mercredi 20 août 2025

Body Trash / Body Melt de Philip Brophy. 1993. Australie.

                                                                                          
                                     (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).
 
"Body Trash : fête foraine de chair et latex."
Excellente surprise que cette perle horrifique australienne, que Rimini Editions exhume de sa torpeur dans une copie HD fastueuse. À tous les fans de Troma et du cultissime Street Trash de Jim Muro, Body Trash est taillé sur mesure : l’unique film de Philip Brophy en épouse les excès tout en insufflant une liberté de ton galvanisante, servie par une moisson de séquences chocs, trash et débridées. Et si le scénario ultra-linéaire n’est qu’un prétexte à enchaîner des sketchs nourris d’humour noir, de burlesque et de sang cartoonesque à base de latex, l’énergie furieuse des personnages lunaires, leur charisme saillant et l’insolence d’une satire visant capitalisme, matérialisme et culte des apparences finissent par rendre le spectacle constamment stimulant - pour ne pas dire jubilatoire. Certes, le trash viscéral de certaines scènes inspire parfois un dégoût instinctif, mais il s’impose comme une violence de dessin animé : il nous met à distance, nous autorisant à en rire avec une complicité presque innocente. Série B à la fois comique, décalée et sardonique, portée par un souffle libertaire dévastateur, Body Trash apparaît comme le prototype d’un divertissement du samedi soir aujourd’hui révolu - avec ses trognes ahuries, aussi expressives que caricaturales, vouées à s’éclater la tronche (au propre comme au figuré) dans une ambiance dévergondée de fête foraine.
 
— le cinéphile du cœur noir 
2èx. Vostf 

mardi 19 août 2025

Les Proies / Moonlight de Paula van der Oest. 2002. 1h27.

                      (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"L'innocence en flammes". 
Produit entre les Pays-Bas, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et le Luxembourg, Les Proies est un véritable OFNI, une sorte de Nuit du Chasseur en mode vitriolé - toutes proportions gardées. L’histoire : une fillette de douze ans croise par hasard un ado passeur de drogue, grièvement blessé d’une balle à l’estomac, qu’elle décide de soigner en secret dans une cabane, loin de la vigilance de ses parents huppés.

J’ignore quelles étaient les véritables ambitions de Paula van der Oest, ni ce qu’elle a voulu nous transmettre, mais en abordant les thèmes de la perte de l’innocence et de l'absence parentale, Les Proies nous entraîne dans un trip onirico-macabre, aussi bizarroïde que déconcertant. À tel point qu’on se demande souvent quel sens donner à ce que l’on voit, tant la réalisatrice, décomplexée, en roue libre, orchestre les 400 coups de ce duo d’ados en initiation délinquante avec une fantaisie irresponsable.

De ses audaces narratives - insolentes, malaisantes, délétères - naît un sentiment d’étrangeté prégnant qui irrigue tout le récit, sans jamais céder à une échappatoire salvatrice. Bien au contraire : jusqu’au-boutiste dans son parti pris réaliste, où l’insouciance demeure le maître mot, Les Proies malmène notre raison en refusant toute rédemption, jusqu’à une conclusion aussi hallucinée que vertigineuse. On en sort déboussolé, sans avoir jamais vraiment saisi les intentions de cette autrice franc-tireur, déterminée à pulvériser nos repères dans une narration anarchique et sciemment provocatrice.

Un dernier mot sur le tempérament brut de la jeune Laurien Van den Broeck, qui incarne Claire avec une maturité troublante, ambiguë, parfois désarçonnante. La réalisatrice ose la filmer en sous-vêtements, puis dénudée, avec une audace sans détour - peut-être discutable, surtout lors de cette étreinte sexuelle qui ne manquera pas de heurter les plus prudes - mais pleinement assumée.

Une œuvre indépendante, atypique donc, qui fait voler en éclats les codes avec une innocence perverse et avilissante car elle signe la fin des songes dans une mise en scène tendre et caustique difficilement conciliable.

— le cinéphile du cœur noir

vendredi 15 août 2025

Night Always Comes de Benjamin Caron. 2025. U.S.A. 1h50.

                                  (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Une nuit pour tout perdre."

Voilà le genre de film perfectible qui, malgré un concept prometteur - un thriller psychologique filmé en temps réel, le temps d’une seule nuit -, finit par laisser un certain goût de frustration mêlée de contradiction. La faute à un manque de maîtrise, parfois entaché d’incohérences gênantes : l’anti-héroïne qui, sans méfiance, se rend chez un perceur de coffres infréquentable; ou cette course à pied freinée par un grillage, sans qu’elle songe à s’y agripper pour le franchir d’un geste.

Pourtant, de cette course contre la montre, plutôt bien photographiée, se dégage un étrange mélange d’envoûtement et de séduction, impulsé par Vanessa Kirby qui porte le film sur ses épaules avec une sobriété admirable. Elle insuffle un suspense à la fois latent et nerveux, suivant une trajectoire morale sinueuse, nourrie par un passé galvaudé que le réalisateur ne dévoile que dans une dernière partie familiale.


Sur fond de crise économique et de délinquance décomplexée, Lynette s’efforce de se frayer un chemin, malgré une corruption vénale assumée comme ultime recours. Night Always Comes parvient ainsi à susciter une sincère empathie, installant un climat anxiogène et souvent malaisant, qu'elle entretient au fil de son périple urbain constamment menacé.

Maladroit par instants dans son écriture, pas toujours assez poignant dans ses séquences les plus violentes, ni dans l’humanisme fragile de Lynette, souvent maintenu dans la réserve, le film n’en offre pas moins une conclusion réellement émouvante. 

Jamais ennuyeux, atmosphérique dans sa scénographie nocturne inquiétante, il me laisse en mémoire l’image d’une œuvre tantôt malmenée, tantôt vibrante, tantôt pulsatile, portée par les ombres de la démission parentale et de la délinquance contrainte - des thèmes que le réalisateur aborde avec une sincère volonté de bien faire.

Or, je suis quand même un petit peu embarrassé de ne pas l'apprécier autant qu'escompté.

— le cinéphile du cœur noir

mercredi 13 août 2025

Eddington de Ari Aster. 2025. U.S.A. 2h28.

