jeudi 25 septembre 2025

Les enquêtes du Département V: Profanation / Fasandræberne

                                                    
                   (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site Imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

Remarquable thriller que cette seconde enquête danoise du Département V, adaptée d’un illustre roman de Jussi Adler-Olsen. Photographie monochrome léchée, mise en scène studieuse - aucun plan ne déborde —, intrigue solide, climat malaisant où liaisons dangereuses et exactions criminelles comme sexuelles s’abandonnent en roue libre, complémentarité attachante d’un duo de flics solidaires malgré leurs divergences caractérielles. Tout concourt à façonner un thriller criminel redoutablement efficace, nourri de rebondissements en flash-back, tandis que Mikkel Nørgaard s’applique à conter son récit sordide avec un réalisme blafard, fusionnant en nous inquiétude, tension et angoisse au fil de révélations toujours plus sentencieuses.

Et puis ce final haletant, convoquant tous les protagonistes, nous place face à l’appréhension et à l’impuissance, dans une inversion des rôles héroïques, tendue entre rédemption et fatalisme sacrificiel.


Au bout du compte, nous demeurons captifs et démunis, happés par l’intensité dramatique de cette cohésion SM où bien et mal se confondent, sous le regard scrupuleux d’une cagole à la fois bourreau et victime, et d’un flic introverti, taciturne, tentant d’offrir une ultime signification à son existence en secourant autrui - réduit ici à une dégénérescence morale, prisonnière d’une rapacité vindicative impossible à contenir.

Par sa profondeur psychologique, bouleversant la destinée de deux êtres esseulés confinés dans le repli et le pessimisme mais animés par la rage de l’injustice, Profanation s’impose comme un incontournable pour les amateurs éclairés de thriller noir, où toute complaisance se trouve bannie. Les comédiens, méconnus chez nous, y brillent d'autant plus par une expressivité austère et un charisme contracté, jamais forcé.

— le cinéphile du cœur noir

25.09.25. 2èx. Vost 

mercredi 24 septembre 2025

Bleu d'Enfer / Into the blue de John Stockwell. 2005. U.S.A. 1h50.

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"Le vertige des profondeurs."

Discrédité dès sa sortie par la critique et boudé par le public (même si Outre-Atlantique l’accueil fut meilleur), Bleu d’Enfer est de ces pépites maudites qu’il faut réévaluer d’urgence - au point que j’en suis déjà à ma troisième révision. Réalisé par l’acteur, scénariste et producteur John Stockwell (illustre second rôle de Christine de Carpenter), le film s’impose comme une déclinaison moderne des Grands fonds, autre aventure injustement méprisée et comparée à tort à un ersatz des Dents de la mer.

Sublimé par une photographie saturée qui magnifie la scénographie maritime des Bahamas, des îles Caïmans et de la Floride, Bleu d’Enfer enchaîne les séquences sous-marines d’une féerie immersive (effet 3D en sus). Sous la houlette d’une chasse au trésor aux rebondissements toujours plus intenses, il joue à fond la carte d’une série B redoutablement efficace par sa simplicité innocente. Porté par le métronomique rythme effréné d’un quatuor de jeunes touristes terriblement attachants, le film repose sur un casting volontairement clinquant.
 

Au sein de cette ambiance exotique dépaysante, Paul Walker séduit, magnétise par delà l'écran, par un charisme rassurant, une force morale affirmée sobrement expressive. Naturellement convaincant en redresseur de torts, il se laisse pourtant happer par l’irresponsabilité de son comparse hâbleur incarné par Scott Caan, moteur sournois des vicissitudes à venir. Filiforme et solaire, Jessica Alba échappe sans mal au cliché de la gentille cruche : sa douceur de miel et sa sagesse d’esprit s’opposent à la cupidité qui gangrène son entourage. Quant à Ashley Scott, hyper sexy en allumeuse attirée par les mauvais garçons, elle insuffle une joie de vivre expansive et exaltante, renforçant la dimension ludique de ce film d’action maritime au savoir-faire infaillible.

Concentré d’humour, de romance, de suspense et de violence punitive, Bleu d’Enfer s’impose comme un pur divertissement du samedi soir - techniquement maîtrisé, mais surtout fun et jouissif à coeur ouvert. Son attachement à ces personnages juvéniles piégés par de mauvaises influences nourrit l’érosion progressive d’un climat solaire qui s’assombrit, menacé par une ligue mafieuse tentaculaire faite de traîtres et de complices. Un sacré bon moment de détente d'autant plus espiègle et rafraichissant qu'il se réclame d'un charme innocent irrésistible.
 
— le cinéphile du cœur noir
3èx. Vost
 

jeudi 18 septembre 2025

Au nom du père / In the Name of the Father de Jim Sheridan. 1993. Irlande/Angleterre. 2h13.

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Puissant réquisitoire contre l’erreur judiciaire nourrie par la corruption policière, Au nom du père s’impose comme un moment de cinéma gravé dans les mémoires, dont on ne sort pas indemne. Relatant l’histoire vraie de la famille Conlon accusée à tort de terrorisme au cœur des années 70, alors que l’IRA ensanglantait l’Irlande du Nord, le film se concentre sur la descente aux enfers d’un père et de son fils, incarcérés trente ans durant dans la même cellule.

Jim Sheridan, armé d’un réalisme âpre et d’une chronologie implacable, nous immerge de plein fouet dans l’univers carcéral, jusqu’au jour où le véritable coupable y est lui-même enfermé aux côtés de Gerry et de son père Giuseppe. Poignant, bouleversant, le drame se fait révolte lorsque leur combat désespéré pour la vérité éclaire l’injustice d’un procès fallacieux qui condamna quatre innocents tandis que les véritables coupables demeuraient impunis.
 

Mais au-delà de l’indignation, Sheridan peint aussi le portrait fragile d’un père et de son fils, minés par la haine, la rancœur et la rébellion, cherchant malgré tout la réconciliation au sein de la geôle. Dans la peau d’un petit délinquant écorché, animé par la fureur de vivre, Daniel Day-Lewis crève l’écran avec une intensité foudroyante. Face à lui, Pete Postlethwaite incarne un père brisé, rongé par la culpabilité de n’avoir su retenir son fils sur la pente de la délinquance, faute d’un amour paternel mal exprimé mais brûlant.

Électrochoc d’une rigueur émotionnelle suffocante avant de libérer son spectateur de l’étau judiciaire et policier, Au nom du père reste l’un des drames carcéraux les plus puissants jamais portés à l’écran. On en ressort transformé à jamais.

— le cinéphile du cœur noir
3èx. Vostf

Récompenses: Festival de Berlin 1994 : Ours d'or du meilleur film

mardi 16 septembre 2025

L'affaire Josey Aimes / North Country de Niki Caro. 2005. U.S.A. 2h06.

