne Moore / Sydney Sweeney — son intensité dramatique ne nous lâche pas d’une semelle jusqu’à ce qu’un rebondissement impromptu relance l’action sous la forme d’un thriller tendu, vicieux et inquiétant, que Michael Pearce (Beast, Encounter) orchestre avec une science du suspense admirable. Et ce, sans jamais précipiter une intrigue subtilement structurée autour d’un stratagème que nul n’avait vu venir.

Visuellement épuré, serti d’une splendide nature forestière bordant un lac, Echo Valley nous happe les mirettes sous l’impulsion d’une solidarité maternelle sévèrement mise à mal par une menace sournoise, qu’incarne de façon finement spectrale Domhnall Gleeson, savoureux en maître-chanteur aussi tortionnaire que pervers.

Excellente surprise que ce thriller (narrativement) solide, à l’humanisme meurtri mais résilient : Echo Valley n'oublie pas de s’ancrer dans la rigueur d’un drame psychologique éprouvant, épousant le combat d’une mère pugnace, prête à extirper sa fille de l’enfer jusqu’à cette ultime retrouvaille équivoque, aussi mémorable que bouleversante. 

À ne pas manquer.

*Bruno

jeudi 12 juin 2025

Buveurs de Sang / I drink your blood de David E. Durston. 1971. U.S.A. 1h28.

 
"Satan, tourte et rage au ventre".

Troisième révision d’un objet de déviance horrifico-folingue, symptôme halluciné des Seventies. À tel point que Quentin Tarantino s’en inspira pour affiner les contours de Planet Terror. Et ça déménage en diable.

Pur produit d’exploitation, Buveurs de sang (I Drink Your Blood), à l’instar de son générique Grindhouse, marche dans les traces sanglantes d’Herschell Gordon Lewis. Son pitch délirant (une secte de hippies satanistes contaminés par la rage après avoir dévoré des tourtes à la viande infectée), sa facture visuelle fanée frôlant un surréalisme poisseux, ses personnages décervelés en totale roue libre, et ses effets spéciaux bricolés à la va-comme-je-te-pousse (on jurerait un rayon promo chez Leroy Merlin), participent à sa folie pure.

Décomplexé, insensé, foncièrement cintré – tant par les postures déglinguées de ces hippies vampirisés par le vice que par les situations horrifiques, insolentes, dérangeantes –, Buveurs de sang nage dans un mauvais goût assumé avec l’art jubilatoire d’une émancipation ludique.

On s’émoustille devant ce carnaval crasseux d’un autre âge, aussi malpoli que délicieusement décalé, happé par l’atmosphère d’une bourgade rurale gangrenée, fascinante et répugnante à la fois, depuis l’irruption de ces illuminés enragés, possédés par des pulsions meurtrières.

Émaillé de séquences extrêmes, tantôt grotesques, tantôt crues, Buveurs de sang se décline en délire anarchique et imprévisible. Sa narration éclatée, son ambiance d’horreur réaliste teinte de sarcasmes semi-parodiques lui confèrent une saveur unique.

À condition, toutefois, de fuir comme la peste sa VF risible, qui tire vers la série Z la plus infréquentable.

P.S: Interdit aux moins de 18 ans lors de sa sortie, Buveurs de Sang est entré dans l'histoire comme le premier film classé X pour violences excessives.
 
*Bruno
3èx. Vost 
 
Sortie salles France: 27 septembre 1972(Alsace)

Budget: - de 100 000 Dollars

jeudi 5 juin 2025

Dernière Limite / Deep Cover de Bill Duke. 1992. U.S.A. 1h47. Avec Laurence Fishburne, Jeff Goldblum, Charles Martin Smith.

                                   (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Dernière Limite : Beauté du crime".
Troisième révision d’une référence du polar urbain des années 90, Dernière Limite semble probablement influencé par son aîné The King of New York, sorti deux ans plus tôt.

On y retrouve, toutes proportions gardées, cette même puissance formelle fascinatoire, ce sens du style qui irrigue les moindres pores de l’image, cette fascination pour la drogue et les armes, cette flamboyance sépulcrale imprimée aux charismes troubles de figures peu recommandables, engluées dans un univers de corruption aussi altier que décomplexé. Laurence Fishburne y campe un protagoniste anti-manichéen avec une aisance tranquille, bientôt rattrapée par la gravité de son évolution morale, asservie par les rouages d’un entourage mafieux. Une organisation du crime finement hiérarchisée, jusqu’aux plus hautes strates de l’autorité.

John Hull (Laurence Fishburne) flic novice, accepte in extremis d’infiltrer ce réseau de trafiquants pour le compte de la DEA, afin d’enrayer leur expansion programmée, vorace, sur un territoire rongé par l’argent facile, la toxicomanie et la prostitution. 
On connaît la musique, et Bill Duke excelle à nous plonger à corps perdu dans ce tourbillon de confrontations viriles, où l’autorité et le pouvoir se disputent dans une arrogance crasse, une lâcheté tapie, putassière.


Traversé d’éclairs de violence âpres sur fond de rap autonome, entrecoupé d’accalmies romantiques rythmées par la partition électrisante de Michel Colombier (compositeur français), Dernière Limite nous absorbe dans une odyssée criminelle crépusculaire. Sa cinématographie — sensuelle, charnelle, viscéralement émotive — est d’une inspiration rare, que Bill Duke transfigure avec un art consommé, frôlant la perfection. Sa dramaturgie, vénéneuse, hypnotique, presque toxique, dégage une atmosphère irréelle, peuplée de figures si imbus d’elles-mêmes qu’elles ne discernent plus le Bien du Mal, perdues dans une moralité nécrosée.