                     (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Dernière station avant le néant."
Eddington, c’est l’Amérique à vif qui s’éventre sur elle-même, dans un éclat de rire jaune. Ari Aster signe sous couvert de western vitriolé une farce hyper caustique, un carnaval politique où chaque masque cache un rictus de haine ou un vide abyssal. Mai 2020 : la Covid ronge les corps et les cerveaux, mais c’est la paranoïa qui dévore les âmes. Dans cette bourgade perdue au cœur des États-Unis, les habitants se plient aux règles, s’accrochent à des restrictions, voires à des causes fumeuses, bricolées dans l’arrière-cour de leur idéologie déglinguée. Tout est irréconciliable dans cette gigantesque cour de récré. La fracture béante entre deux Amériques n’est plus un débat : c’est une guerre civile larvée, une folie contagieuse que le monde entier semble décidé à reproduire, encore et encore.

La jeunesse, elle, s’abîme dans la lumière bleue des écrans, nourrie de joints, de pornographie et de rêves de célébrité virale. Les pieds ne touchent plus terre, la réalité se dissout dans un flux continu de paranoïa et de désir d’être vu. Et au milieu, Joaquim Phoenix incarne un shérif rétrograde, sociopathe lunaire, paumé comme un chien enragé lâché dans une foire depuis le désespoir de son amour déchu. Il ne joue pas. Il transpire son personnage. Il le respire, il le saigne. Il avale l'écran. 
 

Oui, la première heure traîne, s’éparpille, se perd dans ses propres circonvolutions au risque de lasser, de décrocher même. Mais passée cette latence, l’heure vingt-cinq suivante est un coup de massue à la tonalité bipolaire. Un théâtre grotesque et implacable où l'ultra violence burlesque n’est qu’un masque funèbre. Ici, pas de héros : seulement des imposteurs, des lâches, des victimes complices de leur propre ignorance, de leur bassesse, et d’une soif de pouvoir qui ne distingue plus le social du politique. Une Amérique miniature à la violence putassière qui nous tend un miroir, et ce que l’on y voit donne envie de le briser avant qu'une éventuelle puissance étrangère un peu trop susceptible ne nous raye de la carte.

Farce et châtiment, la fin est proche, Amérique Zéro..

— le cinéphile du cœur noir

Alien Earth. Saison 1, Episode 1 / 2 / 3 / 5

                                                   
                                (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).
 
"Premiers battements d’une terreur en apesanteur".
Premier épisode, plaqué au siège une heure durant (générique de quatre minutes exclu), incapable de détacher les yeux de l’écran.
 
Transpirant les Seventies dans un prologue de quinze minutes clairement nourri par l’Alien de Ridley Scott, l’épisode s’arrache vite à la redite pour imposer sa propre personnalité, déplaçant sa scénographie stellaire sur Terre à la faveur d’un incident majeur qui relance la franchise avec émoi galvanisant. Peu à peu, l’ombre de James Cameron s’esquisse, portée par l’irruption militaire, sans jamais sombrer dans le plagiat : l’univers qui se déploie devant nous possède une force de fascination dépouillée, tenue d’une main ferme.
 
Hypnotique, contemplatif, d’une beauté visuelle renversante, il distille à nouveau le parfum des années 70 au cœur d’une scénographie discrètement futuriste mais d’un réalisme coupant. Noah Hawley nous immerge dans cet univers singulier en nous attachant, avec une patience méthodique, à ses personnages venus d’horizons divers : militaires en mission de sauvetage, scientifiques et parents en concertation, humanoïde conçue par IA, et l’apprenti sorcier Kirsh. On suit de près l’évolution morale de Wendy, ado souffreteuse transplantée dans un corps androïde, conscience enfantine prête à se porter volontaire pour épauler l’armée lors d’une explosion meurtrière.
 
Ainsi s’ouvre ce premier épisode, soigné, ambitieux, passionnant, hypnotique, métaphysique aussi - le discours de la mortalité entre Wendy et Krish comme essence de l’humain. Il installe, sans qu’on s’en rende compte, un suspense larvé, redoutablement efficace, inquiétant, et surtout prometteur pour les horreurs à venir - bien que déjà, deux séquences de terreur nous aient saisis, viscérales, sournoises et sans issue.
 
L’épisode 2, plus nerveux encore, enchaîne avec une redoutable efficacité les agressions horrifiques, s’appuyant sur un suspense ciselé à la tension hypnotique. En contrepoint, Wendy avance à tâtons dans un immeuble en ruines, à la recherche de son frère. Chamarré d’une fulgurante cohérence visuelle, entre rétro et futurisme, Alien Earth demeure un régal pour les mirettes, nous plongeant plus avant dans un cauchemar dantesque où surgissent peu à peu d’innombrables créatures hybrides, avançant avec la même insidieuse lenteur que l’androïde afro, engagé dans une stratégie de survie studieuse mais ambivalente — à l’image de sa rencontre fortuite avec Jo, le frère de Wendy.
 
Troisième épisode, et toujours cette ivresse visuelle : chaque détail du rétro-futur s’impose avec une précision hypnotique, crédible pour nous happer, fascinant comme une hallucination tenue en laisse. L’univers palpite, charnel et métallique, un rêve fiévreux qui ne cesse de se densifier. Un régal d'immersion plus vrai que nature. 

Le coeur de l’histoire, enfin, se déploie et se scinde en deux horizons. D’un côté, le cyborg afro, lancé dans une traque implacable des créatures au nom de sa créatrice tout en s'imposant maître chanteur face à deux synthétiques au quotient infantile. De l’autre, Boy Kavalier, architecte mégalo, potentiellement prêt à sacrifier Wendy/Marcy sur l’autel de ses expériences avec ses spécimens extra-terrestres - ses chimères de chair et d’obsession.

Coup de force narratif : dès l’ouverture, Wendy terrasse un ennemi dans une confrontation brève mais foudroyante. Audace rare, qui brise les codes, même si la victoire la laisse exsangue, contrainte à la réparation par les mains froides d'une science avancée.
Puis surgit Curly, nouvelle synthétique dans l'ombre, avide de supplanter Wendy dans le cœur malade de Kavalier. Rivalité sourde, venin distillé tout en subtilité, jusqu’à ce final suspendu où Wendy pourrait rouvrir les yeux (?). 