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"La révolte enfouie, la révolte éclatée". 

Inspiré d’une histoire vraie qui fit grand bruit aux États-Unis en 1984, lorsque Lois Jensen se résigna à poursuivre son employeur, la compagnie minière Eleveth, pour discrimination et harcèlement sexuel, L’Affaire Josey Aimes demeure un témoignage d’une puissance intacte, toujours aussi brûlant quelques décennies plus tard. Porté par la présence dépouillée de Charlize Theron en jeune mineur vouée aux gémonies par une horde aussi machiste que décervelée, le film insuffle une émotion à la fois poignante et bouleversante dans son épreuve de force : traduire devant les tribunaux une entreprise dénuée de morale, où les femmes subissent harcèlement, intimidations, brimades et menaces sous la férule d’une dictature prolo, triviale et abrutissante, gonflée d’un orgueil pusillanime.
 

On pourra néanmoins regretter un final étonnamment moins convaincant, lesté de revirements de ton - le père de Josey, un harceleur repentant, et une amie condamnée par la maladie dans un mélo sentencieux - mais L’Affaire Josey Aimes est une œuvre forte, engagée, marquée d’une dignité farouche. Elle montre Josey debout face à la lâcheté des hommes et au silence complice de ses collègues féminines, murées dans le mutisme pour sauver leur emploi.

Vibrant d’humanisme, ce récit d’une femme seule contre tous, cherchant notamment à renouer avec son fils rancunier faute d'un passé plus sordide qu’on ne l’imaginait, interpelle et scandalise par la crudité avec laquelle il dépeint un univers machiste aussi rétrograde que putassier.

A redécouvrir.

— le cinéphile du cœur noir
2èx. Vost

vendredi 12 septembre 2025

Erin Brockovich de Steven Sodenbergh. 2000. U.S.A. 2h11.

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"Elle a mis une petite ville à ses pieds et une multinationale à genoux."
Relatant un célèbre fait divers qui fit grand bruit outre-Atlantique - une affaire de pollution des eaux qu’une petite ville californienne endura, ses habitants contaminés et brisés - Erin Brockovich s’impose comme un grand moment de cinéma, rare dans le paysage souvent languissant, rébarbatif ou bavard des films de procès. Ici, tout s’inverse : une jubilatoire investigation de longue haleine, menée par une marginale tenace qui refuse d’abandonner et finit par faire plier des margoulins persuadés de leur intouchabilité.

Julia Roberts (Oscar de la Meilleure Actrice) y explose l’écran, tour à tour fine, intelligente, spontanée, mais aussi vulgaire - son langage fleuri claque comme une gifle - et provocante dans ses tenues sexy portées comme des armes. Elle impose un mélange décalé de dérision et de férocité qui laisse pantois. Face à elle, Albert Finney irradie un charisme paternel, autoritaire et borné, mais empreint de patience et de résilience. Ensemble, ils affrontent la Pacific Gas and Electric Company (PG&E), machine froide et monstrueuse, filiale d’un empire indifférent aux vies qu’elle broie.
 

Steven Soderbergh orchestre ce récit avec une maîtrise implacable : aller droit à l’essentiel, ne jamais s’égarer, même dans les scènes intimes, conjugales ou professionnelles, toujours dessinées avec une précision sans gras. L’intensité émotionnelle jaillit, inattendue, sous l’impulsion d’une Julia Roberts qui dévore chaque plan avec une détermination infaillible, laissant le souffle coupé. On suit son combat avec une attention irrévocable, face à l’effrayant scandale qui se dévoile : des familles entières condamnées à des maladies incurables, parfois mortelles, pour nourrir la cupidité d’une société sans vergogne.

Passionnant, drôle, poignant et révoltant, nourri d’une mise en scène vibrante d’amour de cinéma, Erin Brockovich est sans doute l’œuvre la plus salutaire et convaincante de Steven Soderbergh, malgré une filmographie inégale. Un classique authentique, brûlant de courage et de rage, qui rappelle que l’endurance et la force de conviction suffisent parfois à mettre à genoux les géants que l’on croyait intouchables.

— le cinéphile du cœur noir
3èx. Vost 
 
Récompenses
BMI Film & TV Awards 2000 : BMI Film Music Award pour Thomas Newman
Oscars 2001 : meilleure actrice pour Julia Roberts
BAFTA Awards 2001 : meilleure actrice pour Julia Roberts
AFI Awards 2001 : film de l'année
Golden Globes 2001 : meilleure actrice dans un film dramatique pour Julia Roberts

jeudi 11 septembre 2025

Dark

                         (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site Imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

Ces trois dernières semaines, j’ai revu une troisième fois la saison 1 de Dark, avant de découvrir, pour la toute première fois, ses deux saisons finales. En matière de série fantastique, je n’ai rien vu d’aussi fort et de plus beau depuis La Quatrième Dimension, X-Files, The Leftovers, Twin Peaks, Penny dreadful, L’Hôpital et ses fantômes, Le Carnaval de l'étrange ou Fringe.

Les quinze dernières minutes de l’épisode final comptent parmi les plus belles séquences que j’aie vues, au cinéma comme à la télévision, en termes d’intensité émotionnelle et d’immersion onirique. C’est du niveau créatif du final de L’Au-delà de Fulci ou du prologue criminel de Suspiria d’Argento.

Bouleversant, déchirant - presque traumatisant - ce dernier adieu démiurgique, traversé d’une vision mystique indicible, s’imprime en moi comme une plaie ardente. Dark restera gravé en moi, tel un organisme vivant qui, au fil de ses vingt-six épisodes, n’a cessé de me rappeler que tout ce que je sais n’est qu’une goutte d’eau, tandis que tout ce que j’ignore appartient à l’océan.
 

Une œuvre dense, flamboyante, complexe, profondément humaine et fragile (TOUS les comédiens, sans exception aucune, sont transis, imperturbables), mais toujours passionnante. Une œuvre qui choisit la lumière plutôt que l’ombre, et qui invite à repenser notre existence par le prisme du temps et des univers parallèles. Car ici, Dieu n’est pas un vieillard barbu trônant au ciel : Dieu est le temps lui-même, la trame infinie qui nous façonne et nous défait.

Et peut-être que notre vie n’est rien d’autre qu’un cycle de renaissances : nous mourons, nous revenons, nous tentons à chaque fois d’améliorer l’histoire, de corriger ce qui fut brisé, de sauver ceux que nous aimons. Comme si nous étions condamnés à rejouer la partition jusqu’à trouver l’accord juste, jusqu’à apaiser enfin le tumulte. Alors, le début devient la fin, et la fin s’ouvre toujours sur un commencement.

"Vous me suivez ? Peu importe. J’ai changé - alors l’univers changera."