Bijou oublié des années 90, Dernière Limite (Deep Cover) mérite d’être redécouvert d’urgence, pour sa capacité alchimique à nous hypnotiser les sens, en nous familiarisant à cette confrérie mafieuse aussi séduisante que reptilienne, affranchie de toute morale, affamée de pouvoir. Jusqu'au point de non retour.

P.S: Evitez comme la peste sa VF hérétique.

*Bruno
05.06.25. Vost.

Sortie salles France: 7 Avril 1993. U.S: 15 Avril 1992

mardi 3 juin 2025

Manhunt / Rovdyr. 2008. 1h18. Norvège. Avec Henriette Bruusgaard, Jørn Bjørn Fuller Gee, Lasse Valdal.

                             (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site senscritique. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Brûlure norvégienne".
Révision d’un survival des bois auquel je gardais un bon souvenir.
Et quelle surprise, en l’état, de l’avoir encore mieux apprécié aujourd’hui, tant l’implication porte ses fruits à suivre les vicissitudes d’une poignée de jeunes touristes harcelés par des rednecks psychotiques, assoiffés de haine, de vice et de violence.

En rendant un hommage appuyé aux bobines insalubres des seventies, Patrik Syversen s’y entend pour nous entraîner sur les pentes d’une impitoyable chasse à l’homme, au goût de soufre, de mort, de carcasses broyées — tant son réalisme cru évoque les exactions cinématographiques les plus poisseuses auxquelles il se réfère.

Cerise nostalgique : il suffit de contempler son générique liminaire, baigné d’insouciance estivale, de bonheur à vivre l’instant présent, bercé par une reprise suave de La Dernière Maison sur la Gauche, chantée par David Hess. Un générique touchant, presque candide, avant la plongée dans l’horreur.
Alors bien sûr, on n’échappe pas à quelques clichés qui font parfois tâche, ni à certaines facilités un brin improbables — et la maladresse de certains comédiens laisse à désirer, tant lors d'accalmies que dans les scènes les plus tendues. Le scénario, balisé, nous livre le strict minimum à travers l’éternel air connu du survival forestier : jeu du chat et de la souris, mené tambour battant (1h16 au compteur, autant dire qu’on ne voit pas venir le générique de fin).


Mais aussi perfectible soit-il, Manhunt emporte largement l’adhésion grâce à son intégrité, son attention, son goût pour un cinéma horrifique révolu que Patrik Syversen conçoit avec punch, motivation, désir de nous ébranler à coups de violence brute, sèche, sans jamais verser dans la complaisance. Le film fait peur, il terrifie, car on croit à la dangerosité d’une menace souvent invisible ; on croit à ses personnages — victimes épeurées ou bourreaux orgueilleux — galvanisés par une tension permanente, plutôt bien maîtrisée. Si bien qu’on se laisse embarquer par la main, avec une appréhension à la fois jouissive et malaisante. Les comédiens étant d'autant plus méconnus, l'identification n'en n'est que fructueuse. 

C’est cette contradiction des sentiments qui permet à Manhunt de s’imprimer dans la mémoire : série B méchamment efficace, sans pitié, bougrement viscérale et artisanale, notamment grâce à ses maquillages charnels, criants de crudité — le sang y est noir. Gratitude Patrick pour ton amour royal aux Seventies 💓

*Bruno
2èx. Vost

samedi 31 mai 2025

Amazing Stories 2020: La Cave / The Cellar de Chris Evans. 52'. Avec Dylan O'BrienVictoria PedrettiMicah Stock.

                                                       
                                           (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site IMDb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Quand la musique pleure en silence".

Ce matin, j’ai revu cette merveille d’élégie épurée, issue de la série Amazing Stories (2020), et intitulée "La Cave" de Chris Long.

Les amants maudits d’une romance inconsolable, pris au piège d’un cadre bicéphale où le voyage temporel s’invite avec un art consommé de la sensibilité à fleur de peau.

Un conte lyrique, où l’amour, la fragilité et la tendresse se chevauchent à corps perdu — dans une course contre la montre progressiste, fustigeant les bonnes mœurs d’une époque conservatrice, où la musique s’écoute clandestinement.

Une romance écorchée vive, où les larmes de la délivrance coulent au profit d’un hymne à la plénitude... et à la maternité.

Alors, quand les lumières se rallument, il devient houleux de renouer avec notre banalité quotidienne tant nos yeux embués n'ont nulle envie de les rouvrir.

*Bruno
2èx. Vost



Fear Street, partie 3 : 1666. de Leigh Janiak. 2021. U.S.A. 1h52. Avec Kiana Madeira Ashley Zukerman Gillian Jacobs

                                                     
                                                    (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site IMDb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).
 
"Que la Terre Se Souvienne".
Dernier acte d’une trilogie horrifique ambitieuse, Fear Street: 1666 troque le psycho-killer urbain pour l’horreur rurale, en nous plongeant au cœur d’un village puritain rongé par le fanatisme, le feu et le sang. Dans cette relecture de la malédiction originelle, Leigh Janiak revisite les sorcières et les bûchers pour mieux questionner les racines de la haine — celle qui condamne sans preuve, celle qui brûle au nom de Dieu. On y retrouve les visages familiers de Deena et ses compagnons, projetés dans les peaux de leurs ancêtres, comme pour boucler la boucle dans une boucle encore plus vaste : celle du temps, du trauma et de la répétition.
 