Un épisode aussi passionnant qu’interrogatif, fidèle à la fièvre des précédents : il nourrit la fascination en imposant sa personnalité tout en creusant le mystère, nous laissant encore une fois suspendus entre vertige et envoûtement face à un récit plus éventé à travers 2 tenants et aboutissants délétères.
 
"Le souffle noir du cinquième acte".
 
Après le léger faux pas du 4ᵉ épisode, étonnamment languissant, on retrouve la force des trois premiers. Ce 5ᵉ segment transitoire rend un hommage digne au Alien originel de Ridley Scott, par un saut dans le temps renvoyant au massacre de l’équipage suggéré dès le tout premier épisode. À travers ce détour passéiste, se révèlent sous un jour nouveau les intentions du capitaine Morrow, chef de la sécurité du vaisseau, mais aussi celles de l’apprenti sorcier Kavalier, dont l’ambiguïté semble soudain s’inverser. Mais chut…

Dans la surprise de ce rebondissement impondérable qui rebat les cartes, l’épisode, toujours remarquablement maîtrisé, exploite à merveille un suspense larvé, tendu jusqu’à l’insoutenable - songeons à la fameuse “bouteille d’eau” qu’une protagoniste s’apprête à ingurgiter. Clin d’œil direct au chef-d’œuvre de Scott par une situation éculée, la séquence attendue se dérobe pourtant, imprévisible, pour mieux nous ébranler et nous précipiter dans un jeu de massacre où s’affrontent occupants, xénomorphe et autres créatures retorses, véloces, délétères.

On se retrouve ainsi devant un épisode haletant et inquiétant, nourri d’un suspense étouffant, où l’angoisse - admirablement transmise par les visages contrariés et ce sentiment de danger insidieux - croît jusqu’à la terreur d’un carnage fatal, n’offrant nulle échappatoire aux proies démunies, déjà rongées par l’affres du désespoir.

Un épisode mortifère, aussi passionnant que terrifiant, où certaines séquences - suggérées ou graphiques - déstabilisent et éprouvent avec une cruauté diabolique. Tout s’y déploie dans un art consommé de l’appréhension, où l’attente, l'interrogation devient intolérable. Et déjà se profile la promesse d’une tournure narrative nouvelle, cauchemardesque, annonciatrice d’abîmes probablement plus sombres.

— le cinéphile du cœur noir

lundi 11 août 2025

Jurassic World: renaissance / Jurassic World Rebirth de Gareth Edwards. 2025. U.S.A. 2h14 (2h05).

                                (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Jurassic World : Renaissance — L’ivresse d’une aventure à l’ancienne"

Formidable surprise que ce septième volet renouant avec le pouvoir d’émerveillement du premier opus. Jurassic World : Renaissance honore le pur divertissement du samedi soir, selon le principe d’une aventure fantastique à l’ancienne. Sa simplicité narrative, prétexte à des rebondissements épiques, s’ancre au cœur d’une île magnifiquement photographiée - dépaysement exotique garanti - et rend l’expérience aussi exaltante que rafraîchissante.

Outre son action trépidante, exploitant avec une précision métronomique les paysages aqueux et terreux, le film s’illustre par des effets numériques parmi les plus convaincants de la saga. Mais le charme qui domine, au-delà de ces décors naturels littéralement dantesques - à donner le vertige par moments, émane de la bonhomie des personnages : des comédiens charismatiques, mêlant force, fragilité et singularité, se prêtent au jeu de la survie entre fougue et retenue.


La conclusion, digne et subtile, laisse affleurer une émotion fragile, renouant avec le souffle romanesque d’un divertissement exhaustif qui ne confond jamais précipitation et efficacité. Et si les assauts des espèces mutantes s’autorisent parfois une tonalité horrifique enfin retrouvée - notamment dans une ouverture concise mais percutante - Gareth Edwards insuffle, par touches badines, un humour salvateur dans les dialogues et les attitudes de ses protagonistes apeurés.

Un mot enfin sur la prestation dépouillée de Scarlett Johansson : rôle quasi secondaire, dénué d’orgueil intempestif, elle se fond dans l’ensemble avec une neutralité qui renforce le réalisme de cette équipe d’aventuriers de fortune, scindée en deux camps mais soudée face à l’adversité. Quant à l’excellent Rupert Friend, il incarne le méchant sans caricature, antagoniste s'impliquant avec discrétion dans une menace sournoise. 


Sans réserve, Jurassic World : Renaissance est, à mes yeux, l’opus le plus immersif et séduisant depuis le modèle matriciel de Spielberg. On ne peut que remercier la sincérité indéfectible de Gareth Edwards, véritable passionné du genre "qui fait rêver", comme il l’avait déjà prouvé avec Monsters, Rogue One - le meilleur Star Wars depuis L’Empire contre-attaque, il est bon de le rappeler - et The Creator.

— le cinéphile du cœur noir
4K. Vost 

jeudi 7 août 2025

Would You Rather de David Guy Levy. 2012. U.S.A. 1h33.

                            (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Tu préfères crever ou survivre ?"
En comptant parfois sur son intuition, sans presque rien connaître du contenu, on tombe sur d'excellentes surprises - ce fut le cas ce soir avec Would You Rather, réalisé par l’américain David Guy Levy, alors qu’il ne signe ici que son second essai.

Bâti sur un concept de tortur' porn dans l’air du temps, Would You Rather avait pourtant tout pour laisser dubitatif, voire lasser l’amateur éclairé, s’il avait été pondu par un tâcheron opposant complaisance et précipitation, sans la moindre implication ni la sincérité du travail bien fait. Car si l’on craint, en cours de jeu de massacre, la redondance pointant le bout de son nez, David Guy Levy se montre suffisamment consciencieux et adroit dans sa démarche horrifique - honorablement tendue - pour ne jamais nous blaser.


Il s’appuie, entre autres, sur un casting de seconde zone (John Heard, Jeffrey Combs, Brittany Anne Snow, Lawrence Gilliard Jr.), sobrement crédible dans leur rôle de victimes démunies, contraintes de jouer au dilemme du "tu préfères" pour tenter d’échapper à l’agonie. Jeffrey Combs dirigeant au doigt et à l'oeil ses invités avec un aplomb désarmant de naturel dans son orgueil élitiste. 

Constamment efficace, ce huis clos sardonique ne prête jamais à la rigolade. Le nombre d’hôtes y diminue à mesure qu’avance le chronomètre, et Would You Rather en profite pour dénoncer la nature lâche et cupide de l’être humain, prompt à compter sur son ego au prix de la survie filiale.