— le cinéphile du cœur noir

Docteurs in love / Young Doctors in Love de Gary Marshall. 1982. U.S.A. 1h36

                     (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site notrecinema. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).


"Docteurs in love : l’éclat oublié d’une parodie furieuse."

Bijou maudit de la comédie hilarante, clairement influencée par Y’a-t-il un pilote dans l’avion ? des ZAZ sorti deux ans plus tôt, Docteurs in love est d’autant plus invisible depuis des décennies que tout le monde - ou presque - semble l’avoir oublié, pour ne pas dire méprisé, y compris la génération 80. Et pourtant, enchaînant gags visuels et sonores toutes les cinq à dix secondes avec une efficacité presque aussi effrénée que son modèle, le film s’impose comme un régal de comédie déjantée, parodiant avec une énergie insolente et galvanisante les séries médicales saturées de romances mièvres et de rebondissements mélodramatiques - au chevet des malades les plus atteints, au propre comme au figuré.

Les acteurs, en roue libre, s’en donnent à cœur joie, incarnant médecins, intrus mafieux, junkie ou patients possédés par un grain de folie contagieux. Leurs personnages faussement sérieux, confrontés à leur propre pitrerie irresponsable, créent un décalage irrésistible. Docteurs in love s’avère ainsi bien plus drôle, libre, osé et débridé que la majorité des comédies ricaines de ces vingt dernières années - loin, très loin par exemple, du poussif Y’a t-il un flic pour sauver le monde ?, fraîchement exploité dans nos salles, tellement moins sincère, fêlé et inspiré.


Et je dirais même qu’avec son parfum irrésistible des années 80, transpirant l’innocence révolue, le film me paraît aujourd’hui encore plus drôle, charmant et expressif qu’à sa sortie. D’autant qu’il s’agit de la première œuvre de Garry Marshall, futur auteur inoubliable de Pretty Woman et d’une pléthore de succès populaires au box-office. Produit par l’illustre Jerry Bruckheimer, porté par une musique signée Maurice Jarre, Docteurs in love demeure un classique incompréhensiblement englouti par l’anonymat - une parodie aussi folle que brillante, injustement reléguée dans l’ombre (en dépit de ses 1 092 743 entrées chez nous). Et il y a de quoi pleurer face à une telle injustice. Pour preuve, il reste toujours inédit en Dvd comme en Blu-ray...

— le cinéphile du cœur noir
3èx. VF
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"Histoire de vous convaincre davantage, je vous joins l’avis de corsu61, publié le 28 août 2011 sur son blog SOS MOVIES".

Attention, ce film est un petit bijou de parodie. Dans la lignée des "Y a t-il un pilote dans l'avion" avec sa griffe "Un gag à la minute", cette histoire totalement farfelue réunit une pléiade de personnages tout aussi amusants les uns que les autres. Les situations absurdes s'enchaînent à la vitesse grand V pour notre plus grand bonheur, et les plus réfractaires des spectateurs ne pourront s'empêcher de réprimer quelques rires. L'enchevêtrement des scènes comiques fait que l'on ne s'ennuie jamais, grâce notamment aux sauts de puce qui nous projettent dans les différentes histoires. De l'amourette-quiproquo entre la chef infirmière et l'interne dealer aux règlements de compte entre tueurs de la mafia, du directeur véreux à l'histoire d'amour entre étudiants, tout se combine pour ne former qu'un vaste réseau de gags. Il faut même écouter avec attention toutes les annonces faites par la sono de l'hôpital.... Petite cerise sur le gâteau, vous découvrirez également les débuts de deux futures stars du cinéma : Demi Moore (Harcèlement, Ghost) et Richard Dean Anderson (Mc Gyver, Stargate). En bref, "Doctors in love" est un modèle de grand n'importe quoi qui fait travailler les zygomatiques ! Quatre smileys et demis.

Date de sortie en France : 25 novembre 1982

Notation : 4.5/5

mardi 9 septembre 2025

Evanouis / Weapons de Zach Cregger. 2025. U.S.A. 2h08.

                       (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Evanouis - l’art noir du suspense hystérisé"

Phénomène horrifique de 2025, raflant tous les suffrages tant publics (bientôt 1 million d'entrées chez nous) que critiques, Evanouis est la seconde réalisation de Zach Cregger, encore plus investi et ambitieux depuis son excellent premier essai, Barbarians. Mais pour préserver l’effet de surprise - que le cinéaste prend malin plaisir à retarder jusqu’à une ultime demi-heure marquée au fer rouge dans la mémoire - moins vous en saurez, mieux vous serez terrassés. J’en suis témoin : cloué à mon siège deux heures durant, les nerfs vrillés, à tenter de deviner ce que tout cela pouvait bien dissimuler.

Évitez donc les synopsis trop bavards, et plus encore les trailers mercantiles qui déflorent son imagerie choc. Car le plaisir réside dans ce moment de frousse, bâti sur un suspense latent, fascinant autant qu’irritant, tandis que Cregger prend tout son temps pour dérouler son récit choral à travers le regard de plusieurs protagonistes prisonniers d’une journée de cauchemar interminable. Impeccablement structuré autour des faits et gestes de cette poignée d’âmes ballottées, Evanouis installe une maîtrise redoutable, une malice inquiétante qui distille mystère et malaise, entre postures ombrageuses et comportements erratiques dignes d’un épisode grandeur nature de La Quatrième Dimension.


En abordant de plein fouet paranoïa, suspicion et harcèlement scolaire au cœur d’une bourgade autrefois paisible, Cregger érige un train fantôme ricaneur qui ne cesse de miser sur l’expectative. Son suspense omniprésent, insoutenable, s’étire à travers les rares indices semés avec parcimonie. Mais en jouant la carte de la suggestion avec une précision chirurgicale, Evanouis libère une intensité dramatique où l’horreur se teinte de brutalité sèche. Jusqu’à un final ébouriffant, jusqu'au-boutiste, offert aux amateurs de terreur insolente, de délire sardonique et de violence acérée - une séquence hallucinée m’a d’ailleurs rappelé un classique sanglant des années 80, pour son gore massif et son effet de foule.

Captivant, passionnant, car intriguant par l’originalité de son récit délétère et la sobriété d’acteurs livrés à l’infortune, Evanouis déploie une terreur pure, redoublée d’efficacité, en conjuguant suspense et horreur graphique avec un art consommé de la surprise hystérisée. Et, aux côtés de Bring Her Back, Together et The Ugly Stepsister, il s’impose comme la révélation horrifique inattendue d’une année faste pour notre cinéma marginal fétichiste.

— le cinéphile du cœur noir

lundi 8 septembre 2025

Ouvre les yeux / "Abre los ojos" de Alejandro Amenabar. 1997. Espagne/France/Italie. 1h59.