Mais si ce retour aux origines intrigue par son cadre crasseux et sa noirceur biblique, l’enchantement, la passion est, parfois, moins magnétique. Moins viscéral que 1994, moins funèbrement baroque que 1978, ce troisième opus ralentit, s’épure presque. L'accent porté sur le discours social et l’allégorie prend un peu le pas sur le vertige sensoriel des précédents volets. Or, sous la terre imbibée de sang et les prêches enragés, une fièvre couve toujours : celle de l’amour interdit, de la vengeance ancestrale, de la quête de vérité, de la mémoire qu’on refuse de laisser mourir.
 
 
La mise en scène, plus sobre, se pare d’ombres suffocantes, de clair-obscurs terreux, où les fantômes de l’Histoire — et de l’intolérance — rôdent, silencieux. Sarah Fier, enfin révélée, cesse d’être un mythe (et c'est là la surprise de cet ultime volet !) pour redevenir une jeune femme humiliée, trahie, déchue. Et c’est dans ce renversement que le film touche au cœur, renouant avec une émotion brute, presque rédemptrice. La seconde moitié — retour en 1994 — ressuscite enfin l’énergie première, le rythme battant, les idées retorses en crescendo et nous entraîne vers une conclusion cathartique, entre chaos coloré et éclats de vérité pour notre plus grand bonheur de cinéphile complice.
 
S’il me reste une préférence pour les deux premiers chapitres — plus enivrés, plus rageurs, plus imprégnés d’une nostalgie sanglante sans effets de manche — 1666 complète pourtant le cercle avec un regard plus grave, presque mélancolique. Car c’est aussi cela que scelle cette trilogie : l’impossible oubli, le refus de l’oubli. Une lutte pour briser les chaînes, pour hurler dans les ténèbres que la peur ne nous possédera pas éternellement.
 
Gratitude à vous, madame Leigh Janiak, pour avoir su faire saigner le passé à nouveau dans votre parti-pris féministe où l'émotion spontanée ne fut jamais occultée.
 
30.05.25.
Vost

jeudi 29 mai 2025

Sinners. 2025. de Ryan Coogler. U.S.A. 2h17. Avec Michael B. JordanMiles CatonSaul Williams.

                                (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site IMDb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Crocs contre cagoules : le blues vampirique en guerre contre le Klan".
Une célébration du blues par le truchement du vampirisme derrière un discours patent sur le racisme du Ku Klux Klan. 
Le film prend son temps à démarrer traversé de longueurs il est vrai — une heure dix pour planter le décor et esquisser ses personnages — mais l’attente en vaut la peine, tant suspense, tension et action s’entrelacent ensuite avec une intensité stylistique et épique qui vous plaque au siège. 

On lui pardonne un final expéditif, un peu bâclé, car demeurent en mémoire plusieurs séquences musicales anthologiques, dont une, notamment, où styles, tons et postures fusionnent dans une chorégraphie unique à la temporalité éclatée, traversée d’une énergie aussi capiteuse que galvanisante.

Les acteurs, pour la plupart afro-américains, sont profondément investis, luttant avec ardeur dans une trajectoire de survie menant à un héroïsme aussi flamboyant que sacrificiel. Les femmes ne sont pas en reste : tout aussi impliquées, elles s’imposent avec une puissance belliqueuse, tranchante, saillante.

Un excellent divertissement, donc, au stylisme parfois fulgurant, sous les atours d’une blaxploitation habitée, inspirée, rendant hommage à tout un pan du blues — à leurs racines, à leurs ancêtres, avec rage et ferveur. Le vampirisme ne sert que de toile de fond pour embraser cette musique incandescente, tiraillée entre la douleur des attaches et la délivrance de l’expression.

*Bruno

mardi 27 mai 2025

100 Feet. 2008. 1h36. U.S.A. Avec Famke Janssen, Bobby Cannavale, Ed Westwick.

                               (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site IMDb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Il croyait hanter sa mémoire. Elle l'exorcise à chaque pas, cent fois, cent pieds, jusqu'à l'ultime délivrance". 

Réalisé par l’habile faiseur Eric Red (Body Parts, Cohen and Tate, Bad Moon), 100 Feet exploite avec une malice narrative et une redoutable efficacité psychologique le concept pourtant éculé du fantôme revanchard. Ici, il devient métaphore de la survie et du dépassement de soi face à une maltraitance sexiste réitérée par le spectre d’un époux tyrannique.

Porté par le magnétisme de Famke Janssen, qui soutient l’intrigue à bout de bras avec une expressivité farouche et un aplomb oscillant entre vélocité et résignation, 100 Feet demeure l’un des plus puissants films de hantise des années 2000 (et au-delà), sous l’étendard d’une série B intensément violente et percutante.

Fort d’un script retors confiné dans une prison domestique — la victime piégée par un bracelet électronique empêchant sa fuite — 100 Feet joue autant avec les nerfs du spectateur que ceux de cette dernière, avec un art consommé du réalisme fulgurant.

Les agressions, d’une brutalité sèche et cuisante, renforcent la crédibilité de cet affrontement surnaturel, porté par le charisme terrifiant d’un fantôme abusif (probable hommage au Carnaval des Âmes) bien décidé à infliger ses ultimes châtiments à son ex-épouse, cloîtrée dans ses quatre murs.