 
Renforcé par une photographie grège, insécure, et une nappe musicale admirablement angoissante et stylisée qui irrigue l’intrigue avec discrétion, Would You Rather parvient à ne jamais relâcher la tension. Son suspense modérément haletant et ses délires horrifiques, remarquablement mis en scène, s’extraient de l’outrance gratuite pour renforcer l’attrait réaliste de son odieux chantage criminel - dénué de vergogne mais résolument honnête quant à celui ou celle qui emportera la mise de cette nuit de cauchemar, aussi éprouvante que désespérée. Gare à sa conclusion tranchée dénuée de rédemption ! 
 
Et quand survient le générique de fin, une musique entêtante, presque dansante, vient clore la tragédie, rappelant les scores synthétiques et enivrants des années 80 - comme un dernier rictus glacé.

 
Une série B immersive, donc, qui imprime dans la mémoire du cinéphile aguerri des traces ludiques et acides - souvenirs persistants d’un jeu cruel inventif où les séquences chocs, parfois à la limite du soutenable, viennent malmener nos nerfs avec un réalisme parfois éprouvant mais jamais putassier.

— le cinéphile du cœur noir

mercredi 6 août 2025

American Honey de Andrea Arnold. 2016. Angleterre/U.S.A. 2h43.

                                (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"American Honey : vertige libre et cœur à nu".
Il est des films qui, lorsqu’on en ignore presque tout, vous prennent à revers, vous saisissent à bras-le-corps, et transforment à jamais votre vie de cinéphile sitôt le rideau tombé.
American Honey est de ceux-là. Road movie longiligne aux 2h43 qui peuvent décourager d’emblée, il relate le périple à perdre souffle d’une poignée de nomades juvéniles sillonnant les routes d’Amérique à bord d’un van cabossé.
 
Hymne à la vie la plus insouciante, ce film épouse le quotidien brut de jeunes adultes livrés à eux-mêmes, survivant en vendant des magazines de porte en porte. À travers le regard vertigineux de Star, fraîchement débarquée dans cette tribu vagabonde, nous assistons à son initiation - commerciale d’abord, existentielle surtout - et à son attachement croissant pour Jake, son mentor, incarné par un Shia LaBeouf étourdissant de naturel. À tel point que son visage bankable s'efface, ne laissant place qu'à un personnage veule, aussi immature qu’éperdument amoureux mais soumis à l'autorité de la matrone du groupe, Krystal endossé par Riley Keough littéralement sans scrupule par son orgueil intraitable.
 

Filmée comme un reportage saisi sur le vif - marque de fabrique d’Andrea Arnold (Red Road, Fish Tank) -, la mise en scène, d’une maîtrise hallucinante, convoque Larry Clark et Cassavetes dans la pudeur des sentiments, tout en imposant sans plagiat la signature franche et autonome de sa réalisatrice.
American Honey baigne dans un climat de liberté viscérale, presque anarchique, et donne le vertige par son jusqu’au-boutisme : ce road movie est si expressif, si brut, si hypnotique, qu’un malaise diffus finit par poindre, témoin des souffrances existentielles de Star, bâties sur le non-dit, sur un regard à la fois irresponsable et humaniste. Une observation trouble de son initiation au larcin et à la débauche.
Certaines séquences de sexe, crues comme toujours chez Andrea Arnold, installent la gêne - non par voyeurisme, mais par la mise en danger permanente de Star, inconsciente, affranchie, indifférente au péril.

 
Le film, d’une puissance émotionnelle dépouillée, trouve ses instants de grâce dans des plages musicales baignées de tendresse et d’ivresse libertaire. American Honey est une expérience humaine troublante et capiteuse, où la cinématographie fait éclater les frontières de la fiction au profit d’un réalisme halluciné, à la fois libre, attirant car sans foi ni loi et insécure.

Un mot enfin sur Sasha Lane, révélation à la vérité nue, désarmante de naturel maori. Son incarnation de Star - paumée véreuse, fragile, secrète - nous transperce, notamment dans les silences habités de son regard, témoins d’une déchéance sentimentale sans illusion.

 
"Une jeunesse brûle, et personne ne regarde". 
Du grand cinéma d’auteur, furieusement libre, exaltant, désenchanté, habité par la tendresse de ces marginaux brisés par le chômage et la démission parentale - thème central de la passionnante filmo d’Andrea Arnold.

P.S: à découvrir impérativement en VO.

— le cinéphile du cœur noir

Récompenses:
Festival de Cannes 2016: Prix du Jury
British Independent Film Awards 2016:
Meilleur film
Meilleur réalisateur
Meilleure actrice pour Sasha Lane

mardi 5 août 2025

Deux filles au tapis / ...All the Marbles de Robert Aldrich. 1981. 1h53.

                                                      
                        (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Dernier round pour Aldrich".
Formidable success story que symbolisent ces catcheuses au grand cœur - sorte de Rocky au féminin, toute proportion gardée - Deux filles au tapis est le dernier film de Robert Aldrich, qui se solda par un échec critique et commercial. Alors qu’une suite était envisagée, le cinéaste ne put mener à terme son ultime projet : il rendit l’âme le 5 décembre 1983, à l’âge de 65 ans.

Comédie sportive teintée de mélancolie, de tendresse, et d’une rasade d’action culminant dans un final anthologique, aussi fou que délirant, Deux filles au tapis prend son temps pour nous attacher à Iris et Molly, surnommées les "California Dolls", accompagnées de leur manager Harry Sears, que Peter Falk incarne avec une force tranquille, bienveillante malgré ses quelques accès de violence machiste envers l'une d'elles.
 

Sorte de road movie grisonnant au sein d’une Amérique profonde gangrénée par la misère, la vulgarité et la corruption des matchs parfois truqués, Deux filles au tapis prône les valeurs d’amour, d’amitié et de résilience pour s'extraire de la sinistrose, avec un courage communautaire qui ne faiblira jamais. Iris, Molly et Harry forment un trio habité par la reconnaissance, en dépit de l’angoisse rampante de l’échec.