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"Le vertige des faux-semblants : plonger dans Ouvre les yeux."

Il y a des films. Et puis il y a des expériences émotives qui vous saisissent par la main comme dans un rêve éveillé, au point que, tel le héros torturé, nous ne savons plus distinguer l’illusion de la réalité, happés dans un cheminement existentiel aux confins de la folie. Et dans ce jeu de dupe, ce simulacre vénéneux et insidieux, Alejandro Amenábar s’infiltre en véritable alchimiste, tant Ouvre les yeux nous entraîne dans une épreuve morale marquée d’une pierre blanche pour quiconque raffole des films-pièges au concept aussi dévastateur que révolutionnaire.

Au-delà du jeu rigoureux des comédiens emportés dans la tourmente du doute, de la folie, voire de la schizophrénie - et au-delà de l’ensorcelante beauté filiforme de Penélope Cruz - le scénario conçu par Amenábar et Mateo Gil relève du pur génie. À l’instar d’un suspense hitchcockien réglé au millimètre, sa mécanique narrative impeccablement huilée n’oublie jamais de ciseler la chair humaine de ses protagonistes pour mieux nous engloutir. Eduardo Noriega incarne César - figure altier et tranquille en apparence - avec une expressivité rapidement désarmée, poignante, affolante, presque inquiétante.


Le récit, puzzle à reconstituer entre minutie et impuissance, explore avec intelligence et fièvre discursive les thèmes du faux-semblant, de la métaphysique et du mysticisme, dans un réalisme diaphane d’une intensité rare. Ouvre les yeux demeure une expérience de cinéma enivrante et déroutante, pour qui aime se perdre dans des labyrinthes hermétiques où le romantisme côtoie l’hypocrisie la plus lâche, lorsque l’apparence prend le pas sur la vérité des sentiments.

On se trouve ainsi face à la fois à un thriller de science-fiction charpenté avec une rigueur implacable, à un suspense horrifique inquiétant et trouble, à un drame psychologique caustique et émouvant sur la rédemption d’un bellâtre machiste, et à un mélo vibrant d’humanisme torturé que les acteurs transcendent par une implication fragile, presque nue.

Gros morceau de cinéma, conjuguant ses genres avec une maîtrise implacable, Ouvre les yeux s’impose comme une référence vivante que le spectateur absorbe avec une attention diabolique, à la fois craintive et fascinée.

P.S: "Ouvre les yeux" fait partie de la liste des 1001 films à voir avant de mourir.

— le cinéphile du cœur noir

3èx. Vost

jeudi 4 septembre 2025

She Rides Shotgun de Nick Rowland. 2025. U.S.A. 2h00.

                        (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Une larme arrachée au milieu des clichés."

Je suis bien embêté, terriblement frustré : c’est un bon polar aride, violent et désespéré, mâtiné de tendresse et de drame psychologique, que le couple Taron Egerton / Ana Sophia Heger soulève à la seule force de leurs épaules. 

Mais le récit initiatique, prévisible, s’enlise dans une moisson de clichés que l’on connaît sur le bout des ongles, sans pouvoir nous impliquer avec passion dans ce périple désertique. Or, leurs instants d’intimité, vibrants, arrachent à ce canevas convenu une intensité émotionnelle dense pour les moments les plus réussis, culminant dans une séquence musicale finale d’une beauté déchirante, qui nous arrache les larmes.

Et c’est bougrement dommage, car la réalisation, carrée, maîtrisée, inventive, choisit la sobriété et épouse un jeu d’acteurs dépouillé, dont le charisme tranchant se fait trop rare dans le paysage du polar indépendant. Quant à la bande originale, d’une fragilité épurée, elle séduit elle aussi, glissant sous la peau avec une émotion délicate et tenace, à l'instar des plus chaudes étreintes entre un père écorché vif et sa fille en perte d'innocence.

— le cinéphile du cœur noir

L'Amour braque de Andrzej Żuławski. 1985. France. 1h41.

                        (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).
 
"L’amour en transe, la douleur en héritage."
 
Face à une œuvre aussi libre que marginale, littéralement cintrée, traversée par une folie dérangée et contagieuse, on ne peut qu’aimer ou détester, en dépit du non-sens de son intrigue amphigourique. 
Mais faut-il vraiment tout comprendre pour aimer ? Non : l’important, c’est le voyage - rêver, cauchemarder, dans une complicité assumée.
Découvert un dimanche après-midi au cinéma, le film m’avait laissé de profondes cicatrices dans l’encéphale.
 
Le revoir ce soir - une troisième fois - avec la même fascination mêlée de sidération, c’est mesurer le génie d’Andrzej Żuławski, littéralement possédé par ses ambitions outrancières, christiques, animales, existentielles, pathologiques. Car, entre les mains d’un vulgaire tâcheron, l’hystérie collective où se consument en live les comédiens serait devenue insupportable, irritante à la vitesse de l’éclair.
 
Et puis il y a Sophie Marceau, se livrant à nu, corps et âme, avec une foi électrisante. Elle est presque aussi habitée qu’Adjani possédée dans Possession. À ses côtés, Francis Huster partage la vedette, traversé lui aussi par une folie expressive, semi-dépressive. Et je ne vous parle pas de Tchéky Karyo pénétré par la rage et la débauche en gangster envieux. 
 
Un OVNI malade, au sens large, au pouvoir de fascination indicible, à l'émotivité irrationnelle, réservé aux spectateurs avertis.
  
— le cinéphile du cœur noir
3èx 

lundi 1 septembre 2025

The Collection

                                 (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"The Collection : la débauche qui dilue la terreur."
C’est pas mal, c’est sympa, on passe un bon moment - mais c’est clairement en dessous de son modèle.
Pourquoi ? Parce que Marcus Dunstan lâche la bride, choisit la surenchère bourrine plutôt que de nourrir ce climat d’angoisse et de terreur qui faisait toute la force du très efficace The Collector.
Ici, les pièges disséminés dans les couloirs d’un hôtel abandonné sont multipliés à l’excès, jusqu’à perdre parfois en crédibilité à force de vouloir piéger au moindre faux pas. Heureusement, certains conservent leur impact, notamment l’hallucinant prologue dans une boîte de nuit, d’une ambition folle dans sa brutalité saisissante.

Quant à la vengeance de l’anti-héros rescapé du premier opus épaulé ici d'une équipe de mercenaires aguerris, elle s'avère un tantinet timorée, légèrement en retrait et se dissout dans un final expédié, pas si spectaculaire qu’espéré, avec en prime une image de clôture aussi dispensable que cette suite décérébrée, préférant l’action pure à l’horreur glauque et au tortur'porn cru de son modèle. Reste, malgré tout, quelques séquences chocs qui font leur effet de répulsion, et ce tueur mastard, toujours fascinant, inquiétant, pervers, d’une robustesse tranchante comme une lame.