Tour à tour intense, capiteux et angoissant, le film joue sur la mise en attente d’une agression imminente avant de basculer dans l’horreur pure, quand la menace surgit à l’instant le plus inattendu. 100 Feet carbure à l’adrénaline, entre mano a mano viscéraux et tension domestique palpable, grâce à un réalisme cru et sans fard.

Sans se vautrer dans la surenchère gorasse, Eric Red distille une seule séquence de violence graphique, mais ô combien marquante : une anthologie d’agonie fulgurante, où les vertèbres claquent et se retournent dans une symphonie de supplices à peine esquissés — la victime trop surprise pour hurler face à la soudaineté de sa fin.

"La hantise à hauteur de femme". 
Perle du genre, à marquer d’une pierre blanche (j’en suis à mon quatrième visionnage), 100 Feet redore le blason de la série B du samedi soir avec une intelligence, une vitalité et une implication insoupçonnées. Eric Red filme avec inventivité les recoins exigus de cette maison hantée, portée par une héroïne en voie de catharsis, déterminée à déjouer une dernière fois l’emprise de son mari défunt — spectre infect d’une animosité tenace. Et sur ce point, cet ectoplasme revanchard, étonnamment charismatique, fout réellement les jetons, en ravivant les braises d’une violence domestique aussi sournoise que putride.

*Bruno
Vf.

                       (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site IMDb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

dimanche 25 mai 2025

Fear Street Part 2: 1978

                                                       
                                            (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site IMDb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

Sous l’étiquette qu’on croyait moisie: non, Netflix ne sert pas que du fast-food visuel — il arrive qu’ils cuisinent.

"Fear Street : le sang des filles".
Rares sont les suites qui tutoient le niveau des films qui les ont inspirées. Or, Fear Street Part 2 relève la gageure les doigts dans le nez sous la forme d'un préquelle aussi furibond ! Au point que je ne sais toujours pas lequel des deux opus a ma préférence. Et si les mêmes causes entraînent les mêmes conséquences, elles ne se répètent jamais — elles dévient, contournent, surprennent, pour mieux conjurer la lassitude. Car au-delà d’une narration toujours aussi affûtée et truffée de rebondissements (de quoi faire rougir n’importe quel Vendredi 13), Fear Street soigne encore une fois l’autorité de ses personnages juvéniles, de CHAIR et de SANG, esquissant ici un "Girl Power" porté par une ligue féministe en voie de réconciliation, fraternelle autant qu’amicale.

En délocalisant l’action à l’issue des Seventies, Fear Street Part 2 fleure bon le psycho-killer des bois que les fans reconnaîtront dans leurs réminiscences inoxydables. Pourtant, jamais elle ne cède à la facilité nostalgique : Leigh Janiak détourne les codes, manipule ses personnages avec une sincérité infaillible, imprimant sa personnalité anti-cynique. Elle prend davantage le temps de planter ses univers, de sculpter ses figures, au risque d’amender le rythme infernal du premier opus. Moins effrénée d’emblée, l’action, scindée en deux localités, gagne en suspense et tension. Et la tournure horrifique des évènements s’élève d’un cran à mesure que le tueur à la hache trace sa route avec une vélocité à trancher au rasoir.

Les scènes sanglantes, charnelles et mécaniques, frappent avec une brutalité cuisante, portées par un montage toujours aussi lisible, toujours aussi vif. Si l’hommage au Tueur du Vendredi est manifeste, Janiak s’écarte des conventions, refuse la parodie ou la contrefaçon, injecte de la malice dans ses choix — comme dans l’accoutrement du tueur, justifié par un règlement de compte alarmiste.

Ce jeu de piste initiatique, exaltant l’héroïsme, le pardon, la rédemption et le sens du sacrifice, met en lumière des héroïnes en herbe peut-être encore plus attachantes qu’auparavant. Fear Street Part 2 force à nouveau le respect, rendant hommage au psycho-killer des bois sous l’égide d’un argument occulte redoutablement efficace. Si bien que dès que surgit la preview du troisième volet juste avant le générique, une seule envie nous saisit : l’enfourner dans son magnétoscope high-tech et replonger dans la malédiction de Sarah Fier, que nos Goonies féministes tenteront, une ultime fois, de mettre en terre. 

Chapeau les filles, vous êtes de vraies queen girls.

*Bruno

Solaris

                                                     
                                    (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site IMDb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Solaris : L’Éternité au Bord des Larmes".
Il y a des films comme ça qui emportent tout. On ne cherche pas à en jauger les défauts ou à en peser les qualités. On les prend comme ils sont, comme on aime quelqu’un.

Lynch a dit : « Je ne vois pas pourquoi les gens attendent d’une œuvre d’art qu’elle veuille dire quelque chose alors qu’ils acceptent que leur vie à eux ne rime à rien. »

Et Solaris sied à merveille à ce constat. Car cette aventure spatio-temporelle relève d’une magie pure, dans son essence la plus noble et platonicienne. On ne comprend pas tout – c’est voulu. Et pourtant, tout semble beau, fastueux, élégiaque, transcendantal.


Parfois, il faut savoir lâcher prise et s’abandonner aux impressions. Car Solaris, malgré lui – ou grâce à lui – nous pousse à contempler notre condition : le poids du passé, la mémoire en spirale, la culpabilité sans fin, l’illusion de notre réalité, ce mirage suspendu au bord de l’éternité. Et son final, suspendu dans l’interrogation, laisse au spectateur la liberté d’en faire son propre rêve.