Imprégné d’une ambiance bonnard, typiquement eighties, où frissons et émotions se confondent avec un réalisme parfois affecté (comme ce match dans la boue, devant un public en liesse, abruti d’hilarité), Deux filles au tapis insuffle un esprit de fraternité qui portera ses fruits lors d’une ultime demi-heure rigoureusement larvée, tendue, puis explosive (euphémisme !) où la confrontation vindicative contre leurs ennemies jurées, les "Toledo Tigers", atteint son paroxysme.
 

Qu’on se le dise : rien que pour ce final absolument mémorable, porté par une puissance émotive que Rocky n’aurait sûrement pas reniée, Deux filles au tapis mérite d’être (re)découvert - pour son aura jouissive, qui finit par irradier un match possiblement truqué… mais vital, car il scellera peut-être leur avenir.

— le cinéphile du cœur noir

Récompense: Meilleur film en langue étrangère au Hochi Film Awards.

jeudi 31 juillet 2025

Le Démon des Femmes / The Legend of Lylah Clare de Robert Aldrich. 1968. U.S.A. 2h07.

                                                       
                             (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

Avant-propos
Très honnêtement, je ne sais pas exactement ce que je viens de voir pour la toute première fois… mais je sais que j’ai vécu une expérience de cinéma dont il me faudra des heures - peut-être des jours - pour la digérer, la comprendre, la décortiquer... et surtout, la survivre. Une chose est certaine : une trace indélébile s’est imprimée quelque part entre mon âme et mon encéphale. Une brûlure lente, trouble, persistante. Quelque chose qui ne s’efface pas.
                                                        

"Celluloïd schizophrène : l’ultime spectacle de Lylah".
Un cauchemar de celluloïd, un opéra décadent qui se referme comme un piège doré sur une marionnette sans volonté.

Dès les premières images, un malaise fluide s’infiltre dans les pores du spectateur. Tout y est moite, exagéré, figé dans une lumière blafarde. Ce n’est plus du cinéma : c’est une messe noire hollywoodienne. Elsa Brinkmann (Kim Novak), apparition fragile et vacillante, devient sans le vouloir la proie d’un démon aux traits de star défunte - Lylah Clare, chimère sexuelle, ange déchu des studios.

Lylah n’est jamais là, mais partout à la fois. Elle rôde. Elle griffe. Elle avale Elsa par effraction mentale, jusqu’à la remplacer totalement, à la manière d’un virus psychique. Les personnages qui l’entourent - metteur en scène veule, producteur cynique, journalistes charognards - suintent l’arrogance satisfaite des ogres repus. Ils n’aiment pas Elsa : ils l’exploitent, la pressent, la sacrifient sur l’autel d’un cinéma qui ne cache même plus son sadisme.


Le baroque ici n’est pas seulement esthétique : il est pathologique. L’univers que filme Aldrich n’a plus de morale ni d’émotion humaine. C’est une usine à fantasmes nécrophiles, où les vivants sont façonnés à l’image des morts pour continuer à vendre du rêve frelaté. Elsa, marionnette désarticulée, y devient lentement une sorte de Golem habité par un fantôme schizophrène, dont la voix rocailleuse semble monter d’un caveau de pellicule.

Ce n’est pas une descente aux enfers : c’est un enchaînement clinique de possessions, une longue spirale où les rires deviennent des cris, et où chaque plan semble filmé depuis l’intérieur d’un miroir fissuré.

Le final - mon Dieu, ce final - est d’une tension insoutenable, presque insupportable. Une scène de tournage surréaliste (cirque du délire), qui bascule dans le snuff movie déguisé, où Elsa/Lylah est définitivement effacée, dans un silence presque religieux. Les caméras tournent, l’œil froid du projecteur ne cligne pas. La mort devient spectacle, chair à profits. Un sourire se fige. Rideau. Et dans les coulisses, les vautours ricanent déjà, prêts à lancer une nouvelle campagne promotionnelle (avant cette risible pub canine).


Robert Aldrich signe ici son film le plus malade, le plus mal-aimé aussi. On comprend que le public ait fui ce miroir trop sale, trop vrai sous l'impulsion de ces margoulins antipathiques. Hollywood est un abattoir sacré, et il le filme sans la moindre pudeur, sans le moindre fard. Ce n’est pas seulement une dénonciation : c’est un crucifiement, une dissection de l’âme vendue au plus offrant.

Un film rare, poisseux, trouble, halluciné, où la folie se confond avec le jeu, et où le cinéma lui-même devient un acte de violence.

Je pense qu'un avertissement s’impose quand même: ce film s’adresse à un public averti - non pour une quelconque violence graphique (quasi absente), mais pour sa violence morale, insidieuse, perverse, aliénante, qui s’infiltre lentement jusqu’à devenir presque insoutenable. Un dernier quart d’heure impensable, où la fiction franchit un seuil interdit, laissant le spectateur hébété, pris au piège d’un spectacle qui ne devrait pas exister.


Rideau... Tout n'était qu'illusion (?).

— le cinéphile du cœur noir

mercredi 30 juillet 2025

Life of Chuck de Mike Flanagan. 2025. U.S.A. 1h51.

                                                    
                              (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

Tu es merveilleux car tu vas changer ta vie.

Trois actes. Une vie.
Un battement de cœur suspendu dans l’invisible.
Chuck ne fuit pas l’ombre qui s’avance -
il la salue, lui tend un verre,
et lui demande une dernière danse.

Il avait dans la poitrine un tambour de pluie,
et des constellations dans le blanc des yeux.
Un feu d’artifice sans bruit,
une lumière qui refusait de mourir dans l’oubli.
Il savait.
Il savait que la fin n’avait pas d’horaires,
qu’elle pouvait surgir dans le rire,
dans le café du matin,
dans l’ennui des embouteillages.

Mais au lieu de se taire,
il a crié oui à la vie.
Il a ri sous la pluie,
il a aimé plus haut que lui,
il a embrassé une fille immense -
une géante d’émotion -
et jamais il n’a détourné le regard.

Chuck, c’est l’homme qui défie le sablier.
Qui transforme chaque seconde en banquet.
Qui fait de la mort une servante muette,
et de la peur un trampoline vers le rêve.

On est tous Chuck.
Petits dieux fragiles,
oubliant que le temps fuit comme du sang.
Mais lui,
il se souvenait.
Et dans chaque souffle,
il mordait la lumière.