Dispensable, donc. Mais ludique, bonnard même, avec ce parfum bisseux de série B de samedi soir, mal élevée, décomplexée, réactionnaire.

— le cinéphile du cœur noir

samedi 30 août 2025

The Collector de Marcus Dunstan. 2009. U.S.A. 1h30.

                   (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"La mécanique sadique de The Collector."

Privé de salles chez nous à l’époque, directement expédié en DVD et Blu-ray, The Collector fut une heureuse surprise pour les amateurs éclairés, surtout pour celles et ceux friands de torture porn relancé par les franchises Saw et Hostel. Ce qui frappe dans ce pur film d’exploitation, empruntant au survival en huis clos domestique, c’est son efficacité effrénée : un rythme haletant, un cache-cache constant, une traque de chat et de souris entre un anti-héros - cambrioleur en désespoir de cause - et un criminel vicieux, sadique, ordurier, qui truffe la maison de pièges et de sévices destinés à ses victimes suppliciées. Le cambrioleur tente de déjouer cette mécanique meurtrière tout en prêtant main-forte à ceux qui agonisent, coincés entre torture et instinct de survie.

Porté par l’ultra-dynamisme d’un montage chirurgical, The Collector nous plaque au siège durant 1h25, tant les offensives et les stratégies de survie rebondissent dans ce huis clos infernal, repaire de tous les dangers létaux. Exploitant à merveille chaque recoin de la demeure transformée en champ de bataille et en geôle, Marcus Dunstan nous enferme avec ses victimes, et l’on observe, avec une appréhension constante, leur désespoir hurlé, leur martyr d’un réalisme dérangeant. Les séquences hard gore, à la lisière de la complaisance, imposent un malaise viscéral d’une intensité quasi insoutenable dans l’exposition des sévices les plus extrêmes.
 

C’est une véritable descente aux enfers, triviale et putassière, que l’on subit aux côtés des victimes démunies, tandis que l’anti-héros s’efforce de retourner les pièges contre le tueur retors. Outre l’aspect hypnotique d’une mise en scène étonnamment soignée et maitrisée, The Collector gagne en pouvoir de fascination avec la présence du tueur cagoulé, silhouette SM vêtue de noir, bloc de ténèbres et de force brute, quasiment indépassable quand vient l’affrontement physique. Ces combats demeurent d’un réalisme brutal, poussés jusqu’à l’ultra-violence, sculptés par un art consommé du sadisme crapuleux.

Et dans ce périple cauchemardesque, Dunstan ose un final hallucinant, dénué d’illusion, qui risque de laisser sur le carreau plus d’un spectateur. Malsain et poisseux, ultra-violent et sanglant jusqu’à frôler la pornographie, The Collector s’impose comme une série B odieusement méchante et jouissive, menée tambour battant par un montage anthologique, enchaînant les séquences chocs à un rythme métronomique - pour ne pas dire éreintant. Et on en sort assez troublé et KO, surtout après avoir enchaîné avec le presque aussi maladif Sweeney Todd de Tim Burton.
 
— le cinéphile du cœur noir
2èx. Vost 
 

mardi 26 août 2025

Together de Michael Shanks. 2025. U.S.A/Australie. 1h42.

                                  (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

                                                     "Le vertige organique de Together"
Choc thermique !
Cette année déjà, l’horreur nous avait surpris par quelques éclats inattendus : The Ugly Stepsister, Bring Her Back, Évanouis, et dans une moindre mesure Dangerous Animals. Or voici qu’un dernier venu s’invite dans la danse macabre : Together. Le renouveau de l’horreur organique. Ni plus, ni moins.

Car si l’on pensait avoir tout vu en matière de body horror, depuis les dérives cliniques de Cronenberg, Carpenter ou encore Coralie Fargeat avec The Substance, Michael Shanks démontre qu’il est encore possible de réinventer l’horreur sensorielle, pour peu qu’on y croie avec une foi absolue. Together respire cet amour du genre : il nous invite à une expérience viscérale, hyper crédible dans sa mise en image, cherchant à nous terrifier de la manière la plus sensitive qui soit. Tant et si bien que, de mon point de vue subjectif (car tout cela reste affaire de ressenti), Together s’impose comme l’un des films les plus terrifiants que j’aie vus au sein d’une moisson de classiques imputrescibles.
 

Un concept à la fois simple et ravageur, derrière sa satire au vitriol sur les valeurs du couple, de la confiance à la fidélité en passant par la peur de l'engagement. Jugez plutôt : Tim, indécis face à la demande en mariage de Millie, vacille dans sa relation. Mais après une chute accidentelle dans une crevasse, leur quotidien bascule : Tim sombre dans un malaise physique et psychologique, en proie à des cauchemars de plus en plus violents.
 
L’efficacité de Together tient dans cette observation à la fois craintive, démunie, épouvantée de la lente dégénérescence d’un couple frappé par une maladie contagieuse. Huis-clos domestique au malaise croissant, le film nous cueille au plexus par des séquences chocs enchaînées avec un art consommé de la peur psychologique. Son intensité fulgurante, affolante, immersive surtout, doit beaucoup à la justesse de ses personnages, impeccablement habités, d’une expressivité spontanée. Alison Brie et Dave Franco forment un couple fusionnel au charisme saillant, assez humain pour permettre au spectateur de s’identifier sans délai à leurs gestes contradictoires.
 

Véritable descente aux enfers sans échappatoire, Together injecte en prime une dérision grinçante quant aux valeurs de l’amour et de la fidélité, sévèrement malmenées par une accoutumance incontrôlable des corps en étreinte sexuelle et sentimentale, malgré la perplexité amoureuse révélée dès le prologue. Pour une première œuvre, la maîtrise est sidérante : Shanks provoque peur et malaise avec une acuité psychologique rare, ses images réalistes insinuant une terreur rampante, comme si nous étions nous-mêmes contaminés par ce mal étrange.

Pur film de trouille exploitant son concept singulier avec une véracité troublante, Together nous enferme dans un cauchemar domestique abyssal. Ses visions tordues, fondées sur la communication des corps et la confrontation charnelle avec l’autre sexe, résonnent jusque dans l’héritage de Platon. Déjà un classique, et vive l'Australie. 

— le cinéphile du cœur noir



lundi 25 août 2025

F1

                                    (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

Moins rageur que Rush ou Le Mans 66, mais d’une maîtrise grandiose (ultra dynamisme du montage à couper au rasoir, photo léchée, sens du cadre, gestion du tempo musical), le film déploie un spectacle tenu d’une main sûre, porté par un savoir-faire désarmant face à une intrigue dont l’attrait (pas si) prévisible et les clichés sont exploités avec une efficacité revivifiée.