Une chose est sûre : dès que le générique s’égrène, on reste engourdi, hypnotisé. On se laisse une ultime fois bercer par ce flot d’adieux – ou d’au revoir – porté par la partition ensorcelante de Cliff Martinez (offrez-lui un Oscar). Sa musique épouse les images, fusionne avec elles, jusqu’à offrir l’une des plus belles séquences de l’histoire du cinéma : cette rencontre dans le train, baignée de lumière et de chaleur, sensorielle, rassurante, infiniment douce.

L’œuvre céleste de Soderbergh nous enveloppe dans un cocon de soie, tiède et ouaté, au cœur d’un huis clos intimiste confiné dans un space opera aussi étrange qu’attirant. On voudrait y pénétrer, flotter parmi ces âmes en apesanteur.


Rarement dans ma vie de cinéphile, j’ai ressenti une expérience aussi trouble et envoûtante – à l’instar de La Forteresse Noire de Mann, du Cercle Infernal de Loncraine ou de Pique-nique à Hanging Rock de Weir. Tout ici semble conçu pour captiver l’esprit, les yeux, l’ouïe, sans une once de prétention. Grâce, aussi, à l’alchimie délicate de George Clooney, habité par la passion mais constamment tiraillé par le doute, et de Natascha McElhone, ivre de mélancolie dans son questionnement identitaire.

Profondément sensuel, lyrique et romantique, Solaris déploie un mélo sensoriel sous les atours d’une science-fiction métaphysique, à même de réconcilier les plus réfractaires au genre stellaire. Vibrant d’une humanité à la fois déchue et éperdue, il frappe en plein cœur, et en pleine raison, par la force de son émotion méditative.

Et comme l’a si bien formulé un certain Écran Large : ce chef-d’œuvre maudit est destiné à hanter ceux qui l’ont aimé… comme un souvenir qu’on n’a jamais vraiment quitté.


Jamais plus Soderbergh ne retrouvera une telle grâce, une ambition si pure, ni cette vibrante sincérité qui irrigua un jour sa carrière.

*Bruno
24.05.25. 3èx. Vost

vendredi 23 mai 2025

Fear Street Part 1: 1994

                                                       
                                       (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site IMDb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).
                                                                             
                                                                       Mea culpa ! 

Excellente surprise, que dis-je ! Un coup de cœur franc, tant ce resucé du psycho-killer en bonne et due forme m’a constamment désarçonné par son écriture redoutablement efficace, charpentée, percutante.

Au point qu’on ne voit pas défiler les 1h40 de métrage (hors les sept minutes de générique), tant le rythme effréné ne laisse aucun répit, dans ce concentré d’horreur, d’humour, de tendresse et de fantastique que Leigh Janiak orchestre avec une implication qui force le respect.

Et pourtant, les cinq premières minutes — oh combien fallacieuses — laissaient craindre une pâle copie de Scream : victime pourchassée, tueur masqué, tension molle, expressivité absente. Une mise en bouche trompeuse, calquée, qui fait redouter le pire… avant que tout ne bascule.

Car le reste du film prend le contre-pied total de ce préambule tiède, et ose. Ose mixer, sans complexe, des références pourtant redoutées — Scream, Halloween, Vendredi 13, Freddy, Superstitions, Les Goonies, Stranger Things — un cocktail explosif qui, sur le papier, aurait pu faire fuir l’amateur éclairé, las de ce vivier eighties/nineties surexploité depuis l’effervescence Scream, Urban Legend, Souviens-toi l’été dernier et consorts.

Et pourtant… le miracle opère. Comment ? En nous attachant, viscéralement, à une bande de protagonistes juvéniles, au charisme naturel, à l’intelligence rare pour le sous-genre. Impossible de ne pas éprouver empathie, implication, tendresse pour cette cohésion héroïque, pour ces ados perspicaces au flair de survie affûté.


Anti tête-à-claque, anti potiche, anti nunuche, anti neuneu : les années 90 brillent ici par une jeunesse expressive, habitée, propulsée par un scénario retors, sans cesse surprenant, puisant dans le référentiel horrifique pour mieux le détourner dans une construction narrative aussi rusée que réjouissante.

Et tandis que l’on s’émoustille devant le caractère ludiquement macabre de cette aventure — une chasse à la vérité truffée d’indices incongrus — le film nous prend à revers. Changement de ton, drames inattendus, sort cruel réservé à des figures qu’on croyait à l’abri : la chair s’humanise, le cœur se serre.

Jusqu’à cette conclusion à tiroirs, multiple, frénétique, qui annonce deux suites en forme de pochettes surprises macabres, prometteuses, électrisantes.

Sans prétention, avec une caméra mobile fluide et jamais hystérique, Fear Street - Partie One détonne. Néo psycho-killer nineties, intègre dans sa forme, généreux dans son fond, le film carbure au peps, à la ferveur, à l’amour du genre — sans jamais tomber dans l’abrutissement ou le ridicule. Et ce sur fond d'émancipation saphique. 

Ah oui, détail non négligeable : la bande-son pop-rock sent bon les nineties, entre sueur, spleen et révolte.

Et lorsque le générique retentit, une seule chose nous vient : vite, la suite !

Merci du fond des tripes, Madame Leigh Janiak.

*Bruno

mardi 20 mai 2025

Season of the Witch

                            (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site IMDb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Sortilège d’une rébellion silencieuse"
Une œuvre auterisante, intimiste, que j’affectionne tout particulièrement — au même titre que The Crazies, tourné un an plus tard — signée d’un Romero scrupuleusement attentif à la cause féminine.