Alors vis.
Aime celle qui te dépasse.
Chante trop fort, même faux.
Fais de ta vie une salle de bal avant l’effondrement.
Le ciel s’éteint ?
Sois l’étincelle.

Tu ne sais pas quand tout s’arrête.
Mais en attendant -
sois vivant.
Sois vibrant.
Sois Chuck.

Tu es merveilleux car tu vas changer la vie d'autrui.

Récompense: People's Choice Award au Festival international du film de Toronto 2024. 

mardi 29 juillet 2025

28 ans plus tard / 28 Years Later de Danny Boyle. 2025. U.S.A. Angleterre. 1h55.

                                   (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Au bout du souffle, l’amour".
Après dix-huit ans d’attente et d’espoir messianique, comment ne pas s’incliner devant le résultat flambant neuf que symbolise cette œuvre pléthorique, signée de la main de son initiateur : Danny Boyle ?
Tantôt infiniment ambitieux, inspiré, circonspect, et surtout en pleine possession de ses moyens, Boyle réinvente le cinéma comme une matière vivante, revisitée ici à travers le prisme du genre horrifique, que les deux premiers opus avaient déjà sublimé dans l’ombre d’une anticipation post-apocalyptique.

Le pitch est simple - un adolescent tente de retrouver un médecin au cœur d’une nature sauvage et inexplorée afin de sauver sa mère gravement malade - mais d’une redoutable efficacité, notamment dans ses séquences d’action bondissantes, où chaque obstacle devient un rite de passage pour ce jeune héros en pleine initiation de survie.
Sacrée gageure que d’avoir osé confier le premier rôle à un gamin dont le talent prend valeur de sacerdoce. Alfie Williams livre un jeu d’une sobriété expressive saisissante, incarnant un héroïsme en herbe, à la fois fébrile et bouleversant. Son courage imparfait, tiraillé entre crainte et désir de victoire, suscite une profonde empathie - tant il avance en posture réservée, le cœur au bord du vide.


Véritable leçon de vie, de maturité et d’amour maternel, 28 ans plus tard se révèle une fresque capiteuse, à la fois humaine, épique, cauchemardesque et onirique. Sa puissance dramatique et ses instants d’effroi se chevauchent au rythme d’un récit sinueux, fureteur, constamment incertain. On ne sait jamais ce que la séquence suivante nous réserve, dans cette odyssée humaine imprégnée de valeurs existentielles et spirituelles. Vie, mort : ces thèmes indissociables tissent en silence une mémoire à ne pas oublier, pour mieux apprendre à tolérer l’injustice.

La photographie, d’un lyrisme mélancolique saisissant, sublime une nature presque mystique. Le brio technique de Boyle explose à travers des mouvements de caméra inédits, des cadrages consciencieux - jusqu’à ces séquences sanglantes suspendues dans un arrêt sur image avant de s’émanciper brutalement dans la demi-seconde suivante.
La musique, dépouillée, laisse respirer un monde post-apo entièrement réinventé, pictural, jamais vu auparavant.
 
Au coeur de cette expérience sensorielle s'affiche une épreuve de force quand la fin devient origine. Un parcours du combattant primal qu’un adolescent tente de relever avec un humanisme désarmant de loyauté et de sagesse.
 

Constamment inventif dans sa scénographie de renaissance écolo, dans ses figures iconiques ou ses créatures cannibales mises à nu, dans sa réalisation ultra chiadée, dans sa photo en poème naturaliste métronome, 28 ans plus tard nous ramène à l’aube de l’humanité - dans un cauchemar tissé de symboles tribaux, d’élans archaïques, d’échos philosophiques (memento mori) qui nous rappellent d’où nous venons et l’urgence d’aimer, juste avant de trépasser.

Une fable existentielle magnifique, touchée par la grâce de nobles sentiments, que Danny Boyle place au cœur du souffle - haletant, sincère, bouleversant - de son ultime périple. 

— le cinéphile du cœur noir

lundi 28 juillet 2025

Les Proies / El rey de la montaña de Gonzalo López-Gallego. 2007. Espagne. 1h28.

                    (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).
                                                       
                                                      Révision d'une gifle sans délivrance. 

"Les Proies : anatomie d’un échec humain".
Un survival remarquable par sa sobre capacité à exploiter une chasse à l’homme aussi endiablée que désespérée.
Par l’expressivité haletée et contrariée de ses interprètes, par ce climat naturel lourd, mutique, glaçant, traversé d’une nappe musicale mélancolique qui infiltre en nous un inconfort diffus - entre angoisse, appréhension, et insécurité sans recours.

Gonzalo López-Gallego joue avec nos nerfs là où on ne l’attend pas. Notamment parce que son final, rigoureusement déprimant et écœurant, nous laisse seul face à l’écran, la mine sentencieuse, inconsolable.

Ce sentiment d’échec, de dégoût, d'isolement, à travers les thèmes de la lâcheté, de la bravoure, et de l’éducation, prend tout son sens dans un ultime rebondissement - aussi détonnant que tristement actuel - sur cette humanité engluée dans une réalité virtuelle sans repères ni raison.


Il en émane un survival au suspense ciselé, sans temps mort, mais jamais vain : car même dans ses rares accalmies, une densité humaine, une empathie sourde s’installent pour ne jamais nous quitter. On aime ces amants maudits. Comme eux, on est frileux, on est désorienté au coeur de ces vastes étendues rocailleuses, on a peur, on a comme un goût rance dans le bouche. 
Puis surgissent à nouveau, d’un coup, des éclairs de violence qui déchirent le vent avec un réalisme âpre, poisseux.

Une œuvre dure. Acrimonieuse. 
Un malaise palpable, plus épineux encore si l’on considère l’évolution morale des personnages, tous happés par la tourmente d’une vendetta aveugle, putassière - cette violence gratuite, dénuée de sens, sans rédemption. Jusqu'au générique mortifère teinté de pudeur fragile. 

Dépressifs s’abstenir.

— le cinéphile du cœur noir 🖤
2èx


DISTRIBUTION: Leonardo Sbaraglia, María Valverde, Manuel Sánchez Ramos, Pablo Menasanch, Francisco Olmo, Thomas Riordan, Andrés Juste.