Les personnages, profondément attachants, nous font vibrer avec une sincérité dénuée de cynisme. À l’image d’un Brad Pitt flamboyant, gentleman d’écran, dont l’aplomb naturel, sa force tranquille parfois fragile, n’a rien de pédant : bouleversant et impressionnant en pilote vieillissant en quête d’une seconde chance.


Le final, somptueux feu d’artifice (au propre comme au figuré), retrouve l’intensité émotionnelle d’un Rocky, transcendé par un Hans Zimmer en grande forme : sa partition épique électrise, sa mélodie entêtante du prologue (hélas entendue une seule fois) distille ce parfum émotif des années 80 qui étreint les nostalgiques. 

Du grand cinéma donc, plus vertigineux que spectaculaire, empreint de cette patte émotive propre à Joseph Kosinski: un artisan des divertissements sincères, généreux et carrés, où émotion et tendresse s’entrelacent à l’action. Sa filmographie, d’Oblivion à Only the Brave, de Twisters à l’incontournable Top Gun: Maverick, ne cesse de le rappeler. 


Et grâce à F1 je me surprends à admirer, avec un respect toujours plus affirmé, cet artiste à l’ancienne, héritier de ses aînés qui jamais ne confondaient efficacité et précipitation, et savaient encore faire rêver le spectateur du samedi soir.

— le cinéphile du cœur noir
4K, Vost

samedi 23 août 2025

Eenie Meanie / Wild Speed Girl de Shawn Simmons. 2025. U.S.A. 1h42/ 46.

                                                     
                          (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Eenie Meenie : l’élégance tragique de la série B".
 
Formidable surprise passée par la trappe Hulu aux États-Unis et sur Star/Disney+ ailleurs, Eenie Meenie / Wild Speed Girl s’impose comme un hommage sincère au cinéma d’exploitation des seventies par l’entremise du film de braquage pur et dur. Il ne cherche pas à s’affranchir des conventions mais assume pleinement sa nature de série B - menée avec efficacité, implication, élégance visuelle et surtout habitée par ses interprètes. Le duo Samara Weaving / Karl Glusman crève littéralement l’écran en Bonnie and Clyde modernes, portant le film à bout de bras grâce à une complicité vibrante, badine et insolente, nourrie par les dérives du banditisme mafieux.

Qu’on se le dise : les amateurs de bourrinades calibrées risquent d’être déconcertés. Eenie Meenie refuse cette case triviale et confortable. Shawn Simmons préfère dresser le portrait d’une femme déchue mais digne, dissimulé derrière l’écrin ludique du polar. Il conjugue avec finesse humour, action et drame, mais sans jamais programmer l’émotion : elle surgit de manière inattendue, notamment dans une ultime demi-heure marquée par une rupture de ton aussi abrupte que bouleversante. Émaillé de deux poursuites chorégraphiées à l’ancienne - l’antithèse des outrances hypertrophiées de Fast and Furious - le film divertit sans faiblir, porté par des dialogues jamais vains (ils sont nombreux), toujours au service des préparatifs du casse, des concertations et de l’évolution d’un couple bancal. John manipule sournoisement la psyché désarmée d’Edie, qui vacille au seuil de la criminalité, déchirée entre fronde et soumission.
 

Tout l’intérêt du récit réside là : dans le parcours fragile, douloureusement humain, d’Edie. Prisonnière de son indulgence envers les hommes - qu’elle a toujours protégés, depuis sa jeunesse au sein d’une famille dysfonctionnelle - elle se jette dans l’illégalité avec une audace aussi désespérée que suicidaire. As du volant exploitée par une ligue masculine à la fois solidaire, autoritaire et fallacieuse, elle finira par comprendre que l’emprise de John sur son cœur pourrait la conduire à sa perte. Andy Garcia, en patriarche mafieux, apporte quant à lui une force tranquille qui échappe à toute caricature : expressif sans excès, presque réconfortant, il accompagne Edie dans son cheminement, tout en laissant affleurer la dignité d’une remise en question rédemptrice.

Le final émeut profondément, grâce au tact du réalisateur qui filme l’émotion sans emphase, avec une pudeur vibrante de sincérité. Samara Weaving y déploie un charisme hypnotique, inquiétant et troublé, révélant un humanisme torturé d’une intensité presque cachée. Karl Glusman n’est pas en reste : petite frappe casse-cou, insolente, bravache, il incarne avec instinct une masculinité immature, oscillant entre bravoure et irresponsabilité.
 
 
Excellent polar d’action truffé d’humour, de dérision mais aussi de gravité et de tendresse, Eenie Meenie s’impose enfin grâce à une nappe musicale discrète et fragile (The Haxan Cloak), qui épouse la fébrilité désenchantée de ses personnages. Mais c’est surtout Samara Weaving qui embrase chaque plan, présence à la fois candide et incandescente, oscillant entre altruisme, audace et fragilité extrême, dans l’écrin vibrant d’un cinéma d’antan retrouvé.

On ne peut donc qu’être saisi par cette première réalisation, à la fois digne, noble, modeste et inspirée, qui laisse tant le récit respirer avec une attention psychologique, une fêlure humaine désormais presque disparue derrière ses portraits (faussement) détendus.
 
— le cinéphile du cœur noir 
4k vost 

mercredi 20 août 2025

Body Trash / Body Melt de Philip Brophy. 1993. Australie.

                                                                                          
                                     (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).
 
"Body Trash : fête foraine de chair et latex."
Excellente surprise que cette perle horrifique australienne, que Rimini Editions exhume de sa torpeur dans une copie HD fastueuse. À tous les fans de Troma et du cultissime Street Trash de Jim Muro, Body Trash est taillé sur mesure : l’unique film de Philip Brophy en épouse les excès tout en insufflant une liberté de ton galvanisante, servie par une moisson de séquences chocs, trash et débridées. Et si le scénario ultra-linéaire n’est qu’un prétexte à enchaîner des sketchs nourris d’humour noir, de burlesque et de sang cartoonesque à base de latex, l’énergie furieuse des personnages lunaires, leur charisme saillant et l’insolence d’une satire visant capitalisme, matérialisme et culte des apparences finissent par rendre le spectacle constamment stimulant - pour ne pas dire jubilatoire. Certes, le trash viscéral de certaines scènes inspire parfois un dégoût instinctif, mais il s’impose comme une violence de dessin animé : il nous met à distance, nous autorisant à en rire avec une complicité presque innocente. Série B à la fois comique, décalée et sardonique, portée par un souffle libertaire dévastateur, Body Trash apparaît comme le prototype d’un divertissement du samedi soir aujourd’hui révolu - avec ses trognes ahuries, aussi expressives que caricaturales, vouées à s’éclater la tronche (au propre comme au figuré) dans une ambiance dévergondée de fête foraine.
 