Un drame psychologique à l’identité Seventies affirmée, vu à travers le prisme d’une femme soumise, décidée à se tourner vers les forces occultes de la sorcellerie pour regagner un semblant d’autorité.

Avec son climat d’étrangeté trouble, presque indicible, renforcé par un grain visuel aux accents documentaires, "Season of the Witch" fascine irrémédiablement. Jan White, actrice méconnue mais saillante, incarne à merveille cette ménagère contestataire, timidement happée par les plaisirs interdits de l’adultère, aux côtés d’un enseignant universitaire désinhibé.

Très beau portrait de femme en quête de réappropriation, d’affirmation, pour contrer un patriarcat aussi omniprésent que méprisant, "Season of the Witch" dégage une atmosphère feutrée, délicate, teintée de nonchalance, d’insécurité — parfois même cauchemardesque. Les songes récurrents de Joan, minée par une paranoïa diffuse, nourrissent cette instabilité sourde jusqu’à une forme de renaissance.

Passée sa conclusion ironique, véritable pied de nez aux violences conjugales trop souvent tues derrière l’impunité juridique, le film laisse une empreinte trouble, tenace, notamment par sa sensualité désespérée. Comme une douce braise sous la cendre. Envoûtant, en somme. J’ai déjà envie d’y replonger.

*Bruno
3èx

lundi 19 mai 2025

Horns

                                                         
   
                                               Mea culpa (car je n'avais pas apprécié à l'époque).

"Sous les cornes, les cendres d'un amour"

Hormis un final des plus discutables — j’aurais supprimé cette vengeance démoniaque trop ambivalente des cinq dernières minutes — cette excellente investigation criminelle, pourtant rapidement percée à jour (on devine l’identité du meurtrier dès la demi-heure), nous emporte par la force de son concept fantastique, à forte connotation religieuse, et l’ironie noire qui suinte des personnages véreux. Une vendetta à double tranchant, entre sarcasmes grinçants et suspense tendu, qui distrait intelligemment tout en malmenant nos repères.

Horns s’ancre profondément dans une vision catholique du Bien et du Mal, que son anti-héros tente de gérer au cœur d’une douloureuse dichotomie morale. Mais le film se distingue surtout par la puissance émotionnelle d’une romance magnifiquement incarnée : Daniel Radcliffe, jamais aussi convaincant, habité par une résignation expressive, et Juno Temple, sensualité fragile, douceur de miel en déesse de l’amour déchu. Une intrigue à rebondissements inattendus qui, derrière ses accents de conte noir, finit par toucher au tragique pur.

Tout à la fois beau et tendre à travers moult flashbacks reconsidérant les caractérisations des personnages, violent et sanglant dans ses règlements de compte hargneux, Horns séduit surtout grâce à son pouvoir émotionnel gratifiant, voire même carrément rédempteur — tant pour le personnage damné Ig que pour nous-mêmes — sous l’impulsion d’une entêtante B.O. pop, teintée de lyrisme.

*Bruno

Le Dossier Maldoror


                                                                             Top 2025.

Plongée en eaux noires : Fabrice Du Welz au bord du gouffre
Avec cette fresque ténébreuse de 2h36, Fabrice Du Welz livre peut-être l’œuvre la plus rugueuse, la plus exigeante de sa carrière. Un film-fleuve au réalisme poisseux, viscéral, qui ne cherche ni à séduire ni à rassurer, mais à sonder, en apnée, les abysses de l’âme humaine.

Librement inspirée de l’affaire Dutroux, l’intrigue s’enracine dans une enquête au long cours, là où le mal n’est plus un monstre tapi dans l’ombre, mais une matière diffuse, insaisissable, ancrée dans la banalité des jours.

Au centre du récit : un homme, irascible, écorché, que tout semblait prédestiner à un avenir lumineux. Il finira par tout perdre — repères, certitudes, illusions — au nom d’une vérité trop brute pour être contenue. Une vérité qui ronge, qui consume.

À l’écran, des visages. De vrais visages. Striés, creusés, marqués par la fatigue du monde. Ils imposent leur présence virile, une gravité sèche et désenchantée. Et bien que l’histoire se déroule dans les années 90, c’est l’empreinte des années 70 qui innerve chaque plan. Grain rugueux, refus du spectaculaire, goût pour le brut — Du Welz filme ici avec l’intransigeance d’un cinéaste hanté.

On ressort de là vidé, les yeux brûlés, la gorge serrée. Le film ne laisse pas indemne. Il écorche, il dérange, il travaille longtemps après la dernière image. Une œuvre inconfortable, nécessaire. Une plongée en eaux noires, sans bouée.

Grand cinéma, écorché vif, dans son instinct le plus animal.

*Bruno

jeudi 15 mai 2025

Week-end de Terreur / April fool days.

                                                    
                              (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site IMDb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

de Fred Walton. 1986. U.S.A/Canada. 1h29. Avec Deborah Foreman, Amy Steel, Ken Olandt, Deborah Goodrich, Griffin O'Neal, Jay Baker, Clayton Rohner .