FILMOGRAPHIE: Gonzalo López-Gallego est un réalisateur de cinéma espagnol né le 17 mars 1978 à Madrid. 1998 : Musas. 2001 : Nómadas. 2006 : Thumbs Up (court). 2007 : Les Proies (El Rey de la montaña). 2010 : La piel azul (2 épisodes). 2010 : Ángel o demonio (1 épisode). 2011 : Apollo 18
2013 : Open Grave. 2016 : Desert Gun (The Hollow Point). 2019 : Backdraft 2. 2024 : American Star

mardi 22 juillet 2025

Dangerous Animals de Sean Byrne. 2025. Australie/U.S.A. 1h38.

                   (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).
 
                                                                             Top 2025. 

"Sadisme au large, terreur à fleur de chair".
Cela aurait pu également s’intituler Terreur en haute mer, tant le réalisateur australien Sean Byrne maîtrise avec un art consommé un suspense affûté, d’une intensité sans cesse plus rigoureuse au fil d’un récit alerte, ne laissant que peu de répit à la précarité de ses victimes en instance de survie. Véritable modèle du genre, en mode huis-clos aqueux, Dangerous Animals redore la série B du samedi soir, porté par la présence mastard de Jai Courtney, tétanisant de force tranquille et de sûreté dans sa fonction fangeuse de serial killer primal. Le public, cramponné à son siège, n’aura de répit durant 1h33 - générique exclu.

C’est bien connu : « plus le méchant est réussi, meilleur le film sera ». Cette maxime hitchcockienne, Sean Byrne l’applique à la lettre, et l’on éprouve une haine viscérale, exponentielle, pour la lâcheté de ce tueur des mers que Jai Courtney incarne avec un sens du sadisme fielleux et d’une perversité poisseuse.
Par la densité d’un récit remarquablement charpenté et la motivation résignée de ses personnages - proies comme prédateur -, tous livrés à une confrontation morale puis physique avec une stoïcité éreintante, Dangerous Animals devient un jubilatoire jeu de massacre. Mention spéciale au rôle secondaire tant mis en avant sur l’affiche : le squale, réduit malgré lui à une complicité criminelle impromptue, que notre tueur s’amuse à exploiter pour parfaire ses exactions méthodiques. On peut y déceler, toutes proportions gardées, un clin d’œil à Henry, portrait d’un serial killer de John McNaughton, dans le voyeurisme audiovisuel distillé par Byrne.


Animée d’une rage viscérale aussi jouissive qu’épeurante dans son parcours de combattante, l’actrice Hassie Harrison se fond dans le corps d’une victime rebelle avec une bravoure sidérante (euphémisme), qui rappellera un certain classique du torture porn, sans jamais tomber dans l’outrance héroïque triviale - même si l’on pourra tiquer sur une incohérence un peu facile (qui plus est elliptique) lors du règlement de comptes final, qu’elle brave néanmoins avec panache.

Porté par une photographie naturelle exceptionnelle et une réalisation nerveuse, sans temps mort, Dangerous Animals distille une tension horrifique de plus en plus percutante, multipliant les rebondissements imprévisibles. Un autre léger couac narratif surgit toutefois avec l’apparition d’un personnage redresseur de torts, découvrant une planque avec une facilité douteuse. Mais Sean Byrne s’amuse à compiler ces coups de théâtre avec une cruauté perfide, insidieuse, et presque dénuée de modération. Ou alors si peu, à en juger par une conclusion habilement concise, qui va droit à l’essentiel sans sombrer dans le cliché démonstratif.

Après le génial The Loved Ones et l’excellent Devil’s Candy, Sean Byrne revient, dix ans plus tard, avec cette perle du genre au concept prodigieux et au message écolo (au niveau de la maltraitance de l'appât), dont l’efficacité glaciale nous donne des sueurs - aussi jouissives qu’intolérables. 

Vive le cinéma australien, brut, ultra tendu, sauvage, irrespirable, incandescent.

— le cinéphile du cœur noir

lundi 21 juillet 2025

Underworld Evolution (2006) / Underworld Awakening (2012).

                                 (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Sang pour sang samedi soir".

Nous avons affaire ici à deux séries B idoines du samedi soir. Deux super divertissements à la narration linéaire mais redoutablement efficaces, où l’action rebondit sans cesse avec une sincérité attentionnée. Une mise en scène nerveuse, bardée d’effets spéciaux numériques souvent soignés - même si parfois un peu brinquebalants, il faut bien l’avouer.

Underworld: Evolution (le second opus) s’ouvre sur un prologue épique, dans un décor enneigé baigné de violence ancestrale, avant de nous entraîner dans une course-poursuite infernale à bord d’un camion, traqué par une immense chauve-souris humanoïde - vampire bestial à la férocité déchaînée, qui pourchasse Sélène et Michael avec une rage quasi mythologique.

Underworld: Awakening (le quatrième volet, Une nouvelle ère) se révèle tout aussi attachant, notamment grâce à la nouvelle venue : la fillette de Sélène, le sujet 2, tout à fait convaincante dans son rôle à la fois fragile et inquiétant. À ses côtés, tous les seconds rôles, solidement campés, se prêtent au jeu de l’action avec une implication héroïque réjouissante.

Kate Beckinsale, quant à elle, est toujours aussi sexy, fébrile et sérieuse dans son rôle de guerrière invincible. Son charisme glacial électrise l’écran, tandis que la photographie crépusculaire, teinte de bleu métallique, épouse parfaitement les contours néo-gothiques de cet univers ténébreux, où s’affrontent sans relâche vampires et lycans. Des créatures littéralement fascinantes, impressionnantes de voracité et de puissance brute.

Quant à savoir lequel est le meilleur, difficile à dire : les deux films se répondent en complicité sans jamais se singer. En tout cas, on tient ici sans doute les meilleurs opus d’une saga inégale - seuls le troisième et le cinquième me semblent, à vrai dire, parfaitement dispensables. Ces deux chapitres-là sont redoutablement bonnards, franchement jouissifs, portés par une formalité gothico-fantastique à la fois crédible, contrastée et dépaysante, qui assume avec panache ses codes de série B et son goût pour l’imagerie ténébreuse.

Deux petits films d’action allant droit à l'essentiel, donc, furieusement impactants, qui font le bonheur aussi bien du cinéphile joueur du plaisir innocent que du grand public complice, prêt à plonger dans la déconnade furibarde avec un sourire de gosse retrouvé.