— le cinéphile du cœur noir 
2èx. Vostf 

mardi 19 août 2025

Les Proies / Moonlight de Paula van der Oest. 2002. 1h27.

                      (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"L'innocence en flammes". 
Produit entre les Pays-Bas, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et le Luxembourg, Les Proies est un véritable OFNI, une sorte de Nuit du Chasseur en mode vitriolé - toutes proportions gardées. L’histoire : une fillette de douze ans croise par hasard un ado passeur de drogue, grièvement blessé d’une balle à l’estomac, qu’elle décide de soigner en secret dans une cabane, loin de la vigilance de ses parents huppés.

J’ignore quelles étaient les véritables ambitions de Paula van der Oest, ni ce qu’elle a voulu nous transmettre, mais en abordant les thèmes de la perte de l’innocence et de l'absence parentale, Les Proies nous entraîne dans un trip onirico-macabre, aussi bizarroïde que déconcertant. À tel point qu’on se demande souvent quel sens donner à ce que l’on voit, tant la réalisatrice, décomplexée, en roue libre, orchestre les 400 coups de ce duo d’ados en initiation délinquante avec une fantaisie irresponsable.

De ses audaces narratives - insolentes, malaisantes, délétères - naît un sentiment d’étrangeté prégnant qui irrigue tout le récit, sans jamais céder à une échappatoire salvatrice. Bien au contraire : jusqu’au-boutiste dans son parti pris réaliste, où l’insouciance demeure le maître mot, Les Proies malmène notre raison en refusant toute rédemption, jusqu’à une conclusion aussi hallucinée que vertigineuse. On en sort déboussolé, sans avoir jamais vraiment saisi les intentions de cette autrice franc-tireur, déterminée à pulvériser nos repères dans une narration anarchique et sciemment provocatrice.

Un dernier mot sur le tempérament brut de la jeune Laurien Van den Broeck, qui incarne Claire avec une maturité troublante, ambiguë, parfois désarçonnante. La réalisatrice ose la filmer en sous-vêtements, puis dénudée, avec une audace sans détour - peut-être discutable, surtout lors de cette étreinte sexuelle qui ne manquera pas de heurter les plus prudes - mais pleinement assumée.

Une œuvre indépendante, atypique donc, qui fait voler en éclats les codes avec une innocence perverse et avilissante car elle signe la fin des songes dans une mise en scène tendre et caustique difficilement conciliable.

— le cinéphile du cœur noir

vendredi 15 août 2025

Night Always Comes de Benjamin Caron. 2025. U.S.A. 1h50.

                                  (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Une nuit pour tout perdre."

Voilà le genre de film perfectible qui, malgré un concept prometteur - un thriller psychologique filmé en temps réel, le temps d’une seule nuit -, finit par laisser un certain goût de frustration mêlée de contradiction. La faute à un manque de maîtrise, parfois entaché d’incohérences gênantes : l’anti-héroïne qui, sans méfiance, se rend chez un perceur de coffres infréquentable; ou cette course à pied freinée par un grillage, sans qu’elle songe à s’y agripper pour le franchir d’un geste.

Pourtant, de cette course contre la montre, plutôt bien photographiée, se dégage un étrange mélange d’envoûtement et de séduction, impulsé par Vanessa Kirby qui porte le film sur ses épaules avec une sobriété admirable. Elle insuffle un suspense à la fois latent et nerveux, suivant une trajectoire morale sinueuse, nourrie par un passé galvaudé que le réalisateur ne dévoile que dans une dernière partie familiale.


Sur fond de crise économique et de délinquance décomplexée, Lynette s’efforce de se frayer un chemin, malgré une corruption vénale assumée comme ultime recours. Night Always Comes parvient ainsi à susciter une sincère empathie, installant un climat anxiogène et souvent malaisant, qu'elle entretient au fil de son périple urbain constamment menacé.

Maladroit par instants dans son écriture, pas toujours assez poignant dans ses séquences les plus violentes, ni dans l’humanisme fragile de Lynette, souvent maintenu dans la réserve, le film n’en offre pas moins une conclusion réellement émouvante. 

Jamais ennuyeux, atmosphérique dans sa scénographie nocturne inquiétante, il me laisse en mémoire l’image d’une œuvre tantôt malmenée, tantôt vibrante, tantôt pulsatile, portée par les ombres de la démission parentale et de la délinquance contrainte - des thèmes que le réalisateur aborde avec une sincère volonté de bien faire.

Or, je suis quand même un petit peu embarrassé de ne pas l'apprécier autant qu'escompté.

— le cinéphile du cœur noir

mercredi 13 août 2025

Eddington de Ari Aster. 2025. U.S.A. 2h28.

                     (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).

"Dernière station avant le néant."
Eddington, c’est l’Amérique à vif qui s’éventre sur elle-même, dans un éclat de rire jaune. Ari Aster signe sous couvert de western vitriolé une farce hyper caustique, un carnaval politique où chaque masque cache un rictus de haine ou un vide abyssal. Mai 2020 : la Covid ronge les corps et les cerveaux, mais c’est la paranoïa qui dévore les âmes. Dans cette bourgade perdue au cœur des États-Unis, les habitants se plient aux règles, s’accrochent à des restrictions, voires à des causes fumeuses, bricolées dans l’arrière-cour de leur idéologie déglinguée. Tout est irréconciliable dans cette gigantesque cour de récré. La fracture béante entre deux Amériques n’est plus un débat : c’est une guerre civile larvée, une folie contagieuse que le monde entier semble décidé à reproduire, encore et encore.

La jeunesse, elle, s’abîme dans la lumière bleue des écrans, nourrie de joints, de pornographie et de rêves de célébrité virale. Les pieds ne touchent plus terre, la réalité se dissout dans un flux continu de paranoïa et de désir d’être vu. Et au milieu, Joaquim Phoenix incarne un shérif rétrograde, sociopathe lunaire, paumé comme un chien enragé lâché dans une foire depuis le désespoir de son amour déchu. Il ne joue pas. Il transpire son personnage. Il le respire, il le saigne. Il avale l'écran. 
 

Oui, la première heure traîne, s’éparpille, se perd dans ses propres circonvolutions au risque de lasser, de décrocher même. Mais passée cette latence, l’heure vingt-cinq suivante est un coup de massue à la tonalité bipolaire. Un théâtre grotesque et implacable où l'ultra violence burlesque n’est qu’un masque funèbre. Ici, pas de héros : seulement des imposteurs, des lâches, des victimes complices de leur propre ignorance, de leur bassesse, et d’une soif de pouvoir qui ne distingue plus le social du politique. Une Amérique miniature à la violence putassière qui nous tend un miroir, et ce que l’on y voit donne envie de le briser avant qu'une éventuelle puissance étrangère un peu trop susceptible ne nous raye de la carte.