Sortie salles France: 23 Juillet 1986

FILMOGRAPHIE: Fred Walton est un réalisateur et scénariste américain.
1979: Terreur sur la Ligne. 1986: Week-end de terreur. 1987: Confession criminelle. 1987: Hadley's Rebellion. 1988: I saw what you did (télé-film). 1989: Seule dans la tour de verre (télé-film). 1990: Murder in Paradise. 1992: The Price She Paid (télé-film). 1992: Homewrecker (télé-film). 1993: Terreur sur la ligne 2 (télé-film). 1994: Dead Air (télé-film). 1995: The Courtyard (télé-film). 1996: The Stepford Husbands (télé-film).


Troisième révision d’un très bon psycho-killer impossible à décortiquer — tant subjectivement qu’objectivement — sans risquer de déflorer le moindre indice.

Au-delà de son intrigue originale, son ambiance estampillée eighties fait mouche, et son casting juvénile (porté par Amy Steel -- le Tueur du Vendredi --), étonne par une justesse spontanée rare : on ressent véritablement leur cohésion fougueuse au moment du tournage.


La photographie somptueuse, l’atmosphère insécure, le cadre exotique captivent les mirettes, magnifiés par une restauration 4K que Fred Walton (oui, Terreur sur la ligne, c’était lui !) sublime d’une mise en scène quasi expérimentale. Quant aux quelques scènes chocs qui ponctuent ce Cluedo horrifique, elles surprennent par un réalisme parfois glaçant, pleinement au service de l’effet attendu.

Enfin le score de Charles Bernstein, lui aussi parfaitement ajusté, enveloppe le film de nappes tranquilles ou tendues, parfois traversées de sonorités badines, comme un jeu cruel entre accalmie feinte et menace tapie.

                                      

Attention toutefois : ça passe ou ça casse. Walton prend des risques inconsidérés en rendant hommage à tout un pan du psycho-killer — domestique et forestier — avec une malice à double tranchant, selon l’humeur du spectateur.

Moi, en tout cas, je suis séduit. À chaque fois. 

Merci tonton Fred.

*Bruno

lundi 12 mai 2025

The Assessment / L'Evaluation

                             (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site IMDb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

de Fleur Fortuné. 2025. U.S.A/Allemagne/Angleterre. 1h56. Avec Elizabeth Olsen, Alicia Vikander, Himesh Patel, Minnie Driver, Indira Varma, Charlotte Ritchie, Nicholas Pinnock.

Sortie salles U.S: 21 Mars 2025. France: 8 Mai 2025 sur Prime Video

FILMOGRAPHIE: Fleur Fortune est une réalisatrice et scénariste américaine. 
The Assesment est son premier long-métrage. 


                                                                             Top 2025

Du grand cinéma d’anticipation, nouvelle référence dans la plus noble tradition du genre sinistrosé.

En matière de science-fiction dystopique, The Assessment s’impose comme un digne étendard, sans rien envier à ses illustres aînés : Soleil Vert, Terre Brûlée, Silent Running, THX 1138, Rollerball, et plus récemment Bienvenue à Gattaca ou Les Fils de l’Homme (et quelques autres, sans doute).

Face à une épreuve de force aussi immersive que dépressive — car aussi glaçante qu’irritante (il faut un temps d’adaptation pour tolérer les postures lunaires de l’évaluatrice) — The Assessment se pose là, futur classique d’un genre alarmiste, dénué de toute illusion.

Œuvre intime, d’une rare intelligence, elle nous projette dans un cauchemar totalitaire vu à travers le prisme d’une maternité déshumanisée, contrainte de se soumettre à l’entretien oral d’une autorité supérieure pour obtenir le droit de procréer avec son amant privilégié. Fort de son pouvoir d’évocation, résonnant douloureusement avec notre actualité — sociétale, sanitaire, écologique et politique — The Assessment nous renvoie, sans répit, à notre nouvelle condition d’êtres de plus en plus tristement soumis.


Réflexion sur la perte d’identité, le contrôle des esprits dans une société aseptisée au possible, obsédée par la maîtrise de toute chose — jusqu’à violer la chair et l’âme, jusqu’à influencer nos comportements rationnels en les pervertissant —, même les plus nantis y subissent l’humiliation sourde de leur impuissance. C’est une œuvre d’une infinie tristesse, où un couple harmonieux tente, en vain, de franchir les murs d’un système glacial pour offrir la vie.

Jouant la carte d’une sobriété dépouillée avec économie de moyens — intérieurs domestiques, natures figées, froides structures industrielles pour un final anxiogène nous saisissant à la gorge — The Assessment cultive le malaise, distillé au compte-gouttes dans un huis clos subtilement high-tech, baigné d’une photo stylisée, saturée, presque trop parfaite pour être vraie. Trois personnages y disputent l’autorité, chacun avec un désespoir toujours plus insécure.

Saisissants de vérité, de densité, de tension expressive, les comédiens incarnent leur rôle avec une finesse retenue, laissant éclore une intensité dramatique crescendo, au fil de leur rage de vivre infructueuse. Jusqu’à ce que le voile se lève, brutalement, sur nos interrogations : le portrait équivoque de l’évaluatrice, la destinée de nos amants en perdition, tout s’effondre dans une remise en question déchirante.


Terriblement noir et pessimiste, inquiétant et révoltant, déprimant et bouleversant — mais surtout d’une intelligence féroce, propre à éveiller les consciences — The Assessment nous laisse exsangues, brisés par une conclusion d’une rigueur dramatique inconsolable. 

*Bruno
4K/Vost

Récompenses: British Independent Film Awards 2024 : meilleurs décors pour Jan Houllevigue
Grindhouse Paradise 2025 (Toulouse) : Grand Prix de la compétition long métrage. 

samedi 10 mai 2025

A Deadly American Marriage

                                 (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site IMDb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

            Un documentaire Netflix réalisé par Jessica Burgess et Jenny Popplewell. 2025. 1h43.