Du pop corn noir pour ces lycans en furie, - Underworld 2 / 4 - même combat - Des séries B Fantastiques dans ce qu’elles ont de plus noble, de plus simple et de plus généreuse.

— le cinéphile du cœur noir 

dimanche 20 juillet 2025

Une bougie pour le Diable / Una vela para el diablo de Eugenio Martin. 1973. Espagne.

                                                     


"Sous la jupe, la sentence".

Un drame psychologique grave et intense, transplanté dans le cadre d’une horreur sociale comparable à Cannibal Man (La semaine d’un assassin) d’Eloy de la Iglesia, réalisé un an plus tôt. Une bougie pour le diable (Una vela para el diablo, 1973), signé Eugenio Martín, adopte une horreur adulte, au premier degré, à travers les portraits glaçants de deux aubergistes profondément catholiques et puritaines, exerçant leurs exactions meurtrières dans un petit village figé, recroquevillé au cœur des montagnes.

Leur cible : des touristes féminines, jeunes, jolies, libérées, dont les tenues légères et les élans de désir choquent une morale engoncée dans la répression. Ivres d’émancipation, ces étrangères incarnent une liberté sexuelle en pleine effervescence - que Marta et Verónica, dans leur frustration contenue, ne peuvent tolérer. Leur propre sexualité refoulée, corsetée par le dogme, s’exprime alors dans une violence croissante. Victimes invisibles du franquisme, les deux sœurs glissent dans une spirale meurtrière, une descente aux enfers criminelle nourrie par le dégoût, la honte et le besoin d’expiation.

Le suspense monte crescendo, notamment autour du sort d’une touriste plus perspicace, prête à témoigner des mystérieuses disparitions qui s’accumulent.

Une œuvre fétide remarquable, notamment par sa dimension psychologique finement dessinée - et sublimée par les interprétations incendiaires d’Aurora Bautista et Esperanza Roy, qui incarnent avec un charisme insidieux cette foi malade en complicité désespérée, ce fanatisme religieux empreint d’obscurantisme, de châtiment et d’autopunition.

Un cauchemar impudique aux allures de documentaire clinique dont on ne sort pas indemne.

Gratitude Criterion.

— le cinéphile du cœur noir

samedi 19 juillet 2025

Le cinéma Fantastique des années 80: mode d'emploi.

 
                                                       "Les rêves fiévreux des années 80."

Le cinéma fantastique et d’horreur des années 80 possédait un cœur. Un cœur battant, généreux, palpitant d’idées folles, de visions enflammées, d’une tendresse presque enfantine pour ses monstres, ses freaks, ses damnés. Ces films transpiraient la sincérité. On sentait, sous le latex et les hectolitres de sang, une humanité profonde, une chaleur singulière, un amour farouche du cinéma. Ils voulaient nous raconter quelque chose - surtout dans les cauchemars.

Il y avait une foi. Une foi aveugle, belle, dans ce qu’on filmait. Et comme les cinéastes y croyaient, nous aussi. On rêvait avec eux, parce qu’ils rêvaient pour de bon, et non pour vendre du rêve. Il y avait de l’âme, du feu, du bricolage génial. Des effets spéciaux faits main, charnels, mécaniques, pleins de tripes et de texture. Du sang qui collait, de la chair qui palpitait, des visages qui fondaient vraiment.

Des films comme Bad Taste, Re-Animator, Frères de sang, l'Au-delà, Maniac, Carnage, Cauchemar à Daytona Beach, Evil Dead… c’était une révolution faite à la scie sauteuse, à la giclée rouge et au rire nerveux. Mais derrière la sauvagerie, il y avait toujours un regard. Quelque chose d’intime, de tangible. On tenait à ces personnages, si humains dans leur désespoir ou leur maladresse. Même les pires déviances gardaient cette étrange aura d’amour inavoué.

Et puis, il y avait cette ambiance… Ces lumières bleutées, ces brumes épaisses, cette manière d'envelopper le spectateur dans un monde parallèle. Les musiques étaient entêtantes, ensorcelantes, ciselées avec soin - elles vibraient longtemps après le générique. On n’écoutait pas que des synthés : on écoutait un souffle, une incantation. Quelque chose qui hantait et berçait à la fois.

Le cinéma fantastique des années 80 était un cinéma d’artisans possédés, de fous doux, de poètes gore. Il était fait de bouts de ficelle, de nerfs à vif et de tendresse. Il avait ce lyrisme naïf, cette chaleurosité (oui, ce mot inventé lui va bien) qu’on ne retrouve plus. Et même si tout partait en vrille, même si la réalité s’effondrait, il restait une lueur d’espoir. Une lumière étrange, vacillante, mais fidèle.

C’est peut-être pour ça qu’on y revient toujours. Parce qu’on y sent quelque chose de vrai, de pur, de sacré. Parce qu'on se sent bien avec eux, parce qu'on les aime. Toujours. 

Car quand on aime, on aime toujours trop.
 
 — le cinéphile du cœur noir
 

La Zone d'intérêt / The Zone of Interest de Jonathan Glazer. 2023. Royaume-Uni/Pologne/U.S.A.

                             (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).
 
La Zone d'intérêt m’a laissé dans un trouble sourd.
J’y reviens, un peu moins fermé qu’au premier contact. Quelque chose, malgré la rugosité du geste, s’impose. Le film reste difficile, particulier dans son traitement à la fois froidement auteurisant, presque expérimental, et pourtant inscrit dans une trivialité dérangeante. Il y a là une forme d’hermétisme, d’austérité. Un refus du spectaculaire, qui pousse à bout le malaise.

Tout est glaçant. Antipathique au possible. Et c’est sans doute là toute sa force.

Le parti-pris est saisissant : épouser le quotidien fade et méthodique d’une famille nazie, aux portes de l’horreur, sans jamais y entrer frontalement. Ce déni de regard crée un vide, un abîme. Un récit âpre, ancré dans la désillusion. Une manière de dire qu’il n’y a rien à sauver. Ces monstres, ces gens ordinaires devenus rouages de la mort, sont irrécupérables.

C’est un film qui ne cherche pas à faire comprendre, encore moins à pardonner. Juste à montrer, frontalement mais sans fracas, l’effrayante banalité du mal.

Et cela suffit à glacer l’âme.
 
— le cinéphile du cœur noir 
 
Durée du film: 1h45.