Farce et châtiment, la fin est proche, Amérique Zéro..

— le cinéphile du cœur noir

Alien Earth. Saison 1, Episode 1 / 2 / 3 / 5

                                                   
                                (Crédit photo : image trouvée via Google, provenant du site imdb. Utilisée ici à des fins non commerciales et illustratives).
 
"Premiers battements d’une terreur en apesanteur".
Premier épisode, plaqué au siège une heure durant (générique de quatre minutes exclu), incapable de détacher les yeux de l’écran.
 
Transpirant les Seventies dans un prologue de quinze minutes clairement nourri par l’Alien de Ridley Scott, l’épisode s’arrache vite à la redite pour imposer sa propre personnalité, déplaçant sa scénographie stellaire sur Terre à la faveur d’un incident majeur qui relance la franchise avec émoi galvanisant. Peu à peu, l’ombre de James Cameron s’esquisse, portée par l’irruption militaire, sans jamais sombrer dans le plagiat : l’univers qui se déploie devant nous possède une force de fascination dépouillée, tenue d’une main ferme.
 
Hypnotique, contemplatif, d’une beauté visuelle renversante, il distille à nouveau le parfum des années 70 au cœur d’une scénographie discrètement futuriste mais d’un réalisme coupant. Noah Hawley nous immerge dans cet univers singulier en nous attachant, avec une patience méthodique, à ses personnages venus d’horizons divers : militaires en mission de sauvetage, scientifiques et parents en concertation, humanoïde conçue par IA, et l’apprenti sorcier Kirsh. On suit de près l’évolution morale de Wendy, ado souffreteuse transplantée dans un corps androïde, conscience enfantine prête à se porter volontaire pour épauler l’armée lors d’une explosion meurtrière.
 
Ainsi s’ouvre ce premier épisode, soigné, ambitieux, passionnant, hypnotique, métaphysique aussi - le discours de la mortalité entre Wendy et Krish comme essence de l’humain. Il installe, sans qu’on s’en rende compte, un suspense larvé, redoutablement efficace, inquiétant, et surtout prometteur pour les horreurs à venir - bien que déjà, deux séquences de terreur nous aient saisis, viscérales, sournoises et sans issue.
 
L’épisode 2, plus nerveux encore, enchaîne avec une redoutable efficacité les agressions horrifiques, s’appuyant sur un suspense ciselé à la tension hypnotique. En contrepoint, Wendy avance à tâtons dans un immeuble en ruines, à la recherche de son frère. Chamarré d’une fulgurante cohérence visuelle, entre rétro et futurisme, Alien Earth demeure un régal pour les mirettes, nous plongeant plus avant dans un cauchemar dantesque où surgissent peu à peu d’innombrables créatures hybrides, avançant avec la même insidieuse lenteur que l’androïde afro, engagé dans une stratégie de survie studieuse mais ambivalente — à l’image de sa rencontre fortuite avec Jo, le frère de Wendy.
 
Troisième épisode, et toujours cette ivresse visuelle : chaque détail du rétro-futur s’impose avec une précision hypnotique, crédible pour nous happer, fascinant comme une hallucination tenue en laisse. L’univers palpite, charnel et métallique, un rêve fiévreux qui ne cesse de se densifier. Un régal d'immersion plus vrai que nature. 

Le coeur de l’histoire, enfin, se déploie et se scinde en deux horizons. D’un côté, le cyborg afro, lancé dans une traque implacable des créatures au nom de sa créatrice tout en s'imposant maître chanteur face à deux synthétiques au quotient infantile. De l’autre, Boy Kavalier, architecte mégalo, potentiellement prêt à sacrifier Wendy/Marcy sur l’autel de ses expériences avec ses spécimens extra-terrestres - ses chimères de chair et d’obsession.

Coup de force narratif : dès l’ouverture, Wendy terrasse un ennemi dans une confrontation brève mais foudroyante. Audace rare, qui brise les codes, même si la victoire la laisse exsangue, contrainte à la réparation par les mains froides d'une science avancée.
Puis surgit Curly, nouvelle synthétique dans l'ombre, avide de supplanter Wendy dans le cœur malade de Kavalier. Rivalité sourde, venin distillé tout en subtilité, jusqu’à ce final suspendu où Wendy pourrait rouvrir les yeux (?). 

Un épisode aussi passionnant qu’interrogatif, fidèle à la fièvre des précédents : il nourrit la fascination en imposant sa personnalité tout en creusant le mystère, nous laissant encore une fois suspendus entre vertige et envoûtement face à un récit plus éventé à travers 2 tenants et aboutissants délétères.
 
"Le souffle noir du cinquième acte".
 
Après le léger faux pas du 4ᵉ épisode, étonnamment languissant, on retrouve la force des trois premiers. Ce 5ᵉ segment transitoire rend un hommage digne au Alien originel de Ridley Scott, par un saut dans le temps renvoyant au massacre de l’équipage suggéré dès le tout premier épisode. À travers ce détour passéiste, se révèlent sous un jour nouveau les intentions du capitaine Morrow, chef de la sécurité du vaisseau, mais aussi celles de l’apprenti sorcier Kavalier, dont l’ambiguïté semble soudain s’inverser. Mais chut…

Dans la surprise de ce rebondissement impondérable qui rebat les cartes, l’épisode, toujours remarquablement maîtrisé, exploite à merveille un suspense larvé, tendu jusqu’à l’insoutenable - songeons à la fameuse “bouteille d’eau” qu’une protagoniste s’apprête à ingurgiter. Clin d’œil direct au chef-d’œuvre de Scott par une situation éculée, la séquence attendue se dérobe pourtant, imprévisible, pour mieux nous ébranler et nous précipiter dans un jeu de massacre où s’affrontent occupants, xénomorphe et autres créatures retorses, véloces, délétères.

On se retrouve ainsi devant un épisode haletant et inquiétant, nourri d’un suspense étouffant, où l’angoisse - admirablement transmise par les visages contrariés et ce sentiment de danger insidieux - croît jusqu’à la terreur d’un carnage fatal, n’offrant nulle échappatoire aux proies démunies, déjà rongées par l’affres du désespoir.

Un épisode mortifère, aussi passionnant que terrifiant, où certaines séquences - suggérées ou graphiques - déstabilisent et éprouvent avec une cruauté diabolique. Tout s’y déploie dans un art consommé de l’appréhension, où l’attente, l'interrogation devient intolérable. Et déjà se profile la promesse d’une tournure narrative nouvelle, cauchemardesque, annonciatrice d’abîmes probablement plus sombres.

— le cinéphile du cœur noir