Lorsque Jason Corbett, veuf irlandais et père de deux jeunes enfants, retrouve l’amour auprès de l’Américaine Molly Martens en 2008, leur relation semble idyllique.
Mais le soir du 2 août 2015, Jason est tué lors d’une violente altercation à son domicile.
Les coupables ? Molly, et son père Thomas Martens, ancien agent du FBI.

Passionnant et bouleversant — comme souvent chez Netflix — ce documentaire édifiant tente de démêler les circonstances, les causes et les ramifications d’un effroyable meurtre en 103 minutes. En recueillant les témoignages des présumés coupables, Tom et Molly, juste après leur garde à vue, mais aussi ceux des membres des deux familles, des avocats de chaque camp, et surtout des deux enfants Corbett, profondément marqués par ce qu’ils ont vécu ce soir-là, le film cherche à cerner la vérité derrière l’horreur : leur père a-t-il été tué en cas de légitime défense ?

Truffé de contradictions — entre les versions de Molly, de Tom, des enfants placés en famille d’accueil — A Deadly American Marriage explore les fissures d’un drame familial rongé par la jalousie et la possessivité. Sans jamais trancher ni désigner de coupables, le film nous plonge dans les zones grises de la vérité conjugale et judiciaire.

C’est cette retenue, ce refus du manichéisme, qui donne toute sa force, son amertume et son intensité dramatique à ce requiem bouleversant.
Et ce sont surtout les enfants — porteurs fragiles d’un avenir plus paisible — qui laissent dans nos mémoires l’empreinte d’un désarroi irrécupérable.
Rien que pour eux, ce documentaire, aussi poignant que dérangeant, mérite d’être vu. Il interroge, avec sensibilité, les failles d’un système et l’équité des décisions liées à la garde d’enfants.

*Bruno

vendredi 9 mai 2025

The Ugly Stepsister / Den stygge stesøsteren

                         (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site IMDb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

de Emilie Blichfeldt. 2024. Norvège/Pologne/Suède/Danemark.1h48. Avec Lea Myren, Thea Sofie Loch Næss, Ane Dahl Torp, Flo Fagerli, Isac Calmroth, Malte Gårdinger. 

Sortie salles France: 2 Juillet 2025

FILMOGRAPHIEEmilie Blichfeldt est une réalisatrice, scénariste et productrice norvégienne. 
The Ugly Stepsister est son premier long-métrage. 


« Derrière le miroir, le cauchemar d’une perfection mutilée. »
Dans notre société aseptisée, où l’apparence grignote chaque jour un peu plus les nobles sentiments, The Ugly Stepsister (La vilaine demi-sœur) brandit son étendard goguenard. Déconstruction vitriolée de Cendrillon, le film s’illustre par des plans sanglants et carrément pornographiques (!!!), à la lisière du malaise. Pour sa première réalisation, Emilie Blichfeldt aborde la chirurgie plastique, l’élitisme et le patriarcat avec une ironie si acerbe qu’elle nous emporte vers une trajectoire émétique, son final jusqu’au-boutiste n’épargnant aucun haut-le-cœur, même chez les plus aguerris.

The Ugly Stepsister déborde de provocations paillardes, orales, organiques — et dresse sans ambages, avec un humour corrosif, le portrait miséreux d’une princesse en devenir, prête à martyriser son corps pour séduire le prince charmant qu’elle idolâtre jusque dans ses rêves moites. Un prétendant aussi superficiel qu’elle, davantage queutard qu’amoureux, considérant la femme comme simple chair consommable. Cette galerie de personnages, tous plus détestables les uns que les autres, Emilie Blichfeldt les caricature avec un réalisme mordant. Sa mise en scène inspirée, ponctuée de ruptures de ton (génial score électro à l’appui), porte un film en costume visuellement renversant.


La photo, gothique et charnelle, a du caractère : un onirisme contrasté, pailleté et sensuel, au service d’un cadre aristo grotesque, faisandé, ordurier. À l’image de cette figure maternelle, matrone cupide érigée en icône de vulgarité lubrique, prête à sacrifier ses rejetons pour asseoir sa propre destinée.

Admirablement construit, traité avec invention et un langage visuel percutant, le film distille une dimension dramatique éprouvante, sans jamais prévenir. The Ugly Stepsister confine au malaise viscéral lors de la descente aux enfers dégénérative de cette jouvencelle, irrémédiable. Constamment sarcastique, moralement rigoureux et sanguinaire jusqu’à la nausée, le dernier acte — anthologique — ne se complaît jamais. Il nous laisse K.O., par la maîtrise de nos sentiments malmenés par la doctrine du paraître et la sexualité consumériste. Jusqu'aux larmes de la déchéance la plus basse et démunie. 


« La beauté comme seule arme. La chair comme seul prix. »
Un uppercut sincère, perturbant, chargé d’intentions payantes pour secouer les consciences. Une proposition horrifique, lucide et insolente, qui dit tout de la déshumanisation de notre chair nouvelle — tributaire du bistouri, de la drogue et de la (mal)bouffe. Une farce noire norvégienne qui nous étreint la gorge comme une corde de pendu. 

Pour public averti.

*Bruno

Récompenses: Corbeau d'Argent, Prix du Public, BIFF Bruxelles, 2025.

                                 (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site IMDb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).